Bourgeons d’avrilLibrairie Hachette et Cie, Paris ; Librairie Socec & Cie (p. 100-102).

XXXVL.

JE N’OSE…

Je veux souvent, pour rompre lon esmoy,
Te saluer ; mais ma voix, offensce
De trop de peur, se relient amassée
Dedans la bouche el me laisse tout coy…


(Ronsard.)


Je veux te dire une chose
Si tu pouvais m’écouter !
Tu m’écoutes… mais je n’ose
Non, je n’ose te parler.
Je te sais bonne et très douce :
Mais je te crains malgré moi.
L’oiseau tremble dans la mousse
Et je tremble devant toi.


J’ai bien des choses à dire
Mais je ne peux pas, j’ai peur...
Je te vois déjà sourire
Et ton sourire est moqueur.
Ta bouche est comme une rose...
Tu vas te railler de moi
Je suis si gauche et je n’ose
Lever les yeux devant toi !

Ton port est un port de reine
Ton regard est imposant
Alors, tu comprends sans peine
Pourquoi je t’admire tant
Je te voudrais souveraine
Et moi je serais ton roi
Même étant sûr de ta haine
J’aimerais mourir pour toi.

Je suis bête, c’est possible
Pourtant, je sais bien aimer
Mon cœur n’est pas insensible
Mais je ne puis m’exprimer

Ah ! si je savais te dire
L’amour que je sens pour toi
Non, tu ne voudrais plus rire
Et tu n’aimerais que moi.


Paris, Juin 1885.