« Annales (Tacite)/Livre XII » : différence entre les versions

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Après cet exorde insinuant, qui fut reçu par les sénateurs avec un applaudissement universel, Vitellius, reprenant la parole, ajouta "que, puisque toutes les voix conseillaient le mariage du prince, il fallait lui choisir une femme distinguée par sa noblesse, sa fécondité, sa vertu ; qu'Agrippine avait sans contredit une naissance supérieure à toute autre ; qu'elle avait donné des preuves de fécondité, et que ses vertus répondaient à ce double avantage. Mais c'était, selon lui, une faveur signalée des dieux qu'elle fût veuve ({{refl|1)}} : elle s'unirait libre à un prince qui n'avait jamais attenté aux droits d'un autre époux. Leurs pères avaient vu, ils avaient vu eux-mêmes des Césars enlever arbitrairement des femmes à leurs maris : combien cette violence était loin de la modération présente ! Il était bon de régler par un grand exemple comment le prince devait recevoir une épouse. L'union entre l'oncle et la nièce est, dira-t-on, nouvelle parmi nous. Mais elle est consacrée chez d'autres nations, et aucune loi ne la défend. Longtemps aussi les mariages entre cousins germains furent inconnus ; ils ont fini par devenir fréquents. Les coutumes varient selon les intérêts ; et la nouveauté d'aujourd'hui demain sera un usage."
 
:{{refa|1.}} Agrippine était veuve de l'orateur Crispus Passiénus qu'elle avait épousé après la mort de Cn. Domitius, père de Néron.
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===Oui ! ===
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Cassius était alors le premier des Romains dans la science des lois. Je ne dis rien des talents militaires : on ne les connaît point dans cette inaction de la paix, qui tient au même rang l'homme de coeur et le lâche. Toutefois, autant qu'il était possible sans guerre, il faisait revivre l'ancienne discipline, exerçait continuellement les troupes, aussi actif, aussi vigilant que s'il eût eu l'ennemi en présence ; c'est ainsi qu'il honorait ses ancêtres et le nom des Cassius, déjà célèbre parmi ces nations (1){{refl|2}}. Il appelle tous ceux qui avaient voulu qu'on demandât le nouveau roi, et campe près de Zeugma (2){{refl|3}}, lieu où le passage du fleuve est le plus facile. Lorsque les principaux d'entre les Parthes, et Acbare, roi des Arabes, furent arrivés, il avertit Méherdate que le zèle des barbares, d'abord impétueux, languit si l'on diffère, ou se change en perfidie ; qu'il fallait donc presser l'entreprise. Cet avis fut méprisé par la faute d'Acbare ; et ce traître, abusant de l'inexpérience d'un jeune homme qui plaçait la grandeur dans les plaisirs, le retint longtemps à Édesse. En vain Carrhène les appelait et leur promettait un succès infaillible s'ils arrivaient promptement : au lieu d'aller droit en Mésopotamie, ils firent un détour et gagnèrent l'Arménie, alors peu praticable parce que l'hiver commençait.
 
1.:{{refa|2}} Cassius, qui fut depuis l'un des meurtriers de César, avait défendu la Syrie contre les Parthes, après la défaite de Crassus, dont il était questeur. 2.:{{refa|3}} Le mot grec Zeugma veut dire pont, et plusieurs auteurs rapportent qu'Alexandre en fit construire un en cet endroit pour passer l'Euphrate : une ville bâtie à côté en emprunta le nom.
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===Gotarzès===
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Mithridate, roi détrôné du Bosphore, errait de pays en pays, lorsqu'il sut que le général romain Didius était absent avec l'élite de son armée, et qu'il ne restait pour garder le Bosphore que le nouveau roi Cotys, jeune homme sans expérience, et un petit nombre de cohortes commandées par un simple chevalier romain, Julius Aquila. Plein de mépris pour ces deux clefs, Mithridate appelle aux armes les nations voisines, attire des transfuges ; enfin, parvenu à former une armée, il chasse le roi des Dandarides (1){{refl|4}} et s'empare de ses États. A cette nouvelle, qui menaçait le Bosphore d'une prochaine invasion, Aquila et Cotys, se défiant de leurs forces, et voyant que Zorsinès, roi des Siraques, avait recommencé les hostilités, cherchèrent aussi des appuis au dehors : ils députèrent vers Eunone, chef de la nation des Aorses. L'alliance ne fut pas difficile à conclure : Eunone avait à choisir entre la puissance romaine et le rebelle Mithridate. On convint qu'il fournirait de la cavalerie, et que les Romains assiégeraient les villes.
 
