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FANTASIO
Quel métier délicieux que celui de bouffon ! J'étais gris, je crois, hier soir, lorsque j'ai pris ce costume et que je me suis présenté au palais ; mais, en vérité, jamais la saine raison ne m'a rien inspiré qui valût cet acte de folie. J'arrive, et me voilà reçu, choyé, enregistré, et, ce qu'il y a de mieux encore, oublié. Je vais et viens dans ce palais comme si je l'avais habité toute ma vie. Tout à l'heure, j'ai rencontré le roi ; il n'a pas même eu la curiosité de me regarder ; son bouffon étant mort, on lui a dit : " Sire, en voilà un autre. " C'est admirable ! Dieu merci, voilà ma cervelle à l'aise ; je puis faire toutes les balivernes possibles sans qu'on me dise rien pour m'en empêcher ; je suis un des animaux domestiques du roi de Bavière, et si je veux, tant que je garderai ma bosse et ma perruque, on me laissera vivre jusqu'à ma mort entre un épagneul et une pintade. En attendant, mes créanciers peuvent se casser le nez contre ma porte tout à leur aise. Je suis aussi bien en sûreté ici, sous cette perruque, que dans les Indes Occidentales.
N'est-ce pas la princesse que j'aperçois dans la chambre voisine, à travers cette glace ? Elle rajuste son voile de noces ; deux longues larmes coulent sur ses joues ; en voilà 35une qui se détache comme une perle et qui tombe sur sa poitrine. Pauvre petite ! j'ai entendu ce matin sa conversation avec sa gouvernante ; en vérité, c'était par hasard ; j'étais assis sur le gazon, sans autre dessein que celui de dormir. Maintenant la voilà qui pleure et qui ne se doute guère que je la vois encore. Ah ! si j'étais un écolier de rhétorique, comme je réfléchirais profondément sur cette misère couronnée, sur cette pauvre brebis à qui on met un ruban rose au cou pour la mener à la boucherie ! Cette petite fille est sans doute romanesque ; il lui est cruel d'épouser un homme qu'elle ne connaît pas. Cependant elle se sacrifie en silence ; que le hasard est capricieux ! il faut que je me grise, que je rencontre l'enterrement de Saint-Jean, que je prenne son costume et sa place, que je fasse enfin la plus grande folie de la terre, pour venir voir tomber, à travers cette glace, les deux seules larmes que cette enfant versera peut-être sur son triste voile de fiancée !
 
Quel métier délicieux que celui de bouffon ! J'étais gris, je crois, hier soir, lorsque j'ai pris ce costume et que je me suis présenté au palais ; mais, en vérité, jamais la saine raison ne m'a rien inspiré qui valût cet acte de folie. J'arrive, et me voilà reçu, choyé, enregistré, et, ce qu'il y a de mieux encore, oublié. Je vais et viens dans ce palais comme si je l'avais habité toute ma vie. Tout à l'heure, j'ai rencontré le roi ; il n'a pas même eu la curiosité de me regarder ; son bouffon étant mort, on lui a dit : « Sire, en voilà un autre. » C'est admirable ! Dieu merci, voilà ma cervelle à l'aise ; je puis faire toutes les balivernes possibles sans qu'on me dise rien pour m'en empêcher ; je suis un des animaux domestiques du roi de Bavière, et si je veux, tant que je garderai ma bosse et ma perruque, on me laissera vivre jusqu'à ma mort entre un épagneul et une pintade. En attendant, mes créanciers peuvent se casser le nez contre ma porte tout à leur aise. Je suis aussi bien en sûreté ici, sous cette perruque, que dans les Indes Occidentales.
Il sort.
 
