« Annales (Tacite)/Livre III » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
ColdEel (discussion | contributions)
m {{TextQuality|75%}}
ColdEel (discussion | contributions)
m refl & refa
Ligne 32 :
====1====
</div>
Agrippine, dont l'hiver n'avait nullement interrompu la navigation, arrive à l'île de Corcyre, située vis-à-vis de la Calabre ({{refl|1)}}. Elle y resta quelques jours, afin de calmer les emportements d'une âme qui ne savait pas endurer son malheur. Cependant, au premier bruit de son retour, les amis les plus dévoués de sa famille, tous ceux qui avaient fait la guerre sous Germanicus, beaucoup d'inconnus même, accourus des cités voisines, les uns parce qu'ils croyaient plaire à César, les autres par esprit d'imitation, se précipitèrent dans Brindes le point le plus rapproché et le plus sûr où elle pût aborder. Aussitôt que la flotte fut aperçue dans le lointain, le port, le rivage, les remparts de la ville, les toits des maisons, tous les lieux d'où la vue s'étendait sur la mer, se couvrirent de spectateurs éplorés, qui se demandaient si l'on recevrait Agrippine en silence ou avec quelque acclamation. On doutait encore quel accueil serait le plus convenable, lorsque insensiblement la flotte toucha le port, dans un appareil où, au lieu de l'allégresse ordinaire des rameurs, tout annonçait la tristesse et le deuil. Au moment où, sortie du vaisseau avec deux de ses enfants, Agrippine parut, l'urne sépulcrale dans les mains, les yeux baissés vers la terre, il s'éleva un gémissement universel : et l'on n'eût pas distingué les parents des étrangers, les regrets des hommes de la désolation des femmes ; seulement le cortège d'Agrippine semblait abattu par une longue affliction, et la douleur du peuple, étant plus récente, éclatait plus vivement.
 
:{{refa|1.}} Les anciens n'appliquaient pas le nom de Calabre au même pays que nous. Ils appelaient ainsi la pointe de l'Italie qui s'avance dans la mer ionienne, au sud-est de l’Apulie, et qui est aussi désignée par les noms de Messapia et d'lapygia. Quant à la Calabre actuelle, qui occupe la pointe la plus méridionale de l'Italie et se termine au détroit de Sicile, c'est ce que les Romains nommaient le pays des Bruttiens.
<div style="margin-left:30px;">
====2====
Ligne 44 :
Tibère et Augusta s'abstinrent de paraître en public soit qu'ils crussent au-dessous de la majesté suprême de donner leurs larmes en spectacle ; soit qu'ils craignissent que tant de regards, observant leurs visages, n'y lussent la fausseté de leurs cœurs. Pour Antonia, mère de Germanicus, je ne trouve ni dans les histoires ni dans les Actes journaliers(1) de cette époque, qu'elle ait pris part à aucune cérémonie remarquable ; et cependant, avec Agrippine, Drusus et Claude, sont expressément nommés tous les autres parents. Peut-être fut-elle empêchée par la maladie ; peut-être, vaincue par la douleur, n'eut-elle pas la force d'envisager de ses yeux la grandeur de son infortune. Toutefois je croirais plutôt que Tibère et Augusta, qui ne sortaient pas du palais, l'y retinrent malgré elle, afin que l'affliction parût également partagée, et que l'absence de la mère justifiât celle de l'oncle et de l'aïeule.
 
:{{refa|1.}} Véritables journaux manuscrits, qui circulaient non seulement à Rome, mais dans les provinces. On y racontait les nouvelles de la ville, les jeux publics, les supplices, etc.
<div style="margin-left:30px;">
====4====
Ligne 54 :
Quelques-uns auraient désiré plus de pompe à des funérailles publiques : ils rappelaient ce que la magnificence d'Auguste avait fait pour honorer les obsèques de Drusus, père de Germanicus, "son voyage à Ticinum(1), au plus fort de l'hiver, et son entrée dans Rome avec le corps, dont il ne s'était pas un instant séparé ; ces images des Claudes et des Jules environnant le lit funéraire ; les pleurs du Forum ; l'éloge prononcé du haut de la tribune ; tous les honneurs institués par nos ancêtres ou imaginés dans les âges modernes, accumulés pour Drusus : tandis que Germanicus n'avait pas reçu les plus ordinaires, ceux auxquels tout noble avait droit de prétendre. Qu'il eût fallu, à cause de l'éloignement des lieux, lui dresser dans une terre étrangère un vulgaire bûcher, n'était-ce pas une raison pour lui rendre avec usure ce que le sort lui avait dénié en ce premier moment ? Son frère n'était allé au-devant de lui qu'à une journée de Rome ; son oncle ne s'était pas même avancé jusqu'aux portes. Qu'étaient devenues les coutumes antiques, ce lit de parade où l'on plaçait l'effigie du mort, ces vers que l'on chantait à sa louange, ces panégyriques, ces larmes, symboles d'une douleur au moins apparente ?"
 
:{{refa|1.}} Aujourd'hui Pavie.
<div style="margin-left:30px;">
====6====
Ligne 60 :
Tibère fut instruit de ces murmures : afin de les étouffer, il rappela par un édit "que beaucoup de Romains étaient morts pour la patrie, et que pas un n'avait excité une telle ardeur de regrets : regrets honorables sans doute et au prince et aux citoyens, pourvu qu'ils eussent des bornes, car la dignité interdisait aux chefs d'un grand empire et au peuple-roi ce qui était permis à des fortunes privées et à de petits États. Une douleur récente n’avait pas dû se refuser la consolation du deuil et des pleurs ; mais il était temps que les âmes retrouvassent leur fermeté : ainsi le divin Jules, privé de sa fille unique, ainsi le divin Auguste, après la mort de ses petits-fils, avaient dévoré leurs larmes. S'il fallait des exemples plus anciens, combien de fois le peuple romain n'avait-il pas supporté courageusement la défaite de ses armées, la perte de ses généraux, l'extinction de ses plus nobles familles ? Les princes mouraient ; la République était immortelle. On pouvait donc retourner aux devoirs accoutumés, et même aux plaisirs, qu'allaient ramener les jeux de la grande Déesse(1). "
 
