« Les Frères Karamazov (trad. Henri Mongault)/II/08 » : différence entre les versions

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toyable Fiodor Pavlovitch, et conserver tout son sang-froid. « Les moines n’ont rien à se reprocher, décida-t-il soudain sur le perron de l’Abbé ; s’il y a ici des gens comme il faut (le Père Nicolas, l’Abbé, appartient, paraît-il, à la noblesse), pourquoi ne me montrerais-je pas aimable avec eux ? Je ne discuterai pas, je ferai même chorus, je gagnerai leur sympathie… enfin, je leur prouverai que je ne suis pas le compère de cet Ésope, de ce bouffon, de ce saltimbanque, et que j’ai été trompé tout comme eux… »
 
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Ces bonnes intentions s’affirmèrent encore lorsqu’ils entrèrent dans la salle à manger du Père Abbé. Ce n’en était pas une, à vrai dire, car il n’avait en tout que deux pièces à lui, d’ailleurs beaucoup plus spacieuses et plus commodes que celles du starets. L’ameublement ne brillait pas par le confort : les meubles étaient d’acajou et recouverts en cuir, à l’ancienne mode de 1820, les planchers n’étaient même pas peints ; en revanche, tout reluisait de propreté, il y avait aux fenêtres beaucoup de fleurs chères ; mais la principale élégance résidait en ce moment dans la table servie avec une somptuosité relative. La nappe était immaculée, la vaisselle étincelait ; sur la table reposaient trois sortes d’un pain parfaitement cuit<ref>C’est la coutume en Russie de servir trois sortes de pain : noir bis et blanc.</ref>, deux bouteilles de vin, deux pots de l’excellent hydromel du monastère et une grande carafe pleine d’un kvass<ref>Boisson fermentée à base de malt et de pain noir.</ref> réputé aux environs ; il n’y avait pas de vodka<ref>Eau-de-vie.</ref>. Rakitine raconta par la suite que le dîner comprenait cette fois cinq plats : une soupe au sterlet avec des bouchées au poisson ; un poisson au court-bouillon, accommodé d’après une recette spéciale et délicieuse ; des quenelles d’esturgeon ; des glaces et de la compote ; enfin du kissel<ref>Sorte de bouillie à la fécule de pommes de terre.</ref> en manière de blanc-manger.
 
Incapable de se contenir, Rakitine avait flairé tout cela et jeté un coup d’œil à la cuisine du Père Abbé, où il avait des relations. Il en possédait d’ailleurs partout et apprenait ainsi tout ce qu’il voulait savoir. C’était un cœur tourmenté, envieux. Il avait pleine conscience de ses dons indiscutables, et s’en faisait même, dans sa présomption, une idée exagérée. Il
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se savait destiné à jouer un rôle ; mais Aliocha, qui lui était fort attaché, s’affligeait de le voir dépourvu de conscience, et cela sans que le malheureux s’en rendît compte lui-même ; sachant en effet qu’il ne déroberait jamais de l’argent à sa portée, Rakitine s’estimait parfaitement honnête. À cet égard, ni Aliocha ni personne n’auraient pu lui ouvrir les yeux.
 
Rakitine était un trop mince personnage pour figurer aux repas ; en revanche, le Père Joseph et le Père Païsius avaient été invités, ainsi qu’un autre religieux. Ils attendaient déjà dans la salle à manger lorsque Piotr Alexandrovitch, Kalganov et Ivan Fiodorovitch firent leur entrée. Le propriétaire Maximov se tenait à l’écart. Le Père Abbé s’avança au milieu de la pièce pour accueillir ses invités. C’était un grand vieillard maigre, mais encore vigoureux, aux cheveux noirs déjà grisonnants, au long visage émacié et grave. Il salua ses hôtes en silence, et ceux-ci vinrent cette fois recevoir sa bénédiction, Mioussov tenta même de lui baiser la main, mais l’Abbé prévint son geste en la retirant. Ivan Fiodorovitch et Kalganov allèrent jusqu’au bout, faisant claquer leurs lèvres à la façon des gens du peuple.
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Mioussov se tut. Arrivé vers la fin de sa tirade, il se sentit si parfaitement content de lui, qu’il en oublia sa récente irritation. Il éprouvait de nouveau un vif et sincère amour pour l’humanité. Le Père Abbé, qui l’avait écouté gravement, inclina la tête et répondit :
 
« Je regrette vivement son absence. Participant à ce repas, peut-être nous eût-il pris en affection, et nous de même. Messieurs, veuillez prendre place. »
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Il se plaça devant l’image et commença une prière. Tous s’inclinèrent respectueusement, et le propriétaire Maximov se plaça même en avant, les mains jointes, en signe de particulière dévotion.
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« Ils me croyaient parti, et me voilà ! » cria-t-il d’une voix retentissante.
 
Les assistants le considérèrent un instant en silence, et soudain tous sentirent qu’un scandale était inévitable. Piotr
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Alexandrovitch passa brusquement de la quiétude à la plus méchante humeur. Sa colère éteinte se ralluma, son indignation apaisée gronda tout d’un coup.
 
« Non, je ne puis supporter cela ! hurla-t-il. J’en suis incapable, absolument incapable ! »
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— Allons-nous-en, jeta Piotr Alexandrovitch à Kalganov.
 