N'est-ce pas la princesse que j'aperçois dans la chambre voisine, à travers cette glace ? Elle rajuste son voile de noces ; deux longues larmes coulent sur ses joues ; en voilà une qui se détache comme une perle et qui tombe sur sa poitrine. Pauvre petite ! j'ai entendu ce matin sa conversation avec sa gouvernante ; en vérité, c'était par hasard ; j'étais assis sur le gazon, sans autre dessein que celui de dormir. Maintenant la voilà qui pleure et qui ne se doute guère que je la vois encore. Ah ! si j'étais un écolier de rhétorique, comme je réfléchirais profondément sur cette misère couronnée, sur cette pauvre brebis à qui on met un ruban rose au cou pour la mener à la boucherie ! Cette petite fille est sans doute romanesque ; il lui est cruel d'épouser un homme qu'elle ne connaît pas. Cependant elle se sacrifie en silence ; que le hasard est capricieux ! il faut que je me grise, que je rencontre l'enterrement de Saint-Jean, que je prenne son costume et sa place, que je fasse enfin la plus grande folie de la terre, pour venir voir tomber, à travers cette glace, les deux seules larmes que cette enfant versera peut-être sur son triste voile de fiancée !
 
:''Il sort.''
 
36
Scène 4
 
Une allée du jardin.
 
 
Le Prince, Marinoni
===II,4===
 
:''Une allée du jardin.''
 
:''Le Prince, Marinoni''
 
 
LE PRINCE
 
Tu n'es qu'un sot, colonel.
Tu n'es qu'un sot, colonel.
 
 
MARINONI
 
Votre Altesse se trompe sur mon compte de la manière la plus pénible.
Votre Altesse se trompe sur mon compte de la manière la plus pénible.
 
 
LE PRINCE
 
Tu es un maître butor. Ne pouvais-tu pas empêcher cela ? Je te confie le plus grand projet qui se soit enfanté depuis une suite d'années incalculable, et toi, mon meilleur ami, mon plus fidèle serviteur, tu entasses bêtises sur bêtises. Non, non, tu as beau dire ; cela n'est point pardonnable.
Tu es un maître butor. Ne pouvais-tu pas empêcher cela ? Je te confie le plus grand projet qui se soit enfanté depuis une suite d'années incalculable, et toi, mon meilleur ami, mon plus fidèle serviteur, tu entasses bêtises sur bêtises. Non, non, tu as beau dire ; cela n'est point pardonnable.
 
 
MARINONI
 
Comment pouvais-je empêcher Votre Altesse de s'attirer les désagréments qui sont la suite nécessaire du rôle supposé qu'elle joue ? Vous m'ordonnez de prendre votre nom et de me comporter en véritable prince de Mantoue. Puis-je empêcher le roi de Bavière de faire un affront à mon aide de camp ? Vous aviez tort de vous mêler de nos affaires.
Comment pouvais-je empêcher Votre Altesse de s'attirer les désagréments qui sont la suite nécessaire du rôle supposé qu'elle joue ? Vous m'ordonnez de prendre votre nom et de me comporter en véritable prince de Mantoue. Puis-je empêcher le roi de Bavière de faire un affront à mon aide de camp ? Vous aviez tort de vous mêler de nos affaires.
 
 
LE PRINCE
 
Je voudrais bien qu'un maraud comme toi se mêlât de me donner des ordres.
Je voudrais bien qu'un maraud comme toi se mêlât de me donner des ordres.
 
 
MARINONI
 
Considérez, Altesse, qu'il faut cependant que je sois le prince ou que je sois l'aide de camp. C'est par votre ordre que j'agis.
Considérez, Altesse, qu'il faut cependant que je sois le prince ou que je sois l'aide de camp. C'est par votre ordre que j'agis.
 
 
LE PRINCE
 
Me dire que je suis un impertinent en présence 37de toute la cour, parce que j'ai voulu baiser la main de la princesse ! Je suis prêt à lui déclarer la guerre, et à retourner dans mes Etats pour me mettre à la tête de mes armées.
Me dire que je suis un impertinent en présence de toute la cour, parce que j'ai voulu baiser la main de la princesse ! Je suis prêt à lui déclarer la guerre, et à retourner dans mes Etats pour me mettre à la tête de mes armées.
 
 
MARINONI
 
Songez donc, Altesse, que ce mauvais compliment s'adressait à l'aide de camp et non au prince. Prétendez-vous qu'on vous respecte sous ce déguisement ?
Songez donc, Altesse, que ce mauvais compliment s'adressait à l'aide de camp et non au prince. Prétendez-vous qu'on vous respecte sous ce déguisement ?
 
