« Charlotte Corday (Michel Corday) » : différence entre les versions

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L'HOMME DE LEUR VIE
 
 
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= PRÉAMBULE =
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C’est encore cette tradition qui m'incite à écrire une vie de Charlotte Corday. Il me plaît de laisser à mes quatre petits-enfants, Pierre et
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Lise, Yvette et Claude, une histoire de leur « cousine ». Je dois dire aussi que les circonstances m’ont conduit récemment à écrire deux essais biographiques et que la pensée rie séduit de compléter le triptyque : j'avais été l’ami d’Anatole France pendant ses douze dernières années et je crus devoir fixer après sa mort, sous la forme durable du livre, l’essentiel de ce que je savais de lui, par lui ; peu après, on m'offrit d’écrire pour une collection la vie sentimentale d’un personnage célèbre et je choisis Diderot, que j’aimais et que j’admirais entre tous.
 
 
Mais, cette fois-ci, l’entreprise était particulièrement délicate. Je m’aperçus vite qu’elle m’amenait à mûrir, à affirmer mon opinion sur des sujets importants, comme la violence révolutionnaire, l'influence cornélienne, le droit de tuer. Et je dus aussi refeuilleter toute la documentation de mes romans physiologiques, afin d'examiner, aux faibles clartés de la science, cette incroyable aventure : comment une jeune fille, douce et bonne, discrète et cultivée, qui n’avait jamais quitté sa province, avait-elle pu se laisser envahir, subjuguer et pousser droit au but, par l’idée fixe d’aller tuer à Paris l’Ami du peuple ? J'
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ai préparé ma tâche pendant près d’un an : pèlerinages au pays natal de Charlotte Corday, visites de musées, séances de bibliothèques, chasse aux livres nécessaires, devenus introuvables, découverte de trésors presque inexplorés. Sur combien de vitrines et de dossiers me suis-je penché… Que de personnages disparates ai-je sollicités… Des conservateurs, les uns expansifs et chaleureux, les autres timides et secrets ; des archivistes précis ; des journalistes débordés ; de vénérables bibliophiles, et ces libraires anciens, si curieusement devenus étrangers au siècle, à la vie.
 
 
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Je n’ai rencontré que du zèle, de la complaisance, de la bonne volonté. Je ne nomme personne, de peur d’oublier quelqu'un. Mais chacun de mes collaborateurs éphémères saura prendre la part qui lui revient, des actions de grâces que j’adresse à tous.
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'''Charlotte Corday'''
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Tout son pays se reflétait en elle. Son visage avait le frais éclat de la fleur du pommier, qui unit par d’insensibles nuances la blancheur du lait à la rougeur du sang. Sous le voile des grands
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cils et des longues paupières, ses yeux, spirituels et doux, passaient du gris au bleu, comme la mer normande. Ses cheveux, couleur de blé mûr, étaient changeants aussi : selon la lumière, elle semblait blonde ou brune. Leurs torsades ondées, presque crêpées, caressaient l’ovale classique, le cou de colombe, et se répandaient sur ses épaules. Elle avait les sourcils très fournis et bien arqués, le nez tombant mais d’un ferme dessin, la lèvre fraîche et pleine, le menton accentué, curieusement fendu en deux lobes par un sillon vertical, comme une pêche.
 
 
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Mesurée, claire, élégante et précise, sa voix lui ressemblait. Et cependant elle surprenait, tellement elle était musicale, d’une pureté presque
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enfantine. C’était un délice inoubliable de l’entendre.
 
 
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Dans sa libre existence de fillette, elle changeait souvent de toit. Mais toutes les maisons de son enfance sont groupées. Elles dessinent sur la carte une petite constellation. Elles s’assemblent entre Argentan et Vimoutiers, au seuil de la Vallée d’Auge, ce vaste estuaire d'
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herbage qui déferle jusqu’à la mer, où Les dos gras des bêtes à la pâture émergent comme des rochers luisants.
 
 
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Elle ne s’éloignait un peu de ces quatre maisons, étroitement groupées, que lorsqu’elle allait habiter chez un autre de ses oncles, l’abbé de Corday, curé de Vicques. C’est au presbytère de Vicques qu’elle apprit à lire dans un exemplaire de Corneille, tout patiné par le temps et l’usage, et pieusement conservé par l’abbé. Il lui répétait souvent qu’elle était l’arrière-petite fille du grand tragique. Il lui enseignait
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à l’admirer en même temps qu’à le déchiffrer. Tous les Corday étaient extrêmement fiers de leur illustre ancêtre.
 
 
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Mais, pour Charlotte, cette enfance errante était une enfance heureuse. C’est au château de Mesnil-Imbert, chez ses grands-parents, qu’elle habitait le plus souvent. Elle y était particulièrement choyée, par les deux vieillards et par leur fille, Mlle de Cauvigny. Il y avait
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là encore une servante, Fanchon Marjot, surnommée la Marjote, qui l’adorait, qui s’était toute consacrée à elle.. Cette femme, devenue vieille, avait voué un tel culte à la mémoire de Charlotte Corday, qu’elle vivait dans une petite pièce dont l’enfant avait fait sa retraite préférée.
 
 
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Dès cette époque s’accusait un double trait de sa nature : dévouée aux autres, elle était détachée d’elle-même. Cette indifférence semblait aller jusqu’à une sorte d’insensibilité physique. Un jour, vers douze ans, elle avait fait une chute assez grave. Pâle, ensanglantée, elle rassurait les siens en souriant et refusait d’avouer sa souffrance. Et sa mère de se lamenter : « Ah! cette petite fille est dure à elle-
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même. Elle ne se plaint jamais… Je suis obligée de deviner quand elle est malade. Car elle ne le dirait pas. »
 
 
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Si les choses se souviennent, les boiseries de Glatigny doivent se rappeler ces fougueuses parties de colin-maillard où le joueur aux yeux bandés, lorsqu'il s’était emparé de la cousine Charlotte, ne manquait jamais de la reconnaître,
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grâce à ses cheveux ondés, presque crêpés, et qui semblaient vivre sous la main…
 
 
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M. de Corday aimait tendrement sa femme. Dans leur entourage, on les appelait, bien qu’ils fussent jeunes encore, Philémon et Baucis. Le malheur l’atterra. Il restait veuf, dans un gîte de hasard, avec quatre enfants, dans un état voisin de la gène. Il est vrai que Charlotte et sa jeune sœur Éléonore tenaient de leur mieux le ménage. Leur père laissait dans un tiroir ouvert le peu d’argent dont il disposait. Et cette marque de confiance même les incitait à l’économie. Mais leur frère aîné se destinait à l’École militaire, et ses études étaient coûteuses.C’estC’
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est alors qu’intervint Mme de Belzunce. Elle dirigeait depuis de longues années l’Abbaye-aux-Dames, toute proche du logis de la Butte Saint-Gilles. Elle apprit vite la situation embarrassée du père, le dévouement de ses filles. Elle s’intéressa aux deux sœurs, aussi touchée par la beauté de l’une que par la disgrâce de l’autre. Car Éléonore était bossue.
 
 
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Sur une colline qui domine la capitale normande, l'Abbaye-aux-Dames s'étend comme une véritable petite ville forte. Elle est entourée d’un rempart que des tourelles soutiennent à des intervalles réguliers. Cette muraille abrite
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le logis de l’abbesse, les bâtiments de la communauté, ordonnés autour d’un cloître, des jardins d'agrément, des vergers, un parterre, un parc coupé d’allées d’ormes. Au seuil, veille église, grise et rude, dont la base est romane et la flèche ogivale.
 
 
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Elle continuait. Et, dans la chaleur de la discussion, une petite ride verticale se creusait entre ses sourcils, comme une réplique du sillon léger qui fendait son menton.En
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réalité, elle se cherchait. Le plus souvent, elle s’armait en effet de la logique e1 de la raison. Mais, à certaines heures, elle se rejetait en pleine foi. À ces heures-là, elle se réfugiait dans la crypte creusée sous l’église, pour s’abîmer dans la retraite la plus obscure, la plus silencieuse, la plus lointaine, pour appeler Dieu par la prière et la contemplation. Mais elle remontait vers Le jour. vers la lumière et, sa petite ride têtue entre les sourcils, elle reprenait ses discussions théologiques avec Mme de Louvagny.
 
 
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Sa vie s’écoulait désormais tout unie. Elle apprenait le dessin, la musique. Elle continuait de beaucoup lire, surtout l’histoire ancienne. Vers le soir, elle se promenait souvent dans les jardins de l’abbesse. D’une petite éminence, elle dominait les toits d’où s’élevaient la fumée des foyers et les bruits de la vie, et tout un horizon de clochers aigus, les uns massifs, les autre aériens. D'ailleurs, elle n’était pas isolée de cette ville si proche. Elle n’enn’
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en ignorait pas les rumeurs. Car l’abbesse restait mondaine et ses protégées l’aidaient à recevoir. Puis Charlotte accompagnait les religieuses dans leurs visites aux pauvres. Et son besoin de se dévouer restait si vif que, dans le quartier Saint-Gilles, on a gardé longtemps le souvenir de cette jeune fille dont le zèle dépassait celui de ses pieuses compagnes, pourtant charitables par état.
 
 
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Quelques arts d'agrément, des lectures, des promenades aux jardins de l’abbesse, des visites charitables ou mondaines, tels étaient donc les seuls incidents de sa simple vie, une vie
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de Fête-Dieu, tendue de blanc, ornée d'humbles fleurs.
 
 
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Puis M. de Corday appartenait à cette noblesse libérale que les vues des Encyclopédistes et des Philosophes avaient séduite. L’injustice du droit d’aînesse, qu’il avait dénoncée dans un Mémoire, lui avait fait vivement sentir les abus du régime. Enfin le père et la fille avaient le même esprit de compassion, cette faculté de souffrir de la misère d'autrui, ce besoin de l’alléger.
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de la misère d'autrui, ce besoin de l’alléger.
 
 
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Dès le début de la Révolution, il avait donné des gages rigoureux de sa foi. Le premier peut-être en France, il avait renoncé à ses titres. Lorsque les trois Ordres envoyèrent des députés aux États Généraux, au lieu d’assister aux réunions de la noblesse où il était convoqué, il s’était mêlé aux assemblées bailliagères où le Tiers nommait ses délégués. Il avait travaillé à la rédaction des Cahiers de revendications que le Tiers État normand, comme celui de chaque province, adressait aux États Généraux. Tâche admirable. Car ces Cahiers du
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Tiers tiennent enclose la fleur même de la Révolution. Leurs vœux si sages, si larges, si clairvoyants, si complets, ne sont point encore tous exaucés aujourd’hui. Ils restent, après cent quarante ans, la Charte populaire par excellence.
 
