« Essais et Notices — Beaux arts » : différence entre les versions

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Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 5 (p. 453-456).



ÉTUDES SUR LES BEAUX-ARTS, par M. Frédéric de Mercey[1]. — Il y a bien des façons de faire l’histoire de l’art. Un Allemand ne consentirait jamais à parler architecture, peinture ou statuaire sans pousser une exploration psychologique jusqu’aux sources du beau, du beau essentiel, sans se demander si la notion du beau est objective ou subjective, ou si elle est une réaction du subjectif sur l’objectif. N’espérez pas que cette investigation sera courte : voici venir la distinction entre la perfection logique et la perfection esthétique, et une autre distinction entre le beau libre et le beau adhérent. Vous suivez comme vous pouvez ces obscures subtilités ; mais souvent, las d’abstractions, vous les abandonnez, vous vous souvenez que, comme le beau, vous êtes libre, et vous n’adhérez pas. C’est qu’une pareille analyse peut tout au plus vous montrer les ressorts d’une certaine opération de l’âme, mais elle ne vous donne ni la connaissance ni le sentiment du beau. La décomposition savante d’une conception ou d’une impression n’a jamais formé ni les artistes ni les connaisseurs ; ils ont cette bonne fortune, que le beau, pour être exprimé ou senti, n’a pas besoin d’être défini. Chacun a un sens intime pour juger les œuvres d’art, comme des yeux pour les regarder ; mais si ce sens perçoit mal, les lunettes de la psychologie n’y feront rien.

Il suffit de remarquer que la notion du beau est à la fois une idée et un sentiment, et qu’elle vient à la fois de l’intelligence qui cherche ses règles dans la raison et de la sensibilité qui, née de l’instinct, ne se dirige pas par des règles. L’âme y est satisfaite tout entière. Ceux qui, en fait d’art, raisonnent et ne sentent pas tombent dans le système. Cherchant dans leur esprit le sens et la portée de l’art, ils inventent une théorie, réunissent les deux prémisses d’un syllogisme et tirent une conclusion, conclusion rigoureuse, qui ignore les accommodemens et marche d’un pas lourdement superbe à travers les beaux-arts pour leur tracer leur chemin. Quelquefois ce chemin est une impasse. Ceux-ci voient dans une seule école le beau souverain ; ils la guindent sur le piédestal de leur haute admiration et courbent autour d’elle toutes les autres écoles, même celles qui élèvent le plus glorieusement la tête au-dessus des siècles écoulés. Ils disent à l’art : Tu n’iras pas plus loin. Quoi qu’il arrive, c’est l’art qui s’est trompé, ce n’est point eux. Pour eux, ils se cantonnent dans l’école qui a leur préférence, époussetant avec amour les statues, les tableaux, les monumens qu’elle renferme. D’autres, par une révélation supérieure, percent les arcanes des choses, et, véritables oracles, dévoilent les routes métaphysiques dans lesquelles l’art doit se développer. Ils lui disent : Tu iras là. Vox clamantis in deserto. Parlerai-je de ceux qui font le contraire et qui, écrivant sur les beaux-arts, se contentent de sentir sans raisonner ? Ils fleurissent particulièrement en France. Les beaux-arts sont pour eux un pays curieux qu’ils parcourent en visiteurs, en touristes, sans même se munir, comme les Anglais, de guides, de plans et de cartes. Ils ne sont pas assurément aveuglés par des systèmes préconçus ni enfoncés dans les obstinations d’une théorie. Ils admirent parfois ce qui n’est pas très admirable, ou méconnaissent des beautés qui ne se révèlent qu’aux connaisseurs. Quelquefois aussi ils font des remarques ingénieuses qui échapperaient aux connaisseurs par l’effet de l’habitude ; ce qu’on voit tous les jours ne frappe pas. S’ils ont un peu de goût, un peu d’esprit, on leur accorde quelques heures de loisir ; on les lit, mais on se garde de les croire sur parole.

