Code noir
Recueils de reglemens, edits, declarations et arretsLibraires Associeztome 2 (p. 81-101).


CODE NOIR,
OU
RECUEIL D’ÉDITS,
DÉCLARATIONS ET ARRÊTS,
Concernant la Diſcipline & le Commer-
ce des Eſclaves Négres des Îſles
Françaises de l’Amérique.

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ÉDIT DU ROI,
Touchant la Diſcipline des Eſclaves
Négres des Îſles de l’Amérique
Françaiſe


Donné à Verſailles au mois de Mars 1685.



LOUIS, par la grâce de Dieu, Roi de France & de Navarre : À tous, préſens & à venir, SALUT. Comme nous devons également nos ſoins à tous les Peuples que la Divine Providence a mis ſous notre obéiſſance, Nous avons bien voulu faire examiner en notre préſence les mémoires qui nous ont été envoyés par nos Officiers de nos Îſles de l’Amérique, par leſquels ayant été informés du beſoin qu’ils ont de notre Autorité & de notre Juſtice, pour y maintenir la diſcipline de l’Égliſe Catholique, Apoſtolique & Romaine, & pour y régler ce qui concerne l’État, & la qualité des Eſclaves dans noſdites Îſles, & deſirant y pourvoir, & leur faire connoître qu’encore qu’ils habitent des climats infiniment éloignés de notre ſéjour ordinaire, nous leur ſommes toujours préſens, non-ſeulement par l’étendue de notre puiſſance, mais encore par la promptitude de notre application à les ſecourir dans leurs néceſſités. À CES CAUSES, de l’avis de notre Conſeil, & de certaine ſcience, pleine de puiſſance & autorité Royale, nous avons dit, ſtatué & ordonné, diſons, ſtatuons & ordonnons, voulons & nous plaït ce qui enſuit.


Article Premier[1]

Voulons & entendons que l’Édit du feu Roi de glorieuſe mémoire, notre très honoré Seigneur & Père du 23 Avril 1615, ſoit exécuté dans nos Îſles ; ce faiſant, enjoignons à tous nos Officiers de chaſſer hors de nos dites Îſles tous les Juifs qui y ont établi leur réſidence, auſquels, comme aux ennemis déclarés du nom Chrétien, nous commandons d’en ſortir dans trois mois, à compter du jour de la publication des Préſentes, à peine de confiſcation de corps & de biens.

II. Tous les Eſclaves qui ſeront dans nos Îſles, ſeront baptisés & instruits dans la Religion Catholique, Apoſtolique & Romaine. Enjoignons aux Habitants qui achèteront des Négres nouvellement arrivés d’en avertir les Gouverneur & Intendant deſdites Îſles dans huitaine au plus tard, à peine d’amende arbitraire, leſquels donneront les ordres néceſſaires pour les faire inſtruire & bâtiſer dans le temps convenable.

III. Interdiſons tout exercice public d’autre Religion que de la religion Catholique, Apoſtolique & Romaine ; voulons que les contrevenans ſoient punis comme rebelles & déſobéiſſans à nos Commandements ; déffendons toutes Aſſemblées pour cet effet, leſquelles nous déclarons conventicules, illicites & ſéditieuſes, ſujettes à la même peine, qui aura lieu, même contre les Maîtres qui les permettront ; ou ſouffriront à l’égard de leurs Eſclaves.

IV. Ne ſeront prépoſés aucuns Commandeurs à la direction des Négres, qui ne faſſent profeſſion de la Religion Catholique, Apoſtolique & Romaine, à peine de confiſcation deſdits Négres, contre les Maîtres qui les auront prépoſés, & de punition arbitraire contre les Commandeurs qui auront accepté ladite direction.

V. Deffendons à nos ſujets de la R. P. R[2] d’apporter aucun trouble ni empêchement à nos autres Sujets, même à leurs Eſclaves, dans le libre exercice de la Religion Catholique, Apoſtolique & Romaine, à peine de punition exemplaire.