:{{refa|1.}} Les fêtes de la grande Déesse (de la mère des Dieux) tombaient aux nones d'Avril.
<div style="margin-left:30px;">
====7====
Ligne 102 :
====16====
</div>
Je me souviens d'avoir entendu raconter à des vieillards qu'on vit plusieurs fois, dans les mains de Pison, des papiers dont il ne divulgua point le secret, mais qui, au dire de ses amis, contenaient des lettres et des instructions de Tibère contre Germanicus. "Il avait résolu, dit-on, de les lire en plein sénat et d'accuser le prince, si Séjan ne l'eut amusé par de vaines promesses. Enfin il ne se tua pas lui-même : un meurtrier lui fut dépêché." Je ne garantis ni l’un ni l'autre de ces faits ; cependant je n'ai pas dû supprimer une tradition dont les auteurs vivaient encore dans ma jeunesse. Tibère, avec une tristesse affectée, se plaignit devant le sénat d'une mort qui avait pour but de lui attirer des haines ; ensuite il questionna beaucoup l'affranchi sur le dernier jour, sur la dernière nuit de Pison. À des réponses généralement prudentes cet homme mêlant quelques paroles indiscrètes, Tibère lut la lettre de Pison, qui était conçue à peu près en ces termes : "Accablé sous la conspiration de mes ennemis et sous le poids d'une odieuse et fausse imputation, puisque la vérité, puisque mon innocence ne trouvent accès nulle part, je prends les dieux à témoin, César, que ma fidélité envers toi fut toujours égale à mon pieux respect pour ta mère. Je vous implore tous deux en faveur de mes enfants. Cnéius, de quelque façon qu'on me juge, n'est pas lié à ma fortune, n'ayant point quitté Rome pendant ces derniers temps. Marcus m'avait dissuadé de rentrer en Syrie ; et plût aux dieux que j'eusse cédé à la jeunesse de mon fils, plutôt que lui à l'âge et à l'autorité de son père ! Je t'en conjure avec plus d'instances de ne pas le punir de mon erreur, dont il est innocent. C'est au nom de quarante-cinq ans de dévouement, au nom du consulat où nous fûmes collègues ({{refl|1)}}, au nom de l'estime dont m'honora le divin Auguste, ton père, qu'un ami, qui ne te demandera plus rien, te demande la grâce d'un fils infortuné." La lettre ne disait pas un mot de Plancine.
 
:{{refa|1.}} Pison fut consul en 734 avec Auguste; en 747 avec Tibère.
<div style="margin-left:30px;">
====17====
Ligne 114 :
Le prince adoucit beaucoup la sévérité de cet avis. Il ne voulut pas que le nom de Pison fût rayé des fastes, puisqu'on y maintenait celui de Marc-Antoine, qui avait fait la guerre à la patrie, celui d'Iulus Antonius, qui avait porté le déshonneur dans la maison d'Auguste(1). Il sauva Marcus de l'ignominie, et lui laissa les biens paternels. J'ai déjà dit plusieurs fois que Tibère n'était point dominé par l'avarice ; et la honte d'avoir absous Plancine le disposait à la clémence. Valérius Messalinus proposait de consacrer une statue d'or dans le temple de Mars Vengeur, Cécina Sévérus d'élever un autel à la Vengeance ; César s'y opposa : "Ces monuments, disait-il, étaient faits pour des victoires étrangères ; les malheurs domestiques devaient être couverts d'un voile de tristesse." Messalinus avait opiné aussi pour que Tibère, Augusta, Antonio, Drusus et Agrippine reçussent des actions de grâces comme vengeurs de Germanicus. Il n'avait fait aucune mention de Claude, et L. Asprénas lui demanda publiquement si cette omission était volontaire : alors le nom de Claude fut ajouté au décret. Pour moi, plus je repasse dans mon esprit de faits anciens et modernes, plus un pouvoir inconnu me semble se jouer des mortels et de leurs destinées. Certes, le dernier homme que la renommée, son espérance, les respects publics, appelassent à l'empire, était celui que la fortune tenait caché pour en faire un prince.
 
:{{refa|1.}} Il fut puni de mort comme complice des débordements de Julie, pendant qu'elle était la femme de Tibère.
<div style="margin-left:30px;">
====19====
</div>
Peu de jours après, Tibère fit donner par le sénat des sacerdoces à Vitellius, à Véranius, à Servéus. En promettant à Fulcinius de l'appuyer dans la recherche des honneurs, il l'avertit de prendre garde aux écarts d'une éloquence trop fougueuse. Là se bornèrent les expiations offertes aux mânes de Germanicus, dont la mort a été, non seulement chez les contemporains, mais dans les générations suivantes, un sujet inépuisable de controverse : tant sont enveloppés de nuages les plus grands événements, grâce à la crédulité qui accueille les bruits les moins fondés, au mensonge qui altère les faits les plus réels ; double cause d'une incertitude qui s'accroît avec le temps. Drusus, qui était sorti de Rome pour reprendre les auspices ({{refl|1)}}, y rentra bientôt avec l'appareil de l'ovation. Au bout de quelques jours, il perdit sa mère Vipsanie, le seul des enfants d'Agrippa dont la mort ait été naturelle ; car, de tous les autres, l'un périt certainement par le fer, et le reste, si l'on en croit la renommée, par la faim ou par le poison.
 
:{{refa|1.}} Un général déposait le commandement en entrant dans Rome. Or Drusus, revenu d'Illyrie, y était entré et avait ajourné son ovation à cause des funérailles de son frère : il fallait donc, avant de la célébrer, qu'il sortît de nouveau, et qu'il reprît le commandement et par conséquent les auspices; car on ne pouvait jouir ni du grand ni du petit triomphe sans être revêtu du pouvoir militaire.
<div style="margin-left:15px;">
===Guerre en Afrique contre Tacfarinas===
Ligne 126 :
====20====
</div>
La même année Tacfarinas, battu l'été précédent par Camillus, ainsi que je l'ai dit, recommença la guerre en Afrique. Ce furent d'abord de simples courses, dont la vitesse le dérobait à toutes les poursuites. Bientôt il saccage les bourgades, entraîne après lui d'immenses butins, et finit par assiéger, près du fleuve Pagida ({{refl|1)}}, une cohorte romaine. Le poste avait pour commandant Décrias, intrépide soldat, capitaine expérimenté, qui tint ce siège pour un affront. Après avoir exhorté sa troupe à présenter le combat en rase campagne, il la range devant les retranchements. Elle est repoussée au premier choc : Décrias, sous une grêle de traits, se jette à travers les fuyards, les arrête, crie aux porte-enseigne "qu'il est honteux que le soldat romain tourne le dos à une bande de brigands et de déserteurs." Couvert de blessures, ayant un oeil crevé, il n'en fait pas moins face à l'ennemi, et combat jusqu'à ce qu'il tombe mort, abandonné des siens.
 
