« Charlotte Corday (Michel Corday) » : différence entre les versions

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C’est encore cette tradition qui m'incite à écrire une vie de Charlotte Corday. Il me plaît de laisser à mes quatre petits-enfants, Pierre et
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et Lise, Yvette et Claude, une histoire de leur « cousine ». Je dois dire aussi que les circonstances m’ont conduit récemment à écrire deux essais biographiques et que la pensée rie séduit de compléter le triptyque : j'avais été l’ami d’Anatole France pendant ses douze dernières années et je crus devoir fixer après sa mort, sous la forme durable du livre, l’essentiel de ce que je savais de lui, par lui ; peu après, on m'offrit d’écrire pour une collection la vie sentimentale d’un personnage célèbre et je choisis Diderot, que j’aimais et que j’admirais entre tous.
 
 
Mais, cette fois-ci, l’entreprise était particulièrement délicate. Je m’aperçus vite qu’elle m’amenait à mûrir, à affirmer mon opinion sur des sujets importants, comme la violence révolutionnaire, l'influence cornélienne, le droit de tuer. Et je dus aussi refeuilleter toute la documentation de mes romans physiologiques, afin d'examiner, aux faibles clartés de la science, cette incroyable aventure : comment une jeune fille, douce et bonne, discrète et cultivée, qui n’avait jamais quitté sa province, avait-elle pu se laisser envahir, subjuguer et pousser droit au but, par l’idée fixe d’aller tuer à Paris l’Ami du peuple ? J'
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J'ai préparé ma tâche pendant près d’un an : pèlerinages au pays natal de Charlotte Corday, visites de musées, séances de bibliothèques, chasse aux livres nécessaires, devenus introuvables, découverte de trésors presque inexplorés. Sur combien de vitrines et de dossiers me suis-je penché… Que de personnages disparates ai-je sollicités… Des conservateurs, les uns expansifs et chaleureux, les autres timides et secrets ; des archivistes précis ; des journalistes débordés ; de vénérables bibliophiles, et ces libraires anciens, si curieusement devenus étrangers au siècle, à la vie.
 
 
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Tout son pays se reflétait en elle. Son visage avait le frais éclat de la fleur du pommier, qui unit par d’insensibles nuances la blancheur du lait à la rougeur du sang. Sous le voile des grands
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grands cils et des longues paupières, ses yeux, spirituels et doux, passaient du gris au bleu, comme la mer normande. Ses cheveux, couleur de blé mûr, étaient changeants aussi : selon la lumière, elle semblait blonde ou brune. Leurs torsades ondées, presque crêpées, caressaient l’ovale classique, le cou de colombe, et se répandaient sur ses épaules. Elle avait les sourcils très fournis et bien arqués, le nez tombant mais d’un ferme dessin, la lèvre fraîche et pleine, le menton accentué, curieusement fendu en deux lobes par un sillon vertical, comme une pêche.
 
 
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Mesurée, claire, élégante et précise, sa voix lui ressemblait. Et cependant elle surprenait, tellement elle était musicale, d’une pureté presque
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presque enfantine. C’était un délice inoubliable de l’entendre.
 
 
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Dans sa libre existence de fillette, elle changeait souvent de toit. Mais toutes les maisons de son enfance sont groupées. Elles dessinent sur la carte une petite constellation. Elles s’assemblent entre Argentan et Vimoutiers, au seuil de la Vallée d’Auge, ce vaste estuaire d'
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d'herbage qui déferle jusqu’à la mer, où Les dos gras des bêtes à la pâture émergent comme des rochers luisants.
 
 
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Elle ne s’éloignait un peu de ces quatre maisons, étroitement groupées, que lorsqu’elle allait habiter chez un autre de ses oncles, l’abbé de Corday, curé de Vicques. C’est au presbytère de Vicques qu’elle apprit à lire dans un exemplaire de Corneille, tout patiné par le temps et l’usage, et pieusement conservé par l’abbé. Il lui répétait souvent qu’elle était l’arrière-petite fille du grand tragique. Il lui enseignait
 
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enseignait à l’admirer en même temps qu’à le déchiffrer. Tous les Corday étaient extrêmement fiers de leur illustre ancêtre.
 
 
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Mais, pour Charlotte, cette enfance errante était une enfance heureuse. C’est au château de Mesnil-Imbert, chez ses grands-parents, qu’elle habitait le plus souvent. Elle y était particulièrement choyée, par les deux vieillards et par leur fille, Mlle de Cauvigny. Il y avait
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avait là encore une servante, Fanchon Marjot, surnommée la Marjote, qui l’adorait, qui s’était toute consacrée à elle.. Cette femme, devenue vieille, avait voué un tel culte à la mémoire de Charlotte Corday, qu’elle vivait dans une petite pièce dont l’enfant avait fait sa retraite préférée.
 