1.:{{refa|4}} Strabon compte les Dandari parmi les Méotes, peuples Sauromates ou Sarmates, qui habitaient sur la côte orientale de la mer d'Azof (les Palus-Méotides), entre le Kuban et le Don ou Tanaïs. Il place dans les mêmes contrées les Aorses et les Siraques, répandus vers le midi, jusqu'aux monts Caucasiens.
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Cependant Mithridate, qui n'attendait plus rien des armes, délibérait à qui demander de la pitié. Traître, puis ennemi, son frère Cotys ne lui donnait que des craintes. Il n'y avait dans le pays aucun Romain d'une assez haute considération pour qu'on pût s'assurer dans les promesses qu'il ferait. Il se tourne vers Eunone, exempt à son égard de haine personnelle, et fort auprès de nous du crédit que donne une amitié récente. Il prend donc l'air et l’habit le plus conforme à sa fortune, entre dans le palais d'Eunone, et tombant à ses genoux : "Tu vois, dit-il, ce Mithridate que les Romains cherchent depuis tant d'années sur terre et sur mer : il se remet lui-même en tes mains. Dispose à ton gré du descendant du grand Achéménès (1){{refl|5}} : ce titre est le seul bien que mes ennemis ne m'aient pas ravi."
 
1.:{{refa|5}} Mithridate, roi du Bosphore, étant issu du grand Mithridate, septième du nom, sa famille remontait jusqu'à Mithridate Ier, satrape de la Cappadoce maritime, pays plus connu dans la suite sous le nom du royaume de Pont. Or, Mithridate Ier descendait d'un certain Artabaze, regardé par quelques historiens comme un fils de Darius Hystaspes, roi de Perse ; et la tige des rois de Perse était Achéménès, aïeul (ou bisaïeul) de Cambyse, père de Cyrus.
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Sous les mêmes consuls, Agrippine, implacable en ses haines, et mortelle ennemie de Lollia, qui lui avait disputé la main de Claude, lui chercha des crimes et un accusateur. Elle avait, disait-on, interrogé des astrologues et des magiciens, et consulté l'oracle d'Apollon de Claros sur le mariage du prince. Claude, sans entendre l'accusée, prononce son avis dans le sénat. Après un long exorde sur l'illustration de cette femme, qui était nièce de L. Volusius, petite-nièce de Messalinus Cotta, et qui avait eu Memmius Régulus pour époux (car il omettait à dessein son mariage avec l'empereur Caïus), il ajouta qu'il fallait réprimer des complots funestes à la république, et ôter au crime ses moyens de succès. Il proposa donc la confiscation des biens et le bannissement hors de l'Italie. Lollia fut exilée, et, sur son immense fortune, on lui laissa cinq millions de sesterces (1){{refl|6}}. Calpurnie, femme du premier rang, fut frappée à son tour, parce que le prince avait loué sa figure ; éloge indifférent toutefois, où l'amour n'entrait pour rien : aussi la colère d'Agrippine n'alla-t-elle pas aux dernières violences. Quant à Lollia, un tribun fut envoyé pour la forcer à mourir. On condamna encore Cadius Rufus en vertu de la loi sur les concussions : il était accusé par les Bithyniens.
 
1.:{{refa|6}} - 974 178 francs de notre monnaie.
 
==Quelques mesures de Claude==
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La Gaule narbonnaise, distinguée par son respect envers le sénat, reçut en récompense un privilège réservé jusqu'alors à la Sicile : il fut permis aux sénateurs de cette province d'aller visiter leurs biens sans demander la permission du prince. Les Ituréens et les Juifs, dont les rois, Sobémus et Agrippa, venaient de mourir, furent réunis au gouvernement de Syrie. L'augure de Salut (1){{refl|7}} y était négligé depuis vingt-cinq ans : on ordonna qu'il fût pris de nouveau et continué dans la suite. Claude étendit le pomérium (2){{refl|8}}, d'après un ancien usage qui donnait à ceux qui avaient reculé les bornes de l'empire le droit d'agrandir aussi l'enceinte de la ville ; droit dont cependant aucun des généraux romains n’avait usé, même après les plus vastes conquêtes, si ce n'est Sylla et Auguste.
 
