« Les Frères Karamazov (trad. Henri Mongault)/XI/10 » : différence entre les versions

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« Qui lui ? demanda Aliocha avec un coup d’œil involontaire autour de lui.
 
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« Qui est bête ? De qui parles-tu, frère ? demanda anxieusement Aliocha.
 
— Du diable ! Il vient me voir. Il est venu deux ou trois fois. Il me taquine, prétendant que je lui en veux de n’être que le diable, au lieu de Satan aux ailes roussies, entouré de tonnerres et d’éclairs. Ce n’est qu’un imposteur, un méchant diable de basse classe. Il va aux bains. En le déshabillant,
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on lui trouverait certainement une queue fauve, longue d’une aune, lisse comme celle d’un chien danois… Aliocha, tu es transi, tu as reçu la neige, veux-tu du thé ? Il est froid, je vais faire préparer le samovar… ''C’est à ne pas mettre un chien dehors''.<ref>En français dans le texte.</ref> »
 
Aliocha courut au lavabo, mouilla la serviette, persuada Ivan de se rasseoir et la lui appliqua sur la tête. Il s’assit à côté de lui.
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— Il m’a agacé, et fort adroitement : « La conscience, qu’est-ce que cela ? C’est moi qui l’ai inventée. Pourquoi a-t-on des remords ? Par habitude. L’habitude qu’a l’humanité depuis sept mille ans. Défaisons-nous de l’habitude et nous serons des dieux. » C’est lui qui l’a dit !
 
— Mais pas toi, pas toi ? s’écria malgré lui Aliocha avec un lumineux regard. Eh bien, laisse-le, oublie-le donc ! Qu’il
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emporte avec lui tout ce que tu maudis maintenant et qu’il ne revienne plus.
 
— Il est méchant, il s’est moqué de moi. C’est un insolent, Aliocha, dit Ivan, frémissant au souvenir de l’offense. Il m’a calomnié à maint égard, il m’a calomnié en face. « Oh ! tu vas accomplir une noble action, tu déclareras que c’est toi l’assassin responsable, que le valet a tué ton père à ton instigation… »
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— Frère, interrompit Aliocha, glacé de peur mais espérant toujours ramener Ivan à la raison, comment a-t-il pu te parler de la mort de Smerdiakov avant mon arrivée, alors que personne ne la connaissait et n’avait eu le temps de l’apprendre ?
 
— Il m’en a parlé, dit Ivan d’un ton tranchant. Il n’a
— Il m’en a parlé, dit Ivan d’un ton tranchant. Il n’a même parlé que de cela, si tu veux. « Si encore tu croyais à la vertu : on ne me croira pas, n’importe, j’agis par principe. Mais tu n’es qu’un pourceau, comme Fiodor Pavlovitch, tu n’as que faire de la vertu. Pourquoi te traîner là-bas, si ton sacrifice est inutile ? Tu n’en sais rien et tu donnerais beaucoup pour le savoir ! Soi-disant, tu t’es décidé ? Tu passeras la nuit à peser le pour et le contre ! Pourtant, tu iras, tu le sais bien, tu sais que, quelle que soit ta résolution, la décision ne dépend pas de toi. Tu iras, parce que tu n’oseras pas faire autrement. Et pourquoi n’oseras-tu pas ? Devine toi-même, c’est une énigme ! » Là-dessus il est parti, quand tu arrivais. Il m’a traité de lâche, Aliocha. ''Le mot de l’énigme''<ref>En français dans le texte.</ref>, c’est que je suis un lâche ! Smerdiakov en a dit autant. Il faut le tuer. Katia me méprise, je le vois depuis un mois ; Lise commence à me mépriser. « Tu iras pour qu’on t’admire », c’est un abominable mensonge ! Et toi aussi, tu me méprises, Aliocha. Je te déteste de nouveau ! Et je hais aussi le monstre, qu’il pourrisse au bagne ! Il a chanté un hymne ! J’irai demain leur cracher au visage à tous. »
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— Il m’en a parlé, dit Ivan d’un ton tranchant. Il n’a même parlé que de cela, si tu veux. « Si encore tu croyais à la vertu : on ne me croira pas, n’importe, j’agis par principe. Mais tu n’es qu’un pourceau, comme Fiodor Pavlovitch, tu n’as que faire de la vertu. Pourquoi te traîner là-bas, si ton sacrifice est inutile ? Tu n’en sais rien et tu donnerais beaucoup pour le savoir ! Soi-disant, tu t’es décidé ? Tu passeras la nuit à peser le pour et le contre ! Pourtant, tu iras, tu le sais bien, tu sais que, quelle que soit ta résolution, la décision ne dépend pas de toi. Tu iras, parce que tu n’oseras pas faire autrement. Et pourquoi n’oseras-tu pas ? Devine toi-même, c’est une énigme ! » Là-dessus il est parti, quand tu arrivais. Il m’a traité de lâche, Aliocha. ''Le mot de l’énigme''<ref>En français dans le texte.</ref>, c’est que je suis un lâche ! Smerdiakov en a dit autant. Il faut le tuer. Katia me méprise, je le vois depuis un mois ; Lise commence à me mépriser. « Tu iras pour qu’on t’admire », c’est un abominable mensonge ! Et toi aussi, tu me méprises, Aliocha. Je te déteste de nouveau ! Et je hais aussi le monstre, qu’il pourrisse au bagne ! Il a chanté un hymne ! J’irai demain leur cracher au visage à tous. »
 
Ivan se leva avec fureur, arracha la serviette, se remit à marcher dans la chambre. Aliocha se rappela ses récentes paroles : « Il me semble dormir éveillé… Je vais, je parle, je vois, et pourtant je dors. » C’est bien cela, il n’osait le quitter pour aller chercher un médecin, n’ayant personne à qui le confier. Peu à peu Ivan se mit à déraisonner tout à fait. Il parlait toujours, mais ses propos étaient incohérents ; il articulait mal les mots. Tout à coup, il chancela, mais Aliocha put le soutenir ; il le déshabilla tant bien que mal et le mit au lit. Le malade tomba dans un profond sommeil, la respiration régulière. Aliocha le veilla encore deux heures, puis il prit un oreiller et s’allongea sur le divan, sans se dévêtir. Avant de s’endormir, il pria pour ses frères. Il commençait à comprendre la maladie d’Ivan. « Les tourments d’une résolution fière, une conscience exaltée ! » Dieu, auquel Ivan ne croyait pas, et Sa vérité, avaient subjugué ce cœur encore rebelle. « Oui, songeait Aliocha, puisque Smerdiakov est mort, personne ne croira Ivan ; néanmoins, il ira déposer. Dieu vaincra, se dit Aliocha avec un doux sourire. Ou Ivan se relèvera à la lumière de la vérité, ou bien… il succombera dans la haine, en se vengeant de lui-même et des autres pour avoir servi une cause à laquelle il ne croyait pas », ajouta-t-il avec amertume. Et il pria de nouveau pour Ivan.