 
LE PRINCE
Il suffit. Rends-moi mon habit.
MARINONI, ôtant l'habit
 
Il suffit. Rends-moi mon habit.
Si mon souverain l'exige, je suis prêt à mourir pour lui.
 
 
MARINONI, ''ôtant l'habit''
 
Si mon souverain l'exige, je suis prêt à mourir pour lui.
 
 
LE PRINCE
En vérité, je ne sais que résoudre. D'un côté, je suis furieux de ce qui m'arrive ; et, d'un autre, je suis désolé de renoncer à mon projet. La princesse ne paraît pas répondre indifféremment aux mots à double entente dont je ne cesse de la poursuivre. Déjà je suis parvenu deux ou trois fois à lui dire à l'oreille des choses incroyables. Viens, réfléchissons à tout cela.
MARINONI, tenant l'habit
 
En vérité, je ne sais que résoudre. D'un côté, je suis furieux de ce qui m'arrive ; et, d'un autre, je suis désolé de renoncer à mon projet. La princesse ne paraît pas répondre indifféremment aux mots à double entente dont je ne cesse de la poursuivre. Déjà je suis parvenu deux ou trois fois à lui dire à l'oreille des choses incroyables. Viens, réfléchissons à tout cela.
Que ferai-je, Altesse ?
 
 
MARINONI, ''tenant l'habit''
 
Que ferai-je, Altesse ?
 
 
LE PRINCE
Remets-le, remets-le, et rentrons au palais.
 
Remets-le, remets-le, et rentrons au palais.
Ils sortent.
 
:''Ils sortent.''
 
 
 
===II, 5===
 
:''La Princesse Elsbeth, le Roi.''
 
 
38
Scène 5
La Princesse Elsbeth, le Roi.
LE ROI
 
Ma fille, il faut répondre franchement à ce que je vous demande : ce mariage vous déplaît-il ?
Ma fille, il faut répondre franchement à ce que je vous demande : ce mariage vous déplaît-il ?
 
 
ELSBETH
 
C'est à vous, Sire, de répondre vous-même. Il me plaît, s'il vous plaît ; il me déplaît, s'il vous déplaît.
C'est à vous, Sire, de répondre vous-même. Il me plaît, s'il vous plaît ; il me déplaît, s'il vous déplaît.
 
 
LE ROI
 
Le prince m'a paru être un homme ordinaire, dont il est difficile de rien dire. La sottise de son aide de camp lui fait seule tort dans mon esprit ; quant à lui, c'est peut-être un bon prince, mais ce n'est pas un homme élevé. Il n'y a rien en lui qui me repousse ou qui m'attire. Que puis-je te dire là-dessus ? Le coeur des femmes a des secrets que je ne puis connaître ; elles se font des héros parfois si étranges, elles saisissent si singulièrement un ou deux côtés d'un homme qu'on leur présente, qu'il est impossible de juger pour elles, tant qu'on n'est pas guidé par quelque point tout à fait sensible. Dis-moi donc clairement ce que tu penses de ton fiancé.
Le prince m'a paru être un homme ordinaire, dont il est difficile de rien dire. La sottise de son aide de camp lui fait seule tort dans mon esprit ; quant à lui, c'est peut-être un bon prince, mais ce n'est pas un homme élevé. Il n'y a rien en lui qui me repousse ou qui m'attire. Que puis-je te dire là-dessus ? Le cœur des femmes a des secrets que je ne puis connaître ; elles se font des héros parfois si étranges, elles saisissent si singulièrement un ou deux côtés d'un homme qu'on leur présente, qu'il est impossible de juger pour elles, tant qu'on n'est pas guidé par quelque point tout à fait sensible. Dis-moi donc clairement ce que tu penses de ton fiancé.
 
 
ELSBETH
 
Je pense qu'il est prince de Mantoue, et que la guerre recommencera demain entre lui et vous, si je ne l'épouse pas.
Je pense qu'il est prince de Mantoue, et que la guerre recommencera demain entre lui et vous, si je ne l'épouse pas.
 
 
LE ROI
 
Cela est certain, mon enfant.
Cela est certain, mon enfant.
 
 
ELSBETH
Je pense donc que je l'épouserai, et que la guerre sera finie.
 
