Féerie (Les Poèmes d’Edgar Poe)

Traduction par Stéphane Mallarmé.
Les Poèmes d’Edgar PoeLéon Vanier, libraire-éditeur (p. 112).
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FÉERIE



Noir val — et cours d’eau ombreux — et bois pareils à des nuages, dont on ne peut découvrir les formes, à cause des larmes qui s’égouttent partout, — là croissent et décroissent d’énormes lunes — encore — encore — encore à tout moment de la nuit — changeant à jamais de lieu, — elles éteignent la lumière des étoiles avec l’haleine de leurs faces pâles. Vers minuit au cadran lunaire, une plus nébuleuse que le reste (d’une espèce qu’à l’épreuve elles ont trouvé être la meilleure) descend, — bas, plus bas, et son centre à la cime d’une éminence de montagnes, pendant que la vaste circonférence retombe en draperies aisées sur les hameaux, sur les résidences (partout où il y peut y en avoir), sur les bois étranges — sur la mer — sur les esprits au vol — sur toute chose assoupie, — et les ensevelit dans un labyrinthe de lueur. Profonde, oh ! profonde alors la passion de leur sommeil. Au matin Elles se lèvent, et le voile lunaire prend vers les Cieux un essor, avec les tempêtes qui s’y agitent, comme… presque comme tout — ou un pâle Albatros. Elles n’emploient plus cette lune aux mêmes fins que devant, videlicet une tente — ce que je crois extravagant : ses atomes donc se séparent en une averse, dont ces papillons de la Terre, qui cherchent les Cieux et redescendent (êtres jamais satisfaits !) apportent un spécimen par leurs ailes frissonnantes.