1.:{{refa|7}} Espèce de divination qu'on employait, lorsque la république était dans une paix complète, pour savoir si les dieux approuvaient qu'on leur on demandât la continuation.
2.:{{refa|8}} "A s'en tenir à l'étymologie, dit Tite Live, I, XLIV, le mot pomoerium signifie ce qui est derrière les murs ; mais on l'emploie pour désigner cet espace vide que les Étrusques consacraient en bâtissant une ville, et qui régnait tout à l'entour, tant en dedans qu'en dehors. Il n'était permis ni de le cultiver ni d'y bâtir."
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Quelle fut, à cet égard, ou la vanité ou la gloire des rois, c'est un point sur lequel les traditions varient. Mais je ne crois pas inutile de connaître en quel lieu furent bâtis les premiers édifices, et quel pomérium fut marqué par Romulus. Le sillon tracé pour désigner l'enceinte de la place partait du marché aux boeufs, où nous voyons un taureau d'airain (à cause de la charrue traînée par cet animal), et ce sillon embrassait le grand autel d'Hercule. Ensuite, des pierres placées de distance en distance, en suivant le pied du mont Palatin, allaient d'abord à l'autel de Consus (1){{refl|9}}, puis aux anciennes Curies (2){{refl|10}}, enfin au petit temple des Lares et au forum Romanum. Quant au Capitole, on croit que c'est Tatius, et non Romulus, qui l'a enfermé dans la ville. Depuis, l'enceinte de Rome s'est accrue avec sa fortune. Les limites figées par Claude sont faciles à connaître : elles sont marquées dans les actes publics.
 
1.:{{refa|9}} C'est ce dieu qu'on adorait aussi sous le nom de Neptune Équestre, et dont la fête servit de prétexte à l'enlèvement des Sabines.
2.:{{refa|10}} Ces curies étaient des édifices où les membres de chacune des curies qui composaient le peuple romain offraient des sacrifices et prenaient des repas en commun, à certains jours réglés. On appelait vieilles les Curies qu'avait bâties Romulus.
 
= An 50 =
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Agrippine voulut aussi étaler son pouvoir aux yeux des peuples alliés. Elle obtint qu'on envoyât dans la ville des Ubiens, où elle était née, des vétérans et une colonie, à laquelle on donna son nom, Par une rencontre du hasard, c'était son aïeul Agrippa qui, à l'époque où cette nation passa le Rhin, l'avait reçue dans notre alliance. Vers le même temps, une irruption des Cattes, accourus pour piller, jeta l'alarme dans la haute Germanie. Aussitôt le lieutenant L. Pomponius détache les cohortes des Vangions et des Némètes (1){{refl|11}}, soutenues par des cavaliers auxiliaires, avec ordre de prévenir les pillards, ou de tomber à l'improviste sur leurs bandes éparses. Les soldats secondèrent habilement les vues du général ; ils se divisèrent en deux corps, dont l'un prit à gauche, et trouva les barbares nouvellement revenus du butin. La débauche où ils s'étaient plongés et l'accablement du sommeil les rendirent faciles à envelopper. La joie fut accrue par la délivrance de quelques soldats de Varus, arrachés, après quarante ans, à la servitude.
 
1 .:{{refa|11}} Nations venues de la Germanie transrhénane, et qui occupaient les pays de Worms et de Spire.
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A la même époque, le roi Vannius, imposé aux Suèves par Drusus César, fut chassé de ses États. Les premières années de son règne avaient été glorieuses et populaires. L'orgueil vint avec le temps, et arma contre lui la haine de ses voisins et les factions domestiques. Les auteurs de sa perte furent Vangion et Sidon, tous deux fils de sa soeur, et Vibillius, roi des Hermondures. Aucune prière ne put décider Claude à interposer ses armes dans cette querelle entre barbares. Il promit à Vannius un asile s'il était chassé ; et il écrivit à P. Atellius Hister, gouverneur de Pannonie, d'occuper la rive du Danube avec sa légion et des auxiliaires choisis dans le pays même, afin de protéger les vaincus et de tenir les vainqueurs en respect, de peur qu'enorgueillis par le succès ils ne troublassent aussi la paix de notre empire. Car une multitude innombrable de Lygiens (1){{refl|12}} accourait avec d'autres nations, attirées par le bruit des trésors que Vannius, pendant trente ans d'exactions, avait accumulés dans ce royaume. Vannius, avec l'infanterie qu'il avait à lui et la cavalerie que lui fournissaient les Sarmates Iazyges (2){{refl|13}}, était faible contre tant d'ennemis. Aussi résolut-il de se défendre dans ses places et de traîner la guerre en longueur.
 