 
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Ces progrès enflammaient le neveu de l’abbesse. Il s’exalta plus encore lorsque parvint à Caen, le 7 août au matin, une lettre de Gabriel de Cussy, l’un des députés normands. Dans la nuit du 4 au 5 août, l’Assemblée Nationale avait
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aboli les droits féodaux et les privilèges seigneuriaux, consacré les droits du citoyen, proclamé l’égalité devant l'impôt, la gratuité de la justice, dans un immense élan de générosité, une ivresse d’émulation, dont la noblesse avait donné l’exemple.
 
 
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Charlotte partageait l’enthousiasme de Gustave Doulcet. Oh! elle n’ignorait pas que la noblesse, cette nuit-là, avait obéi à la prudence autant qu’à la justice. Un peu partout, les paysans recherchaient dans les châteaux les recueils d’archives, de vieux titres féodaux, et brûlaient ces chartriers. Parfois même, ils allaient plus loin. Chez le gouverneur de Normandie, dans le vestibule du château d’Harcourt, n’avaient-ils pas abattu une lourde statue de Louis XIV ? Les privilégiés craignaient une nouvelle Jacquerie. Mais
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Charlotte, sous ses dehors tour à tour enjoués et graves, était doucement ironique. C’était encore un des traits profonds de son caractère. Elle discernait le comique qui se mêle toujours au tragique de la vie. Évidemment, tous ces députés de la noblesse n’étaient que des hommes : la crainte les avait guidés vers la justice. Mais leur entreprise n’en apparaissait que plus émouvante, parce qu’on la sentait humaine. S’ils avaient obéi d’abord à d’étroits intérêts, ils s’étaient peu à peu élevés au-dessus d’eux-mêmes, ils avaient été emportés, dans une sorte d'ivresse contagieuse, jusqu’au sublime.
 
 
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Trois jours plus tard, une scène atroce souillait la ville de Caen. Le vicomte Henri de Belzunce était major en
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second du régiment de Bourbon. On disait qu’il était le neveu de Mme de Belzunce, bien qu’il fût seulement son parent éloigné. D’ailleurs, lorsqu'il avait pris garnison à Caen, en avril 1789, l’abbesse était morte depuis deux ans. C’était un jeune homme de vingt-quatre ans, mince et joli, pâle et brun, élégant, hautain. S'il aimait passionnément son métier et son roi, il méprisait le peuple et la Révolution.
 
 
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Dès la fin de juin, il provoqua le mécontentement populaire. On apprit à Caen, le 29, que la Noblesse et le Clergé consentaient à rejoindre le Tiers État à l’Assemblée Nationale. En signe d’allégresse, une pyramide de bois, peinte en marbre bleu, fut élevée dans le faubourg de Vauxcelles. Elle portait sur ses trois faces : « Vive le Roi! Vive Necker ! Vive les Trois Ordres! » Elle était ornée de fleurs et de guirlandes. On l’illuminait le soir. Ces réjouissances déplurent au jeune Henri de Belzunce.
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Il molesta un petit garçon qui tirait des pétards et menaça de son pistolet un bourgeois qui prenait le parti de l’enfant. Les murmures ne cessèrent que lorsqu'une patrouille à cheval, aussitôt appelée par lui, eut cerné la pyramide.
 
 
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Enfin, le 11 août, le conflit décisif éclata. Henri de Belzunce avait excité ses soldats à arracher la médaille de Necker que portaient leurs camarades du régiment d’Artois. Il frappa lui-même brutalement certains de ces médaillés qui résistaient. Ces hommes répandirent par les rues leurs plaintes et leur colère. Dans la soirée, vers onze heures, des coups de feu échangés entre une sentinelle bourgeoise et un officier, achevèrent de jeter l’alarme. Le tocsin sonna. Le bruit se répandit
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que le régiment de Bourbon prenait les armes contre la ville.
 
 
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La meute se jette sur son corps. On le dépèce.
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On lui ouvre la poitrine avec des ciseaux, on en arrache le cœur. Un garçon plâtrier, roux et blême, du sang jusqu'aux coudes, jongle avec cette balle chaude. Une femme s’en empare, tient cette chair encore palpitante sur des chardons ardents, et la mange.
 
 
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Elle avait vu des hommes s’élever au-dessus d'eux-mêmes, atteindre au sublime dans l’ivresse la plus généreuse et, s’égalant aux dieux,
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tenter de rebâtir un monde. Et elle voyait aussi la créature, déchaînée dans un délire contraire, assouvir dans le sang les pires instincts, lâche, envieuse, obscène, et cent fois plus cruelle que la bête la plus féroce.
 
 
Ainsi la Révolution, après avoir plané si haut, pouvait tomber si bas… Charlotte en souffrit démesurément. Et cette souffrance explique sa vie, son geste.
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= CHAPITRE II : =
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Les deux jeunes filles rejoignirent leur père à la Ferme des Bois. Leur frère aîné avait émigré. Le second se disposait à le rejoindre. Mais la Révolution avait aggravé la gêne au logis.
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Charlotte s’en aperçut vite. Elle s’affecta d’être à charge à son père et résolut de fuir une situation également pénible pour l’un et l’autre.
 
 
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Charlotte, en effet, continuait d’en suivre passionnément l’essor. Depuis la mort affreuse d'Henri de Belzunce, nul autre excès n’était venu ébranler sa foi. Depuis bientôt deux ans, aucune nouvelle tache de sang n’avait souillé la Révolution. La Constituante poursuivait dans la paix son gigantesque travail de reconstruction. La foule avait ramené la famille royale de Versailles à Paris dans un cortège d’allégressed’
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allégresse. Et dans une apothéose, émouvante de simple grandeur, le 14 juillet 1790, à la fête de la Fédération, toutes les provinces avaient scellé au Champ-de-Mars l'Unité Nationale.
 
 
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Mais Mme de Bretteville s’était surtout attachée à sa jeune parente depuis la mort de sa fille unique, en 1788. Deux ans plus tard, elle avait
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perdu à court intervalle son père et son mari. Ce double deuil avait encore accru sa solitude et son besoin d’affection.
 
 
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Elle avait soixante-sept ans lorsque Charlotte vint lui demander asile. Elle était toute menue, au surplus voûtée par l’âge, et marquée de la petite vérole. Pieuse, attachée aux traditions, toujours coiffée d’un haut bonnet blanc, elle passait pour un peu naïve. Mais sa simplicité
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n’allait pas sans finesse. Car elle était avant tout très bonne, et son cœur lui donnait de l’esprit.
 
 
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Elle habitait 148, rue Saint-Jean, en face de la rue des Carmes, une maison en pierre apparente et de style gothique. En façade, le rez-de-chaussée, surmonté de deux étages trois
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fenêtres, était occupé par l’atelier d’un tourneur en bois, nommé Lunel. A droite, une porte basse et cintrée s’ouvrait sur un couloir où donnait l’escalier particulier de Mme de Bretteville. Cette allée débouchait sur une cour intérieure, pavée, étroite et longue, fermée à droite par un mur, entourée par la maison sur les trois autres côtés. Un enfoncement abritait une pompe.
 
 
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Depuis la mort de son mari, la bonne dame avait transformé en salon la chambre de M. de Bretteville. Elle y avait placé son secrétaire d’acajou, une commode à dessus de marbre, rehaussée de cuivres ciselés. La tenture était d’indienne camaïeu, peinte à la main. Le meuble et les bergères étaient de soie. Des tableaux
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de chasse surmontaient les portes et la glace de la cheminée. De-ci, de-là, des écrans de tapisserie, de bonnes gravures : Abraham répudiant Agar, le Calme, l’Incendie.
 
 
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Cependant, Charlotte n’était pas mondaine. Elle n’avait, en particulier, aucun souci de la parure. Elle s’habillait, non pas sans goût, mais sans recherche. Dans la rue, elle laissait sa
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robe balayer le sol. Mais quand elle revêtait une tenue d’apparat, elle se transformait soudain, elle retrouvait une grâce fière, une allure souveraine.
 
 
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À soixante-six ans, Mme de Bretteville, qui avait longtemps vécu en tutelle sous le règne de
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son père et de son mari, s’était trouvée brusquement à la tête d’une grosse fortune. Se jugeant incapable de la gérer, elle eut la sagesse de prendre un intendant, un homme de confiance.
 
 
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À l’unisson sur ce point avec Charlotte, il avait tout de suite fait alliance avec la jeune fille. Ils avaient même entre eux de petits secrets. Comme il tenait les cordons de la bourse,
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il était chargé de lui remettre une somme mensuelle pour ses bonnes œuvres. Mais le zèle charitable de Charlotte grandissait avec ses ressources. Avant la fin du mois il ne lui restait rien. Alors, Augustin Leclerc, tout en risquant de discrets reproches, lui consentait des avances à l’insu de la bonne dame.
 
 
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<nowiki>***</nowiki>
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Il communiquait à la jeune fille des journaux et de ces innombrables brochures dont usaient les partis pour répandre leurs opinions et combattre leurs adversaires. Tous deux discutaient, s’écrivaient même, sur des sujets d’histoired’
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histoire, de politique, de littérature. Charlotte se plaisait à ce commerce. Et lui s’y plaisait plus encore. Certainement, s’il lui avait fallut prendre un mari, elle aurait choisi Bougon-Longrais.
 
 
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Et surtout, elle ne s’appartenait plus : elle s’était déjà donnée. Elle s’était consacrée à ses espérances.
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Elle n’attendait que le bonheur d'autrui. Les vrais événements de sa vie, c’étaient ceux de la vie publique. Les mots de Liberté, de Paix, de Justice, représentaient vraiment pour elle des êtres vivants, des êtres aimés ; ils étaient pour elle ce que sont pour une mère les noms de ses enfants. Sa plus pure tendresse n’allait point à ses proches ; jaillie du plus profond d’elle-même, elle s’élançait en jet d’eau, retombait loin d'elle, sur le monde.
 
 
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Hélas ! Sa foi subit très vite de durs assauts. La longue trêve qui, depuis près de deux ans, permettait
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à la Constituante d’organiser en paix la liberté, avait cessé au moment même où Charlotte s’installait rue Saint-Jean. La fuite du roi, son arrestation à Varennes, en marquèrent la fin.
 
