« La Dame aux camélias (théâtre)/Acte I » : différence entre les versions

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==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/56]]==
{{acte|I}}
 
<pages index="Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu" from=56 to=91 />
{{didascalie|Boudoir de Marguerite. — Une porte au fond. — À droite, une cheminée.
— À gauche, une croisée. — Entre la porte du fond et la porte de gauche, une porte ouverte qui laisse voir une table avec candélabres. — À droite, entre la cheminée et la porte du fond, une autre porte. — tables, fauteuils et chaises.}}
 
 
{{scène|I}}
 
 
{{sc|NANINE, travaillant, VARVILLE, assis à la cheminée.|n}}
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
On a sonné Nanine.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Valentin ira ouvrir.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
C’est Marguerite, sans doute.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Pas encore ; elle ne doit rentrer qu’à dix heures et demie, et
il est à peine dix heures… Tiens, c’est {{Mlle|Nichette}}.
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/57]]==
<nowiki/>
 
 
{{scène|II}}
 
{{Acteurs|{{sc|les mêmes}}, NICHETTE.|n}}
 
{{personnageD|Nichette|c|ouvrant la porte et n’entrant qu’à demi.}}
 
Marguerite n’est pas là ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Non, mademoiselle. Vous vouliez la voir ?
 
{{personnage|Nichette.|c}}
 
Je passais devant sa porte, et je montais pour lui dire bonsoir ; mais puisqu’elle n’y est pas, je m’en vais.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Attendez-la un peu, elle va rentrer.
 
{{personnage|Nichette.|c}}
 
Je n’ai pas le temps. Gustave est en bas… Elle va bien ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Toujours de même.
 
{{personnage|Nichette.|c}}
 
Avez-vous fait le petit paquet que je vous avais priée de faire ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Oui. Est-ce que vous allez l’emporter ?
 
{{personnage|Nichette.|c}}
 
Pourquoi pas ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Je vous l’enverrai, pour vous épargner cette peine.
 
{{personnage|Nichette.|c}}
 
À quoi bon ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Le fait est qu’il n’est pas gros.
 
{{personnage|Nichette.|c}}
 
Dites à Marguerite que je viendrai la voir ces jours-ci, et
que je l’embrasse. Adieu, Nanine ; adieu, monsieur.
 
{{didascalie|Elle salue et sort}}
 
 
{{scène|III}}
 
{{Acteurs|NANINE, VARVILLE.|n}}
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Qu’est-ce que c’est que cette jeune fille ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
C’est {{Mlle|Nichette}}.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/58]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Varville.|c}}
Nichette, c’est un nom de chatte, ce n’est pas un nom de
femme.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Aussi est-ce un surnom, et l’appelle-t-on ainsi parce qu’avec ses cheveux frisés elle a une petite tête de chatte. Elle a été camarade de madame, dans le magasin où madame était autrefois.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Marguerite a donc été dans un magasin ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Elle a été lingère.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Tiens !
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Vous l’ignoriez ? Elle ne s’en cache pourtant pas.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Elle est jolie cette petite Nichette.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Et sage !
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Mais ce {{M.|Gustave}} ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Quel {{M.|Gustave}} ?
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Dont parlait {{Mlle|Nichette}}, et qui l’attendait en bas.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
C’est son mari.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
C’est {{M.|Nichette}} ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Il n’est pas encore son mari, mais il le sera.
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/59]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
En un mot, c’est son amant. Bien, bien… elle est sage, mais
elle a un amant.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Qui n’aime qu’elle, comme elle n’aime et n’a jamais aimé que
lui, et qui l’épousera, c’est moi qui vous le dis. {{Mlle|Nichette}}
est une très-honnête fille.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
{{didascalie|se levant et venant à nanine.}}
 
Après tout, peu m’importe. Décidément, mes affaires n’avancent pas ici.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Pas le moins du monde.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Il faut avouer que Marguerite…
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Quoi ?
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
A une drôle d’idée de recevoir toujours {{M.|de}} Mauriac, lui
ne doit pas être amusant.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Pauvre homme ! c’est son seul bonheur… Il est son père…
ou à peu près.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Ah ! oui… il y a une histoire très pathétique là-dessus,
malheureusement…
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Malheureusement ?
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Je n’y crois pas.
 
