« Annales (Tacite)/Livre XI » : différence entre les versions

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Messaline crut que Valérius Asiaticus, deux fois consul, avait été autrefois l'amant de Poppéa. D'ailleurs elle convoitait ses jardins, commencés par Lucullus, et qu'il embellissait avec une rare magnificence. Elle déchaîna contre l'un et l’autre l'accusateur Suilius. Chargé de le seconder, Sosibius, précepteur de Britannicus, avertissait Claude, avec une hypocrite sollicitude, de se mettre en garde contre une audace et un crédit menaçants pour les princes ; "qu'Asiaticus, premier auteur du meurtre de Caïus ({{refl|1)}}, n'avait pas craint d'avouer ce forfait dans l'assemblée du peuple romain, et de s'en faire une gloire criminelle ; que, depuis ce temps, son nom était célèbre dans Rome, répandu dans les provinces ; qu'il se disposait à partir pour les armées de Germanie, et qu'étant né à Vienne, et soutenu d'une parenté nombreuse et puissante, il soulèverait sans peine des peuples dont il était le compatriote." Claude , sans rien approfondir, et comme s'il s'agissait d'étouffer une guerre naissante, envoie à la hâte Crispinus, préfet du prétoire, avec un détachement de soldats. Asiaticus fut trouvé à Baies, chargé de fers, et traîné à Rome.
 
:{{refa|1.}} Caligula.
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On convoque ensuite le sénat, et Suilius, continuant ses poursuites, accuse deux chevaliers romains du premier rang, surnommés Pétra. La cause de leur mort fut d'avoir prêté leur maison aux entrevues de Poppéa et d'Asiaticus. Le prétexte fut un songe où l'un d'eux avait cru voir Claude ceint d'une couronne d'épis renversés, image qu'il avait interprétée, disait-on, comme le pronostic d'une famine. Quelques-uns rapportent que la couronne était de pampres blanchissants, et que l'accusé en avait conclu que le prince mourrait au déclin de l'automne. Un point qui n'est pas douteux, c'est qu'un songe, quel qu'il soit, causa la perte des deux frères. Quinze cent mille sesterces (1){{refl|2}} et les ornements de la préture furent décernés à Crispinus. Vitellius fit ajouter un million de sesterces pour Sosibius, en récompense des services qu'il rendait à Britannicus par ses leçons, à Claude par ses conseils. Scipion ne fut pas dispensé de donner son avis. "Je pense comme tout le monde, dit-il, sur les liaisons de Poppéa ; supposez donc que je parle aussi comme tout le monde :" tempérament ingénieux entre l'amour du mari et ce que la nécessité commandait au sénateur.
 
1.:{{refa|2}} - 292 253 francs de notre monnaie.
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===Suicide du chevalier Samius===
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Ils demandent quel est l'homme assez présomptueux pour se promettre l'immortalité. Selon eux, "l'éloquence a un objet plus utile et plus réel : c'est un appui ménagé à la faiblesse, pour qu'elle ne soit pas, faute de défenseurs ; à la merci de la force. Et cependant ce talent ne s'acquiert pas sans qu'il en coûte. L'orateur néglige ses affaires pendant qu'il se dévoue à celles d'autrui. Le guerrier vit de son épée, le laboureur de sa charrue ; nul n'embrasse un état sans en avoir auparavant calculé les avantages. Asinius et Messala, enrichis par la guerre dans les querelles d'Antoine et d'Auguste, Èserninus et Arruntius, héritiers de familles opulentes, avaient pu aisément se parer de magnanimité ; mais d'autres exemples attestaient à quel prix les Clodius, les Curion, mettaient leur éloquence. Pour eux, simples sénateurs, vivant sous un gouvernement tranquille, ils n'aspiraient à rien, qu'à jouir des fruits de la paix. Que sera-ce du peuple, s'il en est dans cet ordre qui se distinguent au barreau ? Oui, c'en est fait des talents, si l'on supprime les récompenses." Si ces réflexions étaient peu nobles, le prince ne les trouva pas sans fondement. Il fixa des bornes aux honoraires, et permit de recevoir jusqu'à dix mille sesterces (1){{refl|3}}, au delà desquels on serait coupable de concussion.
 