 
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À Caen même, on vivait dans une atmosphère agitée : tambours battant la générale, cloches sonnant en fête ou jetant le tocsin, salves d’artillerie, canon d’alarme. Le soir, la ville s’embrasait de feux de joie, d’illuminations plus ou moins imposées aux citadins. Les troubles étaient surtout provoqués par l’application de la nouvelle loi sur le clergé. Les prêtres constitutionnels, qui avaient accepté le serment, et les prêtres réfractaires, qui l’avaient refusé, gardaient les uns et les autres leurs fidèles. Et ces deux partis se heurtaient sans cesse.Parfois
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ils en venaient aux mains, comme dans cette échauffourée que l’on continua d'appeler à Caen l’affaire du 5 novembre. Ce jour-là, le curé réfractaire de Saint-Jean avait annoncé qu'il dirait la messe à neuf heures du matin. Les deux clans, réunis devant l’église, échangèrent des injures, puis des coups de feu. On releva un mort, des blessés. Les tambours battirent la générale, la panique gagna la ville, le bruit se répandit d’un complot contre-révolutionnaire et la garde nationale arrêta plus de quatre-vingts partisans du prêtre réfractaire, qui furent enfermés au Château.
 
 
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Elle s’affecta aussi vivement de l’affaire de Verson, quelques mois plus tard. Ce village, où sa tante possédait une maison, lui était familier. Elle écrivait à Mme Levaillant qu’on avait commis à Verson « toutes les abominations qu’on peut commettre ». Là encore, il s’agissait d’arrêter des prêtres non assermentés, coupables d’avoir dit la messe. Des gardes nationaux, entraînant avec eux des canons du Château, s'étaient chargés de l’expédition. Ils arrivèrent trop tard : les réfractaires avaient fui.
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trop tard : les réfractaires avaient fui.
 
 
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Charlotte s’inquiétait, s’alarmait. De telles scènes ébranlaient sa foi. Le grand effort délibération
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devait-il nécessairement entraîner ces excès abominables ? Étaient-ils la rançon de la félicité promise ? Ses craintes étaient encore confuses, flottantes dans son esprit. Pour la première fois, elles se précisèrent le jour où elle les reconnut, explicites, formelles, dans une page qu’Augustin Leclerc lui mit sous les yeux.
 
 
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Les scrupules de ce vieillard de quatre vingts ans étaient pourtant pathétiques et dignes de respect. Il avait travaillé avec les grands précurseurs. La Révolution était un peu son œuvre. En la voyant glisser dans le sang, il se demandait s’il n’en était pas en partie responsable. « J’ai médité toute ma vie les idées que vous venez d’appliquer à la régénération du royaume, dans un temps où elles ne présentaient que la séduction d’un vœu consolant.. Suis-je de ceux qui, en éprouvant une indignation généreuse contre le pouvoir arbitraire, ont peut-être donné des armes à la licence ? » Sentant
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le péril plus vivement que tout autre, il revendiquait le droit de jeter l’alarme: « Prêt à descendre dans la nuit du tombeau, prêt à quitter cette famille immense dont j'ai ardemment désiré le bonheur, que vois-je autour de moi? Des troubles religieux, des dissensions civiles, un gouvernement esclave de la tyrannie populaire… »
 
 
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Que de fois la jeune fille devait méditer sur cette adjuration solennelle. Ainsi, le dernier des Encyclopédistes, l’un de ceux qui avaient préparé, enfanté la Révolution, tremblait pour elle. Il la voyait menacée, compromise par ses excès mêmes. Il donnait l’alerte. Il réclamait la Paix.
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= CHAPITRE III : =
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Le 16 août 1792, on venait d’apprendre à Caen que les Tuileries étaient prises et que la famille royale était enfermée au Temple, lorsque la nouvelle se répandit par la ville de l’arrestation du procureur-général-syndic du département, M. Bayeux. Ancien secrétaire de Necker, avocat réputé, c’était un homme doux et
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fin, honnête et lettré ; il avait publié plusieurs Essais et traduit Ovide.
 
 
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Mais les circonstances servaient ses ennemis. La Révolution était menacée dans son existence : les souverains d'Autriche et de Prusse, unis aux émigrés, poussaient leurs troupes vers ses frontières. La Législative, qui succédait à la Constituante, avait « déclaré la guerre aux rois et la paix aux nations. » Partout, au Bruit du canon d’alarme, parmi les roulements de la générale, ce n’étaient que levées, appels, enrôlements, an nom de « la patrie en danger ». Mais
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à la fin d’août, on apprit que les armées ennemies avaient pris Longwy et menaçaient Verdun. Aussitôt retentit le cri de la panique : « Nous sommes trahis! » Affolée de haine, hallucinée de complots, la foule aveugle était désormais prête à toutes les violences.
 
 
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En même temps que ces atroces nouvelles, parvenait à Caen une circulaire du Comité de surveillance de la Commune. Elle invitait la province
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à imiter Paris : « La Commune de Paris se hâte d’informer ses frères des départements qu’une partie des conspirateurs féroces détenus dans les prisons a été mise à mort par le peuple ; actes de justice indispensables pour contenir les traîtres par la terreur. Sans doute la nation entière s’empressera d’adopter ce moyen si nécessaire de salut public. »
 
 
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Bayeux comprit. Il resta très ferme. Son petit garçon, âgé de douze ans, vint se jeter dans ses bras. Il lui remit les bijoux qu’il portait et le pressa de s'éloigner. Déjà, la horde déferlait sur lui. Blessé d’un coup de baïonnette dans les reins, d’un coup de feu à la tête, Il s’écroula au seuil d’une maison. La porte était entr’ouverte. C’était peut-être le salut. Mais une servante la ferma. Il acheva de
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mourir. Un tambour-major, nommé Briant, lui taillada le visage à coups de sabre. D’autres lui coupèrent la tête et la promenèrent dans la ville au bout d’un bâton.
 
 
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Elle le savait. Quelques jours avant les massacres,
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ce Marat les avait réclamés dans son journal l’ Ami du Peuple. Il avait écrit « que le parti le plus sage serait de se porter en armes à l’Abbaye, d’en arracher les traîtres… et de les passer au fil de l’épée. »
 
 
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Il est vrai qu’en ce mois de septembre 1792, Gustave Doulcet, nommé député à la Convention, s’apprêtait à partir pour Paris ; mais elle gardait son ami Bougon-Longrais, qui succédait à l’infortuné Bayeux comme procureur-général-syndic et qui, de ce poste, suivrait de plus près que jamais les événements. Enfin, près d'elle, dans l’ombre, veillait le fidèle Augustin Leclerc, actif, agile, aux aguets. Tous deux nourrissaient les mêmes espoirs et déploraient les mêmes violences. ils exécraient les mêmes monstres
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et vénéraient les mêmes dieux. Leurs haines comme leurs enthousiasmes, à l’unisson, se renforçaient mutuellement.
 
 
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Elle l’imaginait difforme, hideux, vivant dans une cave comme un hibou dans son trou, n’en sortant que pour hurler à la mort dans les clubs des Jacobins, des Cordeliers. Bref, elle ne voyait confusément en lui qu’un agité, un
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énergumène, un grotesque. Après les massacres des prisons, il lui apparaissait pour la première fois tragique.
 
 
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Très vite, l’événement lui apporte une preuve nouvelle de la responsabilité de Marat. Le publiciste, l’orateur de club, le commissaire à la Commune, vient d’être élu député à la Convention. Le 21 septembre 92, la nouvelle Assemblée a proclamé la République. Et, dès le 25, elle se tourne tout entière, poings brandis, contre « l’ami du peuple ». Un député l’accuse d’avoir provoqué les massacres, d’aspirer à la dictature. Robespierre et Danton eux-mêmes le désavouent. Il monte à la tribune : « J’ai dans cette assemblée un grand nombre d’ennemis personnels. » Un cri jaillit, unanime : «  Tous ! Tous ! » Imperturbable, il veut poursuivre. Debout, les députés l’accablent d’invectives : « À bas de la tribune ! —
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A l’Abbaye ! — A la guillotine ! » Mais l’homme s’obstine et tient tête. « Oui, dit-il, parfois la dictature s’impose. » Il justifie les massacres : « Le peuple, obéissant à ma voix, a sauvé la patrie, en se faisant dictateur lui-même pour se débarrasser des traîtres. » Et comme le tumulte continue, il brandit un pistolet, le porte à sa tempe. Il se tuera au pied de la tribune si on le décrète d’accusation. Écœurée, l’Assemblée passe outre. Par son mépris, elle marque sa réprobation. Charlotte n’oubliera plus cette muette sentence.
 
 
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Elle guette Marat pendant le procès de Louis XVI devant la Convention, en janvier 93. Certes, Charlotte n’est pas tendre pour le roi, ni pour le pouvoir royal. Elle les juge en maximes rigoureuses, d’une frappe cornélienne, dans ces controverses politiques où elle se jette par sursauts. « Un roi faible ne peut pas être bon… Les rois sont faits pour les peuples, et non les peuples pour les rois. » Mais l’exécution de Louis XVI lui apparaît comme une inutile cruauté, le symbole même de
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ces excès qui défigurent à ses yeux la Révolution, celle dont elle a vu briller la figure radieuse dans la nuit du 4 août.
 
 
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Charlotte s’en afflige. Elle tremble pour l’avenir, pour la paix de son pays. Elle écrit à son amie Rose Fougeron : « Je frémis d’horreur et d’indignation. Tout ce qu’on peut rêver d’affreux se trouve dans l’avenir que nous préparent de tels événements… Tous ces hommes qui devaient nous donner la liberté l’ont assassinée. Ce ne sont que des bourreaux. » Et, pour elle, Marat est le chef de ces bourreaux.
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Et, pour elle, Marat est le chef de ces bourreaux.
 
 
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Et, d’autre part, comme président des Jacobins, il a bien signé un appel à l’insurrection contre l’Assemblée : « Oui, la contre-révolution
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est dans le gouvernement, dans la Convention nationale. C’est là qu’il faut frapper ! Allons, républicains, armons-nous !… »
 
 
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Cette fois, Marat renonce à toute mise en scène,
Cette fois, Marat renonce à toute mise en scène, Il ne braque point de pistolet vers sa tempe. Et l’Assemblée vote le décret d’accusation. Mais aussitôt, le public exalté des tribunes proteste et vocifère. De plus en plus, il tend à se mêler aux débats. Tour à tour, il acclame, il injurie. A plusieurs reprises, des députés ont voulu sévir contre ses fureurs. Marat est l’idole de ces fanatiques. Aujourd’hui, ils descendent dans la salle, entourent « l’ami du peuple », s’opposent à son arrestation, le prennent sous leur sauvegarde.
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Il ne braque point de pistolet vers sa tempe. Et l’Assemblée vote le décret d’accusation. Mais aussitôt, le public exalté des tribunes proteste et vocifère. De plus en plus, il tend à se mêler aux débats. Tour à tour, il acclame, il injurie. A plusieurs reprises, des députés ont voulu sévir contre ses fureurs. Marat est l’idole de ces fanatiques. Aujourd’hui, ils descendent dans la salle, entourent « l’ami du peuple », s’opposent à son arrestation, le prennent sous leur sauvegarde.
 