VI. Enjoignons à tous nos Sujets, de quelque qualité & condition qu’ils ſoient, d’observer les jours de Dimanches & Fêtes, qui ſont gardés par nos Sujets de la Religion Catholique, Apoſtolique & Romaine. Leur deffendons de travailler, ni de faire travailler leurs Eſclaves eſdits jours depuis l’heure de minuit juſqu’à l’autre minuit, ſoit à la culture de la terre, ſoit à la manufacture des ſucres, & à tous autres ouvrages, à peine d’amende & de punition arbitraire contre les Maîtres, & de confiſcation, tant des ſucres, que deſdits Eſclaves ; qui ſeront ſurpris par nos Officiers dans leur travail[3].

VII. Leur deffendons pareillement de tenir le marché des Négres, & tous autres marchés leſdits jours, ſur pareilles peines & de confiſcation des marchandises qui ſe trouveront alors au Marché, & d’amende arbitraire contre les Marchands.

VIII. Déclarons nos Sujets qui ne ſont pas de la Religion Catholique, Apoſtolique & Romaine, incapables de contracter à l’avenir aucun mariage valable. Déclarons bâtards les enfans qui naîtront de telles conjonctions, que nous voulons être tenues & réputées, tenons & réputons pour vrais concubinages.

IX. Les hommes[4] libres qui auront un, ou plusieurs enfans de leur concubinage avec des eſclaves, enſemble les Maîtres qui l’auront ſoufferts, ſeront chacun condamnés en une amende de deux mille livres de Sucre, & s’ils ſont les maîtres de l’Eſclave, de laquelle ils auront eu leſdits enfans, voulons qu’outre l’amende, ils ſeront privés de l’Eſclave & des Enfans, & qu’elle & eux ſoient confiſqués au profit de l’Hôpital, ſans jamais pouvoir être affranchis. N’entendons toutefois le préſent article avoir lieu lorſque l’homme, qui n’était point marié à une autre perſonne durant ſon concubinage avec ſon Eſclave, épouſera dans les formes obſervées par l’Égliſe ladite Eſclave, qui ſera affranchie par ce moyen, & les enfans rendus libres & légitimes.

X. Leſdites ſolennités preſcrites par l’Ordonnance de Blois, articles 40, 41, 42 & par la Déclaration du mois de Novembre 1639 pour les Mariages, ſeront obſervées, tant à l’égard des perſonnes libres, que des Eſclaves, ſans néanmoins que le consentement du Père & de la Mère de l’Eſclave y ſoit néceſſaire, mais celui du Maître ſeulement.

XI. Deffendons[5] aux Curés de procéder aux mariages des Eſclaves, s’ils ne font apparoir du conſentement de leurs Maîtres. Deffendons auſſi aux Maîtres d’uſer d’aucunes contraintes ſur leurs Eſclaves pour les marier contre leur gré.

XII. Les enfans qui naîtront des mariages entre Eſclaves, ſeront Eſclaves, & appartiendront aux Maîtres des femmes eſclaves, & non à ceux de leurs maris, ſi le mari & la femme ont des maîtres différents.

XIII. Voulons que, ſi le mari eſclave a épousé une femme libre, les enfans tant mâles que filles ſuivent la condition de leur mère, & ſoient libres comme elle, nonobſtant la ſervitude de leur père, & que, ſi le père eſt libre, & la mère eſclave, les enfans ſoient eſclaves pareillement.

XIV. Les Maîtres ſeront tenus de faire enterrer en Terre-Sainte, dans les cimetières destinés à cet effet, leurs Eſclaves baptiſés ; & à l’égard de ceux qui mourront ſans avoir reçu le Baptême, ils ſeront enterrés la nuit dans quelque champ voisin du lieu où ils ſeront décédés.

XV. Deffendons aux Eſclaves de porter aucunes armes offensives, ni de gros bâtons, à peine de fouet, & de confiſcation des armes au profit de celui qui les en trouvera ſaiſis, à l’exception ſeulement de ceux qui ſeront envoyés à la chaſſe par leurs Maître, & qui ſeront porteurs de leurs billets, ou marques connus.

XVI. Deffendons pareillement aux Eſclaves appartenant à différents Maîtres, de s’attrouper, ſoit le jour, ou la nuit, ſous prétexte de noces, ou autrement, ſoit chez l’un de leurs Maîtres, ou ailleurs, & encore moins dans les grands Chemins, ou lieux écartés, à peine de punition corporelle qui ne pourra être moindre que du fouet & de la fleur de Lys, & en cas de fréquentes récidives, & autres circonstances aggravantes, pourront être punis de mort, ce que nous laiſſons à l’arbitrage des juges. Enjoignons à tous nos Sujets de courir ſur aux Contrevenants, de les arrêter & conduire en priſon, bien qu’ils ne ſoient Officiers, & qu’il n’y ait contr’eux encore aucun décret.