1 .:{{refa|12}} Les Lygiens habitaient sur la Vistule. 2.
:{{refa|13}} Au nord des Palus-Méotides, entre le Tanaïs et le Borysthène.
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C'est le temps ou le propréteur P. Ostorius arrivait dans la Bretagne, qu'il trouva pleine de troubles. Les ennemis avaient fait sur les terres de nos alliés une incursion d'autant plus furieuse qu'ils ne s'attendaient pas qu'un nouveau général avec une armée inconnue, et déjà en hiver, marcherait contre eux. Ostorius, qui savait combien les premiers événements ôtent ou donnent de confiance, vole avec les cohortes, tue ce qui résiste, poursuit les autres dispersés ; puis, dans la crainte qu'ils ne se rallient, et afin de se prémunir contre une paix hostile et trompeuse qui ne laisserait de repos ni au général ni aux soldats, il s'apprête à désarmer les peuplades suspectes, et à les contenir, par une ligne de postes fortifiés, au delà des rivières d'Auvone et de Sabrine (1){{refl|14}}. La résistance commença par les Icéniens, nation puissante et que les combats n'avaient point mutilée, parce qu'elle avait d'elle-même embrassé notre alliance. Soulevés par eux, les peuples d'alentour choisissent un champ de bataille entouré d'une terrasse rustique, avec une entrée si étroite que la cavalerie n'y pouvait pénétrer. Le général romain n'avait point amené les légions, cette force d'une armée : il entreprit toutefois, avec les seuls auxiliaires, d'emporter ces retranchements. Il distribue les postes aux cohortes, et tient la cavalerie elle-même prête à combattre à pied. Le signal donné, on fait brèche au rempart, et l'ennemi, emprisonné dans ses propres fortifications, est mis en désordre. Pressés par la conscience de leur rébellion, jointe à l'impossibilité de fuir, les barbares firent des prodiges de valeur. Dans ce combat, M. Ostorius, fils du général, mérita la couronne civique.
 
1.:{{refa|14}} La Saverne et probablement le Non ou Nyne, qui passe à Northampton, et se jette dans la mer du Nord.
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===Chez les Brigantes===
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Le désastre des Icéniens contint ceux qui balançaient entre la paix et la guerre, et l'armée fut conduite chez les Canges (1){{refl|15}}. Les champs furent dévastés et l'on ramassa beaucoup de butin, sans que l'ennemi osât en venir aux mains, ou, s'il essaya par surprise d'entamer nos colonnes, on l'en fit repentir. Déjà on approchait de la mer qui est en face de l'Hibernie, lorsque des troubles survenus chez les Brigantes (2){{refl|16}} rappelèrent le général, inébranlable dans la résolution de ne point tenter de nouvelles conquêtes qu'il n'eût assuré les anciennes. Le supplice d'un petit nombre de rebelles armés, et le pardon accordé aux autres, pacifièrent les Brigantes. Quant aux Silures (3){{refl|17}}, ni rigueur ni clémence ne put les ramener : ils continuèrent la guerre, et il fallut que des légions, campées au milieu d'eux, les pliassent au joug. Pour y mieux réussir, on conduisit à Camulodunum, (4){{refl|18}}, sur les terres enlevées à l'ennemi, une forte colonie de vétérans. C'était un boulevard contre les rebelles, et une école où les alliés apprendraient à respecter les lois.
 
