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Anonyme
Hachette et Cie (p. 1-58).

LE PRIX


“ VIE HEUREUSE ”


fondé


en


1904


HACHETTE & Cie


LE PRIX


“ VIE HEUREUSE ”


fondé


en


1904


HACHETTE & Cie



TABLE DES MATIÈRES

Le Comité :


Deux démissionnaires du Comité :




LE PRIX OFFERT AUX LETTRES PAR LA VIE HEUREUSE


Dire dans quel but a été fondé par la « Vie Heureuse » le Prix déjà célèbre qui porte son nom ; signaler les titres littéraires des femmes de lettres qui composent le Comité ; indiquer dans quelles circonstances il a déjà été deux fois décerné : tel est le dessein précis de cette brochure.




Les Prix de l’Académie sont, de par la volonté de leurs fondateurs, attribués à des œuvres strictement définies. Les Goncourt en fondant par leur testament un prix simplement attribué, sans qu’il fût posé de candidature, après débats et par le vote, à un homme de lettre, auteur du meilleur roman de l’année, ont créé une autre spécialisation. Dans le seul champ des œuvres d’imagination les clauses de leur testament éliminent encore les poètes. Et vraisemblablement le prix Goncourt ne sera jamais attribué à une œuvre de femme.

Il appartenait à des femmes de supprimer, avec les autres, cette double restriction. Le Prix de Cinq mille francs, dit Prix Vie Heureuse, qui est attribué chaque année par un jury composé de femmes de lettres, est destiné au meilleur ouvrage de l’année, imprimé en langue française, que l’auteur soit un homme ou une femme ; qu’il soit écrit en vers ou en prose, qu’il soit roman, mémoires, drame, etc., etc.

La variété du jury, où la poésie, l’érudition, toutes les sortes du roman, la critique littéraire et la critique sociale, l’histoire et le drame se rencontrent, rend plus précieux l’accord qui se fait sur le nom d’un auteur.

Le jury du Prix Vie Heureuse, lors de sa fondation, se composait de : Mmes  Juliette Adam, Arvède Barine, Th. Bentzon, Jean Bertheroy, C. de Broutelles, Pierre de Coulevain, Alphonse Daudet, Delarue-Mardrus, Dieulafoy, Claude Ferval, Judith Gautier, Lucie Félix-Faure-Goyau, Daniel Lesueur, Marni, Catulle Mendès, comtesse Mathieu de Noailles, Georges de Peyrebrune, Poradowska, Gabrielle Réval, Séverine, Marcelle Tinayre, P. de Coulevain et Arvède Barine ont donné leur démission et Mme  Duclaux a été appelée à faire partie du Comité.


MADAME JULIETTE ADAM


Quatre livres de Mme  Adam : Le Roman de mon enfance et ma jeunesse. Mes premières armes littéraires et politiques, Mes Sentiments et nos Idées avant 1870, Mes Illusions et nos Souffrances pendant le siège de Paris donnent de justes indications sur ses premiers ouvrages et la genèse de son talent.

Fille d’un médecin imbu des idées phalanstériennes, Mme  Adam-Juliette Lamber est née à Verberie (Oise), le 4 octobre 1836 « Je suis, a-t-elle dit, la fille d’un père sincèrement sectaire, désintéressé jusqu’au sacrifice, qui rêvait la liberté absolue, l’égalité absolue. Jusqu’à l’année terrible son esprit a dominé le mien » La vision « fulgurante et terrible » de 1870 a fait sortir de la passion pour la justice, que Mme  Juliette Adam tenait de son père, ce qu’elle a appelé la combativité patriotique. « Je ne me suis jamais permis dans ma longue existence, dit-elle, en fait de mouvements de violence que des indignations et des haines vigoureuses contre les méchants et les ennemis de mon pays ».

Elle épousa en 1853 un avocat, M. La Messine, et c’est sous le nom de Juliette La Messine que parurent les premières éditions de son ouvrage : Les Idées antiproudhonniennes sur l’amour, la femme et le mariage (1858), où elle défendait deux femmes cruellement attaquées par Proudhon : George Sand et Daniel Stern.

Un second mariage avet : Edmond Adam, sénateur inamovible et préfet de police en 1870, lui donna le nom qu’elle a rendu célèbre.

Le mouvement des idées et de la politique avait toujours passionné la jeune femme. La situation de son mari et sa propre influence sur les esprits éclairés firent très vite de son salon un centre important. La politique tient une grande place dans la carrière d’écrivain de Mme  Juliette Adam : on se souvient des Lettres sur la politique extérieure, dans la Nouvelle Revue qu’elle avait fondée en 1879, on lui attribue des Études sur la Société étrangère signées du pseudonyme de Vasili. Mais Mme  Adam n’a pas seulement écrit des articles politiques et des études philosophiques. On trouve dans la longue liste de ses ouvrages des romans, des pièces de théâtre, des souvenirs littéraires, des récits de voyages, et jusqu’à des vers.

Mme  Juliette Adam a cessé de diriger la Nouvelle Revue depuis 1892. Mais on retrouve dans la Parole française à l’Étranger, son patriotisme et sa générosité de pensées.


Madame Juliette Adam, photographie debout dans un jardin.
Madame Juliette Adam, photographie debout dans un jardin.

MADAME TH. BENTZON

L’œuvre de Mme Bentzon, née Marie-Thérèse de Solms, compte plus de quarante volumes. Sa variété, en même temps que le souci permanent de certaines questions où la vie des femmes a le premier rôle, lui donnent une importance considérable.

Très jeune, elle s’est préparée à écrire par des traductions de l’anglais. Depuis 1871, elle a fait connaître en France, Kipling, auparavant Ouida, les humoristes américains. Avant que Mme Bentzon ne les eût signalés, on ne lisait guère en France Henry James, Howells, etc. Depuis plus de trente ans, elle a donné ainsi à la Revue des Deux Mondes une série d’articles où l’information, l’analyse et l’appréciation étaient pareillement justes. C’est elle qui a signalé l’avènement de Mme Humphry Ward ; bien avant que ne fussent traduits Miss Brown de Vernon Lee et le roman social de Bellamy, deux articles, la Satire de l’Esthétisme et la Société de l’Avenir avaient appelé l’attention sur ces ouvrages. Le Roman étranger en Angleterre faisait connaître Stevenson et le Naturalisme aux États-Unis mettait à la mode la Bibliothèque du plein air. Mme Bentzon a suscité des traducteurs et des lecteurs à Mary William, à Sarah Jewett. Elle écrivait en même temps dans les revues américaines.

Deux voyages en Amérique — 1894 et 1897 — lui ont fait connaître la physionomie et les mœurs d’un pays dont la littérature lui était déjà si familière ; plusieurs séries d’études : Les Américaines chez elles, Choses et gens d’Amérique, Nouvelle France et Nouvelle Angleterre, Questions américaines, Femmes d’Amérique ont été le fruit de ces voyages.

Plus récemment, Mme Bentzon a fait un voyage en Russie. Elle a promené son clair regard sur cette vieille civilisation incomplète comme sur la civilisation toute neuve du nord de l’Amérique, et a publié au retour les réflexions et les observations qu’un séjour de quatre mois lui avait suggérées.

Enfin, une vingtaine de romans servent pour ainsi dire d’illustrations à l’œuvre et à la pensée de Mme Bentzon : tantôt ce sont des études où l’analyse psychologique s’unit au sens profond de la vie morale ; tel est ce Tony, où le sentiment d’avoir commis un crime bouleverse une âme d’enfant au point de la lancer par réaction, en plein héroïsme ; telle est encore la jolie histoire de Stella. Tantôt comme dans Au-dessus de l’abîme l’étude sociale l’emporte.


Madame Thérèse Benthson, photographie à son bureau.
Madame Thérèse Benthson, photographie à son bureau.


Madame Jean Bertheroy

Madame Jean Bertheroy est presque la seule, parmi les femmes qui écrivent, à composer des romans d’histoire. Il y faut, outre une science réchauffée et vivante, une imagination de la vue, assez rare chez les femmes : elles n’ont à l’ordinaire que l’imagination du cœur.

Mme  Jean Bertheroy a publié d’abord, un recueil de poèmes : Femmes antiques puis Le Mime Bathylle, La Danseuse de Pompéï, Les Vierges de Syracuse, Les Dieux familiers, La Beauté d’Alcias.

C’est un sort délicieux pour un conteur que d’avoir choisi pour le peindre un temps où sous un ciel bleu, un peuple d’athlètes, de sculpteurs, de poétesses et de vierges erre entre des portiques de marbre. Point d’autre souci que de modeler à son tour d’après les antiques modèles d’une beauté sacrée, des figures qui respirent. Mme  Jean Bertheroy en a sculpté d’incomparables. Dans l’avenue des héros, à Egine, elle a composé le groupe de Pythéas. Le vieil athlète, appuyé sur sa fille, la poétesse Zénophile aux yeux glauques, et marchant près de son fils Alcias. Elle a reconstruit le décor charmant de Pompéi et le décor magnifique d’Olympie.

Mais ce n’est point là seulement une reconstruction ingénieuse et une jolie décoration. En évoquant exactement la nature et la splendeur antiques, Mme  Jean Bertheroy les a animées non point tout à fait de la seule âme grecque, mais d’une âme éternelle, leur contemporaine et la nôtre ; les fêtes d’Olympie et les danses de Pompéi deviennent dans ses livres, en gardant leur beauté qui nous attire, le décor et le symbole de tourments qui nous sont connus : âme et nature, mysticisme et beauté ; double transposition du présent dans le passé, et du passé dans le présent, qui rend infiniment émouvante l’œuvre de M me Jean Bertheroy. Mêlant ainsi les formes anciennes à des pensées vraies, elle est la véritable héritière de cet André Chénier, dont l’Éloge en prose, obtenait de l’Académie le prix d’éloquence.

Elle a revécu, — avec le même sentiment de la beauté, du pittoresque, du drame, de l’âme ancienne et encore vivante de l’humanité, — d’autres époques encore. Elle a écrit Ximenès, Le Journal de Marguerite Plantin (1899), Le Jardin des Tolosati, Les Délices de Mantoue, et enfin, évoquant des figures contemporaines, Le Roman d’une âme (1895), Le Double Joug (1897), Le Mirage (1901).