 
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La foule qui bat les murs du Palais de Justice l’accueille à sa sortie d’une clameur unanime, le couronne de chêne et de laurier, puis chantant, dansant, le porte en triomphe à la Convention. Le cortège aux bras nus, hérissé de piques et coiffé de bonnets phrygiens, défile devant l’Assemblée silencieuse. Un sapeur, nommé Rocher, brandissant sa hache, déclare à la barre qu’on devra faire tomber sa tête avant d’avoir celle de « l’ami du
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peuple ». Marat, à la tribune, exalte son innocence et savoure l’apothéose.
 
 
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Elle croit le bien connaître, depuis sept mois qu’elle instruit sourdement son procès. Une phrase lancée par Vergniaud, le plus éloquent des Girondins, la poursuit : « Marat, tout dégouttant de calomnie, de fiel et de sang, élevat
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sa tête audacieuse au-dessus des lois. » C’est ainsi qu'elle le voit.
 
 
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De lui, tout irrite la jeune fille : ce titre de « médecin des incurables » qu’il se vante d’avoird’
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avoir reçu quand il donnait des consultations ; ce nom qu’il s’est décerné lui-même, ce nom dont il signe, « Marat, l’ami du peuple », comme s'’il était l’ami par excellence, le seul ami du peuple, comme s’il exerçait un privilège !
 
 
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Mais, dira-t-on encore, disgracié par la nature, ne doit-il pas compatir mieux qu’un autre aux souffrances des humbles, à l’éternelle injustice dont ils sont victimes ? Il est sincère.
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De plus, il est désintéressé. Qu’importe ? Il est néfaste.
 
 
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Ainsi, ses démentes exigences grandissent avec le temps. Où s’arrêtera-t-il? Décidément, c’est lui qui entretient, qui prolonge le trouble. Il est le mal. Il est la haine. Il est la guerre, Lui disparu, la Paix refleurirait.
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= CHAPITRE IV : =
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Le 2 avril, le Directoire du département avait enregistré un décret de la Convention relatif aux prêtres réfractaires : tous ceux qui seraient trouvés sur le territoire français huit jours après la publication de la loi seraient punis de mort. L’abbéL’
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abbé Gombault, ancien curé de Saint-Gilles, fut arrêté le 3, près de la Délivrance. Un tribunal, composé d'officiers de la garde nationale, le jugea sur-le-champ. Plusieurs d’entre eux prirent la défense de l’accusé : la loi, applicable huit jours après sa publication, n’était enregistrée que de la veille et n’était même pas encore affichée. Néanmoins, après de pénibles pourparlers, l’ancien curé de Saint-Gilles fut condamné à mort. Le 5, sur la place Saint-Gilles, la guillotine fut dressée.
 
 
La machine nouvelle inspirait encore une ignoble curiosité. Adoptée par la Législative en mars 92, elle avait fonctionné pour la première fois à Caen en novembre de la même année, dans des circonstances particulièrement atroces. Dans le faubourg de Vauxcelles, les époux Delorme, au cours d’une rixe, avaient tué leur voisin ivre. La populace réclama leur jugement sans délai. Et dès qu'ils furent condamnés à mort, elle exigea l’exécution immédiate. Dans son impatience de voir fonctionner la guillotine, elle contraignit le bourreau, malgré sa résistance, à monter sa machine. Elle força un coutelier à en aiguiser le tranchant. En vain, le tribunal objectait que les époux Delorme s'étaient pourvus en cassation.
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La foule, menaçante, n'écoutait rien. Les juges, pour se couvrir, durent persuader les deux condamnés de renoncer à leur pourvoi. Revêtus d’une chemise rouge, ils furent exécutés tous deux, bien que la femme se fût offerte à mourir la première dans l’espoir que son mari serait gracié.
 
 
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<nowiki>***</nowiki>
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L’affreuse disgrâce de sa personne, le désordre voulu de sa tenue, la fureur délatrice de
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son langage et de son journal, tout le désignait d’abord à l’attention. Il était le plus voyant. De loin, il masquait de sa silhouette inhumaine deux hommes qui pourtant le dominaient, l’un tumultueux, l’autre glacé Danton, Robespierre.
 
 
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Ces pathétiques Adresses étaient semées d’allusions empruntées à l’histoire ancienne. En effet, la Révolution s’était donné pour modèle la République romaine, son culte farouche
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de la liberté. Et ce prestige influençait l’expression même de la pensée. Les auteurs de ces proclamations célébraient l’héroïque fermeté d’un Mucius Scævola, réprouvaient la félonie d’un Catilina. Et ils déclaraient aux députés : « Soyez des Catons : sinon, nous serons des Brutus. »
 
 
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Ces luttes, que déploraient dans leurs Adresses les magistrats du Calvados, mettaient aux prises, au sein de la Convention, les Montagnards et les Girondins. On avait d’abord donné plaisamment, dans la nouvelle Assemblée, le nom de Montagnards aux fougueux députés qui siégeaient sur les plus hauts gradins à la gauche du président. Ils l’avaient accepté et pris pour enseigne. Ils entendaient pousser à fond la Révolution, la débarrasser de tous ses ennemis, au dedans comme au dehors, et ils soutenaient la nécessité de la violence. Un
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groupe de députés du Sud-Ouest, la Gironde, existait déjà dans la Législative. Leur parti était revenu plus nombreux à la Convention. Et, bien qu’ils fussent désormais recrutés dans toutes les régions, on continuait de les appeler les Girondins. Ils tenaient le pouvoir. Ils auraient voulu fixer la Révolution, l’organiser dans la paix.
 
 
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Moins séparés par les doctrines que par les moyens d’en assurer le triomphe, les Girondins et les Montagnards s’entre-déchiraient. Éternel conflit entre les partisans de la réforme et ceux de la violence. Les Girondins accusaient les Montagnards de pousser le pays vers la dictature ou l’anarchie. La Montagne incriminait la Gironde de fédéralisme. Par une perversion fréquente, le mot avait changé de sens. On était loin des fêtes grandioses de 1790, qui célébraient la touchante union des provinces, la Fédération. D’après les Montagnards, les Girondins voulaient créer de petites républiques provinciales, dissocier la patrie. En
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apparence, les Girondins n'avaient pas de plus furieux adversaire que Marat. Il n’était pas seulement, selon l’expression de Charlotte, « à la cime de la Montagne », il était aussi l’orateur adoré des hurlantes, des frénétiques tribunes. Il était le porte-parole de forces extérieures, plus exaltées, dont il devait prendre le ton, pour rester leur chef : les Sections armées, les Clubs des Jacobins et des Cordeliers, et surtout la Commune de Paris.
 
 
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Charlotte admirait pleinement les Girondins. Elle aimait leur courage et leur générosité, leur esprit et leur éloquence. On leur reprochait d’être un peu des poètes. Mais ces poètes-là avaient vraiment fondé la République.
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Leur idéal était le sien. Et puis elle sentait qu’une femme fine et forte, Mme Roland, les conseillait, les soutenait, les animait, et qu’elle leur avait communiqué son ardente douceur, son humaine raison. Charlotte épousait leur cause. Ils étaient ses héros véritables. Tous les outrages que leur jetait Marat l’atteignaient elle-même. Chacun de ces coups forgeait et reforgeait sa haine.
 
 
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Ce 2 juin, c’est bien la journée de Marat. Tantôt caché dans la coulisse, tantôt en scène au premier rang, il est partout. C’est lui qui a fait investir les Tuileries, où siège la Convention,
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par la Garde nationale sous le commandement d’Hanriot.
 
 
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Mais, dans la cour du Carrousel, Hanriot, à cheval, se rue sur le cortège. Il y a derrière lui
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des milliers d'hommes en armes, cent cinquante canons, mèche allumée. Le président lui ordonne de livrer passage. La voix tonnante, Hanriot tire son sabre, enfonce son chapeau : « Vous n’avez pas d’ordre à donner. Nous ne sommes pas ici pour entendre des phrases, mais pour nous faire livrer les traîtres. Canonniers, à vos pièces! »
 
 
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Charlotte connut le 4 juin ce coup de force sans précédent. L’Assemblée avait délibéré sous
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le canon. C’en était fait de la Représentation nationale, de la Loi, de la Liberté, de la Paix. Marat précipitait bien le pays vers l’anarchie, vers d'innombrables massacres. Et, ce jour-là, elle sentit prendre corps et tressaillir de vie l’idée qui sourdement, depuis des mois, depuis septembre, germait et se développait en elle : immoler Marat.
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= CHAPITRE V =
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Jusqu'au dernier moment, ils avaient essayé d’empêcher l'attentat. Dans la nuit du 30 au 31 mai, ils décrétaient le principe d’une force armée, capable de faire respecter au besoin la représentation nationale. Et ils expédiaient aussitôt à Paris dix commissaires, chargés d’informer la Convention de leur décret. Leur nouvelle Adresse s’achevait par ces mots : « Nous déclarons une guerre à mort aux anarchistes, aux proscripteurs et aux factieux, et nous
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ne mettrons bas les armes qu'après les avoir fait rentrer dans le néant. » Ces dix commissaires arrivèrent trop tard. Le drame était joué.
 
 
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Charlotte partageait l’indignation de Bougon-
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Longrais et de ses collègues, mais non pas leur confiance. Pour elle, l'expédition ne serait pas si facile, ne prendrait pas l’allure d’une marche triomphale. Elle prévoyait des hécatombes nouvelles. Toujours la guerre civile. Elle n’en voulait plus.
 
 
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Les Girondins à Caen… On imagine à grand peine combien Charlotte fut bouleversée par cette nouvelle. Elle allait voir ces hommes pour
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qui elle tremblait depuis des mois, et dont la défaite avait fixé sa résolution.
 