{{personnageD|Nanine|c|se levant.}}
 
Écoutez, monsieur de Varville, il y a peut-être bien des
choses vraies à dire sur le compte de madame, mais c’est une
raison de plus pour ne pas dire celles qui ne le sont pas. Or,
voici ce que je puis vous affirmer, car
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/60]]==
je l’ai vu, de mes propres yeux vu, et Dieu sait que madame ne m’a pas fait la leçon, puisqu’elle n’a aucune raison de vous tromper, et ne tient
ni à être bien, ni à être mal avec vous. Je puis donc affirmer
qu’il y a deux ans, madame, après la maladie qu’elle venait
de faire, est allée aux eaux pour achever de se rétablir. Je l’accompagnais. Parmi les malades de la maison des bains, il y
avait une jeune fille à peu près de son âge, atteinte de la
même maladie qu’elle, seulement atteinte au troisième degré,
et lui ressemblant comme une sœur jumelle. Cette jeune fille,
c’était {{Mlle|de}} Mauriac, la fille du duc.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
{{Mlle|de}} Mauriac mourut.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Oui.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Et le duc, désespéré, retrouvant dans les traits, dans l’âge,
et jusque dans la maladie de Marguerite, l’image de sa fille, la
supplia de le recevoir et de lui permettre de l’aimer comme
son enfant. Alors Marguerite lui avoua sa position.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Car madame ne ment jamais.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Naturellement. Et comme Marguerite ne ressemblait pas à
{{Mlle|de}} Mauriac autant au moral qu’au physique, le duc lui
promit tout ce qu’elle voudrait, si elle consentait à changer
d’existence, ce à quoi s’engagea Marguerite, — qui, naturellement encore, de retour à Paris, se garda de tenir parole ;
et le duc… comme elle ne lui rendait que la moitié de son
bonheur, a retranché la moitié du revenu ; si bien qu’aujourd’hui elle a 50, 000 fr. de dettes.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Que vous offrez de payer. Malheureusement, on aime mieux
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/61]]==
devoir de l’argent à d’autres, que de vous devoir de la reconnaissance à vous.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
D’autant plus que {{M.|le}} comte de Giray est là.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Vous êtes insupportable. Tout ce que je puis vous dire, c’est
que l’histoire du duc est réelle, je vous en donne ma parole.
Quant au comte, c’est un ami.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Prononcez donc bien.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Oui, un ami ! Quelle mauvaise langue vous êtes ! — Mais on
sonne. C’est madame. Faut-il lui répéter tout ce que vous avez
dit ?
 
{{personnageD|Varville|c|lui donnant la bourse.}}
 
Non, Nanine.
 
{{personnageD|Nanine|c|prenant la bourse.}}
 
Vous mériteriez que je ne prisse pas cette bourse.
 
 
{{scène|IV}}
 
{{Acteurs|{{sc|Les mêmes}}, MARGUERITE.|n}}
 
{{personnageD|Marguerite|c|à Nanine.}}
 
Va dire qu’on nous fasse à souper ; Olympe et Saint-Gaudens
vont venir… je les ai rencontrés à l’Opéra.
 
{{didascalie|À Varville.}}
 
Vous voilà, vous ?
 
{{didascalie|Elle va s’asseoir à la cheminée.}}
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Est-ce que ma destinée n’est pas de vous attendre ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Mais, est-ce que ma destinée à moi est de vous voir ?
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Jusqu’à ce que vous me défendiez votre porte, je viendrai.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/62]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
En effet, je ne peux pas rentrer une fois sans vous trouver
là. Qu’est-ce que vous avez encore à me dire ?
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Vous le savez bien.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Bah ! toujours la même chose ; vous êtes monotone, Varville.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Est-ce ma faute, si je vous aime !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ah la bonne raison ! Mon cher, s’il me fallait écouter tous
ceux qui m’aiment, je n’aurais seulement pas le temps de dîner.
Pour la centième fois, je vous le répète, mon cher Varville,
vous n’arriverez à rien. Je vous laisse venir ici à toute heure,
entrer quand je suis là, m’attendre quand je suis sortie, je ne
sais pas trop pourquoi ; mais si vous devez me parler sans
cesse de votre amour, je vous consigne.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Cependant, Marguerite, l’année passée, à Bagnères, vous
m’aviez donné quelque espoir.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ah mon cher, c’était à Bagnères, j’étais malade, je m’ennuyais… Ici, ce n’est pas la même chose, je me porte mieux,
et je ne m’ennuie plus.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Je conçois que lorsqu’on est aimé du duc de Mauriac…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Imbécile !
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Et qu’on aime {{M.|de}} Giray…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Je suis libre d’aimer qui je veux, cela ne regarde personne,
vous moins que tout autre ; et si vous n’avez pas
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/63]]==
autre chose à dire, je vous le répète, allez-vous-en.
{{didascalie|Varville se promène}}
Vous ne voulez pas vous en aller ?
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Non !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Alors, mettez-vous au piano ; le piano, c’est votre seule
qualité.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Que faut-il jouer ?
 
{{didascalie|Nanine rentre.}}
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ce que vous voudrez.
 
 
{{scène|V}}
 
{{Acteurs|{{sc|Les mêmes}}, NANINE.|n}}
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Tu as commandé le souper ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Oui, madame.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Qu’est-ce que vous jouez là, Varville ?
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Une rêverie de Rosellen.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
C’est très-joli !…
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Écoutez, Marguerite, j’ai quatre-vingt mille francs de rentes.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Et moi, j’en ai cent.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Marguerite, vous me rendrez fou !
 
{{personnageD|Marguerite|c|à Nanine.}}
 
As-tu vu Prudence ?
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/64]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Nanine.|c}}
Oui, madame.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Elle viendra ce soir ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Oui, madame, en rentrant. {{Mlle|Nichette}} est venue aussi.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Chère petite ! J’irai la voir demain. Il vaut mieux que j’aille
chez elle que de la laisser venir ici.
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Le docteur est venu.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Qu’a-t-il dit ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
II a recommandé que madame se reposât.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ce bon docteur ! Est-ce tout ?
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Non, madame ; on a apporté un bouquet.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
De ma part.
 