 
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Dès cette époque s’accusait un double trait de sa nature : dévouée aux autres, elle était détachée d’elle-même. Cette indifférence semblait aller jusqu’à une sorte d’insensibilité physique. Un jour, vers douze ans, elle avait fait une chute assez grave. Pâle, ensanglantée, elle rassurait les siens en souriant et refusait d’avouer sa souffrance. Et sa mère de se lamenter : « Ah! cette petite fille est dure à elle-
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elle-même. Elle ne se plaint jamais… Je suis obligée de deviner quand elle est malade. Car elle ne le dirait pas. »
 
 
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M. de Corday aimait tendrement sa femme. Dans leur entourage, on les appelait, bien qu’ils fussent jeunes encore, Philémon et Baucis. Le malheur l’atterra. Il restait veuf, dans un gîte de hasard, avec quatre enfants, dans un état voisin de la gène. Il est vrai que Charlotte et sa jeune sœur Éléonore tenaient de leur mieux le ménage. Leur père laissait dans un tiroir ouvert le peu d’argent dont il disposait. Et cette marque de confiance même les incitait à l’économie. Mais leur frère aîné se destinait à l’École militaire, et ses études étaient coûteuses.C’
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estC’est alors qu’intervint Mme de Belzunce. Elle dirigeait depuis de longues années l’Abbaye-aux-Dames, toute proche du logis de la Butte Saint-Gilles. Elle apprit vite la situation embarrassée du père, le dévouement de ses filles. Elle s’intéressa aux deux sœurs, aussi touchée par la beauté de l’une que par la disgrâce de l’autre. Car Éléonore était bossue.
 
 
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Sur une colline qui domine la capitale normande, l'Abbaye-aux-Dames s'étend comme une véritable petite ville forte. Elle est entourée d’un rempart que des tourelles soutiennent à des intervalles réguliers. Cette muraille abrite
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abrite le logis de l’abbesse, les bâtiments de la communauté, ordonnés autour d’un cloître, des jardins d'agrément, des vergers, un parterre, un parc coupé d’allées d’ormes. Au seuil, veille église, grise et rude, dont la base est romane et la flèche ogivale.
 
 
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Elle continuait. Et, dans la chaleur de la discussion, une petite ride verticale se creusait entre ses sourcils, comme une réplique du sillon léger qui fendait son menton.En
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En réalité, elle se cherchait. Le plus souvent, elle s’armait en effet de la logique e1 de la raison. Mais, à certaines heures, elle se rejetait en pleine foi. À ces heures-là, elle se réfugiait dans la crypte creusée sous l’église, pour s’abîmer dans la retraite la plus obscure, la plus silencieuse, la plus lointaine, pour appeler Dieu par la prière et la contemplation. Mais elle remontait vers Le jour. vers la lumière et, sa petite ride têtue entre les sourcils, elle reprenait ses discussions théologiques avec Mme de Louvagny.
 
 
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Sa vie s’écoulait désormais tout unie. Elle apprenait le dessin, la musique. Elle continuait de beaucoup lire, surtout l’histoire ancienne. Vers le soir, elle se promenait souvent dans les jardins de l’abbesse. D’une petite éminence, elle dominait les toits d’où s’élevaient la fumée des foyers et les bruits de la vie, et tout un horizon de clochers aigus, les uns massifs, les autre aériens. D'ailleurs, elle n’était pas isolée de cette ville si proche. Elle n’
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enn’en ignorait pas les rumeurs. Car l’abbesse restait mondaine et ses protégées l’aidaient à recevoir. Puis Charlotte accompagnait les religieuses dans leurs visites aux pauvres. Et son besoin de se dévouer restait si vif que, dans le quartier Saint-Gilles, on a gardé longtemps le souvenir de cette jeune fille dont le zèle dépassait celui de ses pieuses compagnes, pourtant charitables par état.
 
 
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Quelques arts d'agrément, des lectures, des promenades aux jardins de l’abbesse, des visites charitables ou mondaines, tels étaient donc les seuls incidents de sa simple vie, une vie
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vie de Fête-Dieu, tendue de blanc, ornée d'humbles fleurs.
 
 
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Puis M. de Corday appartenait à cette noblesse libérale que les vues des Encyclopédistes et des Philosophes avaient séduite. L’injustice du droit d’aînesse, qu’il avait dénoncée dans un Mémoire, lui avait fait vivement sentir les abus du régime. Enfin le père et la fille avaient le même esprit de compassion, cette faculté de souffrir
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souffrir de la misère d'autrui, ce besoin de l’alléger.
 