 
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Ils arrivèrent à partir du 9 juin, soit par petits
Ils arrivèrent à partir du 9 juin, soit par petits groupes, soit isolément. Quelques-uns n'avaient pu s'échapper de Paris qu’à la faveur d’un déguisement. Tous se présentaient le premier jour à l’Assemblée de résistance, où ils se contentaient de commenter brièvement la situation politique. Un certain nombre d’entre eux continuèrent d'assister aux séances, mais ils y prirent rarement la parole. Jamais aucun d’eux ne prononça de discours public. Par une sorte de discrétion qui était bien dans leur manière, ils se gardaient d’intervenir dans un mouvement qui existait à leur arrivée. Ils entendaient en laisser la conduite à ceux qui l’avait créé.
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groupes, soit isolément. Quelques-uns n'avaient pu s'échapper de Paris qu’à la faveur d’un déguisement. Tous se présentaient le premier jour à l’Assemblée de résistance, où ils se contentaient de commenter brièvement la situation politique. Un certain nombre d’entre eux continuèrent d'assister aux séances, mais ils y prirent rarement la parole. Jamais aucun d’eux ne prononça de discours public. Par une sorte de discrétion qui était bien dans leur manière, ils se gardaient d’intervenir dans un mouvement qui existait à leur arrivée. Ils entendaient en laisser la conduite à ceux qui l’avait créé.
 
 
Charlotte était tellement impatiente de les connaître qu’elle provoqua des occasions de rencontre. Elle sortit plus que de coutume. On la vit chez M. Lévèque, président du Directoire départemental, qui réunissait chez lui des républicains ardents et sincères, ennemis des violences maratistes, et chez qui fréquentaient quelques-uns des proscrits. Elle assista à ces revues où, dans les rangs de la Garde nationale, le général de Wimpffen recrutait des volontaires. Elle parut à la réunion de l’Assemblée de résistance où les délégués de sept départements normands et bretons s’unirent solennellement pour délivrer la Convention.
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solennellement pour délivrer la Convention.
 
 
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Elle vit Gorsas, journaliste mordant, aux traits tourmentés, dont elle lisait le Courrier des Départements ; Buzot, encore tout accablé par la récente arrestation de Mme Roland, à qui l’unissait une amitié tendre et passionnée ; Gundet, maigre et brun, énergique et candide ; Salle qui, par trois fois, en pleine Convention, avait courageusement dénoncé Marat ; Louvet, pâle et mince, spirituel et fringant, à qui le succès de son roman Fantlus avait peut-être valu la haine de Marat, cet auteur jaloux et manqué ;
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Pétion, galant sous ses cheveux gris, Pétion qui avait connu une telle popularité comme maire de Paris qu'après sa suspension, en 92, le peuple le réclamait au cri de : « Pétion ou la mort » ; Barbaroux, étourdissant de verve et de jeunesse, paré de la beauté d’un dieu et des dons de toutes les fées, et qui avait déjà connu, à vingt-six ans, la gloire et ses revers.
 
 
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Elle était prête. D'ailleurs la mort n’effrayait plus. On l’invoquait sans cesse. Tous les orateurs, sous le moindre prétexte, juraient
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de mourir à leur poste, se déclaraient prêts au sacrifice de leur vie. L’image même de la mort devenait familière. Dans les rues de Caen, Charlotte voyait souvent passer l’étendard d’une société populaire, assez rude et turbulente, mais dévouée à la cause girondine, les Carabots. Au-dessous de leur devise, « L’exécution de la Loi ou la Mort », une tête de squelette, posée sur deux fémurs en croix, se détachait en noir sur l’étoffe blanche. Les Carabots portaient même en brassard cette lugubre image. Or, elle n’étonnait plus. Les Carabots avaient raison : l’exécution de la Loi ou la Mort.
 
 
Certes, Charlotte admirait tout particulièrement les dures mœurs de Rome et de Sparte, telles qu’elles lui apparaissaient à travers l’histoire et la tragédie. Ses amies ne la raillaient-elles pas de les citer trop souvent en exemple ? Mais elle n’était pas seule à s’en inspirer. Tout le monde, autour d'elle, célébrait les héros antiques, si prompts à mourir ou à tuer pour une grande cause. Ainsi elle admirait Brutus, immolant à la liberté César, pourtant son bienfaiteur et peut-être son père. Elle savait par cœur des passages entiers du Brutus de Voltaire. Mais tout le monde prenait
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Brutus pour modèle. Que de discours, que d’articles, où apparaissait le poignard de Brutus..… Il était pour ainsi dire levé sur l’époque.
 
 
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Un instant, toutefois, elle s’arrêta, hésitante. Depuis que le mouvement de résistance se dessinait en Normandie, la Convention y détachait des émissaires chargés de retourner les esprits. Mais ceux qu’elle avait d’abord envoyés ouvertement, les conventionnels Romme et Prieur, furent arrêtés le 12 juin, puis retenus comme otages au Château. Dès lors des envoyés secrets, hommes et femmes, furent chargés de cette propagande. Ils se mêlaient à la foule, pénétraient dans les foyers, s’insinuaient
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dans la confiance de leurs hôtes. Leurs propos parvinrent jusqu’à Charlotte.
 
 
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À ces artistes égarés, les émissaires de la Montagne opposaient des hommes comme Marat. Car ils sentaient bien que toute la vindicte provinciale se concentrait sur lui. Ils le défendaient: Ils se portaient au-devant des calomnies que répandaient sur lui ses adversaires. Parce qu’il avait pris, en dix ans de séjour en Angleterre, l’habitude d’un sobre confort, ne l’accusait-on pas de cacher, sous un désordre voulu, des mœurs raffinées, le goût du luxe ? Sa violence même était salutaire : chaque fois que la Nation était tentée de se reposer à mi-côte, lui seul savait la fouetter, la cingler pour l’entraîner jusqu’au sommet. Ses ennemis lui reprochaient son âcre humeur. Mais le fiel est un stimulant nécessaire dans un corps vivant. Il y a des crises où
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il sauve l’organisme tout entier. Au fond, Marat était bon. Médecin, n’avait-il pas prodigué des soins gratuits à d’innombrables malheureux ? Il avait sincèrement l’amour du peuple. Une mère tendrement chérie le lui avait inspiré. Il l’avait mûri dans la souffrance, l’étude et la méditation. Il y puisait son inflexible énergie. Il était le peuple même. Il était l’âme de la Révolution.
 
 
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Le projet qu’elle nourrissait dans le secret d’elle-même avait pris désormais sa figure définitive. On peut dire qu’il lui ressemblait. On y retrouvait ses traits : le sens pratique, un peu de fine malice, et toute la générosité.I
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allait lui permettre à la fois d'approcher ses héros, d’obliger une amie et de servir sa grande cause.
 
 
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Mme de Forhin, chanoinesse à l’Abbaye de Troarn, près de Caen, avait droit à une pension depuis la suppression des ordres monastiques. Le Ministère la lui refusait sous prétexte qu’elle résidait actuellement à l’étranger. On la considérait comme émigrée. Charlotte, qui avait pris en main les intérêts de son amie, jugea qu’elle aurait plus de chance de réussir près des Administrateurs du Calvados. Mais elle avait besoin du dossier qui dormait
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depuis des mois au Ministère. Et elle ne parvenait pas à l’obtenir. Elle profiterait donc d’un voyage à Paris pour le reprendre elle-même. Elle demanderait à Barbaroux de l’adresser à l’un de ses collègues, qui faciliterait ses démarches et la guiderait dans les bureaux.
 
 
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L’Assemblée de résistance avait donné aux Girondins une garde d’honneur. L’un des hommes
L’Assemblée de résistance avait donné aux Girondins une garde d’honneur. L’un des hommes du poste courut prévenir Barbaroux, après avoir introduit la jeune fille dans le grand salon du rez-le-chaussée. Cette pièce, démeublée depuis quatre ans, mais encore toute revêtue de ses boiseries finement brodées, avait été en hâte garnie de quelques sièges. Deux députés, assis dans un coin, quittèrent discrètement le salon. C’était Meillan et Guadet. Barbaroux parut bientôt. L’entrevue fut brève. Charlotte cita leurs relations communes et, de sa voix musicale, exposa posément sa requête, la démarche qu'elle comptait faire pour obtenir le dossier de Mme de Forbin, l’aide qu’elle attendait de lui. Le Girondin lui proposa aussitôt de la recommander à son ami Lauze de Perret, qu’il allait d’ailleurs avertir par lettre le jour même. Puis il la reconduisit jusqu’au seuil. Augustin Leclerc les contemplait, en extase. Il avait coutume de dire : « belle comme Charlotte Corday ». Il pouvait désormais ajouter : « Beau comme Barbaroux ». Ils formaient vraiment le couple idéal. Elle, blonde dans la lumière, le teint éblouissant, la taille généreuse, d’une grâce discrète et souveraine. Lui, robuste et brun, le front léonin, les yeux larges et profonds, les dents lumineuses, tous les traits d’une pureté qu’un embonpoint naissant adoucissait sans l’amollir encore.
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du poste courut prévenir Barbaroux, après avoir introduit la jeune fille dans le grand salon du rez-le-chaussée. Cette pièce, démeublée depuis quatre ans, mais encore toute revêtue de ses boiseries finement brodées, avait été en hâte garnie de quelques sièges. Deux députés, assis dans un coin, quittèrent discrètement le salon. C’était Meillan et Guadet. Barbaroux parut bientôt. L’entrevue fut brève. Charlotte cita leurs relations communes et, de sa voix musicale, exposa posément sa requête, la démarche qu'elle comptait faire pour obtenir le dossier de Mme de Forbin, l’aide qu’elle attendait de lui. Le Girondin lui proposa aussitôt de la recommander à son ami Lauze de Perret, qu’il allait d’ailleurs avertir par lettre le jour même. Puis il la reconduisit jusqu’au seuil. Augustin Leclerc les contemplait, en extase. Il avait coutume de dire : « belle comme Charlotte Corday ». Il pouvait désormais ajouter : « Beau comme Barbaroux ». Ils formaient vraiment le couple idéal. Elle, blonde dans la lumière, le teint éblouissant, la taille généreuse, d’une grâce discrète et souveraine. Lui, robuste et brun, le front léonin, les yeux larges et profonds, les dents lumineuses, tous les
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traits d’une pureté qu’un embonpoint naissant adoucissait sans l’amollir encore.
 