:{{refa|1.}} Broder écrit Pagyda, et conjecture que c'est la rivière d'Abeadh, dans la province de Constantine.
<div style="margin-left:30px;">
====21====
Ligne 134 :
À la nouvelle de cet échec, L. Apronius, successeur de Camillus, plus indigné de la honte des Romains qu'alarmé du succès de l'ennemi, fit un exemple rare dans ces temps-là, et d'une sévérité antique : il décima la cohorte infâme, et tous ceux que désigna le sort expirèrent sous la verge. Cet acte de rigueur fut si efficace, qu'un corps de cinq cents vétérans défit seul les mêmes troupes de Tacfarinas, devant le fort de Thala(1), qu'elles venaient attaquer. Dans cette action, Helvius Rufus, simple soldat, eut la gloire de sauver un citoyen. Apronins lui donna la pique et le collier. Comme proconsul, il pouvait ajouter la couronne civique : il laissa ce mérite au prince, qui s'en plaignit plus qu'il n'en fut offensé. Tacfarinas, voyant ses Numides découragés et rebutés des sièges, court de nouveau la campagne, fuyant dès qu'on le presse, et bientôt revenant à la charge. Tant qu'il suivit ce plan, il se joua des efforts de l'armée romaine, qui se fatiguait vainement à le poursuivre. Lorsqu'il eut tourné sa course vers les pays maritimes, embarrassé de son butin, il lui fallut s'assujettir à des campements fixes. Alors Apronius Césianus, envoyé par son père avec de la cavalerie et des cohortes auxiliaires renforcées des légionnaires les plus agiles, battit les Numides et les rechassa dans leurs déserts.
 
:{{refa|1.}} Ville de Numidie, voisine du désert, ruinée dans la guerre de César contre Juba.
<div style="margin-left:15px;">
===Procès de Lépida===
Ligne 140 :
====22====
</div>
Cependant à Rome, Lépida, en qui l'honneur d'avoir Sylla et Pompée pour bisaïeuls rehaussait l'éclat du nom Émilien, fut accusée d'avoir supposé un fruit de son mariage avec P. Quirinus, homme riche et sans enfants. On lui reprochait encore l'adultère, le poison, et des questions criminelles adressées aux astrologues sur la maison de César. Elle fut défendue par Manius Lépidus, son frère. Quoique décriée et coupable, l'acharnement de Quirinus à la poursuivre après l'avoir répudiée lui conciliait la pitié publique. Il serait difficile de discerner quels furent, dans ce procès, les vrais sentiments du prince, tant il sut varier et entremêler les signes de colère et de clémence. Il pria d'abord le sénat de ne point avoir égard à l'accusation de lèse-majesté ; ensuite il fit adroitement dénoncer par le consulaire M. Servilius, et par d'autres témoins, ce qu'il semblait avoir voulu taire. D'un autre côté, il transféra les esclaves de Lépida de la garde des soldats à celle des consuls ({{refl|1)}}, et il ne souffrit pas qu'à la question ils fussent interrogés sur ce qui touchait la famille impériale. Il ne voulut pas non plus que Drusus, consul désigné, opinât le premier ; exception où les uns virent une garantie donnée à la liberté des suffrages, et les autres une intention cruelle. Ceux-ci pensèrent que Drusus n'aurait pas cédé son rang, s'il n'eût fallu condamner.
 
:{{refa|1.}} Trois modes de détention étaient en usage à Rome : 1° renfermer le détenu dans la prison publique; 2° le confier à la garde d'un magistrat; 3° le remettre à un soldat, qui répondait de sa personne.
<div style="margin-left:30px;">
====23====
</div>
Lépida, pendant les jeux ({{refl|1)}} qui suspendirent le cours du procès, se rendit au théâtre, accompagnée de femmes du plus haut rang. Là, invoquant avec des cris lamentables le nom de ses ancêtres, celui du grand Pompée, fondateur de ce monument et dont les images frappaient de tous côtés les regards, elle excita une émotion si profonde que les spectateurs, fondant en larmes, chargèrent d'invectives et de malédictions Quirinus, "ce vieillard sans naissance, auquel on immolait, parce qu'il n'avait pas d'héritiers ({{refl|2)}}, une femme destinée jadis à être l'épouse de L. César et la bru d'Auguste." Les esclaves révélèrent à la torture les débordements de leur maîtresse; et l'on adopta l'avis de Rubellius Blandus, qui lui interdisait le feu et l’eau. Drusus s'y rangea lui-même, quoique d'autres en eussent ouvert de plus doux. En considération de Scaurus, qui avait une fille de Lépida, les biens ne furent pas confisqués. Le jugement prononcé, Tibère déclara savoir encore, par les esclaves de Quirinus, que Lépida avait essayé d'empoisonner leur maître.
 
:{{refa|1.}} Les grands jeux, les jeux romains, qui se célébraient au cirque et au théâtre depuis le 5 jusqu'au 13 de septembre (des nones aux ides).
:{{refa|2.}} L’avarice avait fini par gagner Tibère; et il était bien aise de faire plaisir à un vieux riche sans héritiers, qui, par reconnaissance, ne manquerait pas de tester en sa faveur.
<div style="margin-left:15px;">
=== Décimus Silanus===
Ligne 161 :
====25====
</div>
On parla ensuite d'adoucir la loi Papia Poppea ({{refl|1)}} qu'Auguste, déjà vieux, avait ajoutée aux lois Juliennes ({{refl|2)}}, pour assurer la punition du célibat et accroître les revenus du trésor public ({{refl|3)}}. Cette loi ne faisait pas contracter plus de mariages ni élever plus d'enfants (on gagnait trop à être sans héritiers); mais elle multipliait les périls autour des citoyens, et, interprétée par les délateurs, il n'était pas de maison qu'elle ne bouleversât : alors les lois étaient devenues un fléau, comme autrefois les vices. Cette réflexion me conduit à remonter aux sources de la législation, et aux causes qui ont amené cette multitude infinie de lois différentes.
 
:{{refa|1.}} Cette loi fut portée en 762, sous les consuls subrogés M. Papius Mutilus, et Q. Poppéus Sécundus.
:{{refa|2.}} La loi Julia, de Maritandis ordinibus, fut portée par Auguste en 736, pour encourager les mariages et punir le célibat. Son principal but était de réparer la population épuisée par les guerres civiles, où il avait péri 80.000 hommes armés.
:{{refa|3.}} Voy. chap. XXVIII.
<div style="margin-left:15px;">
===Digression de Tacite sur les lois===
Ligne 175 :
====27====
</div>
Après l'expulsion de Tarquin, le peuple, en vue d'assurer sa liberté et d'affermir la concorde, se donna, contre les entreprises des patriciens, de nombreuses garanties. Des décemvirs furent créés, qui, empruntant aux législations étrangères ce qu'elles avaient de meilleur, en formèrent les Douze Tables, dernières lois dont l'équité soit le fondement, car si celles qui suivirent eurent quelquefois pour but de réprimer les crimes, plus souvent aussi, nées de la division entre les ordres, d'une ambition illicite, de l'envie de bannir d'illustres citoyens ou de quelque motif également condamnable, elles furent l'ouvrage de la violence. De là les Gracques et Saturninus semant le trouble dans la multitude ; et Drusus non moins prodigue de concessions au nom du sénat ; et les alliés gâtés par les promesses, frustrés par les désaveux. Ni la guerre italique, ni la guerre civile, qui la suivit de près n'empêchèrent d'éclore une foule de lois, souvent contradictoires; jusqu'à ce que L. Sylla, dictateur, après en avoir aboli, changé, ajouté un grand nombre, fît trêve aux nouveautés, mais non pour longtemps, car les séditieuses propositions de Lépidus ({{refl|1)}} éclatèrent aussitôt, et la licence ne tarda pas à être rendue aux tribuns d'agiter le peuple au gré de leur caprice. Alors on ne se borna plus à ordonner pour tous ; on statua même contre un seul, et jamais les lois ne furent plus multipliées que quand l'État fut le plus corrompu.
 
