« Voyage dans la Tartarie, l’Afghanistan et l’Inde, au IVe siècle par plusieurs Samanéens de la Chine » : différence entre les versions

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Une source d’instruction plus satisfaisante est celle où l’on puise en traçant l’origine et les progrès des religions orientales. Généralement parlant, la conversion d’un peuple à un nouveau culte peut être considérée comme une amélioration dans les mœurs, un progrès pour l’humanité. L’histoire atteste qu’on n’a guère reculé dans la carrière du perfectionnement religieux. Le Samanéisme ou la religion de Bouddha offre une preuve de cette vérité : les nations qui l’ont embrassé n’avaient rien de mieux à faire. Cette doctrine a policé les Nomades du nord, donné une littérature aux pâtres du Tibet, exercé, aiguisé l’esprit scolastique et pointilleux des Indiens et des Chinois. Il y a des pays d’Asie qui lui doivent toute leur culture intellectuelle, depuis l’alphabet jusqu’à la métaphysique. Aussi son histoire, qu’on recherche maintenant avec beaucoup de curiosité, est-elle en même temps celle de la marche de l’esprit humain dans de vastes régions où l’on n’aurait jamais senti le besoin d’avoir des lettres, si l’on n’avait eu à traduire du sanscrit ou du chinois, d’innombrables volumes de théologie, et plus de fables et de légendes que jamais Rome, la Grèce et l’Egypte n’en purent enfanter. Nous lisons ces livres avec un autre esprit que celui qui les a dictés ; mais l’instructions que nous en tirons, bien que différant de celle qu’on y a prétendu mettre, a pour nous autant d’attraits avec un peu plus de solidité.
 
S’il est intéressant d’étudier les fastes de cette religion célèbre, à cause de l’influence qu’elle a exercée sur l’état social en Asie, il n’est pas moins utile de marquer son itinéraire, et s’il est permis de parler ainsi, d’en tracer le tableau géographique. Le Bouddhisme est un culte voyageur. Il est né dans le nord de l’Inde il y a deux mille huit cents ans ; de-là, il s’est répandu dans toutes les directions, a été successivement adopté dans la Perse orientale, dans la Tartarie, à Ceylan, à la Chine, au Tibet, chez les Mongols. Plusieurs nations l’ont reçu chez elles, par l’entremise de zélés missionnaires qui traversaient les déserts dans la vue de répandre au loin leurs croyances. D’autres l’ont envoyé chercher par de pieux pèlerins, en des contrées où on le savait depuis longtemps en honneur. Si l’on avait des relations de ces divers voyages, on posséderait d’utiles renseignements sur de vastes pays très peu connu : on apprendrait des noirsnoms de villes et de peuplades; on saurait quelque chose de la division politique des états de la Haute-Asie à des époques anciennes, et de leur situation sociale. On se formerait enfin une juste idée des rapports qui liaient les uns aux autres des peuples éloignés ; et ce dernier point surtout a de l’importance, car on est chez nous enclin à supposer que les nations que nous ne connaissions pas ne se connaissaient pas entre elles, qu’elles ont tout ignoré durant le ion; espace de temps ou nous avons nous-mêmes ignoré leur existence. Nous n’apprenons jamais sans étonnement que des Orientaux aient pu nous précéder en quelque chose et qu’ils aient, par exemple, su faire le tour de l’Asie longtemps avant que nous eussions doublé le cap de Bonne-Espérance.
 
Voilà les motifs qui m’ont fait rechercher et traduire la relation d’un voyage entrepris il y a plus de mille quatre cents ans par des religieux Bouddhistes, dans la vue d’aller vérifier les principes de leur croyance, dans les lieux mêmes qui lui avaient donné naissance, et de faire provision de livres théologiques, de peintures sacrées et de règles de liturgie. Partis de la Chine en 399, ils traversèrent toute la Tartarie, s’engagèrent dans les montagnes du Petit-Tibet, où sont les plus hautes chaînes du globe, et, franchissant, à l’aide de cordes ou de ponts volants, des vallées inaccessibles et des précipices de huit mille pieds de profondeur, ils arrivèrent sur les bords de l’Indus, qu’ils traversèrent pour pénétrer dans des contrées où aucun Européen n’a encore porté ses pas. Là ils trouvèrent la religion samanéenne, les usages indiens, la langue sanscrite, d’antiques idoles, des reliques célèbres, des temples magnifiques. L’Inde semblait sortie de ses limites, et comme en possession des provinces de la Perse orientale. L’invasion des Musulmans et tant d’autres révolutions qui l’ont suivie auront sans doute, depuis cette époque, fait disparaître jusqu’aux derniers vestiges de cette civilisation indienne, transplantée de Bénarès et, de Patna dans les vallées où habitent à présent les Afghans et les Béloutches. Nos voyageurs sont les premiers qui nous aient appris les circonstances de ce fait singulier. Repassant ensuite l’Indus pour entrer dans l’Inde proprement dite, ils gagnèrent les rives du Gange, où les appelaient les souvenirs du fondateur de leur religion, et les lieux consacrés par les actes de sa vie terrestre. Ici, il naquit au pied d’un arbre, et l’on voit encore l’étang où se fit sa première ablution. Là, il obtint les sublimes connaissances qui devaient l’assimiler à la divinité. Plus loin, il commença à ''faire tourner la roue de la doctrine'', c’est-à-dire à prêcher sa religion. Dans un autre endroit, il fut placé sur un bûcher et s’abîma pour jamais dans une divine extase. Non loin de là, quatre puissants rois des Indes à la tête d’armées nombreuses, étaient sur le point de livrer une bataille sanglante, quand on trouva par bonheur un expédient pour les accorder : ce fut de leur partager par égales portions les reliques du saint personnage qui venait de quitter la terre. Des royaumes et des villes, qui jusqu’ici n’avaient d’existence que dans la mythologie, recouvrent ainsi leur réalité géographique. Kapilavasthou, où régnait le père du législateur de la Haute-Asie, Koushala, Vaïsali, le Parc-des-Cerfs, tant d’autres lieux dont la position était aussi complètement ignorée que celles des îles et des états dont il est parlé dans les ''Mille et une nuits'', reparaissent non plus seulement comme le théâtre des apparitions célestes, des épreuves soutenues par les saint, des plus riantes fictions ou des plus extravagants miracles, mais comme les stations de voyageurs mortels, attentifs à marquer la direction de leur route, et les sinuosités de leur itinéraire. Aussi possédons-nous ce qui manque aux Anglais, possesseurs actuels de ces fabuleuses contrées, qui, sans le savoir, foulent aux pieds les ruines des villes sacrées; et, ce qui est plus honorable encore, nous pouvons offrir un guide à l’auteur d’un gros livre allemand, lequel, en discourant sur ces scènes mythologiques, a été réduit à la dure nécessité de confesser son ignorance, quant à la partie de l’Inde où elles avaient dû se passer.