Madame Jean Bertheroy, photographie en médaillon
Madame Jean Bertheroy, photographie en médaillon


MADAME C. DE BROUTELLES


Le jury du Prix « Vie Heureuse » a pour secrétaire perpétuelle Mme  C. de Broutelles.

Avoir fondé trois revues, en être l’âme active et l’unique ressort ; mener dans leurs voies nettes et différentes la Vie Heureuse, la Mode pratique, le Conseil des Femmes ; suffire à tout, y réussir : Mme  de Broutelles, dans le bureau anglais tendu d’étoffe verte, où défile sans fin la triple rédaction, accomplit cette tâche avec un esprit net et prompt, de la vivacité critique, une volonté qui n’exclut pas la mobilité, de la bravoure qui ne supprime pas l’habileté, de la diplomatie, du charme, de l’esprit d’exécution, des convictions arrêtées et des jugements instantanés, et, dans un jour d’épreuve, une très grande bonté de cœur. On s’accorde à trouver qu’elle est pour ses collaborateurs un guide qui sait ce qu’il veut, qui sait le dire, qui juge d’un coup d’œil le fort et le faible par cette sorte d’intuition d’un esprit constructif qu’on appelle la mise au point.

Cette intelligence rapide à saisir les idées en a sur la vie quelques-unes, qui sont immuables, qu’une activité naturelle et un sentiment très généreux de prosélytisme la poussent à répandre et qui font le charme des articles qu’elle a publiés sur l’Éducation de nos fils, sur Notre avenir par le travail etc., etc.

Certains mots s’y retrouvent qui sont les motifs conducteurs de sa pensée « Netteté, droiture, pureté de ligne, fraîcheur et beauté véritable ».

Le monde, s’il était tel qu’elle le souhaite, se composerait de gens très francs, et point mystérieux, qui aimeraient beaucoup leur foyer, se sentiraient confortablement chez eux, respecteraient réciproquement leur liberté, auraient l’âme nette, l’esprit reposé, l’amour de tout ce que la nature a fait de beau, le goût d’une simplicité aisée, d’un décor de quelques lignes agréables aux yeux, des dessus de table en cristal, et de quelques fleurs soigneusement disposées.

L’histoire des revues qu’elle a fondées est l’histoire de ses idées même. Pour les faire triompher elle a fondé la Mode Pratique. De là elle a été actuellement amenée à s’occuper de l’existence entière de la femme, et à fonder la Vie Heureuse en 1902, et le Conseil des Femmes.


Madame C. de Broutelles, photographie en buste de profil.
Madame C. de Broutelles, photographie en buste de profil.


MADAME ALPHONSE DAUDET


Edmond de Goncourt disait dans son Journal : « Hier, Alphonse Daudet est venu déjeuner avec sa femme chez moi. Un ménage qui ressemble à celui que je faisais avec mon frère. La femme écrit, et j’ai lieu de la soupçonner d’être une artiste en style. »

Ceci était écrit en 1874 ; la jeune femme attendit quatre ans avant de publier son premier volume, les Impressions de nature et d’art éditées en 1878. Mais avant de rien faire paraître de ses propres ouvrages, Mme  Alphonse Daudet était la conseillère et presque la collaboratrice de son mari, toujours incertain de la puissance pathétique d’un livre, tant que sa femme ne l’avait point ressentie.


Des impressions qui se prolongent en réflexions : c’est bien ainsi, semble-t-il, qu’on peut justement définir le talent de Mme  Daudet. Ce sont les traits distinctifs que l’on retrouve dans tous ses livres : les Fragments d’un livre inédit (Charavay 1882) ; L’Enfance d’une Parisienne (Lemerre) ; Enfants et mères (Lemerre) ; Poésies (Lemerre 1895) ; Journées de femmes, Alinéas (Fasquelle 1898) ; Reflets sur le sable et sur l’eau (Lemerre 1905) ; Miroirs et Mirages (Fasquelle 1905) et enfin le dernier ouvrage Au bord des Terrasses, qui vient à peine de paraître et dont le charme est si personnel et si séduisant.


Il n’y a point de grands événements, ni de violences passionnées. Mais l’impression du jour, le soleil qui décline, le train de la rue qui s’éveille, le silence goûté au cœur des bois, la promenade sur la route ; une maison qu’on rencontre et où on voudrait vivre ; une pauvre servante bretonne qu’on a vue le matin faire son chemin de croix, et dont on imagine la rêverie ; un souvenir d’enfance qui revient à l’esprit, moins encore le bruit du râteau passé sur une allée, tous ces menus présents de l’heure qui passe, Mme  Alphonse Daudet les change sans efforts en une poésie nuancée.

Personne mieux qu’elle ne sait trouver la grâce d’une minute choisie entre les minutes, d’un étang rencontré, d’un portrait de femme inconnue ; toute la poésie est de faire une perle d’une larme : Mme  Alphonse Daudet excelle à dégager le sentiment exquis des impressions brèves.


Madame Alphonse Daudet, portrait en buste, de dos avec profil.
Madame Alphonse Daudet, portrait en buste, de dos avec profil.


MADAME DELARUE-MARDRUS


Madame Delarue-Mardrus est née sur la Côte de Grâce d’Honfleur. Son père, Maître Georges Delarue, avocat à la Cour de Paris, est de pure souche normande, et sa mère est parisienne depuis des générations. Elle a épousé, en 1900, le docteur J.-C. Mardrus, auteur de la version définitive des Mille et une Nuits.

En cette frêle jeune femme, coule la sève forte des vieux conquérants de la mer, de cette mer et de cet estuaire qu’elle a tant aimés et chantés au hasard de sa féconde inspiration.

Elle a, de la trame poétique des jours, fait trois livres : Occident (1900), Ferveur (1902), Horizons (1904), édités chez Fasquelle. Elle en prépare un quatrième : Au Large, qui paraîtra au printemps. L’été dernier, le Théâtre d’Orange a représenté d’elle, avec le succès que l’on sait, une pièce en deux actes et en vers : Sapho désespérée. Et c’est par une de ses pièces inédites, La Prétresse de Carthage, que le nouveau Théâtre Antique de Carthage inaugurera, au printemps, sa scène de plein air. Un autre drame en trois actes et en vers, sur les origines normandes, Thorborge, Reine de mer, a été écrit pour une grande scène parisienne. Elle compose enfin, pour Le Journal, des contes d’une invention neuve, ingénieuse et dont la répercussion sur le public est profonde.

Les ancêtres aventureux de la race lui ont donné le goût des voyages d’outre-mer. Elle a chevauché, comme eux, à travers les Orients, en compagnie du docteur Mardrus occupé à rechercher les gloses koraniques pour la traduction qu’il donnera, selon le désir du Gouvernement, du Livre divin de l’Islam. La langue arabe, apprise rapidement par elle, roule dans ce jeune gosier nordique, ses syllabes rocailleuses. Mais, à aucun moment, la mémoire de la terre natale n’est abolie chez celle qui a écrit ce vers émouvant : « Ah ! je ne guérirai jamais de mon pays ! » La poésie, le sentiment du lointain, l’éternel étonnement des âmes qui restent neuves, lui donnent, même en France, un air de voyageuse. Les larges beaux yeux sous la coiffure nattée tout autour de la tête — ce qui est une manière charmante d’être couronnée de lauriers — l’immobilité, l’air d’observer, les vêtements flottants composent à celle que les Arabes nomment si bien « la Princesse Amande », un aspect de fée, de prêtresse et d’enfant. Elle possède une puissance et une fougue bien rares chez une femme, une originalité absolue et multiple, une hardiesse raisonnée et pleine d’équilibre. Elle fait bien partie de la grande tradition française où elle puise sa force, sa grâce et sa beauté.


Madame Delarue-Mardrus, photographie, debout appuyée à un arbre.
Madame Delarue-Mardrus, photographie, debout appuyée à un arbre.


MADAME JANE DIEULAFOY


Madame Jane Dieulafoy, née Magre, descend d’une ancienne famille toulousaine. Élevée au couvent de l’Assomption, elle se maria selon son cœur à un ingénieur des ponts et chaussées à peine sorti de l’École Polytechnique. Des études qui rattachaient les arts du moyen âge aux arts de l’Orient amenèrent M. et Mme  Dieulafoy à penser qu’ils en trouveraient en Perse le berceau commun. Dans ce but, ils entreprirent un premier voyage qui dura quatorze mois et, au prix de grandes fatigues, ils atteignirent les tumuli qui signalent l’emplacement de l’antique Suse.

Mme  Dieulafoy a raconté ce premier voyage dans un important ouvrage plein de vues originales, intitulé : La Perse, la Chaldée et la Susiane. L’Académie le couronna.

Deux ans plus tard, M. et Mme  Dieulafoy revenaient à Suse et ramenaient au jour la magnifique frise des Lions du palais d’Artaxercès, le bas-relief des Immortels du palais de Darius, le grand chapiteau bicéphale et cette magnifique collection d’objets réunis aujourd’hui dans trois salles du musée du Louvre. Pour sa participation à ces travaux exécutés dans des conditions éminemment dangereuses, Mme  Dieulafoy fut décorée de la Légion d’honneur.

Elle a publié le Journal des Fouilles : À Suze, puis divers romans historiques perses : Parysatis, couronné par l’Académie française ; Rose d’Hatra, L’Oracle. Un drame lyrique, emprunté au premier de ces romans, a été représenté plusieurs fois aux arènes de Béziers, et c’est pour lui que Saint-Saëns a écrit l’une de ses plus belles partitions.

Parmi ses autres œuvres, citons Frère Pelage et Déchéance, plaidoyer éloquent en faveur du mariage indissoluble.

Mme  Dieulafoy a donné à l’Odéon des conférences très documentées sur Les Perses d’Eschyle, Œdipe de Sophocle, Le Cid, Andromaque, Bajazet, Amphytrion, etc.

L’Espagne lui a inspiré deux ouvrages : Aragon et Valence, Castille et Andalousie. Récemment elle publiait encore une traduction de L’Épouse parfaite, écrite au xvie siècle par l’exégète fameux, l’admirable poète Luis de Léon, et faisait précéder ce texte d’une étude magistrale sur le maître glorieux qui illustra l’Université de Salamanque au siècle d’or.