XVII. Les Maîtres qui ſeront convaincus d’avoir permis, ou toléré telles assemblées, composées d’autres Eſclaves que de ceux qui leur appartiennent, ſeront condamnés en leurs propre & privés noms, de réparer tout le dommage qui aura été fait à ſes voisins, à l’occasion deſd.[6] Aſſemblées, & en dix[7] écus d’amende pour la première fois, & au double, en cas de récidive.

XVIII. Deffendons aux Eſclaves de vendre des cannes de Sucre, pour quelque cause, ou occaſion que ce ſoit, même avec la permiſſion de leurs Maître, à peine du fouet contre les Eſclaves, & de dix livres tournois contre leurs Maîtres qui l’auront permis, & de pareille amende contre l’acheteur.

XIX. Leur deffendons[8] aussi d’exposer en vente au Marché, ni de porter dans des maiſons particulières, pour vendre aucune ſorte de denrées, même des fruits, légumes, bois à brûler, herbes pour la nourriture, & des beſtiaux à leurs manufactures, ſans permiſſion expreſſe de leurs Maîtres par un billet, ou par des marques connues, à peine de revendication des choſes ainſi vendues, ſans restitution du prix par leurs Maîtres, & de ſix livres tournois d’amende à leur profit contre les acheteurs.

XX. Voulons à cet effet que deux perſonnes ſoient prépoſées par nos Officiers dans chacun Marché, pour examiner les denrées & marchandiſes qui ſeront apportées par les Eſclaves, enſemble les billets & marques de leurs Maîtres.

XXI. Permettons à tous nos Sujets habitants des Îſles, de ſe ſaisir de toutes les choſes dont ils trouveront les Eſclaves chargés, lorſqu’ils n’auront point de billets de leurs Maîtres, ſi les habitations ſont voiſines du lieu où leurs Eſclaves auront été ſurpris en délit, ſinon elles ſeront inceſſamment envoyées à l’Hôpital, pour y être en dépôt, juſqu’à ce que les Maîtres en ayent été avertis.

XXII. Seront tenus les Maîtres de faire fournir par chacune ſemaine à leurs Eſclaves, âgés de dix ans & au-deſſus pour leur nourriture, deux pots & demi meſure du pays de farine de Magnoc, ou trois caſſaves peſant deux livres & demie chacun au moins, ou choses équivalentes, avec deux livres de bœuf ſalé, ou trois livres de poiſſon, ou autres choses à proportion ; & aux enfans, depuis qu’ils ſont ſevrés, jusqu’à l’âge de dix ans, la moitié des vivres ci-deſſus.

XXIII. Leur deffendons de donner aux Eſclaves de l’eau-de-vie de canne guildent, pour tenir lieu de ſubſiſtance mentionnée au précédent Article.

XXIV. Leur deffendons pareillement de ſe décharger de la nourriture & ſubſistance de leurs Eſclaves en leur permettant de travailler certain jour de la ſemaine pour leur compte particulier.

XXV. Seront tenus les Maîtres de fournir à chaque Eſclave par chacun an, deux habits de toile ou quatre aulnes de toile, au gré des Maîtres.

XXVI. Les Eſclaves qui ne ſeront point nourris, vêtus & entretenus par leurs Maîtres, ſelon que nous l’avons ordonné par ces préſentes, pourront en donner avis à notre Procureur[9], & mettre leurs mémoires entre ſes mains, ſur leſquels & même d’office, ſi les avis viennent d’ailleurs, les Maîtres ſeront poursuivis à ſa Requête & ſans frais, ce que nous voulons être obſervé pour les crimes & traitemens barbares & inhumains des Maîtres envers leurs Eſclaves.

XXVII. Les Eſclaves infirmes par vieilleſſe, maladie, ou autrement, ſoit que la maladie ſoit incurable ou non, ſeront nourris & entretenus par leurs Maîtres, & en cas qu’ils euſſent abandonnés, leſdits Eſclaves ſeront adjugés à l’Hôpital[10], auquel les Maîtres ſeront condamnés de payer ſix ſols par chacun jour, pour la nourriture & l’entretien de chacun Eſclave.