:{{refa|1.}} Lépidus, père de celui qui fut triumvir avec Marc-Antoine et Octave, voulut, après la mort de Sylla, faire revivre le parti de Marius et abolir les lois du dictateur.
<div style="margin-left:30px;">
====28====
</div>
Pompée, chargé dans son troisième consulat de réformer les mœurs, employa des remèdes plus dangereux que les maux ; et, premier infracteur des lois qu'il avait faites, il perdit par les armes un pouvoir qu'il soutenait par les armes. Puis succédèrent vingt années de discordes ({{refl|1)}} : plus de frein, plus de justice ; le crime restait impuni, et trop souvent la mort était le prix de la vertu. Enfin, consul pour la sixième fois, César Auguste, sûr de sa puissance, abolit les actes de son triumvirat, et fonda une constitution qui nous donnait la paix sous un prince. Dès ce moment les liens de l'autorité se resserrèrent, des gardiens veillèrent pour elle, et la loi Papia Poppéa les intéressa par des récompenses à ce que les héritages laissés à quiconque n'aurait pas les privilèges des pères fussent déclarés vacants, et dévolus au peuple romain, à titre de père commun. Mais la délation allait plus loin que la loi ; elle envahit Rome, l'Italie, tout l'empire : déjà beaucoup de fortunes avaient été renversées, et la terreur était dans toutes les familles, quand Tibère, pour arrêter ce désordre, fit désigner par le sort quinze sénateurs, dont cinq anciens préteurs et cinq consulaires, qui, en exceptant beaucoup de cas des gênes de la loi, ramenèrent pour le présent un peu de sécurité.
 
:{{refa|1.}} Du troisième consulat de Pompée à la bataille d'Actium, en 723.
<div style="margin-left:15px;">
===Néron, le fils de Germanicus nommé questeur, pontife et se marie avec Julie, fille de Drusus===
Ligne 189 :
====29====
</div>
Vers le même temps, le prince recommanda aux sénateurs Néron, l'un des fils de Germanicus, déjà sorti de l'enfance, et sollicita pour lui la dispense d'exercer le vigintivirat ({{refl|1)}}, et le droit de briguer la questure cinq ans avant l'âge légal ; demande qu'on ne pouvait guère écouter sans rire. Il alléguait que lui-même et son frère avaient obtenu la même faveur par l'intercession d'Auguste : mais dès lors une telle prière donna lieu sans doute a plus d'une raillerie secrète ; et cependant la grandeur des Césars ne faisait que de naître, les souvenirs de la république étaient plus rapprochés, et un beau-père tenait par des liens moins étroits aux enfants de sa femme qu'un aïeul à son petit-fils. Le sénat ajouta la dignité de pontife, et, le jour où Néron fit son entrée au Forum, des largesses furent distribuées au peuple, que la vue d'un fils de Germanicus arrivé à cet âge remplissait d'allégresse. La joie fut redoublée par le mariage de Néron avec Julie, fille de Drusus. Mais, si cette alliance eut l'approbation générale, on vit avec déplaisir Séjan destiné pour beau-père au fils de Claude. On jugea que Tibère souillait la noblesse de sa race, et qu'il élevait beaucoup trop un favori déjà suspect d'une ambition démesurée.
 
:{{refa|1.}} C'est une dénomination collective, qui comprenait les triumviri capitales, les triumviri monetales, les quatuorviri viales, et les decemviri litibus judicandis. Les premiers étaient des magistrats inférieurs, chargés de surveiller la prison publique, et de faire exécuter les jugements criminels.
<div style="margin-left:15px;">
=== Morts de L. Volusius et de Sallustius Crispus===
Ligne 203 :
====31====
</div>
Viennent ensuite le quatrième consulat de Tibère et le second de Drusus, remarquables en ce que le père eut son fils pour collègue. Il est vrai que, deux ans auparavant, Tibère avait partagé la même dignité avec Germanicus ; mais c'était à regret, et, après tout, il n'était que son oncle. Au commencement de l’année, Tibère, sous prétexte de rétablir sa santé, se retira dans la Campanie, soit que déjà il préludât à sa longue et continuelle absence ({{refl|1)}}, soit pour laisser Drusus remplir seul et sans l’appui d'un père les fonctions du consulat. Une affaire peu importante, mais qui excita de grands débats, fournit en effet au jeune homme l'occasion de se faire honneur. Domitius Corbulo qui avait exercé la préture, se plaignit au sénat de ce qu'à un spectacle de gladiateurs un jeune noble, nommé Sylla, n'avait pas voulu lui céder sa place. Corbulon avait pour lui son âge, la coutume ancienne, la faveur des vieillards ; Sylla était soutenu par Mamercus Scaurus, L. Arruntius et ses autres parents. Il y eut, des deux côtés, des discours pleins de chaleur : on alléguait les exemples de nos ancêtres, qui avaient réprimé, par de sévères décrets, l'irrévérence de la jeunesse. Enfin Drusus fit entendre des paroles conciliantes, et satisfaction fut donnée à Corbulon par l’organe de Scaurus, oncle et beau-père de Sylla, et le plus fécond des orateurs de son temps. Le même Corbulon ne cessait de dénoncer le mauvais état des chemins, qui, par la fraude des entrepreneurs et la négligence des magistrats, étaient rompus et impraticables dans presque toute l'Italie. Il se chargea volontiers d'y pourvoir ; ce qui tourna moins à l'avantage du public qu'à la ruine de beaucoup de particuliers, auxquels il ôta la fortune et l'honneur par des condamnations et des ventes à l'encan.
 
