« Les Illuminations, d’Arthur Rimbaud » : différence entre les versions

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{{journal|Les Illuminations<BR><small>d’Arthur Rimbaud</small>| [[Auteur:Félix Fénéon|Félix Fénéon]]|<small>''[[Le Symboliste (Revue)|Le Symboliste]]''<BR>N°1 du 7 au 14 octobre 1886</small>}}
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{{t1mp|LES ILLUMINATIONS.<BR><small>D’ARTHUR RIMBAUD</small><ref>Publications de {{sc|La Vogue}}, Paris, 4 rue Laugier.1 vol. de 100 pp. in-8.</ref>'''}}
 
{{épigraphe|… et avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens. Je réservais la traduction. (A. R.)}}
 
{{tiret}}
 
Un liminaire de M. Paul Verlaine veut renseigner sur Arthur Rimbaud : ce disparu voguerait en Asie, se dédiant à des travaux d’art. Mais les nouvelles sont contradictoires ; elles le dirent marchand de cochons dans l’Aisne, roi de nègres, racoleur pour l’armée néerlandaise de la Sonde. Ce printemps, {{sc|la Revue des Journaux et des Livres }} annonçait le « décès » de M. Arthur Rimbaud, poète et agronome. À la même époque, M. Bourget tenait d’Anglais qu’il était mort, récemment, en Afrique, au service de trafiquants d’arachides, d’ivoire, de peaux. {{sc|Feu Arthur Rimbaud}}, – le dénomma un sommaire de {{sc|la Vogue}}. Et tandis que l’œuvre, enfin publiée, enthousiasme plusieurs personnes et en effare quelques autres, l’homme devient indistinct. Déjà son existence se conteste, et Rimbaud flotte en ombre mythique sur les symbolistes. Pourtant des gens l’ont vu, vers 1870. Des portraits le perpétuent : M. Verlaine rappelle celui de M. Pantin dans « un coin de table » et en promet un de M. J.-L. Forain. La photographie même l’immobilisa et d’après elle, M. Blanchon grava le portrait enclavé dans ''les Poètes maudits. ''Le masque est d’un ange, estime M. Verlaine : il est d’un paysan assassin. Pour clore cette iconographie, voici, au mur de la {{sc|Revue wagnérienne}}, une graphide non encore signalée d’Édouard Manet : un louche éphèbe, debout, appuyé à une table où un verre de cabaret et une tête d’ivrogne.
 
{{sc|Les Illuminations.}} – Ce sont, soudainement apparues, aheurtées en des chocs aux répercussions radiantes, des images d’une beauté bestiale, énigmatique et glorieuse, suscitant du sang, des chairs, des fleurs, des cataclysmes, de lointaines civilisations d’un épique passé ou d’un avenir industriel.
 
 
 
<small>Des corporations de chanteurs géants accourent dans des vêtements et des oriflammes éclatants comme la lumière des cimes. Sur les plates-formes, au milieu des gouffres, les Rolands sonnent leur bravoure. Sur les passerelles de l’abîme et les toits de l’auberge, l’ardeur du ciel pavoise les mâts. L’écroulement des apothéoses rejoint les champs des hauteurs où les centauresses séraphiques évoluent parmi les avalanches. Au-dessus du niveau des plus hautes crêtes, une mer troublée par la naissance éternelle de Vénus, chargée de flottes orphéoniques et de la rumeur des perles et des conques précieuses, la mer s’assombrit parfois avec des éclats mortels. Sur les versants, des moissons de fleurs, grandes comme nos armes et nos coupes, mugissent. Des cortèges de Mabs en robes rousses, opalines, montent des ravines. Là-haut, les pieds dans la cascade et les ronces, les cerfs tettent Diane. Les Bacchantes des banlieues sanglotent et la lune brûle et hurle. Vénus entre dans les cavernes des forgerons et des ermites.</small>
 
 
 
Parfois le lyrisme s’enfle en folie ; les mots se niassent chaotiquement et derrière eux se creusent des espaces d’abîme.
 
 
 
<small>Oh ! le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques (elles n’existent pas) ;
 
Les brasiers et les écumes. La musique, vivement des gouffres et choc des glaçons aux astres.
 
