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LE POEME DE MYRZA.

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LE POÈME DE MYRZA

Durant les quatre ou cinq siècles au milieu desquels
e ?t jeté le grand événement de la vie du Christ, l’intelligence
humaine fut en proie aux douleurs et iiux déchirements
de l’enfantement. Les hommes supérieurs do
la civilisation, sentant la nécessité d’un renouvellement
total dans les idées et dans la conduite des nations,
furent éclairés do ces lueurs divines dont Jésus fut lo
centre et le foyer. Les sectes se formèrent autour de sa
courte et sublime apparition, comme des rayons plus ou
moins chauds de son astre. Il y eut des caraïtes, des
saducéens et des esséniens, des manichéenset des gnostiques,
des épicuriens, des stoïciens et des cyniques,
des philosophes et des prophètes, des devins et des astrologues,
des solitaires et des martyrs : les uns partant
du spiritualisme de Jésus, comme Origène etManès ; les
autres essayant, d’y aller, sur les pas do Platon et de
Pythagoro ; tous escortant l’Évangile soit devant, soit
derrière, et travaillant par leur dévouement ou leur
résistance à consolider son triomphe.

Dans cette confusion de croyances, dans ce conflit de
rèves, de travaux fiévreux de la pensée, de divinations
maladives et de vertiges sublimes, une nouvelle forme
fut donnée à certains esprits, une forme agréable, élastique,
qui seule convenait aux esprits éclairés et aux
caractères faciles celte disposition de l’esprit humain
qui domine dans tous les temps de dépravation, et chez
toutes les nations très-civilisées, nous l’appellerons, pour
nous servir d’une expression moderne, éclectisme, quoique
cette dénomination n’ait pas eu dans tout temps le
même sens ; nous nous en tenons à celui qu’elle implique
aujourd’hui, pour qualitier la situation morale
des hommes qui n’appartenaient à aucune religion au
temps dont il est question ici.

Parmi ces éclectiques, on vit des hommes d’un caractère
et d’un esprit tout opposés, des hommes graves etdes
hommes frivoles, des savants et des femmes ; car
cette doctrine, qui consistait dans l’absence de toute
règle, accueillit toute sorte de pédantisme et toute sorte
de poésie. Les rhéteurs s’y remplissaient l’estomac d’arguments,
et les poëtes s’y gonflaient le cerveau de métaphores.
L’Inde et la Chaldée, Homère et Moïse, tout
était bon à ces esprits avides et curieux de nouveautés,
indifférents en face des solutions heureux caractères
qui, Dieu merci, fleurirent toujours ici-bas au milieu de
nos lourdes polémiques. Grands diseurs de sentences,
sincères admirateurs de la vertu et de la foi, le tout par
amour du beau et par estime de la sagesse, vrais épicuriens
dans la pratique de la vie, prophètes élégants et
joyeux, bardes demi-bibliques et demi-païens, intelligences
saisissantes, fines, éclairées, pleines de crédulités
poétiques et de scepticisme modeste ; en un mot, ce
que sont aujourd’hui nos véritables artistes.

Le petit poëme qu’on va lire fut récité, en vers hébraïques,
sous un portique de Césarée, par une femme
nommée Myrza, laquelle était une des prophétesses de
ce temps-là espèce mixte entre la bohémienne et la si-

bylle, poète en jupons comme il en existe encore, mais
d’un caractère liardi et tranché qui s’est perdu dans le
monde, aventurière sans patrie, sans famille et sans
dieux, liseuse de romans et de psaumes, initiée
successivement par ses amants et ses confesseurs aux
diverses religions qui s’arrachaient lambeau par lambeau
l’empire de l’esprit humain. Cette femme était belle,
quoique n’appartenant plus à la première jeunesse ; elle
jouait habilement le luth et la cithare, et, changeant
de rhythme, de croyance et de langage selon tes pays
qu’elle parcourait, elle traversait les querelles philosophiques
et religieuses de son siècle, semant partout
quelques fleurs de poésie, et laissant sur ses traces un 11
étrange et vague parfum d’amour, do sainteté et de
folie ; bonne personne du reste, que les princes faisaient t
asseoir par curiosité à leur table, et que le peuple écoutait
avec admiration sur la place publique. Voici son
poëme tel que, de traduction en traduction, il a pu arriver
jusqu’à nous. Nous osons parfaitement le livrer aux
savants, aux poètes et aux chrétiens de ce temps-ci,
sachant le bon marché que notre siècle panthéi.-te lait de
toutes choses, et la complaisance que son ennui lui
inspire pour toutes sortes de rèves.

I.

En ce temps-là, longtemps avant le cominenccmout t
des jours que les hommes ont essayé de compter, Dieu
appela devant lui quatre Ksprii ?, qui parcouraient d’un
vol capricieux les plaines de l’espaco Allez, leur dit-il,
prenez-vous par la main, marchez ensemble, et travaillez
de concert.

Us obéirent, &lt ;;t, ne se quittant plus, présideront
chacun à une des œuvres de Dieu ; et un nouvel astre
«parut dans l’élher : cet astre est la terre que nous habitons
aujourd’hui, et ces quatre Esprits sont les éléments
qui la composent.

Mais deux de ces Esprits, se sentant plus puissants,
firent la guerre aux deux autres.

L’eau et le feu ravagèrent la terre, et l’air fut tantôt
infecté des vapeurs humides des marais, i ;t tantôt embrasé
des feux d’un soleil dévorant.

Et pendant un nombre de siècles que l’homme ne sait
pas, mais qui sont dans l’éternité de Dieu moins qu’une
heure dans la vie de l’homme, notre globe bondit l
dans l’immensité, comme une cavale sauvage, tons
guide et sans frein ; sa course ne fut réglée que par le
caprice des Esprits à qui Dieu l’avait abandonné ; tantôt,
emporté d’un essor fougueux, il s’approcha du soleil jusqu’as’y
brûler ; tantôt il s’endormit languissant et morue,
loin des rayons vivifiants que chaque printemps nous
ramène. Il y eut des jours d’une année et des nuits d’un
siècle. Le globe n’ayant pas encore arrêté sa forme, le.*
froides régions qu’habitent le Calédonien et le Scandinave
furent calcinées par dos étés brûlants. Les con.
trées où la chaleur bronze les hommes se couvrirent de