{{personnageD|Marguerite|c|le prenant.}}
 
Roses et lilas blanc. Mets ce bouquet dans ta chambre, Nanine.
 
{{personnageD|Varville|c|cessant de jouer du piano.}}
 
Vous n’en voulez pas ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Comment m’appelle-t-on ?
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/65]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Varville.|c}}
Marguerite Gautier.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
Et quel surnom m’a-t-on donné encore ?
 
{{personnage|Varville.|c}}
Celui de la Dame aux camélias.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Pourquoi ?
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Parce que vous ne portez jamais que ces fleurs.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ce qui veut dire que je n’aime que celles-là, et qu’il est inutile de m’en envoyer d’autres. Si vous croyez que je ferai
une exception pour vous, vous avez tort. Les parfums me rendent malade. Emporte ce bouquet.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Je n’ai pas de bonheur. Adieu, Marguerite.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Adieu !
 
{{scène|VI}}
 
{{Acteurs|{{sc|Les mêmes}}, OLYMPE, SAINT-GAUDENS, NANINE.|n}}
 
{{personnageD|Nanine|c|rentrant.}}
 
Madame, voici {{Mlle|Olympe}} et {{M.|Saint-Gaudens}}.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Arrive donc, Olympe, j’ai cru que tu ne viendrais plus.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
C’est la faute de Saint-Gaudens.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
C’est toujours ma faute. Bonjour, Varville.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/66]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Bonjour, cher ami.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Vous soupez avec nous ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Non.
 
{{personnageD|Saint-Gaudens|c|à Marguerite}}
 
Et vous, chère petite, comment allez-vous ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Très-bien.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Allons, tant mieux ! va-t-on s’amuser ici ?
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
On s’amuse toujours où vous êtes.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Méchante ! Ah ! ce cher Varville, qui ne soupe pas avec nous,
cela me fait une peine affreuse.
 
{{didascalie|À Marguerite.}}
 
En passant devant la Maison d’Or, j’ai
dit qu’on apporte des huîtres et un certain
Champagne qu’on ne donne qu’à moi. Il est parfait… Il est
parfait.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Et Prudence, va-t-elle venir ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Oui.
 
{{personnageD|Olympe|c|bas à Marguerite.}}
 
Pourquoi n’as-tu pas invité Edmond ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Pourquoi ne l’as-tu pas amené ?
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Et Saint-Gaudens !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Est-ce qu’il n’y est pas habitué ?
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Pas encore, ma chère ; à son âge on prend si difficilement
une habitude, et surtout une bonne.
 
{{personnageD|Marguerite|c|appelant Nanine.}}
 
Le souper doit être prêt.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/67]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Nanine.|c}}
 
Dans cinq minutes, madame. Où faudra-t-il servir ? dans la
salle à manger ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Non, ici, nous serons mieux. — Eh bien Varville, vous n’êtes pas encore parti ?
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Je pars.
 
{{personnageD|Marguerite|c|à la fenêtre, appelant.}}
 
Prudence !
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Prudence demeure donc en face ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Elle demeure même dans la maison, tu le sais bien ; presque
toutes nos fenêtres correspondent. Nous ne sommes séparées
que par une petite cour c’est très-commode, quand j’ai besoin
d’elle.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Ah çà ! qu’est-ce qu’elle fait, Prudence ?
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Elle est modiste.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Et il n’y a que moi qui lui achète des chapeaux.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Que tu ne mets jamais.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
C’est bien assez de les acheter, ils sont affreux ; mais ce n’est
pas une mauvaise femme, et elle a besoin d’argent.
 
{{didascalie|Appelant.}}
 
Prudence !
 
{{personnageD|prudence|c|du dehors.}}
 
Me voilà !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Pourquoi ne venez-vous pas, puisque vous êtes rentrée ?
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/68]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Je ne puis pas.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Qui vous en empêche ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
J’ai deux jeunes gens chez moi, ils m’ont invitée à souper.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Eh bien ! amenez-les souper ici, cela reviendra au même.
Comment les nomme-t-on ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Il y en a un que vous connaissez, Gaston Rieux.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Oui, je le connais. Et l’autre ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
L’autre est son ami.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Cela suffît ; alors, arrivez vite… Il fait froid ce soir…
 
{{didascalie|Elle tousse un peu. — À Olympe, en venant s’asseoir à côté d’elle.}}
 
Et tu vas bien, toi ?
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Mais oui.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Varville, mettez donc du bois au feu, on gèle ici ; rendez
vous utile, au moins, puisque vous ne pouvez pas être agréable,
 
{{personnageD|Varville|c|s’accroupit devant la cheminée et fait du feu.}}
 
 
{{scène|VII}}
 
{{Acteurs|{{sc|Les mêmes, GASTON, ARMAND, PRUDENCE, un domestique.}}|n}}
 
{{personnageD|Le domestique|c|annonçant.}}
 
{{M.|Gaston}} Rieux, {{M.|Armand}} Du val, {{Mme|Duvernoy}}.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Quel genre ! Voilà comme on annonce ici.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Je croyais qu’il y avait du monde.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/69]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
Voilà madame Duvernoy qui commence ses politesses.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Comment allez-vous, madame ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Bien, et vous, monsieur ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Ah ! comme on se parle ici !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Gaston est devenu un homme comme il faut ; et d’ailleurs,
Eugénie m’arracherait les yeux, si nous nous parlions autrement.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Les mains d’Eugénie sont trop petites et vos yeux sont trop
grands.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Assez de marivaudage. Ma chère Marguerite, permettez-moi
de vous présenter {{M.|Armand}} Duval.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Faut-il que je me lève ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Non, madame, c’est inutile.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
L’homme de Paris, qui est le plus amoureux de vous.
 