Il faut donc leur préférer ceux qui, sans s’occuper d’objectivité et de subjectivité, et sans vouloir asservir à une forme unique la liberté du génie humain, étudient avec une observation persévérante les beaux-arts et en connaissent à la fois les procédés et l’histoire. M. de Mercey, par exemple, connaît bien la partie technique des beaux-arts ; il a tout étudié, presque tout vu, tout comparé. C’est un amateur sérieux qui s’est fait de l’art une préoccupation constante et aimée. Il ne va pas sur les traces des Baumgarten, des Mendelssohn et des Kant, et il nous conduit tout d’abord devant les monumens. Il n’aligne pas ses jugemens, comme des troupes, pour la défense d’une théorie. Il ne hérisse pas son chemin de thèses dogmatiques ; il critique avec mesure, loue avec sagesse, discerne partout le bon et le mauvais. Ses Études, écrites à divers intervalles, réunies par un lien assez lâche, se promènent à leur aise dans le champ de l’histoire, qu’elles parcourent tout entier, mais d’un pas inégal, passant un peu vite sur le moyen âge, s’arrêtant plus longuement sur la renaissance, s’écartant à l’occasion en de fortuites digressions avec cette allure libre que donne l’équité. Tantôt elles prennent une nation à partie et conduisent depuis leur origine jusqu’à nos jours la génération de ses artistes ; tantôt, visitant un musée, elles se laissent aller au hasard par la diversité des tableaux rassemblés à travers les pays et les temps les plus divers. Si M. de Mercey prend à partie un métaphysicien aventureux, un théoricien trop absolu, c’est pour revendiquer l’indépendance de l’art. À ceux qui disent : La perfection est là ou sera là, il répond que la perfection n’est pas encore atteinte, et qu’elle ne le sera jamais. Sans doute la perfection ne sera jamais atteinte, car la perfection, au sens philosophique, c’est l’excellent, l’éternel, l’infini ; mais ce mot dans les arts prend souvent un sens plus circonscrit. Cette perfection relative, Phidias et Raphaël s’en rapprochent ; elle est aisée à définir : être exempt de tous les défauts et doué de toutes les qualités, prendre seulement de l’homme ce qu’il a de plus noble et de plus immortel, enfin écarter toutes les particularités spéciales et variables, pour représenter dans une sublime abstraction l’homme de tous les temps et de tous les pays. Remarquons-le toutefois : à côté de cet idéal il reste un idéal, qui n’est pas la perfection. Réunir toutes les qualités, c’est nécessairement les borner les unes par les autres. Cependant, si une qualité éclate seule, en effaçant les autres, son isolement lui crée une puissance merveilleuse. Michel-Ange n’est point parfait, car il pousse l’énergie jusqu’à outrer la forme : pourtant Michel-Ange n’est inférieur à personne. De même, ne reproduire de l’homme que la noblesse et la pureté, c’est renoncer à l’expression de l’homme tout entier. Enfin l’homme est à la fois un et divers. La nature humaine peut être conçue d’une seule pièce dans son éternelle unité ; elle peut aussi reparaître dans ses variétés accidentelles, se reconstruire par ses diversités. Ce qu’on nomme l’individu a droit de cité dans l’art. Le modèle et l’artiste peuvent être doués de l’originalité, ce mérite que les anciens évitaient avec soin. À côté de la vérité philosophique et générale se place la vérité particulière et historique. Toutes deux se valent, toutes deux révèlent l’homme à lui-même ; elles sont, pour ainsi dire, les deux moitiés du vrai humain. C’est ce qu’indique M. de Mercey quand il fait remarquer que « la beauté de la forme est peut-être immuable, mais que la beauté d’expression est mobile. » Puisque dans l’art rien ne saurait être ni fini ni infini, laissons-lui l’indéfini.

Comme on voit, M. de Mercey est un juge éclairé et impartial qui joint l’indépendance des jugemens à la connaissance des choses jugées. Peut-être même n’a-t-il pas de préférences assez marquées ; il laisse trop au lecteur le soin de comparer par lui-même les écoles et leur valeur relative. Ce que M. de Mercey aime le moins, c’est l’imitation. Il cite le mot de Michel-Ange : « L’homme qui en suit un autre ne peut marcher devant. « Ce qu’il demande surtout aux artistes, c’est de différer de leurs contemporains et de leurs prédécesseurs. Il semble même désapprouver quelque peu l’imitation des grands maîtres. C’est peut-être aller trop loin, mais c’est pécher par une qualité, par l’esprit libéral.


EUG. JUNG.


LA HARPE D’ÉOLE, par M. G. Kastner[2]. — Tout le monde sait en quoi consiste l’instrument appelé harpe d’Éole. Quelques cordes métalliques tendues sur une table d’harmonie sont mises en vibration par le passage plus ou moins rapide des ondes aériennes. De là d’étranges accords dont le charme mélancolique a été plus d’une fois célébré par Novalis et par Hoffmann. C’est en Allemagne en effet que cet instrument a été jusqu’ici l’objet des expériences et des perfectionnemens les plus ingénieux. Il n’est guère de parc de résidence, d’enceinte ruinée de vieux château, où il ne mêle aux soupirs du vent ses poétiques murmures. L’ensemble d’études que réunit aujourd’hui M. Kastner a le mérite, non-seulement de résumer les travaux publiés sur les sons éoliques au-delà du Rhin, mais d’indiquer une nouvelle direction où les recherches commencées pourraient se continuer avec un intérêt en quelque sorte égal pour la science et pour l’art. La harpe d’Éole s’offre surtout comme un moyen de fixer, de régler cette harmonie confuse qui se produit incessamment dans la nature, et que l’auteur désigne sous le nom de musique cosmique. Transformer la nature en musicien, comme les photographes l’ont déjà transformée en peintre, tels sont les termes du problème, et de subtils esprits n’ont pas manqué en Allemagne pour s’engager à ce propos dans les rêveries les plus aventureuses. Les savans et les artistes éclairés ont heureusement rendu à la question un caractère vraiment scientifique. C’est sur ce dernier groupe d’observateurs attentifs, où figurent entr’autres M. Richard Pohl, auteur des Lettres sur l’Acoustique, et M. Pellisov de Munich, que s’est portée de préférence l’attention de M. Kastner. Son livre, divisé en trois parties, traite de la musique cosmique d’abord, c’est-à-dire des harmonies éoliennes qui se produisent dans la nature, puis de la harpe d’Éole, enfin des phénomènes acoustiques qui se rattachent à ce singulier instrument. Dans la dernière partie surtout, l’auteur a eu à signaler les remarquables théories du savant acousticien Pellisov sur les sons éoliens. En France, plusieurs physiciens éminens avaient compris déjà tout l’intérêt qui peut s’attacher à l’étude bien dirigée de certains phénomènes sonores. Il suffit de nommer Savart, Cagniard-Latour et M. Pouillet. M. Kastner, connu par d’utiles travaux sur la musique chorale et l’histoire de l’instrumentation, est resté fidèle à cette louable direction d’études en portant devant le public français les questions d’acoustique et d’harmonie depuis si longtemps débattues devant le public allemand.



  1. 2 vol. in-8o, chez Arthus Bertrand.
  2. In-4°, chez Brandus.