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Pour faire ces canots, ils prennent un gommier (eucalyptus) dont le tronc est recourbé, l’écorce a un peu moins d’un pouce d’épaisseur, ils coupent cette écorce en dedans de la courbe, perpendiculairement, et ils prolongent cette coupure tout autour du tronc, en haut et en bas. Avec le manche de leur hachette, ils détachent l’écorce de l’arbre et ils la portent au bord de l’eau. Là ils placent en travers, pour la maintenir écartée, des morceaux de bois fixés au bord intérieur et ils mettent leur canot à l’eau. Quelquefois, quand ils n’ont pas pu trouver un arbre très-recourbé et que par conséquent l’avant et l’arrière sont presque à fleur de l’eau, ils pétrissent de la terre glaise et font un petit rebord intérieur pour empêcher l’eau d’entrer. Deux personnes seulement peuvent se tenir dans un canot ordinaire ; leur lance leur tient lieu de rame, et ils s’en servent avec une adresse vraiment merveilleuse.

Lors de la découverte des mines, quand le gouvernement de Victoria manqua d’hommes pour faire la police et pour escorter les convois d’or, un grand nombre d’entre eux fut incorporé dans les troupes à cheval qui furent organisées à cette époque. Ils n’y restèrent pas bien longtemps, parce que la discipline ne leur convenait pas et qu’ils aiment trop l’eau de feu ; mais ils étaient bons cavaliers et intelligents. Si leurs beaux habits avaient pu les charmer plus longtemps, si le souvenir de la vie du bush avait pu s’éteindre chez eux, ils auraient peut-être rendu de plus longs services.


Invitation. — Une nuit à la belle étoile. — Préparatifs pour recevoir des visites à Yéring.

(M. de Castella et son frère avaient été très-bien accueillis par le colonel anglais A…, qui habitait une charmante maison près de Melbourne, Fairlie-House. Ils invitèrent ce gentleman, ainsi que sa femme et ses filles, à venir passer quinze jours à Yéring. Plusieurs autres personnes, J. Lloyd d’Avenel, un capitaine du régiment de la reine et sa femme, furent en même temps priés, par lettre, de se joindre à la famille A… On comprend tout ce que ces sortes de réunions ont d’attrait pour les Européens dans les contrées lointaines : M. de Castella a pris plaisir à en décrire une pour montrer que l’Australie est quelquefois « autre chose qu’un pays de sauvages et de kanguroos. » ).

Pour recevoir tout ce monde, il nous fallait faire quelques préparatifs, et mon départ immédiat pour Yéring fut décidé. Mon frère restait en ville (à Melbourne) pour terminer ses affaires et faire charger les provisions sur notre chariot.

J’avais, pour retourner à la station, trente-cinq milles à parcourir à travers la forêt, et, comme je n’avais fait cette route qu’une seule fois et sans donner grande attention aux différentes traques que nous avions prises, je comptais beaucoup plus sur l’intelligence de mon cheval que sur moi-même. Paul m’accompagna jusqu’à l’entrée du bush, c’est-à-dire jusqu’à environ deux lieues de la ville ; et là, me serrant la main, il me conseilla encore une fois de lâcher la bride quand j’arriverais à quelque embranchement. Il était alors plus de quatre heures de l’après-midi, et comme il devait faire nuit à sept, je n’avais pas de temps à perdre. Tant que je vis le soleil passablement élevé, je n’éprouvai pas la moindre inquiétude, et je galopais joyeusement sur la route sablonneuse, laissant ma monture choisir la droite ou la gauche à son gré. Mais, quelque rapide que soit un cheval, il faut un certain temps pour faire dix lieues, et je n’étais pas encore arrivé au ruisseau qui nous servait de limite que je voyais déjà le soleil descendre rapidement vers l’horizon.

Différentes routes abandonnées venaient aboutir à celle que je suivais ; ces routes avaient servi pour transporter les bois préparés par les scieurs, qui peuvent, moyennant un droit qu’ils payent au gouvernement, aller exercer leur industrie sur tous les terrains non achetés. C’étaient ces routes surtout qu’il me fallait éviter, et cela était d’autant plus difficile, que toutes se dirigeant de l’intérieur vers la ville, elles rejoignaient la route principale presque parallèlement.

Arrivé à un ruisseau qu’on traversait dans l’endroit le plus large et par conséquent le moins profond, j’eus plusieurs de ces embranchements en face de moi, et la crainte de me tromper me faisant douter de mon cheval, je lui fis sentir la bride et lui fis prendre celui de ces chemins qui me parut être le nôtre. Sotte chose que le doute en pareil cas ! Je ne reconnus bientôt plus rien autour de moi ; mais, espérant arriver à la petite plaine que je devais trouver en avant de notre ruisseau, je galopais toujours. Je remarquai cependant, d’après la position du soleil, que je devais être trop à droite, et je pris le premier chemin que je trouvai sur ma gauche. Ma pauvre bête galopait parce que je l’y forçais impitoyablement, mais je sentais bien à son allure qu’elle n’était plus animée par la joie d’arriver à son pâturage. Bientôt le soleil disparut derrière les arbres, et je commençai à croire qu’il me faudrait passer la nuit dans le bush.

La nuit tombait, en effet, quand j’arrivai à une hutte de scieurs abandonnée. Résigné à coucher à la belle étoile, je me décidai à en profiter pour enfermer mon cheval, de crainte qu’il ne reprît seul le chemin de la station. Nouveau colon, je ne savais pas encore le moyen de faire des entraves avec les étrivières. Quand j’eus mis pied à terre, j’enlevai la selle, je fis un licol de la bride et laissai brouter ma monture sans lui lâcher les rênes.

Quant à moi, un cigare me tint lieu de souper. Nous entrions dans la nouvelle lune, par conséquent elle ne me prêta pas longtemps sa lumière ; quand elle eut disparu, je barricadai mon cheval dans la hutte, et j’allumai un bon feu auprès duquel je m’installai, appuyant ma tête sur ma selle.

Mais que faire en un gîte à moins que l’on ne songe ?

Je songeai au présent, au passé, à l’avenir, au contraste de cette nuit avec ma soirée de la veille, écoutant dans le silence de la nature le bruit des grenouilles et le cri mélancolique du morepork, gros oiseau gris qui produit les mêmes notes que notre coucou d’Europe.