{{personnageD|Marguerite|c|à Prudence.}}
 
Dites qu’on mette deux couverts de plus, alors ; car je crois
que cet amour-là n’empêchera pas monsieur de souper.
 
{{didascalie|Elle tend sa main à Armand qui baise cette main et s’incline.}}
 
{{personnageD|Saint-Gaudens|c|à Gaston qui est venu au-devant de lui.}}
 
Ah ! ce cher Gaston ! Que je suis aise de le voir !
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Toujours jeune, mon vieux Saint-Gaudens.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Mais oui.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Et les amours ?
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/70]]==
<nowiki/>
 
{{personnageD|Saint-Gaudens|c|montrant Olympe.}}
 
Vous voyez.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Je vous fais mon compliment.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
J’avais une peur affreuse de trouver Amanda ici.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Cette pauvre Amanda ! Elle vous aimait bien.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Elle m’aimait trop. Il y avait un jeune homme qu’elle ne
pouvait cesser de voir, c’était le banquier.
 
{{didascalie|Il rit.}}
 
C’était là une position que je ne pouvais lui faire perdre.
J’étais l’amant de cœur. C’était charmant, mais il fallait se cacher dans les armoires, rôder dans les escaliers, attendre dans la rue.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Cela vous donnait des rhumatismes.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Non, mais le temps change. Il faut que jeunesse se passe. Ce
pauvre Varville qui ne soupe pas avec nous, cela me fait une
peine affreuse.
 
{{personnageD|Gaston|c|se rapprochant de Marguerite.}}
 
Il est superbe ! il a dix-huit ans.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Il n’y a que les vieux qui ne vieillissent pas, il est superbe.
 
{{personnageD|Saint-Gaudens|c|à Armand qu’Olympe lui présente.}}
 
Est-ce que vous êtes parent, monsieur, de {{M.|Duval}},
procureur général ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Oui, monsieur, c’est mon père. Le connaîtriez-vous ?
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Je l’ai connu autrefois, chez la baronne de Nersay, ainsi que
{{Mme|Duval}}, votre mère, qui était une bien belle et bien charmante personne.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/71]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Armand.|c}}
Elle est morte il y a trois ans.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Pardonnez-moi, monsieur, d’avoir rappelé ce souvenir.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
On peut toujours me rappeler ma mère ; les grandes et pures
affections ont cela de beau, qu’après le bonheur de les avoir
éprouvées, il reste le bonheur de s’en souvenir.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Vous êtes fils unique ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
J’ai une sœur…
 
{{didascalie|Marguerite et Gaston s’en vont causer en se promenant dans le fond du théâtre.}}
 
{{personnageD|Marguerite|c|bas, à Gaston.}}
 
Il est charmant, votre ami.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Je le crois bien. Et de plus, il a pour vous un amour extravagant ; n’est-ce pas, Prudence ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Quoi ?
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Je disais à Marguerite qu’Armand est fou d’elle.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Il ne ment pas ; vous ne pouvez pas vous faire une idée de
ce que c’est.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Il vous aime, ma chère, à ne pas oser vous le dire.
 
{{personnageD|Marguerite|c|à Varville, qui joue du piano.}}
 
Taisez-vous donc, Varville.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Vous me dites toujours de jouer du piano.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/72]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
Quand je suis seule avec vous ; mais quand il y a du monde,
non.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Qu’est-ce qu’on dit là, tout bas ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Écoute, et tu le sauras.
 
{{personnageD|prudence|c|bas}}
 
Et cet amour dure depuis deux ans.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
C’est déjà un vieillard que cet amour-là.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Armand passe sa vie chez Gustave et chez Nichette pour
entendre parler de vous.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Quand vous avez été malade, il y a un an, avant de partir
pour Bagnères, pendant les trois mois que vous êtes restée au
lit, on vous a dit que tous les jours un jeune homme venait
savoir de vos nouvelles, sans dire son nom.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Je me rappelle…
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
C’était lui.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
C’est très-gentil, cela.
 
{{didascalie|Appelant|}}
 
{{M.|Duval}} ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Madame…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Savez-vous ce qu’on me dit ? On me dit que pendant que
j’étais malade, vous êtes venu tous les jours savoir de mes
nouvelles.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
C’est la vérité, madame.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/73]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
C’est bien le moins alors que je vous remercie. Entendez
vous, Varville, vous n’en avez pas fait autant.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Il n’y a pas un an que je vous connais…
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Et monsieur qui ne me connaît que depuis cinq minutes…
Vous dites toujours des bêtises.
 