Je pense donc que je l'épouserai, et que la guerre sera finie.
39LE ROI
 
Que les bénédictions de mon peuple te rendent grâces pour ton père ! O ma fille chérie ! je serai heureux de cette alliance ; mais je ne voudrais pas voir dans ces beaux yeux bleus cette tristesse qui dément leur résignation. Réfléchis encore quelques jours.
 
 
LE ROI
 
Que les bénédictions de mon peuple te rendent grâces pour ton père ! Ô ma fille chérie ! je serai heureux de cette alliance ; mais je ne voudrais pas voir dans ces beaux yeux bleus cette tristesse qui dément leur résignation. Réfléchis encore quelques jours.
 
:''Il sort. - Entre Fantasio.''
 
Il sort. - Entre Fantasio.
 
ELSBETH
 
Te voilà, pauvre garçon ! comment te plais-tu ici ?
Te voilà, pauvre garçon ! comment te plais-tu ici ?
 
 
FANTASIO
 
Comme un oiseau en liberté.
Comme un oiseau en liberté.
 
 
ELSBETH
 
Tu aurais mieux répondu, si tu avais dit comme un oiseau en cage. Ce palais en est une assez belle, cependant c'en est une.
Tu aurais mieux répondu, si tu avais dit comme un oiseau en cage. Ce palais en est une assez belle, cependant c'en est une.
 
 
FANTASIO
 
La dimension d'un palais ou d'une chambre ne fait pas l'homme plus ou moins libre. Le corps se remue où il peut : l'imagination ouvre quelquefois des ailes grandes comme le ciel dans un cachot grand comme la main.
La dimension d'un palais ou d'une chambre ne fait pas l'homme plus ou moins libre. Le corps se remue où il peut : l'imagination ouvre quelquefois des ailes grandes comme le ciel dans un cachot grand comme la main.
 
 
ELSBETH
 
Ainsi donc, tu es un heureux fou ?
Ainsi donc, tu es un heureux fou ?
 
 
FANTASIO
 
Très heureux. Je fais la conversation avec les petits chiens et les marmitons. Il y a un roquet pas plus haut que cela dans la cuisine, qui m'a dit des choses charmantes.
Très heureux. Je fais la conversation avec les petits chiens et les marmitons. Il y a un roquet pas plus haut que cela dans la cuisine, qui m'a dit des choses charmantes.
 
 
ELSBETH
 
En quel langage ?
En quel langage ?
 
 
FANTASIO
 
Dans le style le plus pur. Il ne ferait pas une seule faute de grammaire dans l'espace d'une année.
Dans le style le plus pur. Il ne ferait pas une seule faute de grammaire dans l'espace d'une année.
 
 
ELSBETH
 
Pourrai-je entendre quelques mots de ce style ?
Pourrai-je entendre quelques mots de ce style ?
 
 
FANTASIO
 
En vérité, je ne le voudrais pas ; c'est une langue qui est particulière. Il n'y a pas que les roquets 40qui la parlent, les arbres et les grains de blé eux-mêmes la savent aussi ; mais les filles de roi ne la savent pas. A quand votre noce ?
En vérité, je ne le voudrais pas ; c'est une langue qui est particulière. Il n'y a pas que les roquets qui la parlent, les arbres et les grains de blé eux-mêmes la savent aussi ; mais les filles de roi ne la savent pas. À quand votre noce ?
 
 
ELSBETH
 
Dans quelques jours tout sera fini.
Dans quelques jours tout sera fini.
 
 
FANTASIO
 
C'est-à-dire, tout sera commencé. Je compte vous offrir un présent de ma main.
C'est-à-dire, tout sera commencé. Je compte vous offrir un présent de ma main.
 
 
ELSBETH
 
Quel présent ? Je suis curieuse de cela.
Quel présent ? Je suis curieuse de cela.
 
 
FANTASIO
 
Je compte vous offrir un joli petit serin empaillé, qui chante comme un rossignol.
Je compte vous offrir un joli petit serin empaillé, qui chante comme un rossignol.
 
 
ELSBETH
 
Comment peut-il chanter, s'il est empaillé ?
Comment peut-il chanter, s'il est empaillé ?
 