XXVIII. Déclarons les Eſclaves ne pouvoir rien avoir qui ne ſoit à leur Maître, & tout ce qui leur vient par induſtrie, ou par la libéralité d’autres perſonnes, ou autrement, à quelque titre que ce ſoit, être acquis en pleine propriété à leurs Maîtres, ſans que les enfans des Eſclaves, leurs Père & Mère, leurs Parents & tous autres y puiſſent rien prétendre par ſucceſſions, dispoſitions entre vifs ou à cause de mort ; leſquelles diſpoſitions nous déclarons nulles, enſemble toutes les promeſſes & obligations qu’ils auraient faites, comme étant faites par gens incapables de diſposer & contracter de leur chef.

XXIX. Voulons néanmoins que les Maîtres ſoient tenus de ce que leurs Eſclaves auront fait par leur ordre & commandement, enſemble de ce qu’ils auront géré & négocié dans les boutiques, & pour l’eſpéce particulière de commerce, à laquelle les Maîtres les auront prépoſés : & en cas que leurs Maîtres n’aient donné aucun ordre, & ne les aient point prépoſés, ils ſeront tenus ſeulement jusqu’à concurrence de ce qui aura tourné à leur profit ; & ſi rien n’a tourné au profit des Maîtres, le pécule desdits Eſclaves, que leurs Maîtres leur auront permis d’avoir, en ſera tenu, après que leurs Maîtres en auront déduit par préférence ce qui pourra en être dû ; ſinon que le pécule consistât en tout, ou partie en marchandises, dont les Eſclaves auraient permission de faire trafic à part, ſur lesquelles leurs Maîtres viendront ſeulement par contribution au ſol la livre avec les autres créanciers.

XXX. Ne pourront les Eſclaves être pourvus d’Office ni de Commission, ayant quelques fonctions publiques, ni être constitués agents par autres que leurs Maîtres pour agir & adminiſtrer aucun négoce, ni être arbitres, experts ou témoins[11], tant en matière civile que criminelle ; & en cas qu’ils ſoient ouis en témoignage, leur dépoſition ne ſerviront que de mémoire pour aider les Juges à s’éclairer d’ailleurs, ſans qu’on en puiſſe tirer aucune préſomption, ni conjoncture, ni adminicule de preuve.

XXXI. Ne pourront aussi les Eſclaves être parties, ni être en Jugement en matière civile, tant en demandant qu’en deffendant, ni être parties civiles en matière criminelle, ſauf à leurs Maîtres d’agir & deffendre en matière civile, & de poursuivre en matière criminelle la réparation des outrages & excès qui auront été contre leurs Eſclaves.

XXXII. Pourront les Eſclaves être pourſuivis criminellement, ſans qu’il ſoit besoin de rendre leurs Maîtres partie, ſinon en cas de complicité ; & ſeront leſdits Eſclaves accuſés, jugés en première Inſtance par les Juges ordinaires, & par appel au Conseil Souverain ſur la même inſtruction, avec les mêmes formalités que les perſonnes libres.

XXXIII. L’Eſclave qui aura frappé ſon Maître, ou la Femme de ſon Maître, la Maîtresse, ou leurs enfans, avec contuſion de ſang, ou au viſage, ſera puni de mort.

XXXIV. Et quant aux excès & voies de fait, qui ſeront commis par les Eſclaves, contre les perſonnes libres, voulons qu’ils ſoient ſévèrement punis, même de mort s’il y échet.

XXXV. Les vols qualifiés, même ceux de chevaux, cavales, mulets, bœufs & vaches, qui auront été faits par les Eſclaves ou par les affranchis, ſeront punis de peines afflictives, même de mort, ſi le cas le requiert.

XXXVI. Les vols de moutons, chèvres, cochons, volailles, canne de Sucres, poix, magnoc, ou autres légumes, faits par les Eſclaves, ſeront punis ſelon la qualité du vol, par les juges qui pourront, s’il y échet, les condamner d’être battus de verges par l’exécuteur de la Haute-Juſtice, & marqués d’une fleur de Lys.