1.:{{refa|3}} - 1943 francs de notre monnaie.
 
==A l'extérieur==
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Bardane se saisit ensuite des provinces les plus importantes, et il se préparait à reconquérir l'Arménie, si Vibius Marsus, gouverneur de Syrie, ne l'eût arrêté en le menaçant de la guerre. De son côté, regrettant la couronne qu'il avait cédée, et rappelé par la noblesse dont la paix rend toujours l'esclavage plus dur, Gotarzès lève des troupes. Les deux rivaux se rencontrèrent près du fleuve Ërinde (1){{refl|4}}, dont le passage fut vivement disputé. Bardane resta vainqueur, et par une suite de combats heureux, il soumit toutes les nations jusqu'au Sinde (2){{refl|5}}, qui sépare les Dahes et les Aries. Ce fut là le terme de ses succès ; car les Parthes, quoique vainqueurs, se refusaient à des guerres si lointaines. Il érigea des monuments en mémoire de sa conquête, et pour attester que nul Arsacide avant lui n'avait imposé tribut à ces nations ; puis il revint glorieux dans ses États. Mais son orgueil s'accrut avec sa gloire, et le rendit de plus en plus insupportable à ses sujets. Ils formèrent un complot contre sa vie et le tuèrent pendant qu'il se livrait sans défiance au plaisir de la chasse. Ainsi mourut Bardane à la fleur de l'âge, mais avec un nom que peu de rois vieillis sur le trône auraient surpassé, s'il eût été aussi jaloux d'être aimé de ses peuples que d'être craint de ses ennemis. Sa mort remit le trouble chez les Parthes, incertains quel nouveau maître ils se donneraient. Beaucoup penchaient pour Gotarzès ; quelques-uns pour Méherdate, descendant de Phraate, et qui était en otage à Rome. Gotarzès l'emporta. Mais une fois sur le trône, sa cruauté et ses débauches forcèrent les Parthes d'adresser à l'empereur une prière secrète pour que Méherdate leur fût rendu et vînt reprendre le sceptre de ses pères.
 
1.:{{refa|4}} Tacite est le seul. auteur qui nomme ce fleuve. Ryckius croit que c'est le même que Ptolémée place entre l'Hyrcanie et la Médie, sous le nom de Charondas.
2.:{{refa|5}} Ce fleuve doit être au sud-est de la mer Caspienne.
 
==A Rome==
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Sous les mêmes consuls, huit cents ans après la fondation de Rome, soixante-quatre ans après les jeux séculaires (1){{refl|6}} d'Auguste, Claude renouvela cette solennité. Je ne dirai pas quels calculs suivirent les deux princes, je les ai fait connaître dans l'histoire de Domitien ; car cet empereur donna aussi des jeux séculaires. J'y assistai même très-exactement : j'étais revêtu alors du sacerdoce des quindécemvirs et préteur en exercice ; ce que je ne rapporte pas ici par vanité, mais parce que le soin de ces jeux appartint de tout temps au collège des quindécemvirs, et que les magistrats étaient chargés des principales cérémonies. Aux jeux du cirque, où Claude était présent, les jeunes nobles exécutaient à cheval les courses troyennes (2){{refl|7}}, ayant avec eux Britannicus fils du prince, et L. Domitius, qui bientôt après devint par adoption héritier de l'empire, et fut appelé Héron. Les acclamations du peuple, plus vives en faveur de Domitius, furent regardées comme un présage. On publiait aussi que des dragons avaient paru auprès de son berceau, comme pour le garder ; prétendu prodige emprunté aux fables étrangères. Héron lui-même, qui n'était pas accoutumé à se rabaisser, a souvent raconté qu'un seul serpent avait été vu dans sa chambre.
 