Ô douceurs, ô monde, ô musique ! Et là, les formes, les sueurs, les chevelures et les yeux, flottant. Et les larmes blanches, bouillantes, – ô douceurs ! – et la voix féminine, arrivée au fond des volcans et des grottes arctiques. – Le pavillon…</small>
 
 
 
Certaines pages documentent une vie intime, des détraquements saturniens, et deviennent presque anecdotiques : {{sc|Matinée d’Ivresse, Tant que la lame n’aura…, Conte, Vagabonds.}}
 
 
 
<small>Un soir, il galopait fièrement. Un Génie apparut, d’une beauté ineffable, inavouable même. De sa physionomie et de son maintien ressortait la promesse d’un amour multiple et complexe ! d’un bonheur indicible, insupportable même ! Le Prince et le Génie s’anéantirent probablement dans la santé essentielle. Comment n’auraient-ils pas pu en mourir ? Ensemble donc, ils moururent.</small>
 
 
 
Et de déconcertantes incidentes rompant et bifurquant le récit, des visions d’ambiguë luxure, des phrases d’une bouffonnerie ténébreuse :
 
 
 
<small>Toutes les monstruosités violent les gestes atroces d’Hortense. Sa solitude est la mécanique érotique ; sa lassitude, la dynamique amoureuse. Sous la surveillance d’une enfance, elle a été, à des époques nombreuses, l’ardente hygiène des races. Sa porte est ouverte à la misère. Là, la moralité des êtres actuels se décorpore en sa passion ou en son action. – Ô terrible frisson des amours novices sur le sol sanglant et par l’hydrogène fumeux. – Trouvez Hortense.
 
Ce soir à Circeto des hautes glaces, grasse comme le poisson, et enluminée comme les dix mois de la nuit rouge – (son cœur ambre et spunk). – Pour ma seule prière muette comme ces régions de nuit et précédant des bravoures plus violentes que ce chaos polaire.</small>
 
 
 
Mais, ratiociner. Citons donc, et qu’on voie encore, en des phrases évocatrices, la réalisation du lourd projet dont s’épigraphient ces notes :
 
 
 
<small>Les lampes et les tapis de la veillée font le bruit des vagues, la nuit, le long de la coque et autour du steerage.
 
La mer de la veillée, telle que les seins d’Amélie.
 
Les tapisseries, jusqu’à mi-hauteur, des taillis de dentelle teinte d’émeraude, où se jettent les tourterelles de la veillée…
 
La plaque du foyer noir, de réels soleils de grèves : ah, puits des magies ; seule vue d’aurore, cette fois.</small>
 
 
 
Quand (vers 1874), sur des tables d’auberge ou des bordages de paquebots, s’écrivaient {{sc|les Illuminations}}, Arthur Rimbaud, âgé de quelque vingt ans, atteignait sa vieillesse littéraire. Quatre ans plus tôt, il avait inventé une poésie et orchestré l’Océan aux strophes du {{sc|Bateau Ivre}}. Un obscur typographe brabançon lui tira quelques exemplaires vite détruits {{sc|d’Une saison en enfer}}. Et ce fut tout. Il s’évada des Lettres et des hommes (les femmes, dit la chronique nuncupative, l’avaient peu préoccupé), cherchant en des voyages hasardeux à dissiper l’hallucination où se suppliciait son génie. Mais, parti, subsista la sigillaire influence de cet enfant dans toute l’œuvre de son aîné, M. Verlaine, à qui l’avait lié un commerce fraternel. Son œuvre propre est enfin connue et un clan d’écrivains campe sur cette terre novale.
 
Les feuillets, les chiffons volants de M. Rimbaud, on a tenté de les distribuer dans un ordre logique. D’abord des révolutions cosmiques, et s’ébat sa joie exultante et bondissante, aux tumultes, aux feux. Puis des villes monstrueuses : une humanité hagarde y développe une féerie de crime et de démence. De ces décors, de ces foules, s’isole un individu : exultations passionnelles tôt acescentes et acres, et déviées en érotismes suraigus. Une lipothymie le prostre. Il appète une vie végétative : quelques silhouettes d’êtres humbles errent, des jardinets de banlieue bruxelloise fleurissent, pâlement nuancés, dans une tristesse dolente. À la primitive prose souple, musclée et coloriée se sont substituées de labiles chansons murmurées, mourant en un vague de sommeil commençant, balbutiant en un bénin gâtisme, ou qui piaulent. Brusque, un réveil haineux, des sursauts, un appel à quelque bouleversement social glapi d’une voix d’alcoolique, une insulte à cette Démocratie militaire et utilitaire, un ironique et final : en avant, route !
 
Œuvre enfin hors de toute littérature, et probablement supérieure à toute.
 
 
{{droite|{{sc|Félix-Fénéon.}}|5}}
 
[[Catégorie:Le Symboliste (Revue)]]