{{didascalie|Nanine entre, précédant les domestiques qui portent la table.}}
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
À table ! Je meurs de faim.
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Adieu, Marguerite.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Adieu, mon cher ami, quand vous verra-t-on ?
 
{{personnage|Varville.|c}}
 
Quand vous voudrez !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Adieu, alors.
 
{{personnageD|Varville|c|saluant.}}
 
Messieurs…
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Adieu, Varville, adieu, mon bon.
 
{{didascalie|Pendant ce temps, deux domestiques ont mis la table toute servie. — On se met à table.}}
 
 
{{scène|VIII}}
 
{{Acteurs|{{sc|Les mêmes}}, moins VARVILLE.|n}}
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Ma chère enfant, vous êtes vraiment trop méchante avec le
baron.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/74]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Il est assommant. Il vient toujours me proposer de me faire
des rentes.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Tu t’en plains ! Je voudrais bien qu’il m’en proposât, à moi.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
C’est agréable pour moi, ce que tu dis là.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
D’abord, mon cher, je vous prie de ne pas me tutoyer, je
ne vous connais pas.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Mes enfants, servez-vous, buvez, mangez, mais ne vous dis
putez que juste ce qu’il faut pour se raccommoder après.
 
{{personnageD|Olympe|c|à Marguerite.}}
 
Sais-tu ce qu’il m’a donné pour ma fête ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Qui ?
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Non.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Un coupé !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
De chez Binder ?
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Oui, mais je n’ai pas pu parvenir à lui faire donner les chevaux.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
C’est toujours un coupé.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Alors, il faut que je m’attelle, si je veux m’en servir ; ce serait joli à voir.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Je suis ruiné, aimez-moi pour moi-même.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/75]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Olympe.|c}}
Parbleu ! la belle occupation !
 
{{personnageD|Prudence|c|montrant un plat.}}
 
Quelles sont ces petites bêtes ?
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Des perdreaux.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Donne-m’en un.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Ah ! il ne lui faut qu’un perdreau à la fois. Quelle belle fourchette ! Est-ce que c’est elle qui a ruiné Saint-Gaudens ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Elle ! Elle, est-ce que c’est comme ça qu’on parle à une
femme ? De mon temps…
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Ah ! elle va nous parler de {{lié|Louis XV}}. — Marguerite, fais
donc boire Armand ; il est triste comme une chanson à boire.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Allons, monsieur Armand, à ma santé !
 
{{personnage|tous|c}}
 
À la santé de Marguerite !
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
À propos de chanson à boire, si on en chantait une en buvant ?
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Toujours les vieilles traditions… Je suis sûr que Prudence
a eu une passion dans le Caveau.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
C’est bon ! c’est bon !
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Toujours chanter en soupant, c’est absurde.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Moi, j’aime ça ; ça égaye. Allons, Marguerite, chantez la
chanson de Philoxène ; un poète qui fait des vers.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/76]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Gaston.|c}}
Qu’est-ce que tu veux qu’il fasse ?
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Mais qui fait des vers à Marguerite… c’est sa spécialité. Allons, la chanson.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Je proteste au nom de toute notre génération.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Qu’on vote !
 
{{didascalie|Tous lèvent la main, excepté Gaston.
La chanson est votée. Gaston, donne le bon exemple aux minorités.}}
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Soit. Mais je n’aime pas les vers de Philoxène, je les connais. J’aime mieux chanter, puisqu’il le faut.
 
{{didascalie|il chante.}}
 
{{didascalie|Musique de Montaubry, chef d’orchestre du Vaudeville.}}
 
Il est un ciel que Mahomet
 
Offre par ses apôtres,
Mais les plaisirs qu’il nous promet
Ne valent pas les nôtres.
 
Ne croyons à rien
 
Qu’à ce qu’on tient bien,
Et pour moi je préfère
 
À ce ciel douteux
 
L’éclair de deux yeux
Reflété dans mon verre.
 
Dieu fit l’amour et le vin bons,
 
Car il aimait la terre,
On dit parfois que nous vivons
D’une façon légère.
On dit ce qu’on veut,
On fait ce qu’on peut,
Fi du censeur sévère
Pour qui tout serait
Charmant, s’il voyait
À travers notre verre.
 
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/77]]==
<nowiki/>
 
{{personnageD|Gaston|c|se rasseyant.}}
 
C’est pourtant vrai que la vie est gaie et que Prudence est
grasse.
 