— Non, permettez, glapit Fiodor Pavlovitch, faisant encore un pas dans la chambre, laissez-moi terminer. Là-bas, dans la cellule du starets, vous m’avez blâmé d’avoir soi-disant perdu le respect, et cela parce que j’avais parlé de goujons. Piotr Alexandrovitch Mioussov, mon parent, aime
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qu’il y ait dans le discours plus de noblesse que de sincérité<ref>En français dans le texte.</ref> ; moi, au contraire, j’aime que mon discours ait plus de sincérité que de noblesse, et tant pis pour la noblesse ! N’est-ce pas, von Sohn ? Permettez, Père Abbé, bien que je sois un bouffon et que j’en tienne le rôle, je suis un chevalier de l’honneur, et je tiens à m’expliquer. Oui, je suis un chevalier de l’honneur, tandis que chez Piotr Alexandrovitch il n’y a que de l’amour-propre offensé. Je suis venu ici, voyez-vous, pour observer ce qui s’y passe et vous dire ma façon de penser. Mon fils Alexéi fait son salut chez vous, je suis père, je me préoccupe de son sort et c’est mon devoir. Tandis que je me donnais en représentation, j’écoutais tout, je regardais sans avoir l’air, et maintenant je veux vous offrir le dernier acte de la représentation. D’ordinaire, chez nous, ce qui tombe reste étendu à jamais. Mais MOI, je veux me relever. Mes Pères, je suis indigné de votre façon d’agir. La confession est un grand sacrement que je vénère, devant lequel je suis prêt à me prosterner ; or, là-bas, dans la cellule, tout le monde s’agenouille et se confesse à haute voix. Est-il permis de se confesser à haute voix ? De toute antiquité les saints Pères ont institué la confession auriculaire et secrète. En effet, comment puis-je expliquer devant tout le monde que moi, par exemple, je… ceci et cela, enfin, vous comprenez ? Il est parfois indécent de révéler certaines choses. N’est-ce pas un scandale ? Non, mes Pères, avec vous on peut être entraîné dans la secte des Khlysty<ref>La secte des Khrysty (christs), ou par dérision Khlysty (flagellants), est apparue en Russie au XVIIème siècle ; ces sectaires, qui se donnent le nom d’hommes de Dieu, ont eu leurs prophètes en qui ils voient des incarnations divines. Leurs rites secrets, marqués par des accès frénétiques assez analogues à ceux des derviches tourneurs, ont provoqué le surnom donné à la secte.</ref>… À la première occasion, j’écrirai au Synode ; en attendant je retire mon fils de chez vous. ».
 
Notez que Fiodor Pavlovitch avait entendu le son de certaines cloches. À en croire des bruits malveillants, parvenus naguère jusqu’à l’oreille des autorités ecclésiastiques, dans les monastères où subsistait cette institution on témoignait aux startsy un respect exagéré, au préjudice de la dignité de l’Abbé ; ils abusaient du sacrement de la confession ; etc. Accusations ineptes, qui tombèrent d’elles-mêmes, chez nous comme partout. Mais le démon, qui s’était emparé de Fiodor Pavlovitch et l’emportait toujours plus loin dans un abîme
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de honte, lui avait soufflé cette accusation, à laquelle d’ailleurs il ne comprenait goutte. Il n’avait même pas su la formuler convenablement, d’autant plus que cette fois, dans la cellule du starets, personne ne s’était ni agenouillé ni confessé à haute voix. Fiodor Pavlovitch n’avait donc rien pu voir de pareil et rééditait tout bonnement les anciens commérages qu’il se rappelait tant bien que mal. Cette sottise à peine débitée, il en sentit l’absurdité et voulut aussitôt prouver à ses auditeurs, et surtout à lui-même, qu’il n’avait rien dit d’absurde. Et, bien qu’il sût parfaitement que tout ce qu’il dirait ne ferait qu’aggraver cette absurdité, il ne put se contenir et glissa comme sur une pente.
 
« Quelle vilenie ! cria Piotr Alexandrovitch.
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— C’est vraiment indigne de votre part », proféra le Père Joseph.
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Le Père Païsius gardait un silence obstiné. Mioussov s’élança hors de la chambre, suivi de Kalganov.
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« Alexéi, lui cria son père de loin, viens t’installer chez moi dès aujourd’hui ; prends ton oreiller, ton matelas, et qu’il ne reste rien de toi ici. »
 
Aliocha s’arrêta comme pétrifié, observant attentivement cette scène, sans souffler mot. Fiodor Pavlovitch monta en calèche, suivi d’Ivan Fiodorovitch, silencieux et morne, qui
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ne se retourna même pas pour saluer son frère. Mais, pour couronner le tout, il se passa alors une scène de saltimbanque, presque invraisemblable. Maximov accourait, tout essoufflé ; dans son impatience, il risqua une jambe sur le marchepied où se trouvait encore celle d’Ivan Fiodorovitch, et, se cramponnant au coffre, il essaya de monter.
 
« Moi aussi, je vous suis ! cria-t-il en sautillant, avec un rire gai et un air de béatitude. Emmenez-moi !
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« Bien que cela vous soit fort désagréable, révérencieux Karl von Moor, je retirerai pourtant Aliocha du monastère. »
 
Ivan haussa dédaigneusement les épaules, se détourna, se mit à regarder la route. Ils n’échangèrent plus un mot jusqu’à la maison.
=== no match ===
la maison.
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