 
FANTASIO
 
Il chante parfaitement.
Il chante parfaitement.
 
 
ELSBETH
 
En vérité, tu te moques de moi avec un rare acharnement.
En vérité, tu te moques de moi avec un rare acharnement.
 
 
FANTASIO
 
Point du tout. Mon serin a une petite serinette dans le ventre. On pousse tout doucement un petit ressort sous la patte gauche, et il chante tous les opéras nouveaux, exactement comme Mlle Grisié.
Point du tout. Mon serin a une petite serinette dans le ventre. On pousse tout doucement un petit ressort sous la patte gauche, et il chante tous les opéras nouveaux, exactement comme Mlle Grisié.
 
 
ELSBETH
 
C'est une invention de ton esprit, sans doute ?
C'est une invention de ton esprit, sans doute ?
 
 
FANTASIO
 
En aucune façon. C'est un serin de cour ; il y a beaucoup de petites filles très bien élevées, qui n'ont pas d'autres procédés que celui-là. Elles ont un petit ressort sous le bras gauche, un joli petit ressort en diamant fin, comme la montre d'un petit-maître. Le gouverneur ou la gouvernante fait jouer le ressort, et vous voyez aussitôt les lèvres s'ouvrir avec le sourire le plus gracieux ; une charmante cascatelle de paroles mielleuses sort avec le 41plus doux murmure, et toutes les convenances sociales, pareilles à des nymphes légères, se mettent aussitôt à dansoter sur la pointe du pied autour de la fontaine merveilleuse. Le prétendu ouvre des yeux ébahis : l'assistance chuchote avec indulgence, et le père, rempli d'un secret contentement, regarde avec orgueil les boucles d'or de ses souliers.
En aucune façon. C'est un serin de cour ; il y a beaucoup de petites filles très bien élevées, qui n'ont pas d'autres procédés que celui-là. Elles ont un petit ressort sous le bras gauche, un joli petit ressort en diamant fin, comme la montre d'un petit-maître. Le gouverneur ou la gouvernante fait jouer le ressort, et vous voyez aussitôt les lèvres s'ouvrir avec le sourire le plus gracieux ; une charmante cascatelle de paroles mielleuses sort avec le plus doux murmure, et toutes les convenances sociales, pareilles à des nymphes légères, se mettent aussitôt à dansoter sur la pointe du pied autour de la fontaine merveilleuse. Le prétendu ouvre des yeux ébahis : l'assistance chuchote avec indulgence, et le père, rempli d'un secret contentement, regarde avec orgueil les boucles d'or de ses souliers.
 
 
ELSBETH
 
Tu parais revenir volontiers sur de certains sujets. Dis-moi, bouffon, que t'ont donc fait ces pauvres jeunes filles, pour que tu en fasses si gaiement la satire ? Le respect d'aucun devoir ne peut-il trouver grâce devant toi ?
Tu parais revenir volontiers sur de certains sujets. Dis-moi, bouffon, que t'ont donc fait ces pauvres jeunes filles, pour que tu en fasses si gaiement la satire ? Le respect d'aucun devoir ne peut-il trouver grâce devant toi ?
 
 
FANTASIO
 
Je respecte fort la laideur ; c'est pourquoi je me respecte moi-même si profondément.
Je respecte fort la laideur ; c'est pourquoi je me respecte moi-même si profondément.
 
 
ELSBETH
 
Tu parais quelquefois en savoir plus que tu n'en dis. D'où viens-tu donc, et qui es-tu, pour que, depuis un jour que tu es ici, tu saches déjà pénétrer des mystères que les princes eux-mêmes ne soupçonneront jamais ? Est-ce à moi que s'adressent tes folies, ou est-ce au hasard que tu parles ?
Tu parais quelquefois en savoir plus que tu n'en dis. D'où viens-tu donc, et qui es-tu, pour que, depuis un jour que tu es ici, tu saches déjà pénétrer des mystères que les princes eux-mêmes ne soupçonneront jamais ? Est-ce à moi que s'adressent tes folies, ou est-ce au hasard que tu parles ?
 
