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tout à fait vraie dans son récit : le reste n’est g:uère qu’une comédie arrangée par lui pour se faire un beau rôle, pour jouer un peu au héros et pour
tout à fait vraie dans son récit : le reste n’est guère qu’une comédie arrangée par lui pour se faire un beau rôle, pour jouer un peu au héros et pour tâcher peut-être de se recommander à la bienveillance de ses supérieurs. Malgré le temps qui s’est écoulé depuis les événemens qu’il raconte, le souvenir de ce qui s’est passé à son sujet est encore trop présent à ma mémoire pour que je craigne de me tromper à son égard.
tâcher peut-être de se recommander à la bienveillance de ses supérieurs.
Malgré le temps qui s’est écoulé depuis les événemens qu’il raconte, le souvenir de ce qui s’est passé à son sujet est encore trop présent à ma mémoire
pour que je craigne de me tromper à son égard.


Dès le premier jour de notre débarquement sur les côtes de la mer de Marmara, l’armée alliée, avant de combattre l’ennemi, eut à lutter contre le système d’espionnage et de trahison que la Russie avait su habilement organiser tout autour de nos camps. Déjà à Varna l’armée alliée avait vu son matériel et ses approvisionnemens menacés d’une ruine complète par un incendie qu’elle devait attribuer à la malveillance, et sur le champ de bataille de l’Alma on avait trouvé, dans la voiture même destinée au prince Menchikof, des documens qui ne permettaient pas de douter que la trahison ne nous eût suivis jusqu’en Crimée.
Dès le premier jour de notre débarquement sur les côtes de la mer de
Marmara, l’armée alliée, avant de combattre l’ennemi, eut à lutter contre le
système d’espionnage et de trahison que la Russie avait su habilement organiser tout autour de nos camps. Déjà à Varna l’armée alliée avait vu son
matériel et ses approvisionnemens menacés d’une ruine complète par un
incendie qu’elle devait attribuer à la malveillance, et sur le champ de bataille de l’Alma on avait trouvé, dans la voiture même destinée au prince
Menchikof, des documens qui ne permettaient pas de douter que la trahison
ne nous eût suivis jusqu’en Crimée.


Arrêté le jour même de la bataille par un détachement d’artilleurs, dans des circonstances qui pourraient faire supposer qu’il n’appartenait pas à l’armée, l’employé Jakovlef, dès les premiers mots de son interrogatoire, essaya de me tromper. Après avoir pris son nom, je lui demandai quelle était sa qualité. « Employé civil, » me répondit-il avec assurance, et sans que j’aie pu le faire revenir sur cette fausse déclaration. Elle était fausse en effet, et je le savais déjà. Avant d’interroger ce personnage, qui se présentait sous un jour équivoque, j’avais pris des renseignemens sur son compte, et j’avais appris que Jakovlef était un ancien sous-officier écrivain, revêtu d’un emploi de quatorzième classe dans la hiérarchie administrative de l’empire, et qu’il était présentement attaché à la chancellerie militaire du prince Menchikof. Ma défiance fut donc naturellement éveillée, et je cherchai à faire comprendre à Jakovlef la gravité de la situation dans laquelle il semblait vouloir se mettre volontairement. Je ne lui cachai certainement pas qu’il s’exposait à être traité comme espion, et que si les mœurs françaises ne permettaient pas de battre et de martyriser les agens suspects, comme cela se fait en Russie, pour leur arracher des aveux, par de mauvais traitemens, il courait cependant le risque d’être traduit devant un conseil de guerre et d’être condamné à être fusillé. Assurément ce n’était pas gai pour lui, et je comprends qu’il ait gardé un assez fâcheux souvenir de cette entrevue ; mais je ne comprends pas qu’il se soit cru en droit, pour cela, de me prêter le langage brutal et les allures de croquemitaine qu’il m’attribue.
Arrêté le jour même de la bataille par un détachement d’artilleurs, dans
des circonstances qui pourraient faire supposer qu’il n’appartenait pas à
l’armée, l’employé Jakovlef, dès les premiers mots de son interrogatoire,
essaya de me tromper. Après avoir pris son nom, je lui demandai quelle
était sa qualité. « Employé civil, » me répondit-il avec assurance, et sans
que j’aie pu le faire revenir sur cette fausse déclaration. Elle était fausse en
effet, et je le savais déjà. Avant d’interroger ce personnage, qui se présentait
sous un jour équivoque, j’avais pris des renseignemens sur son compte, et
j’avais appris que Jakovlef était un ancien sous-officier écrivain, revêtu
d’un emploi de quatorzième classe dans la hiérarchie administrative de
l’empire, et qu’il était présentement attaché à la chancellerie militaire du
prince Menchikof. Ma défiance fut donc naturellement éveillée, et je cherchai à faire comprendre à Jakovlef la gravité de la situation dans laquelle
il semblait vouloir se mettre volontairement. Je ne lui cachai certainement
pas qu’il s’exposait à être traité comme espion, et que si les mœurs françaises ne permettaient pas de battre et de martyriser les agens suspects,
comme cela se fait en Russie, pour leur arracher des aveux, par de mauvais
traitemens, il courait cependant le risque d’être traduit devant un conseil
de guerre et d’être condamné à être fusillé. Assurément ce n’était pas gai
pour lui, et je comprends qu’il ait gardé un assez fâcheux souvenir de cette
entrevue; mais je ne comprends pas qu’il se soit cru en droit, pour cela, de
me prêter le langage brutal et les allures de croquemitaine qu’il m’attribue.


Dans le moment même, Jakovlef était, je n’en doute pas, tout autrement impressionné par le ton que j’avais pris avec lui, et la preuve ne tarda pas à s’en produire. Il ne doit pas l’avoir oublié. Voyant qu’il persistait à me tromper, je l’avais fait emmener et garder à vue. Quelques instans après m’avoir quitté, je le voyais revenir à moi : il se plaignait d’avoir passé une mauvaise nuit à notre bivouac, il avait eu froid, et il me réclamait comme sienne une magnifique pelisse trouvée dans la voiture où il avait été pris. Je la lui fis remettre immédiatement, bien qu’on m’assurât qu’il me trompait encore, que cette pelisse appartenait au chef d’état-major du prince
Dans le moment même, Jakovlef était, je n’en doute pas, tout autrement
impressionné par le ton que j’avais pris avec lui, et la preuve ne tarda pas
à s’en produire. Il ne doit pas l’avoir oublié. Voyant qu’il persistait à me
tromper, je l’avais fait emmener et garder à vue. Quelques instans après
m’avoir quitté, je le voyais revenir à moi : il se plaignait d’avoir passé une
mauvaise nuit à notre bivouac, il avait eu froid, et il me réclamait comme
sienne une magnifique pelisse trouvée dans la voiture où il avait été pris.
Je la lui fis remettre immédiatement, bien qu’on m’assurât qu’il me trompait encore, que cette pelisse appartenait au chef d’état-major du prince