 
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De leur côté, les proscrits travaillaient. En moins d’un mois, ils lancèrent de Caen neuf brochures, S'ils ne prononçaient pas de discours en plein vent, ils secondaient discrètement l’Assemblée de résistance. Dés le 18 juin, Barbaroux avait adressé à ses concitoyens marseillais un ardent manifeste : « Français, marchez sur Paris non pour battre les Parisiens, mais pour les délivrer, pour protéger l'unité de la République indivisible ! Marchez sur Paris non pour dissoudre la Convention nationale, mais pour assurer sa liberté !… Marchez sur Paris pour que les assassins soient punis
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et les dictateurs précipités de la roche Tarpéienne… »
 
 
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Malgré tant d’appels, les volontaires ne se présentaient pas aussi nombreux que l’eût souhaité l’Assemblée de résistance. La solde promise, deux francs par jour, était cependant importante pour l’époque. Et les notables donnaient l’exemple. Beaucoup d’administrateurs du département se déclaraient prêts à partir. Bougon-Longrais s'était fait inscrire dès
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le 12 juin sur les listes d’enrôlement. Il est vrai qu’il fut appelé peu après à présider l’Assemblée de résistance de l’Eure. D’autres amis de Charlotte, comme l’abbé de Jumilly, curé constitutionnel de Saint-Jean, figuraient parmi les engagés.
 
 
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Elle ne lui répondit que par un geste vague. Son secret lui scellait les lèvres. Elle ne pouvait
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pas lui montrer l’étendue de sa méprise : au le moment même où il l’interrogeait, elle venait de fixer le seul point encore incertain de son projet, la date de son départ !
 
 
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Au moment où elle prenait congé, Pétion survint.
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Continuant de se méprendre sur elle, il complimenta « la belle aristocrate qui venait voir les républicains ». Cette fois, elle ne se contint pas tout à fait. Elle répliqua : « Vous me jugez aujourd'hui sans me connaître, citoyen Pétion. Un jour, vous saurez qui je suis. »
 
 
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Ce sont de semblables paroles qui lui échappent lorsque la bonne dame la surprend en larmes et la presse de questions : « Je pleure
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sur les malheurs de ma patrie, sur mes parents, sur vous. Tant que Marat vit, qui donc est sûr de vivre ? »
 
 
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À la plupart de ses amis, elle annonce un prochain voyage à Argentan, où son père habite depuis le mois de janvier. Car il lui faut
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bien expliquer ses apprêts. D'ailleurs, elle a tout prévu, tout calculé minutieusement. Elle suit pas à pas le projet qu’elle à conçu, qu'elle a si longtemps porté en secret. C’est tout à fait maintenant comme un être vivant, complet, né d'elle-même, qui se tient invisible à ses cotés, qui l’a prise par la main, et qui la guide, irrésistiblement, Elle lui obéit, comme une mère qui se laisse entraîner par son enfant.
 
 
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Dans l’après-midi, entre ses visites, elle règle de petites dettes et retient sous son vrai nom sa place au bureau des diligences pour le lendemain. Elle est prête. Elle a même un passeport. Elle avait dû se munir de cette pièce au début d’avril, pour aller à Argentan. Et, à la fin du mème mois, un jour qu’elle accompagnait une de ses amies à la Municipalité,
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au bureau des passeports, elle avait fait viser le sien pour Paris, à tout hasard.
 
 
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Elle prend congé de Mme de Bretteville, qui croit aussi au voyage à Argentan. Dur moment. Tous les liens de l’habitude et de la reconnaissance
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l’attachent à la bonne dame. Charlotte ne sait-elle pas par Augustin Leclerc que sa tante a testé en sa faveur, lui lègue tous ses biens ? Elle aurais pu, dans la ville, faire figure de riche héritière.
 
 
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Mais le petit chien de la maison, Azor, veut la suivre. Dans d’allée qui débouche rue Saint Jean, rôde la chatte, Ninette. Elle les aime. Elle les caresse doucement. Ce sont les seuls êtres à qui elle ne soit point obligée de mentir, au moment de les quitter à jamais.
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= CHAPITRE VI : =
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Dès le départ, ses compagnons de diligence ont parlé politique. Et comme ils étaient Montagnards, leurs propos, « aussi sots que leur personne », l’ont aidée à s'endormir. Cependant un des voyageurs, « qui aimait sans doute les femmes dormantes », la prit ou feignit de la prendre pour la fille d’un de ses anciens amis,
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lui donna un nom qu’elle n’avait jamais entendu et enfin lui offrit sa fortune et sa main.
 
 
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Charlotte n’était jamais venue à Paris. Elle y connaissait bien quelques personnes qui auraient pu lui servir de guides. Mais elle était résolue à garder toute son indépendance, à agir seule. Aussi, nul n’était prévenu de son arrivée. Nul ne l’attendait au saut de la voiture
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lorsque, le jeudi 11, vers midi, la diligence s’arrêta dans la cour des Messageries nationales, rue Notre-Dame-des-Victoires.
 
 
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On la conduisit à la chambre numéro 7, au premier étage, en façade. Cette pièce assez vaste,
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à rideaux blancs et rouges, était meublée, en dehors du lit et des chaises, d’une commode et d’un petit secrétaire. Charlotte était lasse et souhaitait de s’étendre. Elle pria toutefois le garçon d’hôtel de lui acheter du papier, des plumes, de l’encre. Puis, tandis qu'il préparait le lit, elle lui demanda ce qu’on pensait de Marat à Paris. Il lui répondit que les aristocrates le détestaient, mais qu’il passait aux yeux des patriotes pour un bon citoyen. Elle eut un ironique sourire.
 
 
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Il ne se doutait guerre de la portée de ses paroles. Quelle révélation… Charlotte s’apercevait que, depuis le 31 mai, elle avait cessé de suivre Marat, d’épier ses gestes et ses paroles. Pour elle, à partir de cette date, il était jugé. L’arrivée des Girondins à Caen, la préparation de son projet, l’avaient absorbée tout entière. Elle ignorait la maladie de Marat, son éloignement de l’Assemblée. Désormais, elle ne pouvait plus suivre le chemin qu’elle s'était tracé : frapper Marat en pleine Convention ; y périr à son tour, massacrée par la foule des tribunes,
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sans laisser de nom, de trace même, tandis que les siens la croiraient en Angleterre.
 
 
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Elle erra. On était à l'heure la plus chaude du
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jour. La ville semblait assoupie. Charlotte ne s’étonna pas d’un si grand calme en temps de troubles : à Caen mème, elle avait vu souvent la vie continuer à deux pas de l’émeute. D'ailleurs, elle ne parvenait pas à s'intéresser aux spectacles de la rue, aux monuments même : elle ne suivait que sa pensée,
 
 
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Lorsqu'il en eut pris connaissance, il demanda à Charlotte des nouvelles des proscrits et se mit à sa disposition. Elle le pria de l’accompagner au Ministère de l’Intérieur, afin d'obtenir le dossier de M” de Forbin. Malgré sa hâte, elle n’osa pas lui demander de s’y rendre sur-le-champ. Car il était attendu par ses amis. Demain, lui dit-elle, si vous voulez vous
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donner la peine de passer chez moi dans la matinée, nous irons ensemble voir le Ministre. »
 
 
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Au Ministère de l’Intérieur, un huissier leur apprit que le Ministre ne recevait les députés que dans la soirée, entre huit et dix heures.Ils
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se quittèrent donc, après avoir pris rendez-vous pour le soir.
 
 
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Comme Lauze de Perret se disposait à prendre congé, elle le retint. Elle était tellement sûre de ramener la paix sur la terre en la débarrassant d’un monstre, qu’elle ne craignait rien pour ses alliés, ses complices involontaires. Loin d’être inquiétés sérieusement, ils seraient eux-mêmes applaudis comme des libérateurs. Mais Lauze de Perret était déjà compromis. La découverte de leurs relations pouvait nuire, au moins quelque temps, à cet homme
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obligeant et courageux. Elle voulut réparer ce tort possible, le mettre à l’abri du risque même.
 
 
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D'avance, elle absout son geste, pareil à celui d’Hercule qui délivrait la terre de ses monstres : « Ô France, ton repos dépend de l'exécution de la Loi. Je n’y porte pas atteinte en tuant Marat, condamné par l’univers. Il est hors la Loi. Si je suis coupable, Alcide l'était donc lorsqu'il détruisait les monstres ? Mais en rencontra-t-il de si odieux ?.. »
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Mais en rencontra-t-il de si odieux ?.. »
 
 
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Elle arrive au Palais-Royal avant huit heures. Les boutiques ne sont point encore ouvertes, ni dans les galeries de bois, ni sous les
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arcades nouvelles. Cependant, elle a besoin d’acheter une arme.
 
 
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Il est encore bien tôt pour se présenter chez Marat. Charlotte s’assied dans le jardin qui peu à peu s’anime. Malgré la fraîcheur du matin,
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elle respire mal. Elle est oppressée. Un petit enfant, en jouant, vient se jeter contre ses genoux et lève vers elle ses beaux yeux innocents. Elle l’effleure d’une caresse et d’un sourire. Que de menus cadeaux elle a distribués, tout le long de sa vie, pour voir s’éclairer de plaisir un visage enfantin, depuis ces friandises dont elle comblait les petites villageoises dans le fournil du Mesnil-Imbert, jusqu’à ces dessins qu'elle a laissés au gentil Lunel en le quittant à jamais. Elle n’a rien à lui donner, à ce petit Parisien… Si. Il lui devra une vie plus heureuse. Elle va lui apporter la Paix.
 
 
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Il est onze heures environ quand la voiture s’arrête, au 30, rue des Cordeliers, devant une haute maison grise. Charlotte s’engage sous le porche
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et s’arrête à la loge où bavardent deux commères d’une trentaine d’années. Elle demande l’appartement du citoyen Marat. La portière lui répond distraitement : « Au premier, sur le devant. »
 
 
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Charlotte insiste sur les secrets importants qu’elle doit révéler. À la vérité, sous son calme apparent, elle étouffe d’impatience. Il faut qu’elle s’obéisse. Il faut qu'elle tue le monstre. Songer qu'il est là, tout prés, peut-être derrière cette cloison. Mais les deux gardiennes sont intraitables. L’aînée, surtout, ne veut rien entendre. Elle lui refuse même l’entrée
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sans retour. En effet, lorsque Charlotte lui demande au moins à quelle date elle devra revenir, cette femme lui déclare tout net qu’une nouvelle démarche est inutile, puisqu’on ne peut pas savoir quand Marat sera rétabli.
 
 
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Au bureau de l'hôtel, où elle se renseigne, elle apprend l’usage de la petite poste, qui distribue promptement les lettres. Marat devrait
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recevoir la sienne vers sept heures. Elle se présentera donc chez lui à sept heures et demie.
 