1.:{{refa|6}} Les jeux séculaires furent institués suivant quelques-uns, l'an de Rome 245, après l'expulsion des rois, et, suivant d'autres, l'an 353. Un oracle sibyllin ordonnait de les célébrer tous les cent dix ans, et ils duraient trois jours et trois nuits.
2.:{{refa|7}} C’est ce jeu que Virgile décrit dans l’Enéide, V, 545 et sv.
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===Messaline prend un amant===
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Il appela ensuite la délibération du sénat sur le collège des aruspices. "Il ne fallait pas, disait-il, laisser périr par négligence le plus ancien des arts cultivés en Italie. Souvent, dans les calamités publiques, on y avait eu recours ; et les cérémonies sacrées, rétablies à la voix des aruspices, avaient été plus religieusement observées. Les premières familles d'Etrurie, soit d'elles-mêmes, soit par le conseil du sénat romain, avaient gardé et transmis à leurs descendants le dépôt de cette science ; zèle bien refroidi maintenant par l'indifférence du sicle pour les connaissances utiles, et par l'invasion des superstitions étrangères (1){{refl|8}} Sans doute l'état présent de l'empire était florissant ; mais c'était une reconnaissance justement due à la bonté des dieux, de ne pas mettre en oubli dans la prospérité les rites, pratiqués dans les temps difficiles." Un sénatus-consulte chargea les pontifes de juger ce qu'il fallait conserver et affermir dans l’institution des aruspices.
 
1.:{{refa|8}} Le culte de Sérapis, le judaïsme, et cette religion plus pure et plus spirituelle qui devait détrôner tous les dieux de l’empire.
 
==A l'extérieur==
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La même année, les Chérusques nous demandèrent un roi. Leur noblesse avait péri dans les guerres civiles, et il ne restait de la race royale qu'un seul rejeton, nommé Italicus, que l’on gardait à Rome. Ce prince avait pour père Flavius, frère d'Arminius. Sa mère était fille de Cattumère, chef des Canes. Bien fait de sa personne, il savait manier les armes et monter à cheval, à la manière de son pays aussi bien qu'à la nôtre. Claude lui donne de l’argent, des gardes, et l’exhorte à reprendre, avec une noble fierté, le rang de ses ancêtres. "Il sera le premier qui, né à Rome, et l'ayant habitée comme citoyen, non comme otage, en soit sorti pour occuper un trône étranger." Son arrivée fit d'abord la joie de la nation, d'autant plus que, n'étant prévenu d'aucun esprit de parti, il régnait avec une impartiale équité. On se pressait à sa cour ; il était entouré de respects ; tantôt se montrant affable et tempérant, ce qui ne déplaît à personne, plus souvent encore se livrant au vin et aux autres excès, ce qui plaît tant aux barbares. Déjà les contrées limitrophes, déjà même les pays éloignés retentissaient de son nom, lorsque, jaloux de sa puissance, les factieux qui avaient brillé à la faveur des troubles se retirent chez les peuples voisins et les prennent à témoin que c'en est fait de l'antique liberté des Germains, et que Rome triomphe. "Leur patrie n'avait donc pas enfanté un homme qui fût digne du rang suprême ! Il fallait que le fils d'un espion, d'un Flavius, fût imposé à tant de braves ! En vain on invoquait le nom d'Arminius : ah ! le propre fils de ce héros, nourri dans une terre ennemie (1){{refl|9}}, vint-il pour régner, on devait craindre un homme que l'éducation, la servitude, le genre de vie, enfin tout eût infecté des poisons de l’étranger. Mais si c'était l'esprit de son père qu'Italicus apportait sur le trône, qui fut, plus que ce père, l'implacable ennemi de sa patrie et de ses dieux domestiques ?"
 