Mme  Dieulafoy collabore aux grands journaux et à plusieurs revues.


Madame Jane Dieulafoy, photographie assise sur une chaise.
Madame Jane Dieulafoy, photographie assise sur une chaise.


MADAME DUCLAUX


Madame Duclaux, plus connue dans les lettres sous le nom de Mme  Darmesteter, qui était celui de son premier mari, est une des rares femmes qui puissent composer en deux langues avec une égale pureté. Poète, historien, essayiste, biographe, elle écrivit d’abord en anglais : A handful of honeysuckle.

Quelque temps après sa belle traduction de l’Hippolyte couronné d’Eschyle, parue en 1882, elle faisait paraître un volume de vers très pessimistes sur la misère du peuple dans les campagnes anglaises : The Le succès de son œuvre lyrique The Italian new Arcadia (1885). Le succès de son œuvre lyrique The Italian Garden, traduite en cinq langues, l’approcha de James Darmesteter, qui voulant la faire connaître au public français, vint voir à Londres la jeune fille. Il l’épousa l’année suivante (1888). C’est sous l’influence de son mari, et pour lui plaire qu’elle écrivit en français ce recueil de contes délicieux, les Marguerites du temps passé que l’Académie a récompensé.

Mme  Darmesteter a fait encore paraître en 1894 la vie de Froissart, dans la collection des Grands Écrivains français. Ce petit livre est exquis, et l’un des joyaux de la collection. On s’y fera l’idée la plus complète du talent de Mme  Duclaux. Il est impossible d’allier à une érudition plus nette et mieux informée, plus de grâce, de sentiment de la vie, de poésie. C’est le jeune Froissart, vif et léger, c’est le curé tranquille de Lestinnes, c’est le vieux chanoine Jean le Bel, qui eut trois enfants dans son vieil âge, c’est le beau Wenceslas de Brabant, et la reine Philippe, et le prince Noir, c’est tout le xive siècle chevaleresque qui revivent dans ces pages admirables et charmantes. La Vie de Renan, publiée en 1897, recevait le prix Marcellin Guérin. La Reine de Navarre (1899) est un volume d’histoire qui a tout l’attrait d’un roman et tout le lyrisme d’un poème ; les Grands Écrivains d’ Outre-Manche ont paru en 1901.

En anglais, Mme  Duclaux a encore publié divers volumes de vers : Songs, Ballads, The Garden Play (1888), Retrospect (1897), Collected poems (1902), The Return to Nature (1904). Son dernier livre anglais en prose paru en 1903, The Fields of France, est la plus intéressante histoire de la vie des paysans de France au Moyen Age et aujourd’hui.


Madame Duclaux, photographie en médaillon
Madame Duclaux, photographie en médaillon

MADAME CLAUDE FERVAL


Claude Ferval, fille d’un général, est née à Agen. Le hasard des changements de garnison la fit élever à Lyon, au couvent de l’Assomption, sur les hauteurs de Fourvière : elle aimait, a-t-elle écrit, « le costume violet des religieuses, leur long voile blanc, leurs gestes mesurés, leur pas silencieux, leur voix tendre, leur sourire. »

Jeune femme, elle habita le Blaisois, dans un grand château sombre, au milieu des bois. Là, elle passait les journées à lire, à apprendre le latin, l’histoire, un peu de philosophie. Le monde de la pensée lui apparaissait. D’abord tentée par le charme d’une toile, de tubes et de pinceaux dont on peut faire renaître l’aspect vif et varié de la vie, Mme  de Pierrebourg se mit à peindre.

Elle exposa avec succès quelques portraits.


Toutefois, le goût d’écrire l’attirait invinciblement, et elle ne devait pas tarder à publier son premier livre, L’Autre amour.

Cette étude de l’amour maternel, opposé à la passion amoureuse, fut accueillie tout de suite par la Revue des Deux Mondes et couronnée par l’Académie — 1901 — : elle était douloureuse et vraie, écrite à la fois avec tendresse et colère, avec violence et mesure.

Un débutant ne résiste pas à de pareils encouragements : l’auteur de L’Autre amour appartenait désormais aux lettres ; elle écrivit Le Plus fort.

Le sujet est de ceux qui touchent aux croyances les plus intimes : il étudie la lutte de la femme et de la foi dans un cœur de jeune homme, déchiré entre ces deux voix impérieuses et tendres.

Vie de château parut ensuite et fut accueilli par le même succès. C’est un joli tableau et peint sur nature, dans cette vallée de l’Indre aux peupliers frissonnants, et animé d’une suite amusante, quelquefois dramatique, de figures de gentilshommes à pigeonnier et à girouette.

Le langage en est fin, fort et rapide.


Enfin c’est ajouter un trait à l’histoire des lettres, de dire que l’appartement que la baronne de Pierrebourg habite avenue du Bois de Boulogne, est un des salons de Paris et que les plus grands noms des lettres des arts s’y rencontrent.


Madame Claude Ferval, photographie en buste
Madame Claude Ferval, photographie en buste


MADAME JUDITH GAUTIER


Fille de Théophile Gautier, Mme  Judith Gautier a trouvé dans la maison paternelle la réunion d’artistes la plus vive et la plus intelligente de la fin de l’Empire. Elle en a conté le souvenir dans deux volumes le Collier des Jours, et le Second Rang du Collier, dont la vie et l’intérêt sont extrêmes. Comment ne pas prévoir une artiste dans une petite fille, qui ayant tenu devant son père les planches de documents pour le Roman de la Momie et ayant, en récompense, lu l’ouvrage, fit à sa poupée un masque d’or avec le papier qui enveloppe les sucres de pommes, l’entoura de bandelettes, la mit dans une boite à ouvrage qui lui tint lieu de sarcophage, déposa auprès d’elle des papiers rituels et de menus objets et l’inhuma enfin, prête à paraître au tribunal des dieux, dans une caisse d’oranger ?

Théophile Gautier avait comme presque tous les romantiques été séduit par le premier éclat de l’Orient ; sa fille alla chercher son inspiration et ses goûts dans l’art plus raffiné de l’Extrême Orient. Sa première œuvre est un recueil de poésies en prose traduites et imitées des Chinois. Le Livre de Jade ; la seconde une œuvre de pure imagination, Le Dragon impérial dont le thème était pris à l’histoire de la Chine. Vient une longue liste d’œuvres depuis Lucienne (1877), les Peuples étranges (1879), les Cruautés de l’amour (1879), Isoline et la Fleur serpent (1882).

Les Poèmes de la Libellule en 1885 délicats comme leur titres, ont été traduits du japonais, Iskender est de 1886, la Conquête du paradis de 1887. Si l’on veut sentir toute la finesse d’âme, toute la sobriété pittoresque, toute la noblesse sans emphase de cet art d’Extrême Orient dont Mme  Judith Gautier a fait sa vie même, il faut lire au début des Princesses d’amour, l’espèce de décaméron qui y est conté, et les morts touchantes et héroïques qui illustrent les récits des courtisanes.

Enfin l’œuvre de Mme  Judith Gautier se complète par des ouvrages de critique, depuis ses premiers Salons au Rappel, jusqu’à l’admirable ouvrage sur Richard Wagner et son œuvre poétique.

Théophile Gautier, avec l’instinct d’un grand artiste, avait été des premiers en France, à deviner le génie de l’auteur du Tannhaüser ; sa fille a dit mieux que personne le sens mythique et profond du drame wagnérien.


Madame Judith Gautier, photographie en buste
Madame Judith Gautier, photographie en buste


MADAME FELIX-FAURE-GOYAU


Quand Mme  Goyau, qui était alors Mlle  Lucie Félix-Faure, entreprit de publier, il y a cinq ans, son étude sur Newman, séduite par l’exemple d’un beau drame dans une âme généreuse, elle espérait donner aux âmes souffrantes la joie de se dire « De tels êtres ont réellement vécu sur notre terre : dans l’invisible ils vivent toujours. » Ces trois termes, la beauté, l’idéalisme et la foi soutiennent toute l’œuvre de Mme  Goyau.

Une culture très délicate, très vaste, et très belle, le dépouillement complet de tout le trésor italien, et de tout ce qu’il y a de joyaux dans le trésor philosophique l’ont fournie de matière. Pour le goût d’écrire, elle l’a eu dès l’enfance.

C’est encore à la recherche de ce qu’il y a de plus pur dans les âmes qu’elle a rencontré et décrit Les Femmes dans l’Œuvre de Dante. Ce livre charmant, qui est un guide très sûr, nous mène vers toutes celles que le poète a rencontrées, dans les chemins de l’autre vie, l’âme de Francesca volant comme une colombe, et Béatrice et tant d’autres, et l’éternelle inconnue, la Pia, morte dans un château de Maremmes. Et tout le livre semble écrit pour exaucer la prière de la pauvre morte : « Souviens-toi de moi, quand tu seras revenu sur la terre. »

Des émotions d’un voyage qu’elle fit en 1894 en Égypte, en Terre-Sainte, en Grèce et en Italie parurent en 1903, sous le titre : Méditerranée. Il y a des impressions, des descriptions, des rêveries, de véritables poèmes en prose ; l’un d’eux est éclos à Schérée, l’ile de Nausicaa. La fille d’Alcinoos, quand Ulysse est parti, se rappelle ses gestes et ses paroles ; elle n’est point triste, elle sourit et se mêle aux jeux ; mais elle aime aussi rêver seule sur le rivage de la mer, et elle repousse l’hymen des jeunes Phéaciens : la mélancolie est née dans File de Schérée. C’est cet affinement tendre et un peu triste que Mme  Faure-Goyau prête à l’âme grecque.

En 1903, encore, parut un recueil de poésies : La Vie nuancée, de la même délicatesse, et en 1906 : Vers la joie, Âmes païennes, Âmes chrétiennes. C’est encore une étude de quelques âmes très fines et très pures : Christina Rossetti, Eugénie de Guérin, sainte Catherine de Sienne, et c’est l’affirmation de cette sainte joie, qui naît de la sainteté même, et qui est, au milieu des pires épreuves, le rayonnement infiniment doux de ces belles âmes.