 
FANTASIO
 
C'est au hasard ; je parle beaucoup au hasard ; c'est mon plus cher confident.
C'est au hasard ; je parle beaucoup au hasard ; c'est mon plus cher confident.
 
 
ELSBETH
 
Il semble en effet t'avoir appris ce que tu ne devrais pas connaître. Je croirais volontiers que tu épies mes actions et mes paroles.
Il semble en effet t'avoir appris ce que tu ne devrais pas connaître. Je croirais volontiers que tu épies mes actions et mes paroles.
 
 
FANTASIO
Dieu le sait. Que vous importe ?
 
Dieu le sait. Que vous importe ?
42ELSBETH
 
Plus que tu ne peux penser. Tantôt dans cette chambre, pendant que je mettais mon voile, j'ai entendu marcher tout à coup derrière la tapisserie. Je me trompe fort si ce n'était toi qui marchais.
 
ELSBETH
 
Plus que tu ne peux penser. Tantôt dans cette chambre, pendant que je mettais mon voile, j'ai entendu marcher tout à coup derrière la tapisserie. Je me trompe fort si ce n'était toi qui marchais.
 
 
FANTASIO
 
Soyez sûre que cela reste entre votre mouchoir et moi. Je ne suis pas plus indiscret que je ne suis curieux. Quel plaisir pourraient me faire vos chagrins ; quel chagrin pourraient me faire vos plaisirs ? Vous êtes ceci, et moi cela. Vous êtes jeune, et moi je suis vieux ; belle, et je suis laid ; riche, et je suis pauvre. Vous voyez bien qu'il n'y a aucun rapport entre nous. Que vous importe que le hasard ait croisé sur sa grande route deux roues qui ne suivent pas la même ornière, et qui ne peuvent marquer sur la même poussière ? Est-ce ma faute s'il m'est tombé, tandis que je dormais, une de vos larmes sur la joue ?
Soyez sûre que cela reste entre votre mouchoir et moi. Je ne suis pas plus indiscret que je ne suis curieux. Quel plaisir pourraient me faire vos chagrins ; quel chagrin pourraient me faire vos plaisirs ? Vous êtes ceci, et moi cela. Vous êtes jeune, et moi je suis vieux ; belle, et je suis laid ; riche, et je suis pauvre. Vous voyez bien qu'il n'y a aucun rapport entre nous. Que vous importe que le hasard ait croisé sur sa grande route deux roues qui ne suivent pas la même ornière, et qui ne peuvent marquer sur la même poussière ? Est-ce ma faute s'il m'est tombé, tandis que je dormais, une de vos larmes sur la joue ?
 
 
ELSBETH
 
Tu me parles sous la forme d'un homme que j'ai aimé, voilà pourquoi je t'écoute malgré moi. Mes yeux croient voir Saint-Jean ; mais peut-être n'es-tu qu'un espion.
Tu me parles sous la forme d'un homme que j'ai aimé, voilà pourquoi je t'écoute malgré moi. Mes yeux croient voir Saint-Jean ; mais peut-être n'es-tu qu'un espion.
 
 
FANTASIO
 
A quoi cela me servirait-il ? Quand il serait vrai que votre mariage vous coûterait quelques larmes, et quand je l'aurais appris par hasard, qu'est-ce que je gagnerais à l'aller raconter ? On ne me donnerait pas une pistole pour cela, et on ne vous mettrait pas au cabinet noir. Je comprends très bien qu'il doit être assez ennuyeux d'épouser le prince de Mantoue. Mais après tout, ce n'est 43pas moi qui en suis chargé. Demain ou après-demain vous serez partie pour Mantoue avec votre robe de noce, et moi je serai encore sur ce tabouret avec mes vieilles chausses. Pourquoi voulez-vous que je vous en veuille ? Je n'ai pas de raison pour désirer votre mort ; vous ne m'avez jamais prêté d'argent.
À quoi cela me servirait-il ? Quand il serait vrai que votre mariage vous coûterait quelques larmes, et quand je l'aurais appris par hasard, qu'est-ce que je gagnerais à l'aller raconter ? On ne me donnerait pas une pistole pour cela, et on ne vous mettrait pas au cabinet noir. Je comprends très bien qu'il doit être assez ennuyeux d'épouser le prince de Mantoue. Mais après tout, ce n'est pas moi qui en suis chargé. Demain ou après-demain vous serez partie pour Mantoue avec votre robe de noce, et moi je serai encore sur ce tabouret avec mes vieilles chausses. Pourquoi voulez-vous que je vous en veuille ? Je n'ai pas de raison pour désirer votre mort ; vous ne m'avez jamais prêté d'argent.
 