1.:{{refa|9}} Le fils d'Arminius avait été réellement élevé à Ravenne.
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Corbulon campait déjà sur le territoire ennemi, lorsqu'il reçut cet ordre. A ce coup soudain, l'esprit combattu de mille pensées diverses, et craignant tout ensemble la colère de l'empereur, le mépris des barbares, les railleries des alliés, il ne prononça pourtant que ce peu de mots : "Heureux autrefois les généraux romains !" et il donna le signal de la retraite. Toutefois, pour arracher les soldats à l'oisiveté, il fit creuser entre la Meuse et le Rhin un canal de vingt-trois milles, destiné à donner une issue aux débordements de l'océan. Claude, qui lui avait refusé l'occasion de vaincre, lui accorda cependant les ornements du triomphe. Bientôt après, Curtius Rufus obtint le même honneur pour avoir fait ouvrir une mine d'argent dans le pays de Mattium (1){{refl|10}}, entreprise qui rapporta peu et pendant peu de temps, mais qui coûta cher aux légions, condamnées à creuser des tranchées souterraines et à faire dans ces abîmes des travaux déjà pénibles à la clarté des cieux. Rebutés de tant de fatigues, et voyant qu'on endurait les mêmes maux dans d'autres provinces, les soldats composèrent secrètement une lettre, par laquelle l'empereur était prié, au nom des armées, d'accorder d'avance aux généraux qu'il nommerait les décorations triomphales.
 
1.:{{refa|10}} Dans la Germanie, au delà du Rhin.
 
==A Rome==
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Cependant, à Rome, un chevalier nommé Cn. Novius, sans motif connu alors ou qu'on ait pu découvrir depuis, fut trouvé avec un poignard dans la foule de ceux qui venaient saluer le prince. Déchiré par la torture, il s'avoua coupable, sans révéler de complices ; on ignore s'il en avait dont il cachât les noms. Sous les mêmes consuls, P. Dolabella proposa qu'il fût donné tous les ans un spectacle de gladiateurs aux frais de ceux qui obtiendraient la questure. Du temps de nos ancêtres, cette dignité était le prix de la vertu, et tout citoyen qui se sentait du mérite pouvait demander les magistratures. L'âge même n'était pas fixé, et rien n'empêchait que, dès la première jeunesse, on ne fût consul ou dictateur. La questure fut instituée sous les rois, comme on le voit par la loi curiate (1){{refl|11}} que Brutus renouvela. Le droit d'élire à cette charge demeura aux consuls, jusqu'aux temps où le peuple la conféra comme les autres honneurs. Les premiers questeurs qu'il nomma furent Valérius Potitus et Marhercus Émilius, soixante-trois ans après l'expulsion des Tarquins ; ils devaient accompagner les généraux à la guerre. Les affaires se multipliant chaque jour, on en ajouta deux pour la ville. Le nombre en fut doublé lorsqu'aux tributs que payait déjà l'Italie se joignirent les revenus des provinces. Sylla, par une loi, le porta jusqu'à vingt, afin qu'ils servissent à recruter le sénat, auquel il avait attribué les jugements (2){{refl|12}}. Plus tard, les jugements furent rendus aux chevaliers. Mais toujours la questure, qu'elle fût obtenue par le mérite ou accordée par la faveur, était donnée gratuitement, jusqu'à l'époque où, sur la proposition de Dolabella, on commença de la vendre.
 
1.:{{refa|11}} On appelait loi curiate l'acte par lequel le peuple, assemblé en curies, confirmait un testament ou une adoption, et celui par lequel il attribuait aux magistrats le commandement militaire, imperium ; acte sans lequel ils ne possédaient que l'autorité civile, potestas. Il s'agit ici de la loi qui réglait le pouvoir des rois et qui était renouvelée à chaque règne ; Brutus la renouvela aussi, afin de conférer aux consuls les mêmes pouvoirs qu'avaient eus les rois auxquels ils succédaient.
2.:{{refa|12}} L'an de Rome 672, Sylla rendit une loi qui admettait les seuls sénateurs à siéger comme juges dans les tribunaux.
 