1.:{{refa|15}} Les Canges habitaient dans le nord du pays de Galles, près des Ordoviques.
2.:{{refa|16}} Les Brigantes, au nord des Canges et des Ordoviques, s'étendaient d'une mer à l'autre, dans les comtés de Lancastre, de Cumberland, de Durham et d'York.
3.:{{refa|17}} Les Silures habitaient le midi du pays de Galles, entre la Saverne et la mer d'Irlande.
4.:{{refa|18}} Plusieurs pensent que c'est aujourd'hui Colchester.
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===Contre les Silures===
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Toutefois Agrippine n'osait tenter les dernières entreprises, tant que les gardes prétoriennes resteraient confiées aux soins de Crispinus et de Géta, qu'elle croyait attachés à la mémoire et aux enfants de Messaline. Elle représente donc que la rivalité inévitable entre deux chefs divise les cohortes, et que, sous l'autorité d'un seul, la discipline serait plus ferme. Claude suivit le conseil de sa femme, et le prétoire fut mis sous les ordres de Burrus Afranius, guerrier distingué, mais qui savait trop de quelle main il tenait le commandement. Agrippine rehaussait de plus en plus l'éclat de sa propre grandeur. On la vit entrer au Capitole sur un char suspendu, privilège réservé de tout temps aux prêtres et aux images des dieux, et qui ajoutait aux respects du peuple pour une femme de ce rang, la seule jusqu'à nos jours qui ait été fille d'un César (1){{refl|19}}, soeur, épouse et mère d'empereurs (2){{refl|20}}. Cependant le plus zélé de ses partisans, Vitellius, dans toute la force de son crédit, à la fin de sa carrière (tant la fortune des grands est incertaine), fut frappé d'une accusation. Le sénateur Junius Lupus le dénonçait comme coupable de lèse-majesté, et lui reprochait de convoiter l'empire. Claude eût prêté l'oreille, si les menaces encore plus que les prières d'Agrippine n'avaient changé ses dispositions, au point qu'il prononça contre l'accusateur l’interdiction du feu et de l'eau ; c'est tout ce que Vitellius avait exigé.
 
1.:{{refa|19}} Germanicus. 2.
:{{refa|20}} Agrippine était soeur de Caligula, femme de Claude, mère de Néron.
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===Présages et famine===
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On délibère ensuite sur la punition des femmes qui auraient commerce avec des esclaves. Il fut décidé qu'elles seraient elles-mêmes tenues pour esclaves, si elles s'étaient ainsi dégradées à l'insu du maître ; pour affranchies, si c'était de son aveu. Claude ayant déclaré que l'idée de ce règlement était due à Pallas, le consul désigné, Baréa Soranus, proposa de lui décerner les ornements de la préture et quinze millions de sesterces. Cornélius Scipion voulut en outre qu'on le remerciât, au nom de l'État, de ce qu'étant issu des rois d'Arcadie il sacrifiait au bien public une très-ancienne noblesse, et consentait à être compté parmi les serviteurs du prince. Claude assura que Pallas, content de l'honneur, voulait rester dans sa pauvreté ; et un sénatus-consulte fut gravé sur l'airain et publiquement affiché, où un affranchi, possesseur de trois cents millions de sesterces (1){{refl|21}}, était loué comme le parfait modèle de l'antique désintéressement.
 
1.:{{refa|21}} Prés de trois millions de notre monnaie (2 922 534 fr.)
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===Félix, frère de Pallas. Les Galiléens et les Samaritains===
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Vers le même temps, on acheva de couper la montagne qui sépare le lac Fucin (1){{refl|22}} du Liris (2){{refl|23}} ; et, afin que la magnificence de l'ouvrage eût plus de spectateurs, on donna sur le lac même un combat naval, comme avait fait Auguste sur un bassin construit en deçà du Tibre. Mais Auguste avait employé des vaisseaux plus petits et moins de combattants. Claude arma des galères à trois et quatre rangs de rames, qui furent montées par dix-neuf mille hommes. Une enceinte de radeaux fermait tout passage à la fuite, et embrassait cependant un espace où pouvaient se déployer la force des rameurs, l'art des pilotes, la vitesse des navires, et toutes les manoeuvres d'un combat. Sur les radeaux étaient rangées des troupes prétoriennes, infanterie et cavalerie, et devant elles on avait dressé des parapets d'où l'on pût faire jouer les catapultes et les balistes. Les combattants, sur des vaisseaux pontés, occupaient le reste du lac. Les rivages, les collines, le penchant des montagnes, formaient un vaste amphithéâtre, où se pressait une foule immense, accourue des villes voisines et de Rome même, par curiosité ou pour plaire à César. Claude, revêtu d'un habit de guerre magnifique, et non loin de lui Agrippine, portant aussi une chlamyde tissue d'or, présidèrent au spectacle. Le combat, quoique entre des criminels, fut digne des plus braves soldats. Après beaucoup de sang répandu, on les dispensa de s'entr'égorger.
 