Madame Félix-Faure-Goyau, photographie en pied, en robe blanche à dentelle et à traîne, appuyée d'une main sur une balustre.
Madame Félix-Faure-Goyau, photographie en pied, en robe blanche à dentelle et à traîne, appuyée d'une main sur une balustre.


MADAME DANIEL LESUEUR


Après des poèmes : Visions divines, Visions antiques, Sonnets philosophiques, Sursum Corda, qui témoignent d’un sens de l’abstraction rare chez les femmes ; après la traduction dans une langue sonore de l’œuvre de Byron, Mme  Daniel Lesueur entreprit de rendre à la littérature le roman d’imagination.

C’est une très belle matière qui a été gâtée, mais qui laisse à l’auteur avec la liberté de construire un récit où les épisodes soutiennent l’intérêt, la faculté de mettre au service des actes une psychologie qui peut être fine et bien observée.

Il y a un intérêt évident à mettre la science des acteurs pris dans un monde riche, élégant, où le décor soit plus beau et plus varié, les intrigues plus nombreuses et plus faciles à nouer, où la vie en un mot n’étouffe pas les péripéties.


Le premier roman de Mme  Daniel Lesueur, Le Mariage de Gabrielle, raconte à travers quels obstacles s’était fait le mariage du jeune comte René de Laverdier, sympathique, brave, artiste, joueur et ruiné, avec la richissime, charmante et roturière Gabrielle Duriez.

Depuis lors une longue série d’œuvres qui ont atteint de très forts tirages, s’est succédée : L’Amant de Geneviève, Marcelle, Amour d’aujourd’hui, Névrosée, Une Vie Tragique, Passion Slave, Justice de Femme, Haine d’Amour, À Force d’Aimer, Invincible Charme, Lèvres Closes, Comédienne, Au delà de l’amour. Lointaine Revanche, L’Honneur d’une Femme, Fiancée d’Outre-Mer, Mortel Secret, Le Cœur chemine, Le Masque d’Amour et cette Force du Passé, qui débute mystérieusement par la mort d’une jeune femme, d’une chute de cheval dans la forêt.


Les facultés d’invention de Mme  Daniel Lesueur sont proprement celles qui suggèrent les péripéties dramatiques : Fiancée a été jouée à l’Odéon en 1894, Hors du Mariage fut représenté, en 1899, au théâtre féministe. Un drame qui condense en 5 actes les 2 volumes qui forment le Masque d’amour a été donné au Théâtre Sarah-Bernhardt en 1905.

Mme  Daniel Lesueur est la seule femme de lettres décorée de la Légion d’honneur comme poète et romancier.


Madame Daniel Lesueur, photographie en buste,
Madame Daniel Lesueur, photographie en buste,


MADAME MARNI


Madame Marni a choisi de peindre la cruauté de la vie sentimentale, cruauté qui vient des hommes, du destin, du cours même naturel et inévitable de la vie. Ce parti détermine la structure de ses œuvres où il faut qu’il y ait des victimes et des bourreaux ; la victime étant celle qui aime le plus, le bourreau étant seulement égoïste, un peu lâche, ou simplement soumis aux lois des choses. Que la première soit ordinairement une femme, c’est un trait commun à la plupart des ouvrages féminins. Mais on n’a jamais peint avec plus de vérité, non seulement la femme amoureuse, mais la femme domptée par la seule voix de l’amour, prit-il les traits, d’un homme qu’elle n’aime pas. Cette docilité à l’amour est le trait distinctif de Claire, dans le curieux Livre d’une amoureuse. Pour ces drames, Mme  Marni a choisi, après ses deux premiers livres, La Femme de Silva (1887) et Amour coupable (1889), la forme du dialogue, qui en déblayant l’écriture ne laisse que les sentiments, en fait paraître plus fortement le sens, le contraste et la suite. Ces dialogues qui ont d’abord paru au National, à la Vie Parisienne, à l’Écho de Paris, au Journal, ont formé des volumes curieux : Dialogues de courtisanes — en collaboration — (1890), Comment elles se donnent (1897), Comment elles nous lâchent (1896), Les Enfants qu’elles ont (1897), Fiacres (1898), Celles qu’on ignore (1899), À table (1900), Vieilles (1902), d’une intensité si poignante. Mme  Marni a abandonné le dialogue dans ses deux derniers romans : Le livre d’une amoureuse (1904) et ce Pierre Tisserand paru dernièrement au Journal qui en est, en quelque sorte, la suite.

Ces premières tragédies resserrées en cent lignes, semblent la scène capitale d’une pièce de théâtre : il suffisait de recomposer les scènes accessoires que le lecteur imagine, pour que le spectateur éprouvât cette émotion douloureuse que laisse la lecture des dialogues. Mme  Marni est une des très rares femmes qui aient le sens de la construction dramatique. Quelques-unes de ces pièces, brèves, incisives, ont été jouées au Grand Guignol : L’Aile, L’Heureux auteur, César, Mme  Porte, un acte extrait de ses tragiques Vieilles a été joué au Gymnase. Deux pièces en trois actes, Manoune, et Le Joug, celle-ci, écrite en collaboration, ont été jouées l’une au Gymnase, l’autre au Vaudeville.

Mme  Marni vient de terminer, en collaboration avec M. Mauclair, une comédie en quatre actes : La Montée.


Madame Jeanne Marni, photographie en buste de profil.
Madame Jeanne Marni, photographie en buste de profil.


MADAME CATULLE MENDÈS


L’œuvre de Mme  Catulle Mendès est faite d’un volume de vers, Les Charmes, de contes et de nouvelles parues dans les revues françaises et étrangères et de critiques de pièces de théâtre. Ces critiques, d’un langage harmonieux et pur, sont en forme de récits, dramatiques eux-mêmes, et dont ceux-là seuls qui ont affronté cette épreuve mesurent l’habileté. Il faut garder, dans un exemplaire de Maeterlinck, l’analyse de la Mort de Tintagiles : le mystère inexprimable du poème a passé dans ces vingt-cinq lignes.

Les Charmes forment trois parties assez dissemblables : la première qui se nomme L’Attente au jardin est comme vive et matinale ; la seconde : Le Cœur promis est formée de poèmes d’amour ; la troisième, le Rêve alarmé, y mêle de nouveau soucis.

Dans un de ces poèmes, Mme  Catulle Mendès a décrit quels poètes hantent le jardin qu’elle imagine : Lord Byron et Musset, Virgile, Catulle, Villon, Charles d’Orléans, Marguerite de Navarre, Rémy Belleau, Ronsard ; Pascal, La Marquise, Aïssé ; parmi les plus récents Baudelaire, Verlaine, Banville, Valmore, Vigny, Hugo ; en somme des orfèvres, des amants, des mystiques : et les groupes de leur assemblée semblent répéter les trois parties de l’ouvrage.

Mme  Catulle Mendès ajoute :

    « Et je leur donne à tous ma tendresse enfantine
    Et grave… Mais parfois, de tout l’être éperdu,
    J’ai surpris leur secret pour avoir entendu
    Dans les voix du jardin l’âme de Lamartine ».

On est un peu étonné de ne pas trouver Mallarmé en cette compagnie.
Il semble que Mme  Catulle Mendès lui doive quelques beaux vers. Mais
les plus beaux sans doute, … quoiqu’elle en ait fait qui sont charmants
de ciselure, et que d’autres soient formés d’une vapeur plus fine que
l’ombre d’un rêve — les plus beaux sont ceux où toute littérature étant
dépouillée, elle est le plus simplement son âme. Il est étonnant que dans
tout ce poème passionné, il n’y ait pas un cri. L’accent est grave, ardent
et mêlé d’une magnifique tristesse : la clairvoyance y est la poésie de
l’amour, et on n’y trouverait rien de plus émouvant que le sonnet où
elle a écouté l’amant aux paroles enivrées :

<poem> Silencieusement j’écoute le poème…
    Heureuse et douloureuse, ô mon amant, je sais :
    Vous pensez à l’amour, et c’est moi qui vous aime.


Madame Catulle Mendès, photographie assise sur une chaise en robe noire à dentelle.
Madame Catulle Mendès, photographie assise sur une chaise en robe noire à dentelle.


COMTESSE MATHIEU DE NOAILLES


Des vers qui circulaient manuscrits quand Mme  de Noailles était Mlle  Anna de Brancovan, beaucoup sont perdus pour le public, et les deux seuls volumes que l’auteur ait publiés et qui ne marquent pas le début de sa pensée, sont le Cœur innombrable et L’Ombre des jours.

Le don merveilleux d’une sensibilité extraordinaire à toutes les impressions de l’air, de la nature, du jardin ; une âme que le soleil réchauffe, que l’été mûrit, et qui est une petite chose frémissante entre beaucoup d’autres choses ; le sentiment de tout cela, et que tout cela fait une brève et irréparable jeunesse : telle était cette poésie qui parlait en vers langoureux et beaux, et où les mots renouvelés semblaient vivants et moites encore de la main qui les avait tenus.

À un siècle de distance, née comme Chénier, d’une mère grecque, son âme comme celle du poète s’est formée à travers les paysages de l’Île-de-France. Mme  de Noailles a repris, renouvelé la jeunesse païenne de la nature.

Par delà les tumultes du xixe siècle, les deux poètes se prennent la main, et leurs cœurs s’appareillent ainsi que leurs visions.

À ces œuvres poétiques ont succédé trois romans : La Nouvelle Espérance, le Visage émerveillé, la Domination.

C’est la même âme impressionnable aux choses, et qui l’est cette fois aux êtres humains.

Telle est dans la Nouvelle Espérance, cette délicieuse Mme  de Fontenay, si ingénument incertaine et attirée en sens divers, comme les petits morceaux de papier blanc par un morceau d’aimant, par toutes les forces d’amour qui passent dans son horizon. Telle est surtout l’étrange religieuse du Visage émerveillé.

Toutes ces héroïnes aimantes, passives, frissonnantes sous le vent qui passe, et soudain portées tout entières au point où la sensation les a touchées, toutes ces jeunes femmes sans âme consistante, ni noyau volontaire, mais sans cesse sollicitées à la surface frémissante de leur âme en mouvement, sont la proie de l’homme : et c’est en rassemblant quelques-unes, que Mme  de Noailles a écrit La Domination.