:{{refa|1.}} Ce fut cinq ans après cette époque que Tibère quitta Rome pour ne plus y rentrer. Voy. liv. IV, ch., LVII.
<div style="margin-left:15px;">
===Nouveaux troubles en Afrique===
Ligne 217 :
====33====
</div>
Dans cette discussion, Cécina Sévérus demanda qu'il fût interdit à tout magistrat chargé d'une province d'y mener sa femme avec lui. Il déclara d'abord, à plusieurs reprises "qu'il avait une épouse d'une humeur assortie à la sienne, mère de six enfants, et que, ce qu'il exigeait des autres, il se l'était prescrit à lui-même, l'ayant toujours retenue en Italie, quoiqu'il eût fait quarante campagnes dans différentes provinces. Nos ancêtres avaient eu raison de ne pas vouloir qu'on traînât des femmes avec soi chez les alliés ou les nations étrangères. Une telle compagnie embarrassait en paix par son luxe, en guerre par ses frayeurs, et donnait à une armée romaine l'apparence d'une marche de barbares. Leur sexe n'était pas seulement faible et incapable de soutenir la fatigue : il devenait, quand on le laissait faire, cruel, ambitieux, dominateur. Elles se promenaient parmi les soldats ; les centurions étaient à leurs ordres. Une femme ({{refl|1)}} avait présidé naguère aux exercices des cohortes, à la revue des légions. Le sénat savait que, dans tous les procès de concussion, la femme était la plus accusée. C'était à l'épouse du gouverneur que s'attachaient d'abord les intrigants d'une province ; elle s'entremettait des affaires, elle les décidait. À elle aussi on faisait cortège en public ; elle avait son prétoire, et ses ordres étaient les plus absolus, les plus violents. Enchaînées jadis par la loi Oppia ({{refl|2)}} et par d'autres non moins sages, les femmes, depuis que ces liens étaient rompus, régnaient dans les familles, dans les tribunaux et jusque dans les armées."
 
:{{refa|1.}} Plancine, femme de Pison.
:{{refa|2.}} La loi Oppia fut portée en 541, au plus fort de la seconde guerre punique, par le tribun C. Oppius. Elle défendait aux femmes d'avoir à leur usage plus d'une demi-once d'or, de porter des habits de diverses couleurs, de se faire voiturer à Rome ou à mille pas à la ronde, dans un char attelé de chevaux, si ce n'était pour se rendre aux sacrifices publics. Cette loi fut révoquée en 559, malgré l'opposition énergique du vieux Caton, alors consul.
<div style="margin-left:30px;">
====34====
Ligne 236 :
====36====
</div>
Ensuite on donna cours à des plaintes renfermées jusqu'alors dans le secret des entretiens privés. Le dernier scélérat, pourvu qu'il tînt une image de l'empereur, était en possession de charger impunément les honnêtes gens d'outrages et d'invectives. L'affranchi même et l'esclave, en menaçant un maître, un patron, du geste ou de la voix, se faisaient redouter. Le sénateur C. Cestius représenta "qu'à la vérité les princes étaient comme des dieux, mais que les dieux n'écoutaient les prières que quand elles étaient justes, que personne ne se réfugiait dans le Capitole ou dans les autres temples pour faire de son asile le théâtre de ses crimes, que les lois étaient renversées, anéanties, depuis qu'Annia Rufilla, condamnée pour fraude à sa requête, venait en plein Forum, à la porte du sénat, l'insulter et le menacer, sans qu'il osât invoquer la justice : cette femme se couvrait d'une image de l'empereur ({{refl|1)}}. Une foule de voix dénoncèrent des traits pareils ou de plus révoltants, et prièrent Drusus de faire un exemple. Rufilla fut mandée, convaincue et mise en prison.
 
:{{refa|1.}} Les triumvirs élevèrent à Jules César un temple avec droit d'asile. Cet exemple eut des suites, et bientôt l'impunité fut assurée à tout malfaiteur qui se réfugiait auprès d'une statue de l'empereur régnant. Il paraît même qu'il suffisait, pour se rendre inviolable, de tenir une image du prince dans ses mains.
<div style="margin-left:15px;">
===Drusus se fait bien voir ===
Ligne 250 :
====38====
</div>
En effet, ni Tibère ni les accusateurs ne se lassaient. Ancharius Priscus avait dénoncé Césius Cordas, proconsul de Crète, comme coupable de concussion, crime auquel il ajoutait celui de lèse-majesté, alors complément nécessaire de toutes les accusations. Tibère, informé qu'Antistius Vétus, un des principaux de la Macédoine, venait d'être absous dans un procès d'adultère, réprimanda les juges, et, sous le même prétexte de lèse-majesté, le ramena devant la justice, comme un factieux, mêlé aux complots de Rhescuporis à l'époque où ce prince, après avoir tué Cotys son neveu, songeait à nous faire la guerre. L'eau et le feu furent interdits à Antistius, et l'on décida qu'il serait confiné dans une île qui ne fût à portée ni de la Thrace ni de la Macédoine. Car, depuis que la Thrace était partagée entre Rhémétalcès et les enfants de Cotys, auxquels on avait donné pour tuteur, à cause de leur bas âge, Trébelliénus Rufus, ces peuples, peu faits à notre présence, étaient mécontents, et ils n'accusaient pas moins Rhémétalcés que Trébelliénus de laisser leurs injures sans vengeance. Les Célètes, les Odruses ({{refl|1)}} et d'autres nations puissantes, prirent les armes sous des chefs différents, égaux entre eux par leur obscurité ; ce qui, en tenant leurs forces désunies, nous préserva d'une guerre sanglante. Les uns soulèvent le pays, les autres franchissent le mont Hémus ({{refl|2)}}, afin d'appeler à eux les populations éloignées ; les plus nombreux et les mieux disciplinés assiègent le roi dans Philippopolis ({{refl|3)}}, ville bâtie par Philippe de Macédoine.
 
:{{refa|1.}} Les Célétes étaient divisés en majores et minores. Les grands Célétes habitaient au pied du mont Hémus, qui borne la Thrace vers le nord, et les petits au pied du mont Rhodope qui la traverse. - Les Odryses étaient plus voisins des sources de l'Hèbre, aujourd'hui la Maritza.
:{{refa|2.}} Le Balkan.
:{{refa|3.}} Maintenant Philippopoli, sur l'Hèbre, à environ 30 lieues ouest-nord-ouest d'Andrinople.
<div style="margin-left:30px;">
====39====
Ligne 268 :
====41====
</div>
Il y eut peu de cantons où ne fussent semés les germes de cette révolte. Les Andécaves et les Turoniens ({{refl|1)}} éclatèrent les premiers. Le lieutenant Acilius Aviola fit marcher une cohorte qui tenait garnison à Lyon, et réduisit les Andécaves. Les Turoniens furent défaits par un corps de légionnaires que le même Aviola reçut de Visellius, gouverneur de la basse Germanie, et auquel se joignirent des nobles Gaulois, qui cachaient ainsi leur défection pour se déclarer dans un moment plus favorable. On vit même Sacrovir se battre pour les Romains, la tête découverte, afin, disait-il, de montrer son courage ; mais les prisonniers assuraient qu'il avait voulu se mettre à l'abri des traits en se faisant reconnaître. Tibère, consulté, méprisa cet avis, et son irrésolution nourrit l'incendie.
 