= An 48 =
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Sous le consulat d'Aulus Vitellius et de L. Vipstanus, il fut question de compléter le sénat. Les principaux habitants de la Gaule chevelue (1){{refl|13}}, qui depuis longtemps avaient obtenu des traités et le titre de citoyens, désiraient avoir dans Rome le droit de parvenir aux honneurs. Cette demande excita de vives discussions et fut débattue avec chaleur devant le prince. On soutenait "que l'Italie n'était pas assez épuisée pour ne pouvoir fournir un sénat à sa capitale. Les seuls enfants de Rome, avec les peuples de son sang, y suffisaient jadis ; et certes on n'avait pas à rougir de l'ancienne république : on citait encore les prodiges de gloire et de vertu qui, sous ces moeurs antiques, avaient illustré le caractère romain. Était-ce donc peu que des Vénètes et des Insubriens eussent fait irruption dans le sénat ; et fallait-il y faire entrer en quelque sorte la captivité elle-même avec cette foule d'étrangers ? A quels honneurs pourraient désormais prétendre ce qui restait de nobles et les sénateurs pauvres du Latium ? Ils allaient tout envahir, ces riches dont les aïeuls et les bisaïeuls, à la tête des nations ennemies, avaient massacré nos légions, assiégé le grand César auprès d'Alise. Ces injures étaient récentes : que serait-ce si on se rappelait le Capitole et la citadelle presque renversés par les mains de ces mêmes Gaulois ? Qu'ils jouissent, après cela, du nom de citoyens ; mais les décorations sénatoriales, mais les ornements des magistratures, qu'ils ne fussent pas ainsi prostitués."
 
1.:{{refa|13}} On appelait ainsi la Gaule transalpine, à cause de l'usage où étaient les habitants de porter les cheveux longs. La Gaule cisalpine était nommée togata, parce qu'on y avait adopté la toge romaine.
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===Discours de Claude sur l'admission d'étrangers au sénat===
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Le prince fut peu touché de ces raisons. Il y répondit sur-le-champ ; et, après avoir convoqué le sénat, il les combattit encore par ce discours (1){{refl|14}} : "Mes ancêtres, dont le plus ancien, Clausus, né parmi les Sabins, reçut tout à la fois et le droit de cité romaine et le titre de patricien, semblent m'exhorter à suivre la même politique en transportant ici tout ce qu'il y a d'illustre dans les autres pays. Je ne puis ignorer qu'Albe nous a donné les Jules, Camérie les Coruncanius, Tusculum les Porcius, et, sans remonter si haut, que l'Étrurie, la Lucanie, l'Italie entière, ont fourni des sénateurs. Enfin, en reculant jusqu'aux Alpes les bornes de cette contrée, ce ne sont plus seulement des hommes, mais des nations et de vastes territoires que Rome a voulu associer à son nom. La paix intérieure fut assurée, et notre puissance affermie au dehors, quand les peuples d'au delà du Pô firent partie de la cité, quand la distribution de nos légions dans tout l'univers eut servi de prétexte pour y admettre les meilleurs guerriers des provinces, et remédier ainsi à l'épuisement de l'empire. Est-on fâché que les Balbus soient venus d'Espagne, et d'autres familles non moins illustres, de la Gaule narbonnaise ? Leurs descendants sont parmi nous, et leur amour pour cette patrie ne le cède point au nôtre. Pourquoi Lacédémone et Athènes, si puissantes par les armes, ont-elles péri, si ce n'est pour avoir repoussé les vaincus comme des étrangers ? Honneur à la sagesse de Romulus notre fondateur, qui tant de fois vit ses voisins en un seul jour ennemis et citoyens ! Des étrangers ont régné sur nous. Des fils d'affranchis obtiennent les magistratures : et ce n'est point une innovation, comme on le croit faussement ; l'ancienne république en a vu de nombreux exemples. Nous avons combattu, dit-on, avec les Sénonais. Jamais sans doute les Èques et les Volsques ne rangèrent contre nous une armée en bataille ! Nous avons été pris par les Gaulois. Mais nous avons donné des otages aux Étrusques, et nous avons passé sous le joug des Samnites. Et cependant rappelons-nous toutes les guerres ; aucune ne fut plus promptement terminée que celle des Gaulois, et rien n'a depuis altéré la paix. Déjà les moeurs, les arts, les alliances, les confondent avec nous ; qu'ils nous apportent aussi leurs richesses, et leur or, plutôt que d'en jouir seuls. Pères conscrits, les plus anciennes institutions furent nouvelles autrefois. Le peuple fut admis aux magistratures après les patriciens, les Latins après le peuple, les autres nations d'Italie après les Latins. Notre décret vieillira comme le reste, et ce que nous justifions aujourd'hui par des exemples servira d'exemple à son tour."
 