1.:{{refa|22}} Aujourd'hui le lac de Célano, dans l'Abruzze ultérieure. 2.:{{refa|23}} Le Garigliano.
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Sous les consuls D. Junius et Q. Hatérius, Néron, âgé de seize ans, reçut en mariage Octavie, fille de Claude. Afin d'illustrer sa jeunesse par un emploi honorable du talent et par les succès de l'éloquence, on le chargea de la cause d'Ilium. Après avoir rappelé dans un brillant discours l'origine troyenne des Romains, Énée, père des Jules, et d'autres traditions qui touchent de près à la fable, il obtint que les habitants d'Ilium fussent exemptés de toutes charges publiques. A la demande du même orateur, la colonie de Bologne, ruinée par un incendie, reçut un secours de dix millions de sesterces ; la liberté fut rendue aux Rhodiens (1){{refl|24}}, qui l'avaient souvent perdue ou recouvrée, selon qu'ils nous avaient servis dans nos guerres ou offensés par leurs séditions ; enfin le tribut fut remis pour cinq ans à la ville d'Apamée, renversée par un tremblement de terre.
 
1.:{{refa|24}} Les Rhodiens avaient perdu la liberté neuf ans auparavant, pour avoir mis en croix des citoyens romains.
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===Convoitise d'Agrippine===
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Dans le cours de cette année, on entendit Claude répéter souvent que les jugements de ses procurateurs (1){{refl|25}} devaient avoir la même force que si c'était lui qui les eût prononcés ; et, afin qu'on ne prît pas ces paroles pour un propos sans conséquence, un sénatus-consulte y pourvut par une concession plus formelle et plus étendue que jamais. Déjà l'empereur Auguste avait donné aux chevaliers qui gouvernaient l'Égypte l'administration de la justice, et avait voulu que leurs décisions fussent aussi respectées que si elles émanaient des magistrats romains. Bientôt furent ainsi partagées, dans les autres provinces et à Rome même, des attributions qui anciennement n'appartenaient qu'aux préteurs. Enfin Claude livra tout entier un droit qui donna lieu jadis à tant de séditions ou de combats, lorsque les lois semproniennes mettaient l'ordre équestre en possession des jugements, ou qu'à leur tour les lois serviliennes les rendaient au sénat ; un droit qui, plus que tout le reste, arma l'un contre l'autre Sylla et Marius. Mais alors c'était une lutte entre les ordres de l'État, et le parti vainqueur dominait à titre de puissance publique. C. Oppius et Cornélius Balbus furent les premiers que la volonté d'un homme, le dictateur César, érigea en négociateurs de la paix et en arbitres de la guerre. Il n'est pas besoin de citer après eux les Matius, les Médius, et tant d'autres chevaliers fameux par leur immense pouvoir, quand on voit Claude égaler à lui-même et aux lois les affranchis qu'il avait chargés de ses affaires domestiques.
 
1.:{{refa|25}} Les procurateurs étaient les intendants des domaines et des revenus du prince. Là se bornaient leurs fonctions dans les provinces gouvernées par des proconsuls ou des propréteurs. Mais eux-mêmes tenaient lieu de gouverneurs dans certaines provinces moins importantes, comme les deux Mauritanies, la Rhétie, la Norique, la Thrace, etc.
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===Claude favorise l'île de Cos===
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En effet, c'est aux lieux où l'Europe et l'Asie sont séparées par le plus petit intervalle, que les Grecs ont fondé Byzance, à l'endroit même où l'Europe finit. Ils avaient consulté sur l'emplacement de leur ville Apollon Pythien, et l'oracle leur avait répondu de chercher une demeure en face de la terre des aveugles. Ce nom mystérieux désignait les Chalcédoniens, qui, arrivés les premiers sur ces côtes, et pouvant choisir la meilleure position, avaient pris la plus mauvaise. Prés de Byzance, la terre et la mer sont également fécondes. Une quantité innombrable de poissons (1){{refl|26}} qui se jettent hors de l'Euxin, apercevant sous l'eau une barre de rochers, s'éloignent effrayés de la côte d'Asie, et refluent vers ce port. Ce fut pour les Byzantins une source de commerce et d'opulence. Des charges énormes les accablèrent ensuite : ils en sollicitaient alors la fin ou la diminution ; le prince appuya leur demande, en disant qu'ils étaient épuisés par les dernières guerres de Thrace et du Bosphore, et qu'il était juste de les soulager. Les tributs leur furent remis pour cinq ans.
 
1.:{{refa|26}} Le thon.
 
= An 54 =