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Il y a trente ans que c’est comme cela.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Il faut en finir avec cette plaisanterie… Quel âge crois-tu
donc que j’aie ?
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Je crois que tu as quarante ans bien sonnés.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Elle est bonne encore avec ses quarante ans, j’ai eu trente-cinq ans l’année dernière.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Ce qui t’en fait déjà trente-six. Eh bien ! vous n’en paraissez pas plus de quarante, parole d’honneur !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Dites donc, Saint-Gaudens, à propos d’âge, on m’a raconté
une histoire sur votre compte.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Et à moi aussi.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Quelle histoire ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Il est question d’un fiacre jaune.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Elle est vraie, ma chère.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Marguerite, passez-moi du turbot.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Ah ça ! Prudence a l’estomac en fer-blanc.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Est-ce qu’il est défendu de manger maintenant ?
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Voyons l’histoire du fiacre jaune.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Il faut vous dire, mes enfants, que cet affreux Saint-Gaudens
que vous voyez là, qui ne m’a pas encore fait un sou de
rente…
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Je t’en ferai.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Ne me tutoyez pas, s’il vous plaît.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Je vous en ferai, quand j’aurai hérité de mon oncle.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Son oncle ! En voilà une bonne !… avec ça qu’à son âge on
est encore le neveu de quelqu’un ! C’est donc le Juif errant,
votre oncle ?
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Peut-être.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Alors, il n’y aura que cinq sous d’héritage… mauvaise affaire.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Voyons, veut-on savoir l’histoire du fiacre jaune ?
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Oui, mais laissez-moi aller me mettre à côté de Marguerite,
je m’ennuie à côté de Prudence.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/78]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Prudence.|c}}
Voilà un gaillard bien élevé.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Gaston, tâchez de rester tranquille.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Quel excellent souper !
 
{{personnageD|Olympe|c|à Saint-Gaudens.}}
 
Je le vois venir, il veut esquiver l’histoire du fiacre jaune.
 
{{personnage|saint-gaudens}}
 
Oh ! cela m’est bien égal.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Eh bien ! figurez-vous que Saint-Gaudens était amoureux
d’Amanda.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Je suis trop ému, il faut que j’embrasse Marguerite.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Mon cher, vous êtes insupportable.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Olympe est furieuse, parce que je lui ai fait manquer son
effet.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Olympe a raison. Gaston est aussi ennuyeux que Varville,
on va le mettre à la petite table, comme les enfants qui ne
sont pas sages.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Oui, allez vous mettre là-bas.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
À la condition qu’à la fin les dames m’embrasseront.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/79]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Prudence fera la quête et vous embrassera pour nous toutes.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Non pas, non pas, je veux que vous m’embrassiez vous
mêmes.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
C’est bon, on vous embrassera ; allez vous asseoir et ne dites
rien. — Un jour, ou plutôt un soir…
 
{{personnageD|Gaston|c|jouant Marlborough sur le piano.}}
 
Il est faux, le piano.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ne lui répondons plus.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Elle m’ennuie cette histoire-là.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Gaston a raison.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Et puis, qu’est-ce que ça prouve, votre histoire ? que Saint-Gaudens était trompé par Amanda ! Qui est-ce qui n’a pas été
trompé ! On sait bien qu’on est toujours trompé par ses amis
et ses maîtresses. C’est vieux comme les rues !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Saint-Gaudens est un héros, je propose un toast à Saint-Gaudens…
 
{{didascalie|Elle boit.}}
 
Mais nous allons être toutes folles de SaintGaudens ! Que
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/80]]==
celles qui sont folles de Saint-Gaudens lèvent la
main… Quelle unanimité !… Vive Saint-Gaudens ! Gaston,
jouez-nous de quoi faire danser Saint-Gaudens.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Je ne sais qu’une polka.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Eh bien ! va pour une polka. Allons, Saint-Gaudens et Armand, rangez la table.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Je n’ai pas fini, moi.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Messieurs, Marguerite a dit Armand tout court.
 
{{personnageD|Gaston|c|jouant.}}
 
Dépêchez-vous, voilà le passage où je m’embrouille.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Est-ce que je vais danser avec Saint-Gaudens, moi ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Non, moi j’y danserai… Venez, mon petit Saint-Gaudens, venez.
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
Allons, Armand, allons.
 
{{didascalie|Marguerite polke un peu et s’arrête tout à coup.}}
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Qu’est-ce que vous avez ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Rien. J’étouffe un peu.
 
{{personnageD|Armand|c|s’approchant d’elle.}}
 
Vous souffrez, madame ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Oh ! ce n’est rien ; continuons.
 
{{personnage|Gaston.|c}}
 
Allons.
 
{{didascalie|Elle essaye de nouveau et s’arrête encore.}}
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/81]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Tais-toi donc, Gaston.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Marguerite est malade.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Donnez-moi un verre d’eau.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Qu’avez-vous ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Toujours la même chose. Mais ce n’est rien. Je vous le répète. Passez de l’autre côté, allumez un cigare, dans un instant,
je suis à vous.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Laissons-la un peu, elle aime mieux être seule quand cela
lui arrive ; ce n’est rien.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Allez, je vous rejoins.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Venez !
 
{{didascalie|À part.}}
 
Il n’y a pas moyen de s’amuser un instant ici.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Pauvre fille.
 