 
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Dès le début de la Révolution, il avait donné des gages rigoureux de sa foi. Le premier peut-être en France, il avait renoncé à ses titres. Lorsque les trois Ordres envoyèrent des députés aux États Généraux, au lieu d’assister aux réunions de la noblesse où il était convoqué, il s’était mêlé aux assemblées bailliagères où le Tiers nommait ses délégués. Il avait travaillé à la rédaction des Cahiers de revendications que le Tiers État normand, comme celui de chaque province, adressait aux États Généraux. Tâche admirable. Car ces Cahiers du
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du Tiers tiennent enclose la fleur même de la Révolution. Leurs vœux si sages, si larges, si clairvoyants, si complets, ne sont point encore tous exaucés aujourd’hui. Ils restent, après cent quarante ans, la Charte populaire par excellence.
 
 
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Ces progrès enflammaient le neveu de l’abbesse. Il s’exalta plus encore lorsque parvint à Caen, le 7 août au matin, une lettre de Gabriel de Cussy, l’un des députés normands. Dans la nuit du 4 au 5 août, l’Assemblée Nationale avait
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avait aboli les droits féodaux et les privilèges seigneuriaux, consacré les droits du citoyen, proclamé l’égalité devant l'impôt, la gratuité de la justice, dans un immense élan de générosité, une ivresse d’émulation, dont la noblesse avait donné l’exemple.
 
 
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Charlotte partageait l’enthousiasme de Gustave Doulcet. Oh! elle n’ignorait pas que la noblesse, cette nuit-là, avait obéi à la prudence autant qu’à la justice. Un peu partout, les paysans recherchaient dans les châteaux les recueils d’archives, de vieux titres féodaux, et brûlaient ces chartriers. Parfois même, ils allaient plus loin. Chez le gouverneur de Normandie, dans le vestibule du château d’Harcourt, n’avaient-ils pas abattu une lourde statue de Louis XIV ? Les privilégiés craignaient une nouvelle Jacquerie. Mais
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Mais Charlotte, sous ses dehors tour à tour enjoués et graves, était doucement ironique. C’était encore un des traits profonds de son caractère. Elle discernait le comique qui se mêle toujours au tragique de la vie. Évidemment, tous ces députés de la noblesse n’étaient que des hommes : la crainte les avait guidés vers la justice. Mais leur entreprise n’en apparaissait que plus émouvante, parce qu’on la sentait humaine. S’ils avaient obéi d’abord à d’étroits intérêts, ils s’étaient peu à peu élevés au-dessus d’eux-mêmes, ils avaient été emportés, dans une sorte d'ivresse contagieuse, jusqu’au sublime.
 
 
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Trois jours plus tard, une scène atroce souillait la ville de Caen. Le vicomte Henri de Belzunce était major en
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en second du régiment de Bourbon. On disait qu’il était le neveu de Mme de Belzunce, bien qu’il fût seulement son parent éloigné. D’ailleurs, lorsqu'il avait pris garnison à Caen, en avril 1789, l’abbesse était morte depuis deux ans. C’était un jeune homme de vingt-quatre ans, mince et joli, pâle et brun, élégant, hautain. S'il aimait passionnément son métier et son roi, il méprisait le peuple et la Révolution.
 
 
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Dès la fin de juin, il provoqua le mécontentement populaire. On apprit à Caen, le 29, que la Noblesse et le Clergé consentaient à rejoindre le Tiers État à l’Assemblée Nationale. En signe d’allégresse, une pyramide de bois, peinte en marbre bleu, fut élevée dans le faubourg de Vauxcelles. Elle portait sur ses trois faces : « Vive le Roi! Vive Necker ! Vive les Trois Ordres! » Elle était ornée de fleurs et de guirlandes. On l’illuminait le soir. Ces réjouissances déplurent au jeune Henri de Belzunce.
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Belzunce. Il molesta un petit garçon qui tirait des pétards et menaça de son pistolet un bourgeois qui prenait le parti de l’enfant. Les murmures ne cessèrent que lorsqu'une patrouille à cheval, aussitôt appelée par lui, eut cerné la pyramide.
 
 
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Elle avait vu des hommes s’élever au-dessus d'eux-mêmes, atteindre au sublime dans l’ivresse la plus généreuse et, s’égalant aux dieux,
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dieux, tenter de rebâtir un monde. Et elle voyait aussi la créature, déchaînée dans un délire contraire, assouvir dans le sang les pires instincts, lâche, envieuse, obscène, et cent fois plus cruelle que la bête la plus féroce.
 
 
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Les deux jeunes filles rejoignirent leur père à la Ferme des Bois. Leur frère aîné avait émigré. Le second se disposait à le rejoindre. Mais la Révolution avait aggravé la gêne au logis.
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logis. Charlotte s’en aperçut vite. Elle s’affecta d’être à charge à son père et résolut de fuir une situation également pénible pour l’un et l’autre.