 
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Détachée de tout, elle apporte cependant à sa toilette un soin minutieux. Une fois encore sa coquetterie s’éveille aux grandes heures. Le matin, décidément, elle était trop sobrement habillée.
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Ne faut-il pas imposer à ces femmes qui veillent sur Marat ? Elle revêt une robe de bazin moucheté sur fond gris clair. Elle jette sur ses épaules une écharpe rose pâle afin de voiler son léger décolletage. Elle est coiffée d’un chapeau de haute forme à cocarde noire et rubans verts. De sa main soigneusement gantée, elle tient un éventail. Et les souliers à hauts talons, commandés exprès pour son voyage, la grandissent encore.
 
 
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Charlotte, poussée par une force invincible, s’exaspère contre l’obstacle. Elle crie presque.
 
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Elle est déjà venue le matin. Elle a fait tout exprès un long voyage. D'ailleurs, elle a écrit au citoyen Marat, par la petite poste. Elle veut savoir au moins s’il a reçu sa lettre, La plieuse, tout en continuant sa besogne, réplique non moins haut que le citoyen Marat reçoit beaucoup de lettres et qu’on ne peut pas la renseigner.
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Il lui indique d’un geste l’unique chaise,qui
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tourne le dos à la fenêtre. Sans préambule, il se renseigne sur l’insurrection normande. Il lui demande les noms des Girondins réfugiés à Caen, les écrit sous sa dictée.
 
 
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Simonne Evrard quitte la pièce. Elle emporte, peut-être encore par crainte du poison, deux
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plats posés sur le rebord de la fenêtre pour le repas du soir.
 
 
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Marat n’a jeté qu’un appel confus et rauque. Charlotte traverse les deux pièces qui la séparent de l’antichambre. Elle va s’enfuir. Non. Le commissionnaire qui pliait les journaux a entendu le cri de Marat. À la vue de la jeune fille, il comprend. Il hurle : « A l’assassin ! A la garde! » Brandissant une chaise, il en frappe Charlotte. Les femmes accourent, se jettent sur elle, l’abattent sur le sol. Comme elle tente de se relever, l’homme la saisit brutalement à la poitrine, de nouveau la terrasse en l’accablant de coups et d’injures : « Coquine ! Scélérate! »Un
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chirurgien, qui habite la maison se précipite, enjambe la mêlée, disparaît vers la salle de bains. Des hommes armés s'emparent de Charlotte, la redressent, lui lient étroitement les mains dans le dos et la gardent dans un coin de l’antichambre. Mais, parmi les appels, les ordres, les cris de fureur, les gémissements qui emplissent le logis, soudain une phrase vole : « Il est mort. »
 
 
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Un commissaire de police, suivi de ses acolytes, procède aux constatations. Bientôt il fait amener Charlotte dans le salon. Des lampes l’éclairent. Des fleurs l’égaient. Sous les fenêtres, qui regardent la rue, la foule gronde. L’interrogatoire commence, serré, minutieux. Charlotte doit raconter sa vie, son voyage, l’emploi de son temps à Paris, le meurtre, les raisons qui l’ont poussée. Cet homme veut à tout prix lui trouver des complices. Mais elle a recouvré tout son calme. Elle se défend d'avoir été conseillée, guidée. Elle pense même,
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dans ce premier assaut, à passer sous silence ses entrevues avec Lauze de Perret.
 
 
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Chabot prétend encore apercevoir quelque papier dans l’entre-bâillement… Il avance la main. Assise, les bras liés derrière le dos, Charlotte ne peut pas se défendre. D’instinct, elle se rejette en arrière. Mais, dans ce mouvement
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même, le corsage achève de s’ouvrir. Alors, désespérée de confusion, elle supplie qu’on lui permette de réparer ce désordre et, pour le cacher sans attendre, elle se penche toute en avant, le menton aux genoux. Ces hommes ont pitié. On la délie. Elle se lève et, tournée vers le mur, rajuste vite son vêtement.
 
 
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Chabot lui demande : « Qu’est-ce qui vous a
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guidée, pour frapper ainsi du premier coup Marat droit au cœur ? » Elle réplique : « L’indignation qui soulevait le mien. »
 
 
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Il est minuit quand Drouet et Chabot la conduisent à la prison de l’Abbaye. On ouvre devant elle la porte cochère. De la rue, noire de nuit et de foule, s’élève une énorme clameur
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de mort. Ses gardes, écartant les furieux, la jettent vivement dans le fiacre, qui attend toujours. Mais la multitude hurlante entoure la voiture, l’empêche d’avancer. Charlotte va périr à son tour. Qu'importe ? Elle a accompli sa tâche. Cependant, Drouet, d’une voix forte, somme le peuple, au nom de la Loi, de se taire et de s’éloigner sans trouble. Il obéit. Alors, dans la détente, Charlotte s’évanouit.
 
= CHAPITRE VII : =
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A la prison de l’Abbaye, qui dépendait de l’ancien monastère de Saint-Germain-des Prés, Charlotte succédait dans sa cellule au girondin Brissot. Elle l’apprit du concierge Lavacquerie, qui lui témoigna tout de suite de la bonté.
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témoigna tout de suite de la bonté.
 
 
Elle ignorait que Brissot lui-même avait remplacé Mme Roland, qui a décrit dans ses Mémoires cet étroit et maussade logis, ses murailles grises et sales, ses grilles épaisses. Cette cellule était, de plus, toute proche d’un bûcher que tous les animaux de la prison avaient pris pour sentine. Cependant, elle était fort recherchée, car elle était trop petite pour contenir deux lits et le prisonnier avait chance de l’occuper seul. Charlotte ne jouit pas de cet avantage. Deux gendarmes la gardaient à vue. Pendant la nuit, ce voisinage lui était extrêmement pénible. Elle s’en plaignit au Comité de Sûreté générale, par une lettre qui resta sans effet.
Elle ignorait que Brissot lui-même avait remplacé Mme Roland, qui a décrit dans ses Mémoires cet étroit et maussade logis, ses murailles grises et sales, ses grilles épaisses. Cette cellule était, de plus, toute proche d’un bûcher que tous les animaux de la prison avaient pris pour sentine. Cependant, elle était fort recherchée, car elle était trop petite pour contenir deux lits et le prisonnier avait chance de l’occuper seul. Charlotte
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ne jouit pas de cet avantage. Deux gendarmes la gardaient à vue. Pendant la nuit, ce voisinage lui était extrêmement pénible. Elle s’en plaignit au Comité de Sûreté générale, par une lettre qui resta sans effet.
 
 
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Le lundi 15, elle tint sa promesse d’écrire à Barbaroux le détail de son voyage. Sa lettre s’adressaits’
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adressait bien au Girondin, mais elle la destinait dans sa pensée à ses parents, à ses amis, à tous ceux qui s’intéressaient à elle. Ces sept pages sans rature, écrites entre le meurtre et l’échafaud, où brillent tour à tour son ardente générosité et sa grâce malicieuse, témoignent bien de sa stupéfiante liberté d’esprit. Elles reflètent et concentrent tout le drame.
 
 
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Sur le meurtre même, elle s’étend peu. « Les journaux, dit-elle, vous en parleront. » Cependant elle cite les dernières paroles de Marat,
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qui décidèrent de lui. Elle ajoute ironiquement : « Il faudra les graver en lettres d’or sur sa statue. » Car sa haine de Marat n’abdique pas. Elle éclate à chaque page : « Je n’ai jamais haï qu’un seul être et j’ai fait voir avec quelle violence… C’était une bête féroce qui allait dévorer le reste de la France… Grâce au ciel, il n’était pas né Français. »
 
 
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À la prison même, elle déclare qu’elle est « on ne peut mieux et que les concierges sont les meilleures gens possible. » Elle avoue ingénument : « Je passe mon temps à écrire des chansons. » C'est-à-dire qu’elle recopie pour les autres prisonniers ces couplets lancés par les Girondins à Caen et qui étaient alors un
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des grands moyens de propagande. Elle se plaint cependant de la présence continuelle des deux gendarmes. « On me les a donnés pour me préserver de l’ennui : j’ai trouvé cela fort bien pour le jour et fort mal pour la nuit… Je crois que c’est de l’invention de Chabot ; il n’y a qu’un capucin qui puisse avoir de telles idées. »
 
 
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Car elle est sûre de leur retour à Paris, au pouvoir. N’a-t-elle pas rendu la Paix à son pays ? La Paix… C’est sa grande certitude. Toute sa lettre en témoigne, depuis l’en-tête : « Aux prisons de l’Abbaye, dans la ci-devant chambre de Brissot, le second jour de la préparation à la Paix. » Pour elle, la Paix commence à la mort de Marat : « Voilà un grand préliminaire et sans cela nous ne l’aurions jamais eue. » En dix endroits, : « Je célèbre la Paix retrouvée : Puisse la Paix s’établir aussitôt que je le désire… Il faut fonder la Paix. » Et elle communie avec sa patrie dans l’allégresse de la délivrance : « Je jouis délicieusement
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de la Paix depuis deux jours… Le bonheur de mon pays fait le mien. »
 
 
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« Puisque j’ai encore quelques instants à vivre, pourrais-je espérer, Citoyens, que vous me permettrez de me faire peindre ? Je voudrais laisser cette marque de mon souvenir à mes amis ; d’ailleurs comme on chérit l’image des bons citoyens, la curiosité fait quelquefois rechercher celle des grands criminels, ce que sert à perpétuer l’horreur de leurs crimes. Si vous daignez faire attention à ma demande, je vous prie de m’envoyer demain un peintre en miniature. Je vous renouvelle celle de me laisser
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dormir seule. Croyez, je vous prie, à toute ma reconnaissance.
 
 
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Le 16, au matin, elle comparut devant le Président
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du Tribunal révolutionnaire, Montané. Cet interrogatoire, bien qu’il fût plus long et plus minutieux, ressembla fort à celui du commissaire, le premier soir. Ces deux hommes étaient également dominés par le souci de lui découvrir des complices.
 