 
{{scène|IX}}
 
{{Acteurs|Marguerite, seule.|n}}
 
Ah !…
 
{{didascalie|Elle se regarde dans la glace.}}
 
Comme je suis pâle !… Ah !…
 
{{didascalie|Elle met sa tête dans ses mains et appuie ses coudes sur la cheminée.}}
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/82]]==
<nowiki/>
 
 
{{scène|X}}
 
{{Acteurs|MARGUERITE, ARMAND.|n}}
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Eh bien ! comment allez-vous, madame ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ah ! c’est vous, monsieur Armand, merci, je vais mieux…
D’ailleurs, j’y suis habituée.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Vous vous tuez… Je voudrais être votre ami, votre parent,
pour vous empêcher de vous faire mal ainsi.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Vous n’y arriveriez pas. Voyons, venez !… Ah ça ! mais,
qu’avez-vous ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Ce que je viens de voir m’a fait beaucoup de mal.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ah ! vous êtes bien bon… voyez les autres, s’ils s’occupent
de moi.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Les autres ne vous aiment pas comme je vous aime.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ah ! c’est juste, j’avais oublié ce grand amour.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Vous en riez !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Dieu m’en garde ! j’entends tous les jours la même chose, je
n’en ris plus.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Eh bien ! soit ; mais cet amour vaut bien une promesse de
votre part.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/83]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
Laquelle ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
Celle de ne plus vivre comme vous le faites et de vous soigner.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
Me soigner… Est-ce que c’est possible ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
Pourquoi pas ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
Mais si je me soignais, je mourrais, mon cher. Ce qui me
soutient, c’est la vie fiévreuse que je mène. Puis, se soigner,
c’est bon pour les femmes du monde, qui ont une famille et
des amis ; mais nous, dès que nous ne pouvons plus servir au
plaisir ou à la vanité de personne, on nous abandonne, et les
longues soirées succèdent aux longs jours ; je le sais bien, allez ; j’ai été deux mois dans mon lit, au bout de trois semaines,
personne ne venait plus me voir.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Il est vrai que je ne vous suis rien, mais si vous le vouliez,
Marguerite, je vous soignerais comme un frère, je ne vous quitterais pas et je vous guérirais. Alors, quand vous en auriez la force, vous reprendriez la vie que vous menez, si bon vous
semblait ; mais, j’en suis sûr, vous aimeriez mieux une existence tranquille, qui vous ferait plus heureuse et vous garderait jolie.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Vous avez le vin triste.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Est-ce que vous n’avez pas de cœur, Marguerite ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Le cœur. C’est la seule chose qui fasse faire naufrage dans la
traversée que je fais.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Alors, vous n’en avez pas ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
J’en ai peut-être, mais cela m’étonnerait bien. Pourquoi me
demandez-vous si j’en ai ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Parce que si vous avez du cœur, ou seulement de l’esprit,
vous ne devez pas rire de mes paroles.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
C’est donc sérieux ?
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/84]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Armand.|c}}
Très-sérieux.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Prudence ne m’a pas trompée alors, quand elle m’a dit que
vous étiez sentimental.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Est-ce bien ridicule ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
C’est selon à qui l’on s’adresse. Ainsi, vous me soigneriez ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Oui !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Vous resteriez tous les jours auprès de moi ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Oui ! tout le temps que je ne vous ennuierai.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Mais comment appelez-vous cela ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Du dévouement.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Et d’où vient ce dévouement ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
D’une sympathie irrésistible que j’ai pour vous.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Depuis…
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Depuis deux ans. Depuis un jour où je vous ai vue passer devant moi, belle, fière, souriante. Depuis ce jour, j’ai suivi de
loin et silencieusement votre existence.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Comment se fait-il que vous ne me disiez cela qu’aujourd’hui ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Je ne vous connaissais pas, Marguerite.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Il fallait faire ma connaissance. Pourquoi, lorsque
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/85]]==
j’ai été malade il y a un an, et que vous êtes si assidûment venu savoir de
mes nouvelles, pourquoi n’êtes-vous pas monté me voir ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
De quel droit l’aurais-je fait ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Est-ce qu’on se gêne avec une femme comme moi ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
On se gêne toujours avec une femme… et puis,..
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Et puis ?…
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
J’avais peur de vous, de l’influence que vous pouviez prendre sur ma vie. J’en ai une preuve ce soir par l’émotion où me met l’état où vous êtes.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ainsi, vous êtes amoureux de moi ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Si je dois vous le dire un jour, ce n’est pas aujourd’hui.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Vous ferez mieux de ne me le dire jamais.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Pourquoi ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Parce qu’il ne peut résulter que deux choses de cet aveu…
ou que je n’y croie pas, alors vous m’en voudrez ; ou que j’y
croie, alors vous aurez une triste société, celle d’une femme
nerveuse, malade, triste, ou gaie d’une gaieté plus triste que le
chagrin, une femme qui dépense cent mille francs par an ; c’est
bon pour un vieux richard comme le duc, mais c’est bien ennuyeux pour un jeune homme comme vous. Allons, nous disons
là des enfantillages ! Donnez-moi la main et rentrons dans la
salle à manger ; on ne doit pas savoir ce que notre absence
veut dire.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/86]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Rentrez si bon vous semble, mais je vous demande la permission de rester ici.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Pourquoi ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Parce que votre gaieté me fait trop de mal.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Voulez-vous que je vous donne un conseil ?…
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Dites.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Prenez la porte et sauvez-vous, si ce que vous me dites est
réel ; ou bien alors, aimez-moi comme un bon ami, mais pas
autrement. Venez me voir, nous rirons, nous causerons ; mais
ne vous exagérez pas ce que je vaux, car je ne vaux pas grand
chose. Vous avez un bon cœur, vous avez besoin d’être aimé ;
vous êtes trop jeune et trop sensible pour vivre dans notre
monde. Aimez une autre femme, ou mariez-vous. Vous voyez
que je suis une bonne fille, et que je vous parle franchement.
 