 
ELSBETH
 
Mais si le hasard t'a fait voir ce que je veux qu'on ignore, ne dois-je pas te mettre à la porte, de peur de nouvel accident ?
Mais si le hasard t'a fait voir ce que je veux qu'on ignore, ne dois-je pas te mettre à la porte, de peur de nouvel accident ?
 
 
FANTASIO
Avez-vous le dessein de me comparer à un confident de tragédie, et craignez-vous que je ne suive votre ombre en déclamant ? Ne me chassez pas, je vous en prie. Je m'amuse beaucoup ici. Tenez, voilà votre gouvernante qui arrive avec des mystères plein ses poches. La preuve que je ne l'écouterai pas, c'est que je m'en vais à l'office manger une aile de pluvier que le majordome a mise de côté pour sa femme.
 
Avez-vous le dessein de me comparer à un confident de tragédie, et craignez-vous que je ne suive votre ombre en déclamant ? Ne me chassez pas, je vous en prie. Je m'amuse beaucoup ici. Tenez, voilà votre gouvernante qui arrive avec des mystères plein ses poches. La preuve que je ne l'écouterai pas, c'est que je m'en vais à l'office manger une aile de pluvier que le majordome a mise de côté pour sa femme.
Il sort.
 
:''Il sort.''
 
 
LA GOUVERNANTE, ''entrant.''
 
Savez-vous une chose terrible, ma chère Elsbeth ?
 
LA GOUVERNANTE, entrant.
 
Savez-vous une chose terrible, ma chère Elsbeth ?
ELSBETH
 
Que veux-tu dire ? tu es toute tremblante.
Que veux-tu dire ? tu es toute tremblante.
 
 
LA GOUVERNANTE
 
Le prince n'est pas le prince, ni l'aide de camp non plus. C'est un vrai conte de fées.
Le prince n'est pas le prince, ni l'aide de camp non plus. C'est un vrai conte de fées.
 
 
ELSBETH
 
Quel imbroglio me fais-tu là ?
Quel imbroglio me fais-tu là ?
 
 
LA GOUVERNANTE
 
Chut ! chut ! C'est un des officiers du prince lui-même qui vient de me le dire. Le prince de 44Mantoue est un véritable Almaviva ; il est déguisé et caché parmi les aides de camp ; il a voulu sans doute chercher à vous voir et à vous connaître d'une manière féerique. Il est déguisé, le digne seigneur, il est déguisé, comme Lindor ; celui qu'on vous a présenté comme votre futur époux n'est qu'un aide de camp nommé Marinoni.
Chut ! chut ! C'est un des officiers du prince lui-même qui vient de me le dire. Le prince de Mantoue est un véritable Almaviva ; il est déguisé et caché parmi les aides de camp ; il a voulu sans doute chercher à vous voir et à vous connaître d'une manière féerique. Il est déguisé, le digne seigneur, il est déguisé, comme Lindor ; celui qu'on vous a présenté comme votre futur époux n'est qu'un aide de camp nommé Marinoni.
 
 
ELSBETH
 
Cela n'est pas possible !
Cela n'est pas possible !
 
 
LA GOUVERNANTE
 
Cela est certain, certain mille fois. Le digne homme est déguisé ; il est impossible de le reconnaître ; c'est une chose extraordinaire.
Cela est certain, certain mille fois. Le digne homme est déguisé ; il est impossible de le reconnaître ; c'est une chose extraordinaire.
 
 
ELSBETH
 
Tu tiens cela, dis-tu, d'un officier ?
Tu tiens cela, dis-tu, d'un officier ?
 
 
LA GOUVERNANTE
 
D'un officier du prince. Vous pouvez le lui demander à lui-même.
D'un officier du prince. Vous pouvez le lui demander à lui-même.
 