XXXVII. Seront tenus les Maîtres, en cas de vol ou d’autre dommage causé par leurs Eſclaves, outre la peine corporelle des Eſclaves, de réparer le tort en leur nom, s’ils n’aiment mieux abandonner l’Eſclave à celui auquel le tort a été fait, ce qu’ils ſeront tenus d’opter dans trois jours, à compter de celui de la condamnation, autrement ils en ſeront déchus.

XXXVIII. L’Eſclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que ſon Maître l’aura dénoncé en Juſtice, aura les oreilles coupées & ſera marqué d’une fleur de Lys ſur une épaule, & ſ’il récidive un autre mois, à compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, & ſera marqué d’une fleur de Lys ſur l’autre épaule, & la troiſième fois, il ſera puni de mort.

XXXIX. Les affranchis[12] qui auront donné retraite dans leurs maisons aux Eſclaves fugitifs, ſeront condamnés par corps envers les Maîtres en l’amende de trois cent livres de Sucre, par chacun jour de rétention.

XL. L’Eſclave ſera puni de mort ſur la dénonciation de ſon Maître, non complice du crime dont il aura été condamné ſera estimé avant l’exécution par deux des principaux Habitants de l’Îſle, qui ſeront nommés d’office par le juge, & le prix de l’eſtimation en ſera payé au Maître ; pour à quoi ſatisfaire il ſera imposé par l’Intendant ſur chacune tête de Négre payant droit, la ſomme portée par l’eſtimation, laquelle ſera réglée ſur chacun deſdits Négres, & levée par le Fermier du Domaine Royal d’Occident pour éviter à frais.

XLI. Deffendons aux Juges, à nos Procureurs & aux Greffiers, de prendre aucune taxe dans les procès criminels contre les Eſclaves, à peine de concuſſion.

XLII. Pourront pareillement les Maîtres, lorſqu’ils croiront que leurs Eſclaves l’auront mérité, les faire enchaîner & les faire battre de verges, ou de cordes, leur deffendant de leur donner la torture, ni de leur faire aucune mutilation de membres, à peine de confiſcation des Eſclaves, & d’être procédé contre les Maîtres extraordinairement.

XLIII. Enjoignons à nos Officiers de pourſuivre criminellement les Maîtres, ou les Commandeurs qui auront tué un Eſclave[13] ſous leur puiſſance, ou ſous leur direction, & de punir le Maître ſelon l’atrocité des circonſtances ; & en cas qu’il y ait lieu à l’abſolution, permettons à nos Officiers de renvoyer tant les Maîtres que les Commandeurs absous, ſans qu’ils ayent besoin de nos Graces.

XLIV. Déclarons les Eſclaves être meubles, & comme tels entrer en la Communauté, n’avoir point de ſuite par hypothéque, & ſe partager également entre les cohéritiers ſans préciput, ni droit d’aîneſſe ; n’être ſujets au douaire Coutumier, au Retrait Féodal & Lignager, aux Droits Féodaux & Seigneuriaux, aux formalités des Décrets, ni au retranchement des quatre Quints, en cas de dispoſition à cause de mort, ou teſtamentaire.

XLV. N’entendons toutefois priver nos Sujets de la faculté de les ſtipuler propres à leurs perſonnes & aux leurs de leur côté & ligne, ainsi qu’il ſe pratique pour les ſommes de deniers & autres choses mobiliaires.

XLVI. Dans les ſaisies des Eſclaves, ſeront obſervées les formes preſcrites par nos Ordonnances, & par la Coûtume de Paris pour les ſaiſies des choſes mobilliaires. Voulons que les deniers en provenant ſoient distribués par ordre de ſaiſies ; & en cas de déconfiture, au ſol la livre, après que les dettes privilégié auront été payées ; & généralement que la condition des Eſclaves ſoit réglée en toutes affaires, comme celle des autres choſes mobiliaires, aux exceptions ſuivantes.

XLVII. Ne pourront être ſaiſis & vendus ſéparément le Mari & la Femme & leurs enfans impuberes, s’ils ſont tous ſous la puiſſance d’un même Maître : déclarons nulles les ſaiſies & ventes qui en ſeront faites, ce que nous voulons avoir lieu dans les aliénations volontaires, ſur peine contre ceux qui feront les aliénateurs d’être privés de celui, ou de ceux qu’ils auront gardés, qui ſeront adjugés aux acquéreurs, ſans qu’ils ſoient tenus de faire aucun ſupplément du prix.