:{{refa|1.}} L’Anjou et la Touraine
<div style="margin-left:30px;">
====42====
Ligne 278 :
====43====
</div>
Celle des Éduens fut plus difficile à réprimer, parce que cette nation était plus puissante, et nos forces plus éloignées. Sacrovir, avec des cohortes régulières s’était emparé d'Augustodunum ({{refl|1)}}, leur capitale, où les enfants de la noblesse gauloise étudiaient les arts libéraux : c'étaient des otages qui attacheraient à sa fortune leurs familles et leurs proches. Il distribua aux habitants des armes fabriquées en secret. Bientôt il fut à la tête de quarante mille hommes, dont le cinquième était armé comme nos légionnaires : le reste avait des épieux, des coutelas et d'autres instruments de chasse. Il y joignit les esclaves destinés au métier de gladiateur, et que dans ce pays on nomme cruppellaires. Une armure de fer les couvre tout entiers, et les rend impénétrables aux coups, si elles les gêne pour frapper eux-mêmes. Ces forces étaient accrues par le concours des autres Gaulois, qui, sans attendre que leurs cités se déclarassent, venaient offrir leurs personnes, et parla mésintelligence de nos deux généraux, qui se disputaient la conduite de cette guerre. Varron, vieux et affaibli, la céda enfin à Silius, qui était dans la vigueur de l'âge.
 
:{{refa|1.}} La même ville que Bibracte, maintenant Autun.
<div style="margin-left:30px;">
====44====
Ligne 302 :
====48====
</div>
À peu près dans le même temps, il demanda au sénat que la mort de Sulpicius Quirinus fût honorée par des funérailles publiques. Quirinus, né à Lanuvium, n'était point de l'ancienne famille patricienne des Sulpicius ; mais sa bravoure à la guerre, et des commissions où il avait montré de l'énergie, lui avaient valu le consulat sous Auguste. Il avait obtenu les ornements du triomphe pour avoir enlevé aux Homonades ({{refl|1)}}, nation de Cilicie, toutes leurs forteresses. Donné pour conseil à Caïus César, lorsque celui-ci commandait en Arménie, il n'en avait pas moins rendu des hommages à Tibère dans sa retraite de Rhodes. Le prince fit connaître ce fait au sénat, louant l'attachement de Quirinus pour sa personne, et accusant M. Lollius, aux suggestions duquel il attribuait l'injuste inimitié du jeune César. Mais la mémoire de Quirinus n'était point agréable aux sénateurs, tant à cause de ses persécutions contre Lépida, dont j'ai parlé plus haut, que de sa vieillesse avare et odieusement puissante.
 
:{{refa|1.}} Peuple de la Cilicie Trachée, dont la capitale était Homonada, aujourd'hui Ermenek.
<div style="margin-left:15px;">
===Crime de lèse-majesté de C. Lutorius Priscus===
Ligne 314 :
====50====
</div>
M. Lépidus fut d'un avis contraire. "Pères conscrits, dit-il, si nous n'envisageons que l'horrible pronostic dont C. Lutorius a souillé son imagination et les oreilles qui l'ont entendu, ni le cachot, ni le lacet des criminels, ni les tortures des esclaves ne suffisent pour l'en punir. Mais si la modération du prince, si les exemples de vos ancêtres et les vôtres ont mis des bornes aux remèdes et aux châtiments, quand les désordres et les forfaits n'en ont point, s'il y a loin de l'indiscrétion au crime, des paroles aux attentats ; nous pouvons prononcer un arrêt tel que, sans laisser impunie la faute de Lutorius, nous n'ayons à nous reprocher ni trop d'indulgence ni trop de rigueur. J'ai plus d'une fois entendu le chef de cet empire se plaindre de ceux qui, par une mort volontaire, s'étaient dérobés à sa clémence : Lutorius est encore vivant, et sa vie ne peut être un danger, ni son supplice une leçon. Tout condamnable qu'est son délire, les oeuvres en sont vaines et promptement oubliées. Quelle crainte sérieuse pourrait inspirer un insensé qui se trahit lui-même, et qui, n'osant s'adresser aux hommes, va mendier l'approbation de quelques femmes ? Toutefois qu'il s'éloigne de Rome ; qu'il perde ses biens, et qu'il soit privé du feu et de l'eau ({{refl|1)}}. Et cet avis, je le donne comme si la loi de majesté lui était réellement applicable."
 
:{{refa|1.}} C'était la formule de l'exil : cette interdiction du feu et de l'eau s'étendait à une certaine distance de Rome ou de l'Italie, distance au-delà de laquelle le condamné était libre de choisir sa résidence.
<div style="margin-left:30px;">
====51====
</div>
Seul de tous les sénateurs, le consulaire Rubellius Blandus partagea l'opinion de Lépidus : les autres se rangèrent à celle d'Agrippa. Lutorius fut conduit en prison et mis à mort sur-le-champ. Tibère, dans une lettre pleine de ses ambiguïtés ordinaires, en fit reproche au sénat, exaltant le zèle pieux avec lequel il vengeait les moindres injures du prince, le priant de ne pas punir avec tant de précipitation de simples paroles, louant Lépidus, ne blâmant point Agrippa. Alors il fut résolu que les décrets du sénat ne seraient portés au trésor qu'après dix jours ({{refl|1)}}, et qu'on laisserait aux condamnés cette prolongation de vie. Mais ni les sénateurs n'avaient la liberté de révoquer leurs arrêts, ni le temps n'adoucissait Tibère.
 
:{{refa|1.}} Dans l'origine, les sénatus-consultes étaient déposés dans la temple de Cérès, sous la garde des édiles plébéiens. Dans la suite, ils furent portés au trésor public, et ce n'était qu'après cette formalité qu'ils étaient exécutoires.
<div style="margin-left:15px;">
=== Discours de Tibère sur le luxe à table===
Ligne 356 :
====58====
</div>
Cependant, Junius Blésus ayant été continué dans le gouvernement de l'Afrique, Servius Maluginensis, flamine de Jupiter, demanda la province d'Asie. Selon lui, "on avait tort de croire que les ministres de ce dieu ne pouvaient sortir de l'Italie : le droit n'était pas autre pour lui que pour les flamines de Mars et de Quirinus ; or, si ces derniers obtenaient des provinces, pourquoi ceux de Jupiter en seraient-ils privés ? Aucun décret du peuple, aucun livre sur les rites ne prononçait leur exclusion. Souvent les pontifes ({{refl|1)}} avaient desservi les autels de Jupiter, lorsque la maladie ou des fonctions publiques en éloignaient le flamine. Après le meurtre de Cornélius Mérula ({{refl|2)}}, ce sacerdoce avait vaqué soixante et douze ans, et l'on n'avait point vu les sacrifices interrompus. Si le culte du dieu s'était maintenu si longtemps, sans que l'on créât de prêtre, combien serait moins sensible l'absence d'une année qu'exigeait le proconsulat ! C'était pour satisfaire des ressentiments personnels que les grands pontifes avaient interdit les provinces au flamine : maintenant, grâce aux dieux, le premier des pontifes était aussi le premier des hommes ; ni rivalités, ni haines, ni aucune des passions de la condition privée, n'avaient d'empire sur lui."
 