Elle-même est une jeune femme, aux yeux admirables, aux traits où parait dans le lointain bourgeon qu’il a poussé en Roumanie, la rectitude du type latin, aux mouvements vifs et à l’esprit le plus étincelant.


La Comtesse Mathieu de Noailles, photographie debout en robe de soirée.
La Comtesse Mathieu de Noailles, photographie debout en robe de soirée.


MADAME GEORGES DE PEYREBRUNE


Dans un des romans de Georges de Peyrebrune, un jeune homme, esprit malade, indécis et désœuvré, et sa sœur, jeune femme assez mal mariée, qui n’a pas voulu se laisser mener dans le monde par son mari, discutent.

« Toute œuvre bonne, dit-elle, est un enseignement salutaire : Travaille.

— C’est ton dada.

— C’est mon idéal de sauvetage.

— Pour lequel tu te salis les mains à tripoter des glaises.

— Uniquement. Que ferais-je de mes journées, s’il te plait ? J’irais papoter dans les salons, perdre mes heures chez le couturier, flirter jusqu’à la faute, peut-être. Et après, quand l’heure de la retraite aurait sonné ? Les œuvres pies, les médisances et l’ennui… En travaillant je ne m’ennuierai jamais.

— Toutes les femmes ne peuvent cependant pas se consacrer à l’étude du fil à plomb et au maniement de l’ébauchoir.

— J’en sais qui brodent comme des fées, d’autres qui épistolent comme la Sévigné, d’autres qui peignent et décorent leur logis, d’autres qui soignent et élèvent leurs enfants, d’autres qui cultivent des fleurs, d’autres qui mouchent et débarbouillent les petits orphelins, d’autres enfin qui aident leurs maris dans leurs travaux. Celles-là sont des femmes dans le vrai sens de leur mission divine. Les autres, de vaines poupées, nuisibles au prochain comme à elles-mêmes. »

On dit que ce passage, qui donne bien une idée du tour et du dialogue de Mme  de Peyrebrune, contient quelques-unes des idées qui lui sont les plus chères et, comme un reflet de son âme. Ses œuvres reflètent, affirme-t-on, la destinée de leur auteur, œuvres écrites, disait-elle un jour, parce qu’elle s’ennuyait et parce qu’elle souffrait.

Seulement on doit quelque reconnaissance à un ennui, qui nous a valu dans des décors bien vus, la peinture d’âmes, telles que la vie n’en montre guère de si hautes et de si tendres : Marco (1882), Femmes qui tombent, Galienne (1883), Jean Bernard (1883), Victoire la Rouge, qui évoque avec tant de puissance la beauté du Périgord noir, Une Séparation, Mademoiselle de Trémor, Les Roses d’Arlette, les Frères Colombes, la Margotte, Deux Amoureuses, Au pied du mât, Une Sentimentale, etc…


Madame Georges de Peyrebrune, photographie en buste de profil.
Madame Georges de Peyrebrune, photographie en buste de profil.


MADAME MARGUERITE PORADOWSKA


Madame Marguerite Poradowska, bien qu’elle porte un nom polonais, est une de nos compatriotes. Fille du paléographe E. Gachet, elle est Française par son père et sa mère. Mariée à un des chefs de la dernière insurrection polonaise en exil à Paris, elle suivit son mari en Galicie.

C’est dans cette contrée, voisine des Carpathes, qu’elle a observé et décrit, avec beaucoup de verve et de poésie, ces âmes et ces mœurs si différentes des nôtres, la large vie au grand air, l’hospitalité touchante, la vie des grandes dames, des paysannes et des popadias, la poésie primitive, les travaux des champs, les montagnes blanches derrière les forêts de sapins couverts de lichen qui les font ressembler à des vieillards.

Mme  Marguerite Poradowska publia en 1880 une nouvelle intitulée Tournesol et bientôt un roman Yaga, qui parut dans la Revue des Deux Mondes. À ce premier roman succéda bientôt Demoiselle Micia (1888) publié chez Hachette et auquel l’Académie française décerna le prix Jules Fabre. Cette petite Micia, enfant tenace et exaltée, c’était la jeune fille polonaise, qui sera avec les variétés du caractère et du rang l’héroïne de presque tous les livres suivants. De 1872 à 1903, la Revue Deux Mondes donnait Popes et popadias qui fut édité chez Hachette sous le titre de Filles du Pope (couronné par l’Académie française) ; ensuite Marylla encore édité chez Hachette ; Pour Noëmi (couronné par l’Académie française) et le Mariage romanesque.

Entre temps, Mme  Marguerite Poradowska a écrit pour la Mode pratique, le Mariage du Fils Grandsire, roman tout français dont les personnages évoluent dans un milieu qui fut familier à l’auteur pendant sa petite jeunesse.

Mme  Poradowska a publié dans le Figaro, dans la Revue Bleue et la Revue Hebdomadaire des études et des croquis sur Chopin qui furent très remarqués. Depuis plusieurs années, elle collabore à L’Art où elle donne des bibliographies et des études artistiques. Outre les six romans qu’elle a donnés à la Revue des deux mondes, elle y a publié également six longues nouvelles adaptées du polonais afin d’y faire connaître le génie slave.

C’est Henri Sienkiewicz, l’auteur de Quo Vadis, qui le premier a encouragé Mme  Paradowska à écrire.


Madame Podarowska, photographie en buste.
Madame Podarowska, photographie en buste.


MADAME GABRIELLE RÉVAL


Madame G. Réval a eu la fortune de connaître la gloire en un jour, ce jour-là où parurent Les Sévriennes (1900).

Il n’y a presque point de livre plus émouvant, ni dont on sente la vérité plus vivante.

C’est par cet air de confidence, et par sa valeur de document qu’il a plu. Il n’y a point non plus de sujet plus intéressant : l’éveil soudain à la vie intellectuelle la plus violente d’une dizaine de cerveaux de jeunes filles. Elles sortent du lycée, et les voici, après l’angoisse de l’examen, dans cette maison de Sèvres, où, en toute liberté, elles vont pendant trois ans nourrir leur esprit neuf du prodigieux trésor de la science, et arracher de leurs jeunes mains passionnées, tous les fruits de l’arbre qui enseigne le bien et le mal. Le travail de ces esprits qui s’orientent, qui s’aventurent, qui filent dans une ligne droite, était peint avec une vraisemblance, et un sens de la vie admirables : le détail des mœurs, la variété des caractères, l’esprit féminin qui subsiste, qui réparait dans les toilettes, dans les petites réceptions, dans l’arrangement des chambres, dans les potins, dans les essais de séduction, dans l’entretien des professeurs, seuls hommes dans cette maison, moqués, adorés et considérables, le frisson indéfinissable enfin de cette jeunesse et printemps, formaient un tableau achevé.

Et des couplets, des descriptions un peu trop faites, comme celle d’une admirable nuit de lune sur la maison et sur le parc, ne paraissaient point seulement des ornements de l’ouvrage, mais les fleurs naturelles d’un esprit, cultivé autant qu’observateur, qui a passé trois ans à Sèvres.

C’est encore avec la suite de l’expérience, qu’elle a faite de l’enseignement, que Mme  Reval a écrit les Lycéennes et un Lycée de jeunes filles. Puis cette étude documentaire sur les carrières féminines : L’Avenir de nos Filles.

En 1904 elle publia la Cruche cassée.

En 1906, dans le Ruban de Vénus, elle a décrit un autre peuple intellectuel, les femmes peintres. Là, avec des mœurs différentes, il est curieux de voir qu’elle a retrouvé à peu près les mêmes portraits : l’être obstiné, travailleur et roide, la coquette somptueuse et adroite, cent autres encore, et le type enfin auquel elle revient avec prédilection, l’être fin, tendre et beau, qui dans Les Sévriennes s’appelle Marguerite Triel.


Madame Gabrielle Réval, photographie en buste et chapeau.
Madame Gabrielle Réval, photographie en buste et chapeau.


MADAME SÉVERINE


Madame Séverine est née à Paris, 24, rue du Helder, à l’angle aujourd’hui disparu de cette rue et de la rue Taitbout, le 27 avril 1855. Il serait curieux de démêler ce qu’elle doit à l’hérédité qui s’est exercée sur elle avec une simplicité qui redouble la force de ses effets : du côté paternel aussi bien que maternel, tous les hommes de sa famille sont Lorrains ; dans les deux lignées pareillement, toutes les femmes sont Parisiennes. C’est d’elles assurément que Mme  Séverine tient cette verve, cette indépendance, cette générosité de cœur du peuple de Paris, affinées pendant des générations à travers des esprits et des cœurs de femmes. Les hommes au contraire étaient des paysans, des maîtres d’école et des soldats. Mme  Séverine, pacifiste et subversive est la nièce de deux capitaines tués à l’ennemi et fille de fonctionnaire.

Son éducation fut rigide, classique — et patriote. C’est ici que l’esprit parisien sans doute intervint, et, par réaction, fit une libertaire. Le véritable maître et père intellectuel de Mme  Séverine fut Jules Vallès, l’auteur de Jacques Vingtras, celui qu’on a qualifié d’un mot : l’Insurgé. Que chez Mme  Séverine, cette révolte ait toujours été celle d’un cœur qui ne peut supporter l’injustice faite aux faibles, et la misère qui écrase les humbles, qu’elle ait employé toute la passion de son talent à émouvoir ses lecteurs pour des êtres souffrants, c’est assez pour ennoblir une carrière d’écrivain.

Son œuvre est considérable : Pages rouges (1893), Notes d’une Frondeuse (1891), Pays mystiques (1893), En marche (1896), Vers la lumière (1900), À Sainte-Hélène (un acte en 1903), et enfin ce joli livre de pitié pour nos frères inférieurs, qui lui valut une médaille d’or de la Société protectrice des animaux, Sac à tout, histoire touchante et véridique d’un petit chien (1906).

Il faut y ajouter l’œuvre de dix-sept ans de journalisme, qui ferait peut-être la matière d’une cinquantaine de volumes. L’éloquence de quelques-uns de ces articles n’est point encore oubliée ; telle est cette série, intitulée au Pays noir, qui est le récit d’une descente dans la mine, à Saint-Étienne, entre deux coups de grisou ; ou la Grève des casseuses de sucre. D’autres pages ont été à leur jour des événements politiques, comme l’interview que Mme  Séverine a prise au Vatican du pape Léon XIII.