XLVIII. Ne pourront aussi les Eſclaves, travaillant actuellement dans les Sucreries, Indigoteries & Habitations, âgés de 14 ans & au-deſſus, juſqu’à ſoixante ans, être ſaiſis pour dettes, ſinon pour ce qui ſera dû du prix de leur achat, ou que la Sucrerie, Indigoterie, Habitation, dans laquelle ils travaillent ſoit ſaiſie réellement ; deffendons, à peine de nullité, de procéder par ſaiſie réelle & adjudication par Décret ſur les Sucreries, Indigoteries & Habitations, ſans y comprendre les Eſclaves de l’âge ſuſdit, & y travaillant actuellement.

XLIX. Les Fermiers Judiciaires des Sucreries, Indigoteries, ou Habitations ſaiſies réellement conjointement avec les Eſclaves, ſera tenu de payer le prix entier de leur Bail, ſans qu’ils puiſſent compter parmi les fruits & droits de leur Bail qu’ils percevront, les enfans qui ſeront nés des Eſclaves, pendant le cours d’icelui, qui n’y entrent point.

L. Voulons, nonobſtant toutes conventions contraires, que nous déclarons nulles, que leſdits enfans appartiennent à la partie ſaiſie, ſi les créanciers ſont ſatiſfaits d’ailleurs, ou à l’Adjudicataire, s’il intervient un Décret ; & qu’à cet effet, mention ſoit faite dans la dernière affiche, avant l’interpoſition du Décret, des enfans nés Eſclaves depuis la ſaiſie réelle ; que dans la même affiche il ſoit fait mention des Eſclaves décédés depuis la ſaiſie réelle dans laquelle ils étaient compris.

LI. Voulons, pour éviter aux frais & aux longueurs des procédures, que la diſtribution du prix entier de l’adjudication conjointe des fonds & des Eſclaves, & de ce qui proviendra du prix des Baux judiciaires, ſoit faite entre les créanciers ſelon l’ordre de leurs privilèges & hypothèques, ſans distinguer ce qui eſt provenu du prix des fonds, d’avec ce qui eſt pour le prix des Eſclaves.

LII. Et néanmoins les droits Féodaux & Seigneuriaux ne ſeront payés qu’à proportion du prix des fonds.

LIII. Ne ſeront reçus les Lignagers & Seigneurs Féodaux à retirer les fonds décrétés[14], s’ils ne retirent les Eſclaves vendus conjointement avec fonds ni l’adjudicataire à retenir les Eſclaves ſans les fonds.

LIV. Enjoignons aux Gardiens Nobles & Bourgeois Uſufruitiers, Admodiateurs & autres jouiſſants des fonds auxquels ſont attachés des Eſclaves qui y travaillent, de gouverner leſdits Eſclaves comme bons pères de famille, ſans qu’ils ſoient tenus, après leur adminiſtration, de rendre le prix de ceux qui ſeront décédés ou diminués par maladie, vieilleſſe ou autrement, ſans leur faute ; & ſans qu’ils puiſſent auſſi retenir comme fruits à leur profit les enfans nés desdits Eſclaves durant leur adminiſtration, leſquels nous voulons être conſervés & rendus à ceux qui en feront les maîtres & propriétaires.

LV. Les Maîtres âgés de vingt ans[15] pourront affranchir leurs Eſclaves par tous actes vifs ou à cauſe de mort, ſans qu’ils ſoient tenus de rendre raison de l’affranchiſſement, ni qu’ils aient besoin d’avis de parents, encore qu’ils ſoient mineurs de vingt-cinq ans.

LVI. Les Eſclaves[16] qui auront été fait légataires univerſels par leurs maîtres ou nommés exécuteurs de leurs Teſtaments, ou Tuteurs de leurs enfans, ſeront tenus & réputés, & les tenons & réputons pour affranchis.

LVII. Déclarons leurs affranchiſſements faits dans nos Îſles, leur tenir lieu de naiſſance dans nos Îſles & les Eſclaves affranchis n’avoir beſoin de nos lettres de naturalité pour jouir des avantages de nos ſujets naturels de notre royauté, Terres & Pays de notre obéiſſance, encore qu’ils ſoient nés dans les pays étrangers[17].