:{{refa|1.}} Les pontifes avaient dans leurs attributions le culte de tous les dieux, tandis que les flamines étaient attachés à tel ou tel dieu en particulier. En outre, le collège des pontifes décidait souverainement de toutes les affaires qui intéressaient la religion.
:{{refa|2.}} Après le retour de Marius, en 667, Cornélius Mérule se donna la mort au pied de l'autel de Jupiter, dont il était flamine, en priant le dieu que son sang retombât sur Cinna et sur tout son parti.
<div style="margin-left:30px;">
====59====
Ligne 377 :
====62====
</div>
Immédiatement après, les Magnésiens ({{refl|1)}} firent valoir des ordonnances de L. Scipio ({{refl|2)}} et de L. Sylla, qui, vainqueurs l'un d'Antiochus l'autre de Mithridate, honorèrent le dévouement et le courage de ce peuple en déclarant le temple de Diane Leucophryne ({{refl|3)}} un asile inviolable. Les députés d'Aphrodisias ({{refl|4)}} et de Stratonice ({{refl|5)}} présentèrent un décret du dictateur César, prix de services anciennement rendus à sa cause, et un plus récent de l'empereur Auguste : ces villes y étaient louées d'avoir subi une irruption des Parthes, sans que leur fidélité envers la république en fût ébranlée. Les Aphrodisiens défendirent les droits de Vénus, les Stratoniciens ceux de Jupiter et d'Hécate. Remontant plus haut, les orateurs d'Hiérocésarée ({{refl|6)}} exposèrent que Diane Persique avait chez eux un temple dédié sous le roi Cyrus ; ils citèrent les noms de Perpenna, d'Isauricus ({{refl|7)}} et de plusieurs autres généraux, qui avaient étendu jusqu'à deux mille pas de distance la sainteté de cet asile. Les Cypriotes parlèrent pour trois temples, élevés, le plus ancien à Vénus de Paphos par Aérias, le second par Amathus, fils d'Aérias, à Vénus d'Amathonte, le troisième à Jupiter de Salamine par Teucer, fuyant la colère de son père Télamon.
 
:{{refa|1.}} Magnésie, sur le Méandre.
:{{refa|2.}} Scipion l'Asiatique, qui remporta sur Antiochus, près de Magnésie de Sipyle, la célèbre victoire qui soumit aux Romains toute l'Asie mineure.
:{{refa|3.}} Il y a plusieurs traditions sur ce surnom de Leucophryne donné à Diane. Il paraîtrait assez naturel de le rapporter à la ville de Leucophrys, située dans les plaines du Méandre, où la déesse avait un temple fort révéré. Leucophrys était aussi l'ancien nom de l’île de Ténédos.
:{{refa|4.}} Aphrodisias, ville considérable de Carie.
:{{refa|5.}} Autre ville de Carie, fondée par les Séleucides, et qui tire son nom de Stratonice, femme d'Antiochus Soter.
:{{refa|6.}} Voy. la note 1 de la page 76.
:{{refa|7.}} Perpenna ou Perperna, vainquit Aristonicus ; qui se prétendait héritier d'Attale, et le fit prisonnier dans Stratonice (an de Rome 624). - P. Servilius Isauricus fit la guerre aux pirates de Cilicie et subjugua la nation des Isauriens, d'où il tira son surnom (an de Rome 676).
<div style="margin-left:30px;">
====63====
</div>
On entendit aussi les députations des autres peuples. Fatigué de ces longues requêtes et des vifs débats qu'elles excitaient, le sénat chargea les consuls d'examiner les titres, et, s'ils y démêlaient quelque fraude, de soumettre de nouveau l'affaire à sa délibération. Outres les villes que j'ai nommées, les consuls firent connaître "qu'on ne pouvait contester à celle de Pergame son asile d'Esculape, mais que les autres cités ne s'appuyaient que sur de vieilles et obscures traditions. Ainsi les Smyrnéens alléguaient un oracle d'Apollon, en vertu duquel ils avaient dédié un temple à Vénus Stratonicienne ; ceux de Ténos ({{refl|1)}} une réponse du même dieu, qui leur avait enjoint de consacrer une statue et un sanctuaire à Neptune. Sans remonter à des temps si reculés, Sardes se prévalait d'une concession d'Alexandre victorieux, Milet d'une ordonnance du roi Darius : ces deux villes étaient vouées l'une et l'autre au culte de Diane et d'Apollon. Enfin les Crétois formaient aussi leur demande pour la statue d'Auguste." Des sénatus-consultes furent rédigés dans les termes les plus honorables, et restreignirent cependant toutes ces prétentions. On ordonna qu'ils seraient gravés sur l'airain et suspendus dans chaque temple, afin que la mémoire en fût consacrée, et que les peuples ne se créassent plus, sous l'ombre de la religion, des droits imaginaires.
 
:{{refa|1.}} Ténos, île de la mer Égée, l'une des Cyclades, à 4 milles d'Andros, à 15 milles de Délos.
<div style="margin-left:15px;">
===Maladie d'Augusta===
Ligne 397 :
====64====
</div>
Vers le même temps, une maladie dangereuse d'Augusta mit le prince dans la nécessité de revenir promptement à Rome ; soit qu'une sincère union régnât encore entre la mère et le fils, soit que leur haine ne fût que déguisée. En effet, lors de la dédicace qu'elle avait faite récemment d'une statue d'Auguste, près du théâtre de Marcellus, Augusta n'avait inscrit le nom de Tibère qu'après le sien ; et l'on croyait que le prince, offensé de ce trait comme d'une insulte à sa majesté, en gardait au fond du cœur un vif ressentiment. Au reste, un sénatus-consulte ordonna des prières solennelles et la célébration des grands jeux ({{refl|1)}} dont on chargea les pontifes, les augures et les quindécemvirs, conjointement avec les septemvirs ({{refl|2)}} et les prêtres d'Auguste. L. Apronius avait proposé que les féciaux y présidassent aussi. Tibère lui opposa les attributions diverses des sacerdoces et l'autorité des exemples : il dit "que jamais les féciaux n'avaient été admis à de si hautes fonctions ; que, si l'on y appelait cette fois les prêtres d'Auguste, c'était comme attachés par leur institution à la famille pour laquelle s'acquittaient les vœux."
 