Madame Séverine, photographie en buste.
Madame Séverine, photographie en buste.


MADAME MARCELLE TINAYRE


Le très grand succès de Mme  Marcelle Tinayre a commencé en 1902, quand la Revue de Paris publia La Maison du Péché.

L’auteur appartenait à une famille d’artistes et d’écrivains où les femmes avaient toujours marqué un goût très vif des choses de l’esprit.

Un goût d’écrire naturel, et qui ne fut pas contrarié, de bonnes études classiques, un mariage très jeune avec un artiste distingué, et aussitôt, sans désir d’imprimer, Mme  Tinayre composa ses premiers essais. Avant l’Amour, publié en 1897, dans la Nouvelle Revue fut écrit par une jeune femme qui n’avait pas vingt ans.

Puis vinrent La Rançon (parue en 1898) dans le Temps, l’Oiseau d’orage et Hellé qui fut son début à la Revue de Paris (1899). Ce roman fut couronné par l’Académie.

La Maison du Péché commencée en 1899, était une œuvre d’une tenue et d’une énergie surprenantes : d’une part, une hérédité janséniste, et toutes les voix de la conscience ; de l’autre, la passion d’une femme libre et amoureuse ; entre ces deux forces, un être faible qui cède, qui lutte, qui se reprend, qui meurt enfin ; comme cadre l’atelier d’une femme artiste, à Paris, et les collines et les bois de Montfort-l’Amaury, où Mme  Marcelle Tinayre passe l’été ; le sentiment de la nature, l’odeur mouillée de la terre et des feuilles, les souvenirs de Port-Royal, la violence enfin de l’amour se mêlaient pour former un ouvrage qui fut aussitôt célèbre, non seulement en France, mais en Angleterre et en Allemagne.

Mme  Marcelle Tinayre donna à ce succès une suite leste, jolie, spirituellement touchante, en écrivant dans le goût du xviie siècle, La Vie amoureuse de François Barbazange, ce jeune homme beau comme un dieu, et qui ne sort de sa divinité, par un songe peut-être, dans le château de la belle Camille, que pour mourir (1904). Enfin, cette année même, elle publiait une œuvre moins ample que la Maison du Péché, mais dont les cent premières pages sont parmi les plus douloureuses et les plus pathétiques qu’une femme ait écrites : La Rebelle. On n’écrira rien de plus poignant que la description de la jeune femme pauvre, jolie, mariée à un mari agonisant, aimant un égoïste qui la quitte, mère enfin, et qui bientôt, dans un nouvel amour, trouve de nouvelles joies et de nouvelles douleurs.


Madame Marcelle Tinayre, photographie assise sur une banquette en robe claire à dentelle.
Madame Marcelle Tinayre, photographie assise sur une banquette en robe claire à dentelle.


MADAME PIERRE DE COULEVAIN


Quelques lignes de Sur la branche contiennent l’histoire littéraire de Mlle  Favre de Coulevain. « Ma pensée, dit-elle, a travaillé deux années entières. Et à ma grande surprise, à mon émerveillement, je me suis aperçue que mon cerveau avait été longuement, longuement préparé à l’œuvre qu’il devait faire. Les Américaines m’avaient été assignées comme modèles, j’ai été constamment poussée au milieu d’elles, dans leur intimité. Et, à mon insu, j’allais entassant les documents, les matériaux nécessaires à leur ressemblance ».

Elle a publié en tout quatre volumes. Les deux premiers : Noblesse américaine et Ève victorieuse peignent plus spécialement ces Américaines dont la silhouette magnifique, la taille élégante et la fortune ajoutent une parure aux villes du vieux monde où elles viennent tous les ans. Elle a défini le troisième, Sur la branche, en disant : « Pendant ces cinq dernières années, j’ai étudié le travail de la vie chez les autres, la curiosité m’est venue de l’étudier en moi ». Le dernier enfin, l’Île inconnue est sous les apparences du récit d’un séjour chez des amis, une étude de l’âme anglaise.

Le premier mérite de ces œuvres est la solidité même de leur documentation. Pendant les longues années où elle a habité un des hôtels situés près de la place Vendôme, Mlle  de Coulevain a observé des générations d’Américaines. L’ampleur de l’information apparait à la netteté même du dessin, à l’espèce de certitude du volume, au fouillé de l’analyse, à l’abondance des faits, à la tenue de l’ensemble, à la nature même des idées générales, qui sont encore, pour la plupart, des produits de l’observation.

Il est curieux de connaître le résultat d’une si forte enquête : il est optimiste. « Du point où je me suis placée après bien des tâtonnements, la vie m’apparait belle et bonne, oui, bonne… »

Il est naturel que les livres d’un tel esprit désirent être bienfaisants et utiles, et comme elle dit ailleurs, « servir ». C’est le faire que tracer une image vraie des autres et de soi-même.


MADAME ARVÈDE BARINE


Qu’une femme puisse égaler pour l’exactitude de la méthode critique les érudits de métier, et pour l’ordonnance de l’exposition les historiens de profession, Mme  Arvède Barine en a fait la preuve. Les deux volumes qu’elle a publiés sur la Grande Mademoiselle supposent un redoutable travail d’archives ; sa biographie d’Alfred de Musset est d’excellente histoire littéraire. — Ce travail est soutenu par une connaissance des langues étrangères tout à fait exceptionnelle. Mme  A. Barine a donné une charmante traduction du latin de la Légende des trois Compagnons ; elle entend la plupart des langues de l’Europe. — Enfin elle est informée au jour le jour de ce qu’on pourrait appeler le mouvement européen, et cette enquête incessamment poursuivie depuis trente ans, va de la littérature aux faits sociaux. Dès ses débuts, qui datent de la fin du premier Empire, en même temps qu’elle donnait des articles de critique littéraire à cette bibliothèque de Lausanne dont Sainte-Beuve et Juste Ollivier ont été si longtemps les collaborateurs, et tandis qu’elle traduisait de l’anglais (1872) l’ouvrage de M. Herbert Barry sur la Russie, qui lui donnait l’idée de prendre son pseudonyme, elle écrivait des livres sur l’œuvre de Jésus ouvrier et sur les Cercles catholiques.

Dans le travail soutenu qu’a fourni cette curiosité étendue, on reconnaît une adaptation spéciale du sujet. Le plus considérable de l’œuvre de Mme  A. Barine consiste en études dont beaucoup ont paru à la Revue des Mondes où elle collabore ainsi qu’au Journal des Débats, depuis vingt-cinq ans : Portraits de femmes ; Essais et fantaisies ; Princesses et grandes dames ; Bourgeois et gens de peu ; Névrosés. Qu’il s’agisse de Thomas de Quincey ou de la femme arabe d’un bourgeois allemand ; de la princesse de Conti ou de sainte Thérèse, Mme  A. Barine est admirable pour isoler dans un caractère ou dans un fait ce qui est vivant, personnel, essentiel ; par cette intuition du sujet, elle construit avec un relief étonnant les traits d’un personnage ; elle nous montre de la Grande Mademoiselle les déceptions, de Marie Mancini le goût ambitieux, de Mme Carlyle le long calvaire. Elle est l’historien de leur vraie vie.

LES STATUTS
DU PRIX
VIE HEUREUSE


TITRE I

Art. I. — La Vie Heureuse fonde un prix annuel de Cinq mille francs dans le but d’encourager les lettres et de rendre plus étroites les relations de confraternité entre les femmes de lettres.

Art. II. — Un jury de femmes de lettres réunies à Paris en Assemblée générale au mois de décembre est chargé d’examiner le mérite des candidats et de décerner le prix.

TITRE II

Art. I. — Le prix de Cinq mille francs dit prix Vie Heureuse ne pourra pas être partagé.

Il sera attribué à l’œuvre littéraire, la meilleure de l’année (prose ou poésie) imprimée en langue française, que l’auteur en soit un homme ou une femme.

Art. II. — Il devra encourager une carrière et récompenser une œuvre forte, originale, témoignant de réelles qualités de pensée et de forme et qui soit en même temps une promesse d’avenir.

TITRE III

Art. I. — L’Assemblée générale a lieu une fois par an en décembre et chaque fois qu’elle est convoquée par le bureau. Dans sa réunion annuelle elle attribue, s’il y a lieu, le prix Vie Heureuse.

Art. II. — Elle élit pour un an un bureau composé d’une Présidente, d’une Vice-Présidente et d’une Secrétaire générale ; une Secrétaire perpétuelle est adjointe au bureau. Les membres sortants sont rééligibles.

Art. III. — L’Assemblée générale pourvoit par élection à chaque vacance dans le délai d’un an et peut s’adjoindre des membres nouveaux à raison de un par année au maximum sans toutefois dépasser le nombre de vingt-cinq.

Art. IV. — Le vote est effectif à la majorité absolue. Il sera secret. En cas de partage égal des voix, le vote de la Présidente compte pour deux. Un membre du jury ne peut pas déléguer à un autre le droit d’élection, mais il a la facilité de voter par correspondance.

Art. V. — Les auteurs pourront poser leur candidature.

Chez la Comtesse de Mathieu de Noailles
Chez la Comtesse de Mathieu de Noailles
CHEZ LA COMTESSE MATHIEU DE NOAILLES

LES RÉUNIONS DU COMITÉ

PREMIÈRE ANNÉE

Séance du 10 janvier 1905. — Réunion à l’Hôtel des Sociétés Savantes. Douze membres du Comité étaient présentes. Au procès-verval : élection du bureau et approbation des statuts. Mme  Arvède Barine et Mme  Bentzon déclinent, pour des raisons de santé, la présidence du jury. Les choix se portent d’un accord unanime sur la comtesse Mathieu de Noailles. Mme  Dieulafoy est nommée vice-présidente, Mme  Jean Bertheroy, secrétaire et Mme  C. de Broutelles, secrétaire perpétuelle.

Après adoption des statuts, Mme  Séverine propose de créer un concours de manuscrits entre jeunes auteurs dont aucun ouvrage n’aurait jusqu’alors été publié en volume. Le meilleur des manuscrits examinés par le jury serait édité par la maison Hachette. Ce projet est adopté à l’unanimité.