LVIII. Commandons aux affranchis de porter un reſpect ſingulier à leurs anciens maîtres, à leurs Veuves & à leurs Enfans ; enſorte que l’injure qu’ils leur auront faite ſoit punie plus grièvement que ſi elle étoit faite à une autre perſonne : les déclarons toutefois francs & quittes envers eux de toutes autres charges, ſervices & droits utiles que leurs anciens maîtres voudroient prétendre tant ſur leurs perſonnes, que ſur leurs biens & ſucceſſions, en qualité de Patrons.

LIX. Octroyons aux affranchis les mêmes droits, privilèges & immunités dont jouiſſent les perſonnes nées libres : voulons que le mérite d’une liberté acquiſe produiſe en eux, tant pour leurs perſonnes que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres Sujets.

LX. Déclarons les confiſcations & les amendes qui n’ont point de deſtination particulière, par ces préſentes, nous appartenir, pour être payées à ceux qui ſont prépoſés à la recette de nos revenus. Voulons néanmoins que diſtraction ſoit faite du tiers deſdites confiſcations & amendes au profit de l’Hôpital établi dans l’Îſle où elles auront été adjugées.

SI DONNONS EN MANDEMENT à nos amés & féaux les Gens tenant notre Conseil Souverain établi à la Martinique, Guadeloupe, Saint Christophe, que ces Préſentes ils aient à les faire lire, publier & enregiſtrer, & le contenu en icelles, garder & obſerver de point en point ſelon leur forme & teneur, ſans y contrevenir, ni permettre qu’il y ſoit contrevenu en quelque ſorte & manière que ce ſoit, nonobstant tous Édits, Déclarations, Arrêts & Uſages, auſquels nous avons dérogé & dérogeons par ces dites Préſentes. CAR tel eſt notre plaiſir ; & afin que ce ſoit choſe ferme et ſtable à toujours, nous y avons fait mettre notre Scel. DONNÉ à Verſailles, au mois de Mars, l’an de grace mill ſix cens quatre-vingt-cinq & de notre Règne le quarante-deuxième. Signé, LOUIS. Et plus bas : Par le Roy, COLBERT. Viſa, LE TELLIER. Et ſcellé du Grand Sceau de Cire verte en lacs de Soye verte & rouge.

Lû, publié & enregistré le préſent Édit, ouy & ce requérant le Procureur Général du Roy, pour être exécuté ſelon la forme & teneur, & fera à la diligence dudit Procureur Général, envoyé copies d’icelui aux Sièges Reſſortiſſant du Conſeil, pour y être pareillement lû, publié & enregistré. Fait & donné au Conſeil Souverain de la Côte Saint Domingue, tenu au petit Gouave, le 6 May 1687. Signé, MORICEAU.


  1. Voyez l’Édit du mois de Mars 1724 concernant les Eſclaves Négres de la Louisiane.
  2. religion prétendue réformée [Note Wikisource]
  3. Pourront néanmoins envoyer leurs Eſclaves aux Marchés. Cette diſposition eſt ajoutée à l’art. 5. de l’Édit de 1724.
  4. Voyez l’art. 6. de l’Édit de 1724.
  5. Très-expreſſément, art. 8. de l’Édit de 1724.
  6. Deſdites [Note Wikisource]
  7. L’art. 14. de l’Édit de 1724 dit : trente livres.
  8. Voyez l’art. 15. de l’Édit de 1724.
  9. Général, ou aux Officiers des Juſtices inférieures, art. 20. de l’Édit de 1724.
  10. Le plus proche. Voyez l’art. 21. de l’Édit de 1724.
  11. Voyez l’art. 24. de l’Édit de 1724.
  12. Voyez l’art. 34. de l’Édit de 1724.
  13. Ou qui l’auront mutilé, ſuivant l’art. précédent & le 39. de l’Édit de 1724.
  14. Licités, ou vendus volontairement. Art. 48. de l’Édit de 1724.
  15. Cette diſpoſition eſt changée par l’art. 50. de l’Édit de 1724.
  16. Voyez l’art. 51. du même Édit.
  17. Voyez l’art. 52. Ibid.