:{{refa|1.}} Les jeux du cirque.
:{{refa|2.}} On appelait septemviri epulones des prêtres chargés spécialement de présider aux banquets sacrés que l'on offrait aux dieux dans les solennités religieuses. Les pontifes, les augures, les quindécemvirs et les septemvirs formaient ce qu'on appelait les quatre grands collèges de prêtres, sacerdoces summorum collegiorum.
<div style="margin-left:15px;">
=== Adulation et bassesse===
Ligne 432 :
====71====
</div>
Un doute s'éleva sur le temple où l'on placerait une offrande vouée par les chevaliers romains à la Fortune Equestre pour le rétablissement d'Augusta. La déesse avait des sanctuaires en plusieurs endroits de Rome, mais dans aucun elle n'était adorée sous ce titre. On trouva qu'un temple ainsi nommé existait à Antium, et qu'il n'était point en Italie d'institution religieuse, de lieu sacré, d'image des dieux qui ne fût sous la juridiction suprême du peuple romain ; et le don fut porté à Antium. Pendant qu'on s'occupait de religion, le prince fit connaître sa réponse, différée jusqu'alors, sur l'affaire de Servius Maluginensis, flamine de Jupiter. Il lut un décret des pontifes qui autorisait le ministre de ce dieu à s'absenter plus de deux nuits, pour cause de maladie et avec le consentement du grand pontife, pourvu que ce ne fût point dans le temps des sacrifices publics, ni plus de deux fois par an. Ce règlement, établi sous Auguste, prouvait assez que les prêtres de Jupiter ne pouvaient être absents une année entière, ni gouverner les provinces : on citait même l'exemple d'un grand pontife, L. Métellus. qui avait retenu à Rome le flamine Aulus Postumius ({{refl|1)}}. Ainsi l'Asie fut donnée au consulaire le plus ancien après Maluginensis.
 
:{{refa|1.}} L'an de Rome 512, pendant la première guerre punique, le consul A. Postumius Albinus se préparait à partir pour la Sicile. Le grand pontife Métellus l'en empêcha, parce qu'il était flamine du dieu Mars.
<div style="margin-left:15px;">
=== Embellissement de Rome===
Ligne 450 :
====74====
</div>
Beaucoup de rebelles profitèrent de l'amnistie bientôt, aux ruses du Numide, on opposa le genre de guerre dont il donnait l'exemple. Comme ses troupes, moins fortes que les nôtres, et meilleures pour les surprises que pour le combat, couraient par bandes détachées, attaquant tour à tour ou éludant les attaques et dressant des embuscades, l'armée romaine se mit en marche dans trois directions et sur trois colonnes. Le lieutenant Cornélius Scipio ferma les passages par où l'ennemi venait piller le pays de Leptis ({{refl|1)}} et se sauvait ensuite chez les Garamantes : du côté opposé, le fils de Blésus alla couvrir les bourgades dépendantes de Cirta : au milieu, le général lui-même, avec un corps d'élite, établissait dans les lieux convenables des postes fortifiés ; de sorte que les barbares, serrés, enveloppés de toutes parts, ne faisaient pas un mouvement sans trouver des Romains en face, sur leurs flancs, souvent même sur leurs derrières. Beaucoup furent tués ainsi ou faits prisonniers. Alors Blésus subdivisa ses trois corps en plusieurs détachements, dont il donna la conduite à des centurions d'une valeur éprouvée ; et, l'été fini, au lieu de retirer ses troupes suivant la coutume, et de les mettre en quartier d'hiver dans notre ancienne province, il les distribua dans des forts qui cernaient, pour ainsi dire, le théâtre de la guerre. De là, envoyant à la poursuite de Tacfarinas des coureurs qui connaissaient les routes de ces déserts, il le chassait de retraite en retraite. Il ne revint qu'après s'être emparé du frère de ce chef ; et ce fut encore trop tôt pour le bien des alliés, puisqu'il laissait derrière lui des ennemis prêts à recommencer la lutte. Tibère la considéra cependant comme terminée, et permit que Blésus fût salué par ses légions du nom d'imperator : c'est un titre que les armées, dans l'enthousiasme et les acclamations de la victoire, donnaient jadis aux généraux qui avaient bien mérité de la république. Plusieurs en étaient revêtus à la fois, sans cesser d'être les égaux de leurs concitoyens. Auguste l'avait même accordé à quelques-uns : Blésus le reçut alors de Tibère, et nul ne l'obtint après lui.
 
:{{refa|1.}} On connaît, dans l'antiquité, deux villes de Leptis, la grande, aujourd'hui Lebeda, dans le pays de Tripoli et la petite, beaucoup plus à l'ouest, dans la province que les Romains nommaient proprement Afrique.
<div style="margin-left:15px;">
===Mort d'un grand légiste===
Ligne 458 :
====75====
</div>
La mort enleva cette année deux hommes d'un grand nom, Asinius Saloninus et Atéius Capito. Petit-fils de M. Agrippa et d'Asinius Pollio, Saloninus était de plus frère de Drusus, et l'empereur lui destinait une de ses petites-filles. Capito, dont j'ai parlé déjà ({{refl|1)}}, s'était placé par ses vastes connaissances au rang des premiers citoyens. Du reste il avait pour aïeul un centurion de Sylla, et pour père un simple préteur. Auguste l'éleva de bonne heure au consulat, afin que l'éclat de cette dignité lui donnât la prééminence sur Antistius Labéo, son rival dans la science des lois. Car le même siècle vit briller ces deux ornements de la paix : mais Labéo, d'une liberté inflexible, avait une renommée plus populaire ; Capito, habile courtisan, était plus avant dans la faveur du maître. L'un ne parvint qu'à la préture, et cette injustice accrut sa considération ; l'autre fut consul, et l'opinion jalouse s'en vengea par la haine.
 
:{{refa|1.}} Voy. chap. LXX.
<div style="margin-left:15px;">
===Des rancuniers===
Ligne 466 :
====76====
</div>
Ce fut cette même année, la soixante-quatrième après la bataille de Philippes ({{refl|1)}}, que Junie, sœur de Brutus, veuve de Cassius et nièce de Caton, finit sa carrière. Son testament fut le sujet de mille entretiens, parce que, étant fort riche, et mentionnant honorablement dans ses legs presque tous les grands de Rome, elle avait omis l'empereur. Tibère prit cet oubli en citoyen, et n'empêcha pas que l'éloge fût prononcé à la tribune, que la pompe accoutumée décorât les funérailles. On y porta les images de vingt familles illustres : les Manlius, les Quintius y parurent, avec une foule de Romains d’une égale noblesse ; mais Cassius et Brutus, qui n’y furent pas vus, les effaçaient tous par leur absence même.
 
:{{refa|1. }} La bataille de Philippes eut lieu l’an de Rome 712.71
:{{refa|2}}
</div>