Les statuts sont envoyés aux membres du Comité non présents à la séance. Toutes les renvoient approuvés, à l’exception de Mme Pierre de Coulevain qui repousse l’article Ier du titre II des statuts affirmant que le prix sera accordé à « l’œuvre littéraire la meilleure de l’année, écrite en langue française, que l’auteur en soit un homme ou une femme. » Pour rétablir l’équilibre en faveur des femmes exclues du Prix Goncourt, Mme Pierre de Coulevain voudrait que le Prix Vie Heureuse soit réservé aux femmes, mais il n’est pas possible de modifier les statuts. Au cours des séances du Comité, cette question sera souvent discutée. Plusieurs de ses membres accorderont toutes leurs préférences aux livres de femmes, dans un esprit de solidarité féminine. D’autres restent persuadées d’être plus utiles à la cause des femmes de lettres en les traitant sur le même pied que leurs collègues masculins et en faisant abstraction complète, dans leur choix, de la personnalité de l’auteur. Chacune restera individuellement maîtresse de ses votes.

Séance du 28 janvier 1905. — Réunion chez la comtesse de Noailles. On discute un projet de règlement destiné à compléter les statuts : on convient, par exemple, et jusqu’à nouvel ordre, de ne pas réélire avant une période de deux années chaque bureau sortant.

Vient ensuite le vote du prix. Sur 21 votes exprimés — dont 5 par correspondance — 17 vont à Mme Myriam Harry pour La Conquête de Jérusalem — 2 à Mme  Jacques Fréhel pour les Ailes brisées, et 2 à Mme  Yvan Strannik pour l’Ombre de la Maison.

Mme Myriam Harry est proclamée, pour l’année 1904, lauréate du prix de la Vie Heureuse. Les membres présents lui envoient leurs félicitations.

Séance du 3 mars. — Réunion à la salle des Mathurins. Étaient présentes : Mmes  Jean Bertheroy, de Broutelles, Alphonse Daudet, Dieulafoy, Judith Gautier, Lucie Félix-Faure-Govau, Marni, Mendès, de Peyrebrune, Séverine. On discute sur l’opportunité de donner un féminin au mot auteur. Mme  Dieulafoy lit une série de lettres très intéressantes où MM. Meyer, Bréal, Reinach, Thomas, Rémy de Gourmont, Havet, etc., donnent leur opinion à ce sujet. Le mot Autoresse, écrit à la française, semble rallier les suffrages de ces érudits : mais l’on décide cependant, à la presque unanimité, de s’en tenir à l’usage « maître de la langue », selon le dire d’Horace. Lecture est faite ensuite d’un fragment d’article de Mme  Bentzon sur le Lyceum-Club de Londres.

Séance du 7 avril. — Réunion à la salle des Mathurins. Étaient présentes : Mmes  Jean Bertheroy, de Broutelles, Dieulafoy, Claude Ferval, Judith Gautier. Daniel Lesueur, Marni, Catulle Mendès, de Peyrebrune, Séverine.

En l’absence de Mme  de Noailles, Mme  Dieulafoy préside, Mme  Jean Bertheroy lit le compte rendu de la séance précédente. La secrétaire perpétuelle prie ses collègues de donner leur opinion sur la réforme de l’orthographe, question à l’ordre du jour. D’un commun accord la compagnie désapprouve cette réforme.

On décide ensuite que les réunions auront lieu à l’avenir à tour de rôle chez les membres du Comité.

La séance est levée après une discussion sur le concours du manuscrit qui sera édité chaque année par la maison Hachette.

Séance du 5 mai 1905. — Réunion chez Mme Daniel Lesueur sous la présidence de la comtesse de Noailles. Étaient présentes : Mmes Bentzon, Jean Bertheroy, de Broutelles, Alphonse Daudet, Claude Ferval, Daniel Lesueur. Catulle Mendès.

La séance est consacrée à l’élection d’un membre nouveau en remplacement de Mme  Pierre de Coulevain, démissionnaire. Les suffrages se portent sur le nom de Mme  Mary Duclaux, présentée par Mme  Bentzon.

Séance du 9 juin. — Réunion chez Mme  Alphonse Daudet. Étaient présentes Mmes  Adam, Jean Bertheroy, De Broutelles, Alphonse Daudet, Félix-Faure-Goyau, Claude Ferval, Daniel Lesueur, comtesse de Noailles, Gabrielle Réval, Séverine.

Proposition et compte rendu de divers volumes.

DEUXIÈME ANNÉE

Séance du 3 novembre. — Réunion chez Mme  Dieulafoy et sous sa présidence. Étaient présentes : Mmes  Bentzon, C. de Broutelles, Alphonse Daudet, Duclaux, Judith Gautier, Daniel Lesueur, Marni, Delarue-Mardrus, Catulle Mendès, G. Réval, Poradowska, Marcelle Tynaire.

La discussion porte sur ce point : Le prix peut-il être attribué à Mme  Isabelle Eberhart, morte à Aïn-Sefra, auteur de Dans l’ombre chaude de l’Islam. La majorité juge préférable de décerner le prix à un auteur vivant. On discute ensuite les mérites des volumes proposés pour le prix. Six ouvrages sont retenus pour un nouvel examen.

Séance du 24 novembre. — Séance supplémentaire jugée indispensable pour discuter les six ouvrages retenus.

Réunion chez Mme  Dieulafoy et sous sa présidence. Étaient présentes : Mmes  Bentzon, Jean Bertheroy, C. de Broutelles, Alphonse Daudet, Delarue-Mardrus, Duclaux, Judith Gautier, Daniel Lesueur, Catulle Mendès, Poradowska, G. Réval, Marcelle Tinayre.

À l’unanimité la compagnie exprime son regret de la perte qu’ont faites les lettres françaises en la personne d’Isabelle Eberhart et son admiration pour l’œuvre et l’action de cette femme éminente. La compagnie remercie M. V. Barrucand d’avoir reconstitué et publié l’Ombre chaude de l’Islam d’après le manuscrit retrouvé à Aïn-Sefra auprès du cadavre d’Isabelle Eberhart.

La discussion a été circonscrite entre les ouvrages de Romain Rolland, de Colette Yver et d’Edgy.

Séance du 1er  décembre 1905. — Réunion chez Mme  Dieulafoy et sous sa présidence. Étaient présentes : Mmes  Bentzon, Jean Bertheroy, de Broutelles, Alphonse Daudet, Delarue-Mardrus, Dieulafoy, Duclaux, Claude Ferval, Félix-Faure-Goyau, Judith Gautier, Daniel Lesueur, Catulle Mendes, Poradowska, Marcelle Tinayre, Séverine.

Après discussion le prix de Vie Heureuse pour 1905 est attribué à M. Romain Rolland pour Jean Christophe.

Les votes se partagent ainsi : 17 votantes : Jean Christophe, 10 voix : Comment s’en vont les reines, 6 voix : La Servante, 1 voix.

Le nouveau bureau, élu après le vote du prix, se compose ainsi : Mme  Séverine, présidente : Mme  Poradowska, vice-présidente ; Mme  Catulle Mendès secrétaire pour l’année 1906.

Séance du 5 janvier. — Réunion chez Mme  de Broutelles, sous la présidence de Mme  Séverine. Étaient présentes : Mmes  Jean Bertheroy, C. de Broutelles, Alphonse Daudet, Dieulafoy, Daniel Lesueur, Catulle Mendès, Poradowska, Séverine.

On s’occupe de désigner le manuscrit inédit que la librairie Hachette se charge de faire paraître en volume. À cause du grand nombre des manuscrits envoyés, le choix ne peut être définitif. Après lecture à haute voix des rapports détaillés, préparés par des membres du Comité jury, un seul roman et deux manuscrits de poèmes également sont retenus pour un second examen : Saint-Martin du Cormier, par M. Alphonse Boisramé : Nocturnes, par Mme  Anne Osmont et le Miroir des Tendresses, par M. Eugène Briand.

Séance du 2 février. — Réunion chez Mme  Daniel Lesueur et sous la présidence de Mme  Dieulafoy. On continue à lire à haute voix les manuscrits en compétition, on signale quelques ouvrages qui méritent d’être examinés pour le prix Vie Heureuse, en 1906.

Séance du 2 mars. — Réunion chez Mme  de Broutelles sous la présidence de Mme  Séverine. Étaient présentes : Mmes  Séverine, Dieulafoy, Félix-Faure-Goyau, Poradwoska, C. de Broutelles.

La présence de la poétesse Isabelle Kayser amenée par Mme  Félix-Faure-Goyau donne un attrait particulier à cette séance.

Le Comité arrête définitivement son choix sur le recueil de vers de Mme  Osmont : Nocturnes qui sera édité par MM. Hachette et Cie.

Séance du 6 avril. — Réunion à la salle des Amis des Sciences, Librairie Hachette et Cie, sous la présidence de Mme  Séverine. Étaient présentes : Mmes  Bertheroy, C. de Broutelles, Alphonse Daudet, Dieulafoy, Catulle Mendès, Séverine, Marcelle Tinayre.

La Secrétaire perpétuelle entretient les membres du Comité des fêtes que le Comité se propose d’offrir au monde des Lettres, de la Science, de la Politique, des Arts. Ces fêtes permettent au Comité du prix de resserrer encore les liens d’amicale sympathie qui unissent déjà des femmes de talent guidées par une même pensée.

Séance du 9 mai. — Réunion à l’Élysée Palace. Mmes  Juliette Adam, Jean Bertheroy, C. de Broutelles, Alphonse Daudet, Félix-Faure-Goyau, Catulle Mendès, G. de Peyrebrune, G. Réval, Marcelle Tinayre reçoivent les hôtes venus pour applaudir un merveilleux programme, composé d’œuvres du maître Massenet et dont il conduit lui-même l’exécution. Mlle  Lucie Arbell, de l’Opéra ; M. Louis Diemer, MM. Clément, Dufranne et Bedetti de l’Opéra-Comique, prêtent leur concours à cette fête.

Séance du 1er  juin. — Réunion à la Salle des Amis des Sciences. Librairie Hachette et Cie. Étaient présentes : Mmes  C. de Broutelles, Delarue-Mardrus, Dieulafoy, Félix-Faure-Goyau, Marni, de Peyrebrune, G. Réval.