 
{{scène|XI}}
 
{{Acteurs|{{sc|Les mêmes}}, PRUDENCE.|n}}
 
{{personnageD|prudence|c|entrouvrant la porte.}}
 
Ah ça ! que diable faites-vous là ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Nous parlons raison ; laissez-nous un peu, nous vous rejoindrons tout à l’heure.
 
{{personnage|Prudence.|c}}
 
Bien, bien, causez, mes enfants !
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/87]]==
<nowiki/>
 
 
{{scène|XII}}
 
{{Acteurs|MARGUERITE, ARMAND.|n}}
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ainsi, c’est convenu, vous ne m’aimez plus.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Je suivrai votre conseille et partirai.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
C’est à ce point là ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Oui !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Que de gens m’en ont dit autant, qui ne sont pas partis.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
C’est que vous les avez retenus.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Ma foi, non !
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Vous n’avez donc jamais aimé personne ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Jamais, grâce à Dieu !
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
à Merci !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
De quoi ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
De ce que vous venez de me dire ; rien ne pouvait me rendre
plus heureux.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Quel original vous faites !
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/88]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Si je vous disais, Marguerite, que j’ai passé des nuits entières
sous vos fenêtres, que je garde depuis six mois un bouton
tombé de votre gant.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Je ne vous croirais pas.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Vous avez raison, je suis un extravagant ; riez de moi, c’est
ce qu’il y a de mieux à faire… Adieu.
 
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Armand !
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Vous me rappelez.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Je ne veux pas vous voir partir fâché.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Fâché contre vous, est-ce que c’est possible !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Voyons, dans tout ce que vous me dites, y a-t-il un peu de
vrai ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Vous me le demandez !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Eh bien ! donnez-moi une poignée de main, venez me voir
quelquefois, souvent… nous en reparlerons.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
C’est trop, et ce n’est pas assez.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Alors, mon cher, faites votre carte vous-même, demandez ce
que vous voudrez, puisque, à ce qu’il paraît, je vous dois quelque chose.
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/89]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Ne parlez pas ainsi. Je ne veux plus vous voir rire avec les
choses sérieuses.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Je ne ris plus.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Répondez-moi.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Voyons.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Voulez-vous être aimée… ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
C’est selon. Par qui ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Par moi !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Après ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Être aimée d’un amour profond, éternel ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Éternel ?…
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Oui.
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Et si je vous crois tout de suite, que direz-vous de moi ?
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Que vous êtes un ange !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Non, vous direz de moi ce que tout le monde en dit. Qu’importe ? puisque j’ai à vivre moins longtemps que les autres, il faut bien que je vive plus vite. Mais tranquillisez-vous,
si éternel que soit votre amour et si peu de temps que j’aie à
vivre, je vivrai encore plus longtemps que vous ne m’aimerez.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Marguerite !…
 
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/90]]==
<nowiki/>
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
En attendant, vous avez le cœur bon, votre voix est sincère,
vous croyez en ce moment à ce que vous dites. Tout cela mérite quelque chose… Prenez cette fleur,..
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Qu’en ferai-je ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Vous me la rapporterez.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Quand ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Quand elle sera fanée.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Et combien de temps lui faudra-t-il pour cela ?
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Mais ce qu’il faut à toute fleur pour se faner, l’espace d’un
soir ou d’un matin.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Ah ! Marguerite, que je suis heureux !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Eh bien ! dites-moi encore que vous m’aimez.
 
{{personnage|Armand.|c}}
 
Oh ! oui, je vous aime !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
Et maintenant, partez.
 
{{personnageD|Armand|c|s’éloignant à reculons}}
 
Je pars.
 
{{didascalie|revient sur ses pas, lui baise une dernière fois la
main et sort. — Rires dans la coulisse.}}
 
==[[Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/91]]==
<nowiki/>
 
 
{{scène|XIII}}
 
{{Acteurs|MARGUERITE, seule, et regardant la porte refermée.|n}}
 
Pourquoi pas ? — À quoi bon ! Ma vie va et s’use sans cesse
de l’un à l’autre de ces deux mots.
 
{{personnageD|Gaston|c|entrouvrant la porte.}}
 
Chœur des villageois.
 
{{didascalie|il chante.}}
 
C’est une heureuse journée !
Unissons, dans ce beau jour,
Les flambeaux de l’hyménée
Avec les fleurs…
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Vivent monsieur et madame Duval !
 
{{personnage|Olympe.|c}}
 
En avant le bal de noce !
 
{{personnage|Marguerite.|c}}
 
C’est moi qui vais vous faire danser.
 
{{personnage|Saint-Gaudens.|c}}
 
Mais comme je prends du plaisir !
 
{{didascalie|Danse.}}
 
{{didascalie|À cette fin d’acte, Prudence se coiffe d’un chapeau d’homme, Gaston d’un chapeau de femme, etc., etc.}}