« Aux amis inconnus » : différence entre les versions

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Ces vers, je les dédie aux amis inconnus,<br>
A vous, les étrangers en qui je sens des proches,<br>
Rivaux de ceux que j'aime et qui m'aiment le plus,<br>
Frères envers qui seuls mon coeur est sans reproches<br>
Et dont les coeurs au mien sont librement venus.
 
Comme on voit les ramiers sevrés de leurs volières<br>
Rapporter sans faillir, par les cieux infinis,<br>
Un cher message aux mains qui leur sont familières,<br>
Nos poèmes parfois nous reviennent bénis,<br>
Chauds d'un accueil lointain d'âmes hospitalières.
 
Et quel triomphe alors! Quelle félicité<br>
Orgueilleuse, mais tendre et pure, nous inonde,<br>
Quand répond à nos voix leur écho suscité,<br>
Par delà le vulgaire, en l'invisible monde<br>
Où les fiers et les doux se sont fait leur cité!
 
Et nous la méritons, cette ivresse suprême,<br>
Car si l'humanité tolère encor nos chants,<br>
C'est que notre élégie est son propre poème,<br>
Et que seuls nous savons, sur des rythmes touchants,<br>
En lui parlant de nous lui parler d'elle-même.
 
Parfois un vers, complice intime, vient rouvrir<br>
Quelque plaie où le feu désire qu'on l'attise;<br>
Parfois un mot, le nom de ce qui fait souffrir,<br>
Tombe comme une larme à la place précise<br>
Où le coeur méconnu l'attendait pour guérir.
 
Peut-être un de mes vers est-il venu vous rendre<br>
Dans un éclair brûlant vos chagrins tout entiers,<br>
Ou, par le seul vrai mot qui se faisait attendre,<br>
Vous ai-je dit le nom de ce que vous sentiez,<br>
Sans vous nommer les yeux où j'avais dû l'apprendre.
 
Vous qui n'aurez cherché dans mon propre tourment<br>
Que la sainte beauté de la douleur humaine,<br>
Qui, pour la profondeur de mes soupirs m'aimant,<br>
Sans avoir à descendre où j'ai conçu ma peine,<br>
Les aurez entendus dans le ciel seulement;<br>
 
Vous qui m'aurez donné le pardon sans le blâme,<br>
N'ayant connu mes torts que par mon repentir,<br>
Mes terrestres amours que par leur pure flamme,<br>
Pour qui je me fais juste et noble sans mentir,<br>
Dans un rêve où la vie est plus conforme à l'âme!
 
Chers passants, ne prenez de moi-même qu'un peu,<br>
Le peu qui vous a plu parce qu'il vous ressemble;<br>
Mais de nous rencontrer ne formons point le voeu:<br>
Le vrai de l'amitié, c'est de sentir ensemble;<br>
Le reste en est fragile, épargnons-nous l'adieu.