On examine la question de savoir si Mme  Arvède Barine, empêchée par son absence perpétuelle de prendre part aux travaux du Comité et démissionnaire, sera immédiatement remplacée. Beaucoup de membres du jury ayant déjà quitté Paris, on décide de remettre l’élection à la rentrée.

Fête du 10 juin. — Réunion à l’Élysée Palace pour la seconde fête d’art, comportant un programme exclusivement composé d’œuvres de Benjamin Godard. La sœur dévouée du compositeur, l’éminente violoniste Mlle  Magdeleine Godard réunit autour d’elle Mme  Litvinne, Mlles  Granjean et Hatto de l’Opéra, Mme  Debillemont, MM. Barraine et Ciampi.


TROISIÈME ANNÉE

Séance du 2 novembre. — Réunion chez Mme  Gabriel Réval, sous la présidence de Mme  Séverine. Étaient présentes : Mmes  Bertheroy, de Broutelles, Alphonse Daudet, Dieulafoy, Duclaux, Claude Ferval, Judith Gautier, Felix-Faure-Goyau, Daniel Lesueur, Catulle Mendès, de Noailles, Poradowska, Réval, Séverine, Marcelle Tinayre.

Un premier examen des ouvrages proposés au jury en laisse environ une dizaine en présence. Une réunion supplémentaire, précédant le vote du prix, est fixée au vendredi 30 novembre, chez Mme  Félix-Faure-Goyau.

On parle ensuite de l’élection d’un nouveau membre du Comité. Quelques noms sont mis en avant et la Compagnie se promet de voter, après en avoir référé aux intéressées, à une prochaine séance.


Tels ont été les travaux du Comité jusqu’à l’heure ces pages ont été remises à l’impression.

Chez Mme  Dieulafoy : vote du prix en 1905.
Chez Mme  Dieulafoy : vote du prix en 1905.

AUX CONCURRENTS


L’attribution du Prix Vie Heureuse n’est soumise à aucune restriction. Le Comité, composé de femmes de lettres, lit au cours de l’année les ouvrages qui paraissent, et retenant ceux qui méritent d’être discutés, en signalent les titres à la secrétaire perpétuelle, qui demande aux éditeurs cinq exemplaires de ces ouvrages.

Les auteurs ou leurs éditeurs communiquent parfois spontanément au Comité les ouvrages répondant aux conditions du Prix. Cet envoi n’est pas considéré comme acte de candidat.

Les éditeurs font inscrire sur la première page des livres envoyés la mention : Jury du Prix Vie Heureuse. Les envois doivent être faits avant le 1er  Novembre. Seuls, les ouvrages parus depuis le 1er  Novembre de l’année précédente peuvent concourir. Aucune autre formalité n’est nécessaire. Toute visite, toute recommandation est inutile.

Les œuvres signalées sont lues par les membres du Jury et leurs mérites sont discutés dans les réunions préparatoires. Le vote définitif a lieu chaque année, le premier vendredi de décembre.

Pour le concours de manuscrits, aucun genre n’est imposé. Mais il faut que l’auteur n’ait encore rien publié en librairie.

Le Jury a décidé de prolonger jusqu’au 15 décembre le délai accordé aux auteurs pour envoyer leurs manuscrits à la Vie Heureuse.

Les manuscrits, qui doivent être très lisibles, sont envoyés sous pli recommandé à la Vie Heureuse, librairie Hachette et Cie, 79, boulevard Saint-Germain. Ils portent de façon apparente sur la première page, la mention Prix Vie Heureuse, Concours de manuscrits, ainsi que le nom et l’adresse de l’auteur.

Les manuscrits non retenus par le Jury sont, autant que possible, retournés à leurs auteurs. Cependant la Vie Heureuse ne peut prendre d’engagement à ce sujet. Des manuscrits qui circulent entre vingt et une personnes, courent quelques risques de s’égarer, risques contre lesquels il est bon de s’assurer en gardant copie de ses envois.

Madame Myriam Harry
Madame Myriam Harry


LA LAURÉATE DE 1904

Madame Myriam Harry a raconté l’histoire d’une petite fille qui est née comme elle à Jérusalem, dans la maison fleurie où était mort un vieil agha. Enfant, elle parlait un allemand mêlé d’arabe ; elle avait aussi, en se promenant avec sa nourrice, dérobé des mots grecs, russes, italiens et elle s’en était fait un langage si merveilleusement bariolé que sauf son père, personne ne l’entendait plus. À treize ans, elle envoya un roman à un journal allemand, qui le publia ; d’autres parurent encore ; il n’y eut de refusés que ceux qui débordaient de passion.

Mme  Myriam Harry avait renoncé à l’allemand pour écrire en anglais : quand elle vint à Paris, elle ne voulut plus se servir que du français. Il y eut alors un moment tout à fait étrange : l’anglais et l’allemand étaient déjà rejetés bien loin derrière elle, que le français était encore rebelle et mal assoupli ; elle se trouva ainsi sans langage, et dut cesser d’écrire.

Cette épreuve dura cinq ans. Entre temps, elle suivait les cours de l’École des Hautes Études à la Sorbonne, et ceux des langues orientales. Puis elle voyagea.

Revenue en France, et sans relations littéraires, elle publia un conte sur Bethléem. Un volume de nouvelles et deux romans, Passage de Bédouins, Petites épouses, La Conquête de Jérusalem, l’ont fait connaître.

Passage de Bédouins est un cahier d’esquisses pour la Conquête de Jérusalem. Petites épouses est une description admirable de la Cochinchine… La Conquête de Jérusalem est autre chose, et peut-être mieux. C’est dans le désert de pierres de Jérusalem la lutte symbolique entre celui qui est épris de la vie, et celle qui a les yeux baissés, l’esprit fermé et le cœur rétréci.


Madame Myriam Harry, photographie debout, en chapeau et fourrures appuyée à une ballustrade. Cl. Boissonnas et Taponier
Madame Myriam Harry, photographie debout, en chapeau et fourrures appuyée à une ballustrade. Cl. Boissonnas et Taponier


Monsieur Romain Rolland
Monsieur Romain Rolland


Le prix de la Vie Heureuse a été décerné en décembre 1905 à M. Romain Rolland, pour son roman Jean-Christophe.

Il suffit de signaler ici les études musicales de M. Romain Rolland, sa thèse de doctorat sur l’opéra français, ses articles. Il faut dire un mot cependant, pour l’intelligence de Jean-Christophe, de la Vie de Beethoven, parue, avant le roman, dans les Cahiers de la quinzaine.

Cette Vie est une merveille d’intelligence et d’émotion. Peut-être est-elle plus composée qu’une biographie ne peut l’être ; mais on ne peut se défendre de son charme. Elle est construite sur ce motif : à mesure que les épreuves s’abattent plus lourdes sur Beethoven, son âme s’allège et s’exalte ; et c’est enfin, quand pauvre, méconnu, sourd, trahi par son neveu, il nous paraît, déjà près de sa fin, au plus noir de l’infortune, que son génie, délivré peut-être par la souffrance même, et définitivement vainqueur, plane déjà dans la sérénité magnifique des dieux et compose l’Hymne à la Joie de la IXe Symphonie. Ainsi chez Beethoven, la vie apparente et la vie intérieure suivent deux lignes opposées. C’est la noblesse de la nature humaine qu’il en soit ainsi ; par la supériorité de son âme au destin, Beethoven est un de ceux qui honorent davantage cette nature et que les Allemands appellent d’un beau mot, Geisteshelden, des héros de l’esprit.

Jean-Christophe, c’est Beethoven enfant. On le reconnaît à mille traits, ne serait-ce qu’à sa carrure et à sa violence. Tel est le thème, un des plus beaux que l’imagination puisse concevoir : M. Romain Rolland a noté depuis les plus flottants souvenirs, l’éveil d’un enfant, qui sera un artiste ; les premières émotions, les désespoirs, les malices, les rêveries, la déformation des figures.


M. Romain Rolland, qui a reçu le prix en 1905.
M. Romain Rolland, qui a reçu le prix en 1905.


LA LAURÉATE DE 1906

Mademoiselle André Corthis, à qui le Comité du « Prix Vie Heureuse » vient d’attribuer son prix, est l’auteur d’un délicat volume de vers : Gemmes et Moires.

Sous son titre éclatant, c’est un livre intime, sentimental et humain, dont M. Chantavoine a pu dire :

« Si j’ai bien compris ou bien deviné cette jeune âme que je découvrais ou que je croyais découvrir entre les pages de son livre, comme on devine à son petit bruit une source cachée, il m’a semblé que c’était une âme un peu subtile et nostalgique, mais tendre, artiste et chrétienne. Ce sont, à mon gré, les cinq nuances, les cinq aspects de cette nature de poète qui en est encore à ses premières émotions, les cinq cordes de cette jeune lyre très féminine.

« Ce livre a un premier mérite à mes yeux : il est l’image et le reflet fidèle d’une personne, et c’est moins encore une œuvre d’art qu’une œuvre d’abandon ou plutôt d’effusion contenue et de vérité. Les vers heureux et bienvenus, naturels, spontanés, irréfléchis, abondent dans ce petit livre et, comme disent les bonnes femmes de chez nous, « il n’y a qu’à se baisser pour en cueillir ». Rien ne trahit l’artifice et la préméditation, la recherche de l’attitude intéressante de la coquetterie, de l’expression rare et raffinée : c’est une fleur qui a poussé toute seule, une source claire qui sort en chantant de la colline, un nuage qui passe sur le front, une larme tombée des yeux…

« Rien de plus rare par le temps qui court, où il y a tant de mensonge, même en littérature ; rien, d’ailleurs, n’a jamais été plus rare et plus prenant que cette poésie venue du cœur, qui s’adresse à d’autres cœurs, que cette palpitation même de l’âme dont le rythme des vers accompagne et prolonge le mouvement… »

ÉLECTIONS DE 1907


AU COMITÉ


DU


PRIX “ VIE HEUREUSE ”

Le 11 Juin :

Mme EDMOND ROSTAND
en remplacement de
Mme ARVÈDE BARINE

Le 7 Juin :

Mme La Duchesse DE ROHAN
Mme MYRIAM HARRY
en remplacement de
Mme BENTZON