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imprudence de renoncer au métayage qui est la règle de nos pays. Les terres que Bertrand n’a pu reprendre lui rapportent un loyer infime.

— Mais il cultive lui-même la Sarrasine.

— Il n’est pas un agriculteur. Il est un amateur. L’expérience lui a manqué. Il est allé dans les tranchées au lieu d’aller à Grignon, et les paysans s’en aperçoivent. Quand je le lui dis, il me répond : « Et Mme Laborderie ? Est-ce qu’elle est allée à Grignon ! » L’exemple de cette jeune femme lui tourne la tête. Mais elle vaut deux hommes comme notre cher Bertrand, Laborderie.

Geneviève parut ne pas entendre.

— Que j’aime Puy-le-Maure ! dit-elle rêveusement. Autrefois, la province m’étouffait. Ces tristes Cornières !… Puy-le-Maure n’est pas Villefarge, avec la mesquinerie, la routine, les cancanages. C’est la paix.

— Une paix qui te lasserait vite. Tu regretterais les plaisirs de Paria et ton bel appartement du boulevard Murat. Mop petit-fils Catelin est revenu émerveillé de la visite qu’il vous a faite. Il y a, paraît-il, un petit salon tout en paille qui est un des chefs-d’œuvre de Lucien Alquer.

— Oui, Lucien a un goût charmant. Pourtant, je n’aime pas ma maison, et même le petit salon de paille. Je n’ai rien choisi selon mon cœur. Alors, il me semble que je vis dans un stand d’exposition. Les choses me sont étrangères. C’est la maison de Lucien Alquier. Ce n’est pas la maison de Geneviève Alquier.

— Aussi, Geneviève Alquier n’y reste guère, si j’en crois la légende. Geneviève Alquier est une jeune femme à la mode, comme on en voit dans ces romans que Louis Catelin m’a fait lire pour me scandaliser, moi, pauvre grand’mère racornie !

Mme de l’Espitalet affectait un ton de badinage un peu artificiel.

— Que voulez-vous dire, marraine ?

— Je veux gronder ma filleule. Elle fréquente les cabarets, les dancings et même les fumeries d’opium… Elle mène une sotte vie. Elle n’a pas le bonheur d’avoir des enfants et je le déplore, mais elle doit — même dans une maison qui ne lui plaît pas — créer son foyer, défendre son foyer et retenir son compagnon dans la douceur de ce foyer.

— On ne retient pas Lucien. On le suit où il veut vous conduire tant qu’on n’a pas le courage de l’irriter. Ou bien, si l’on reste à la maison, l’on y reste seule. Et c’est ce que je fais depuis deux ans.

Mme de l’Espitalet ne plaisantait plus. Elle laissa tomber son ouvrage dans la corbeille placée sur ses genoux.

— Non… Je ne répéterai pas tout ce que dit la légende, reprit-elle en hésitant… Elle est plus injurieuse encore pour ton mari que pour toi, et elle vous calomnie tous deux… Mais, dans la calomnie, il y a parfois une vérité déformée. Prends garde, ma petite Geneviève.

La jeune femme et la vieille femme évitaient de se regarder.

— Top mari est un imprudent. Il a dix-sept ans de plus que toi. Il a charge d’âme. Pourquoi éveiller dans un jeune esprit des curiosités qui risquent de le salir ? Je sais bien qu’à Paris, dans ce monde bizarre où vous vivez, de bons ménages font la « fêtes » ensemble… Ce qu’on appelle la fête !… L’habitude émousse les sensations dangereuses, mais elle détruit aussi certaines pudeurs… Tu me comprends.

— J’ignore ce qu’on a pu vous raconter et je veux l’ignorer. Il est possible que Lucien ait eu la fantaisie de m’emmener où je n’aurais pas dû aller. Maintenant, j’ose lui dire : « Non ». N’y pensez donc plus, ma bonne marraine. Ce qui a été ne sera jamais plus.

L’heure du départ était arrivée. Ce fut presque un soulagement pour les deux femmes. L’inquiétude de l’une se heurtait désormais au silence de l’autre. Elles avaient trop parlé ou pas assez. Quand l’automobile eut emporté Geneviève, Mme de l’Espitalet rentra dans le salop et reprit ses aiguilles, mais sa pensée ne comman