 
ELSBETH
 
Et il ne t'a pas montré parmi les aides de camp le véritable prince de Mantoue ?
Et il ne t'a pas montré parmi les aides de camp le véritable prince de Mantoue ?
 
 
LA GOUVERNANTE
 
Figurez-vous qu'il en tremblait lui-même, le pauvre homme, de ce qu'il me disait. Il ne m'a confié son secret que parce qu'il désire vous être agréable et qu'il savait que je vous préviendrais. Quant à Marinoni, cela est positif ; mais, pour ce qui est du prince véritable, il ne me l'a pas montré.
Figurez-vous qu'il en tremblait lui-même, le pauvre homme, de ce qu'il me disait. Il ne m'a confié son secret que parce qu'il désire vous être agréable et qu'il savait que je vous préviendrais. Quant à Marinoni, cela est positif ; mais, pour ce qui est du prince véritable, il ne me l'a pas montré.
 
 
ELSBETH
Cela me donnerait quelque chose à penser, si c'était vrai. Viens, amène-moi cet officier.
 
Cela me donnerait quelque chose à penser, si c'était vrai. Viens, amène-moi cet officier.
Entre un page.
 
:''Entre un page.''
 
 
LA GOUVERNANTE
Qu'y a-t-il, Flamel ? Tu parais hors d'haleine.
 
Qu'y a-t-il, Flamel ? Tu parais hors d'haleine.
45LE PAGE
 
Ah ! madame, c'est une chose à en mourir de rire. Je n'ose parler devant Votre Altesse.
ELSBETH, Parle :
 
qu'y a-t-il encore de nouveau ?
LE PAGE
 
Au moment où le prince de Mantoue entrait à cheval dans la cour, à la tête de son état-major, sa perruque s'est enlevée dans les airs et a disparu tout à coup.
Ah ! madame, c'est une chose à en mourir de rire. Je n'ose parler devant Votre Altesse.
 
 
ELSBETH,
 
Parle : qu'y a-t-il encore de nouveau ?
 
 
LE PAGE
 
Au moment où le prince de Mantoue entrait à cheval dans la cour, à la tête de son état-major, sa perruque s'est enlevée dans les airs et a disparu tout à coup.
 
 
ELSBETH
 
Pourquoi cela ? Quelle niaiserie !
Pourquoi cela ? Quelle niaiserie !
 
 
LE PAGE
 
Madame, je veux mourir si ce n'est pas la vérité.
Madame, je veux mourir si ce n'est pas la vérité.
La perruque s'est enlevée en l'air au bout d'un hameçon. Nous l'avons retrouvée dans l'office, à côté d'une bouteille cassée, on ignore qui a fait cette plaisanterie. Mais le duc n'en est pas moins furieux, et il a juré que si l'auteur n'en est pas puni de mort, il déclarera la guerre au roi votre père et mettra tout à feu et à sang.
 
 
ELSBETH
Viens écouter toute cette histoire, ma chère. Mon sérieux commence à m'abandonner.
 
Viens écouter toute cette histoire, ma chère. Mon sérieux commence à m'abandonner.
Entre un autre page.
 
:''Entre un autre page.''
 
 
ELSBETH
 
Eh bien, quelle nouvelle ?
Eh bien, quelle nouvelle ?
 
 
LE PAGE
 
Madame ! le bouffon du roi est en prison ; c'est lui qui a enlevé la perruque du prince.
Madame ! le bouffon du roi est en prison ; c'est lui qui a enlevé la perruque du prince.
 
 
ELSBETH
 
Le bouffon est en prison ? et sur l'ordre du prince ?
Le bouffon est en prison ? et sur l'ordre du prince ?
 
 
LE PAGE
 
Oui, Altesse.
Oui, Altesse.
 
 
ELSBETH
Viens, chère mère, il faut que je te parle.
 
Viens, chère mère, il faut que je te parle.
Elle sort avec sa gouvernante.
 
:''Elle sort avec sa gouvernante.''
 
 
 
 
===II, 6===
 
46
Scène 6
Le Prince, Marinoni.
LE PRINCE