1.:{{refa|14}} Le discours même de Claude existe presque entier, gravé sur des tables de bronze découvertes à Lyon en 1528, et que l'on conserve dans cette ville.
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===On admet des Gaulois comme sénateurs===
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A cette scène, la maison du prince avait frémi d'horreur. On entendait surtout ceux qui, possédant le pouvoir, avaient le plus à craindre d'une révolution, exhaler leur colère, non plus en murmures secrets, mais hautement et à découvert. "Au moins, disaient-ils, quand un histrion (2){{refl|15}} foulait insolemment la couche impériale, s'il outrageait le prince, il ne le détrônait pas. Mais un jeune patricien, distingué par la noblesse de ses traits, la force de son esprit, et qui bientôt sera consul, nourrit assurément de plus hautes espérances. Eh ! qui ne voit trop quel pas reste à faire après un tel mariage ? " Toutefois ils sentaient quelques alarmes en songeant à la stupidité de Claude, esclave de sa femme, et aux meurtres sans nombre commandés par Messaline. D'un autre côté, la faiblesse même du prince les rassurait : s'ils la subjuguaient une fois par le récit d'un crime si énorme, il était possible que Messaline fût condamnée et punie avant d'être jugée. Le point important était que sa défense ne fût pas entendue, et que les oreilles de Claude fussent fermées même à ses aveux.
 
1.:{{refa|15}} Le pantomime Mnester.
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===Comment apprendre à Claude que sa femme s'est mariée en son absence ? ===
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D'abord Calliste, dont j'ai parlé à l'occasion du meurtre de Caius, Narcisse, instrument de celui d'Appius (1){{refl|16}}, et Pallas, qui était alors au plus haut période de sa faveur, délibérèrent si, par de secrètes menaces, ils n'arracheraient pas Messaline à son amour pour Silius, en taisant d'ailleurs tout le reste. Ensuite, dans la crainte de se perdre eux-mêmes, Pallas et Calliste abandonnèrent l'entreprise, Pallas par lâcheté, Calliste par prudence : il avait appris à l'ancienne cour que l'adresse réussit mieux que la vigueur, à qui veut maintenir son crédit. Narcisse persista ; seulement il eut la précaution de ne pas dire un mot qui fit pressentir à Messaline l'accusation ni l'accusateur, et il épia les occasions. Comme le prince tardait à revenir d'Ostie, il s'assure de deux courtisanes qui servaient habituellement à ses plaisirs ; et, joignant aux largesses et aux promesses l'espérance d'un plus grand pouvoir quand il n'y aurait plus d'épouse, il les détermine à se charger de la délation.
 
1.:{{refa|16}} Messaline avait jeté un oeil incestueux sur Appius Silanus, mari de sa mère. Repoussée comme elle devait l'être elle résolut de se venger.
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===Claude apprend qu'il a été "répudié"===