 
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Son ironie ne désarme pas à la veille de la mort. Lorsqu'elle annonce qu’elle a pris Gustave Doulcet comme défenseur, elle ajoute : « J’ai pensé demander Robespierre ou Chabot. »J’
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ai pensé demander Robespierre ou Chabot. »
 
 
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A la veille de sa mort, parmi ses suprêmes volontés, elle recommande à Barbaroux Mlle de Forbin, lui donne son adresse en Suisse « J'
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espère que vous n’abandonnerez pas son affaire. Je vous prie de lui dire que je l’aime de tout mon cœur. »
 
 
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« Pardonnez-moi, mon cher Papa, d’avoir disposé de mon existence sans votre permission. J’ai vengé bien d’innocentes victimes, j'ai prévenu bien d’autres désastres. Le peuple, un jour désabusé, se réjouira d’être délivré d’un tyran. Si j’ai cherché à vous persuader que je passais en Angleterre, c’est que j'espérais garder l’incognito ; mais j’en ai reconnu l’impossibilité, J'espère que vous ne serez point tourmenté. En tout cas, je crois que vous aurez des amis à Caen. J'ai pris pour défenseur Gustave Doulcet ; un tel attentat ne permet nulle défense ; c’est pour la forme. Adieu, mon cher Papa ; je vous prie de m’oublier, ou plutôt de vous réjouir de mon sort. La cause en est belle. J’embrasse ma sœur que j'aime de tout mon cœur, ainsi que tous mes parents. N'oubliez pas ce vers de Corneille :
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parents. N'oubliez pas ce vers de Corneille :
 
 
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La salle d’audience regorgeait. Elle était profonde, crûment éclairée par deux vitrages haut placés. Malgré l’heure matinale, il y régnait
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une chaleur pénible. Lorsque Charlotte entra, un murmure de surprise monte de la foule avide et pressée. Point de cri. Son air de douceur et de jeunesse, de modestie tranquille et fière, imposait même aux énergumènes, habitués de l’audience, qui d’ordinaire huaient les accusés.
 
 
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Aussitôt après les questions d'identité, le président Montané lui demanda si elle avait un défenseur. Gustave Doulcet ne lui avait pas répondu. Elle s’offensait de son silence et le soupçonnait de se dérober. De sa voix musicale et presque enfantine, elle répliqua : « J'avais choisi un ami. Mais je n’en ai pas entendu parler depuis hier. Apparemment, il n’a pas eu le courage d’accepter ma défense. » Le
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président, voyant dans la salle l’avocat Chauveau-Lagarde, le désigna d'office.
 
 
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Elle interrompit même le récit de Simonne Evrard, dont les sanglots la bouleversaient, comme le soir de la confrontation. Elle dit précipitamment : « Oui, oui, c’est moi qui l’ai tué, » Elle ne devait plus se troubler que lorsqu’onlorsqu’
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on lui présenta le couteau. À ce moment-là, elle détourna les yeux, le repoussa d’un geste et dit avec la même hâte impatiente : « Oui, je le reconnais, je le reconnais. »
 
 
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Au cours de ces divers témoignages, le président interrogeait Charlotte sur son crime. Elle reconnut une fois de plus qu’elle avait arrêté sa résolution après l’affaire du 31 mai, qu’elle avait voulu d’abord immoler Marat sur la cime de la Montagne. « Si j’avais cru pouvoir réussir de cette manière, je l’aurais préférée à toute autre. J'étais bien sûre alors de devenir
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à l’instant victime de la fureur du peuple. Et c’est ce que je désirais. On me croyait à Londres. Mon nom eût été ignoré. »
 
 
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Mais le ton du débat, entre elle et Montané, ne
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s’échauffait, ne s’élevait vraiment que quand il s’efforçait obstinément de lui découvrir des complices.
 
 
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— Comment pensez-vous faire croire que vous n’avez pas été conseillée, lorsque vous dites
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que vous regardiez Marat comme la cause de tous les maux qui désolent la France, lui qui n’a cessé de démasquer les traîtres et les conspirateurs ?
 
 
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Cependant, il insista âprement pour la convaincre de s’être essayée avant de porter le coup mortel à Marat. D’après les rapports médicaux,
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elle ne l’aurait pas tué, si elle l'avait frappé autrement. Elle répondit :
 
 
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Elle se reposa sur le Tribunal du soin de faire
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parvenir ces lettres à les destinataires. Le président, sans s’y engager, lui demanda si elle n’avait rien à ajouter à ces lettres.
 
 
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«.… Ce calme imperturbable et cette entière abnégation de soi-même qui n’annoncent aucun remords pour ainsi dire en présence de la mort même, ce calme et cette abnégation, sublimes sous un rapport, ne sont pas dans la nature. Ils ne peuvent s’expliquer que par l’exaltationl’
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exaltation du fanatisme politique, qui lui a mis le poignard à la main. Et c’est à vous, citoyens jurés, à juger de quel poids doit être cette considération morale dans la balance de la justice. Je m'en rapporte à votre prudence. »
 
 
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Il était midi. « À la diligence de l’accusateur public », l’exécution devait avoir lieu le jour même, place de la Révolution, à cinq heures.
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= CHAPITRE VIII : =
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Sur le chemin de sa cellule, elle rencontra le concierge Richard et sa femme. Ils tenaient toujours prêt son déjeuner. Elle leur dit en souriant : « Les juges m'ont retenue là-haut si
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longtemps, qu’il faut m’excuser de vous avoir manqué de parole. »
 
 
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Le peintre se présenta. Il se nommait Jean-Jacques
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Hauer. Il avait d’autant plus aisément obtenu l’autorisation de pénétrer dans la prison qu’il était commandant de la Garde nationale et fort connu dans sa section.
 
 
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À ce moment, Richard ouvrit la porte et s’effaça devant un groupe d'hommes. L’un d’eux portait sur le bras la chemise rouge que les assassins devaient revêtir pour l’exécution. Elle comprit : le bourreau, Sanson. Elle ne put réprimer son trouble. « Quoi ? Déjà! » . Mais aussitôt elle se ressaisit et demanda à cet homme la permission d’achever sa lettre :« Le
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citoyen Doulcet de Pontécoulant est un lâche, d’avoir refusé de me défendre, lorsque la chose était si facile. Celui qui l’a fait s’en est acquitté avec toute la dignité possible. Je lui en conserve ma reconnaissance jusqu’au dernier moment.
 
 
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Elle disposa elle-même la chemise rouge, à dessein fort échancrée, et elle obtint de jeter sur
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ses épaules son fichu rose. Au moment où on allait lui attacher les mains derrière le dos, elle demanda encore de mettre ses gants. Ses gardes l’avaient serrée si fort chez Marat qu’elle portait des cicatrices au poignet. Mais Sanson l’assura qu’il la lierait sans la blesser. Elle sourit : « C’est vrai. Ces gens-là n’avaient pas comme vous l’habitude. »
 
 
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À ce moment, un orage, qui couvait depuis le matin, éclata. Mais la pluie ne dispersa pas la foule, dont la clameur couvrait les grondements du tonnerre. Charlotte
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opposait à cette fureur déchaînée son doux sourire et sa fierté tranquille. Sous les huées mortelles et les gestes féroces, elle songeait : « Je leur donne la Paix. » C’était le secret de sa sérénité. Les bras liés derrière le dos, elle restait debout, la tête bien droite. Ah ! ses vieux amis n'auraient pas pu lui reprocher ce jour-là « de cacher ses beaux yeux ». Sa chemise rouge, toute trempée de pluie, épousait son corps comme les draperies d’une statue.
 
 
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Dans la rue Saint-Honoré, la charrette se frayait plus lentement que jamais son chemin. Sanson, ému par un courage qu'il n’avait jamais vu, dit à Charlotte : « Vous trouvez que c’est bien long ? » Elle lui répondit en souriant, de sa voix musicale et presque enfantine : «  Bah ! Nous sommes toujours sûrs d’arriver. »Il
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était près de huit heures quand apparut la Place de la Révolution. Les feux du couchant embrasaient l’horizon. Le bourreau voulut masquer à la jeune fille la vue de la guillotine. Mais elle se pencha et dit encore : « J’ai bien le droit d’être curieuse. Je n’en ai jamais vu. »
 
 
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Le geste immonde souleva dans la foule un murmure d'horreur et d’indignation. Renié par Sanson dont il n’était que l’aide fortuit, le valet Legros fut condamné par le Tribunal de police à huit jours de prison, au blâme public, et à l’exposition pendant six heures sur la place même de la Révolution. Roussillon, l’un des membres du Tribunal révolutionnaire, protesta contre le valet dans une lettre ouverte. Après avoir rappelé le châtiment infligé à cet homme, il ajoutait : « J’ai cru devoir faire connaître cet acte de justice au public qui, toujours grand, toujours juste,
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approuvera
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ce que l’Ami du Peuple approuverait lui-même s’il eût survécu à sa blessure. Il était trop
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grand pour approuver une pareille bassesse ; il savait, et tout le monde doit le savoir, que quand le crime est puni, la loi est satisfaite. »
 
 
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De la Place de la Révolution, les restes de Charlotte Corday furent transportés à l’hôpital de la Charité, où ils furent examinés par deux médecins, en présence de deux délégués de la Convention. L’un d’eux était le peintre David. Depuis la mort de Marat, les pires calomnies salissaient la jeune fille. On l’accusait notamment
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de n’avoir été que l’instrument de Barbaroux, de lui avoir obéi par amour, après lui avoir tout donné d'elle-même. Il semble que ces hommes aient voulu chercher sur elle, au delà de la mort, la trace de sa faute. Ils ne constatèrent que sa pureté.
 
 
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Son ami Bougon-Longrais était à Évreux lorsqu'elle partit pour Paris. Mais il fut brusquement rappelé à Caen. En effet, les événements se précipitaient. Le 13 juillet, précisément le jour de la mort de Marat, les volontaires du général de Wimpffen rencontraient, entre Cocherel et Brécourt, près de Vernon, les forces expédiées de Paris par la Montagne. Ce fut une échauffourée. On échangea
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dix coups de canon. Chaque parti se replia, se croyant vaincu. Mais la troupe parisienne, qu’on appela l’armée pacifique, se ressaisit la première et, ne rencontrant pas d’ennemis, s’avança victorieusement sur Lisieux, puis sur Caen. Ce fut la fin de l’insurrection normande.
 
 
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« Encore si, dans mes derniers instants, j'avais pu, comme ma chère Corday, m’endormir
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au sein d’une illusion douce et trompeuse, et croire au retour prochain de l’ordre et de la paix dans ma patrie… Mais non, j’emporte avec moi l’idée déchirante que le sang va couler à plus grands flots! Oh! Charlotte Corday! Oh! ma noble et généreuse amie ! Toi dont le souvenir occupa sans cesse ma mémoire et mon cœur, attends-moi, je vais te rejoindre ! Le désir de te venger m'avait fait jusqu’à ce jour supporter l’existence. Je crois avoir assez satisfait à ce devoir sacré ; je meurs content et digne de toi… »
 
 
Quant à Gustave Doulcet, Charlotte l’avait injustement accusé dans le billet qu’elle lui adressa au moment de mourir. Lorsqu'il le reçut, tout ouvert, le 20 juillet, il resta stupéfait. Il ignorait absolument que Charlotte l’eût demandé pour défenseur. Il réclama par écrit des explications à Montané, qui les lui fournit aussitôt. Le 16 juillet, l’accusateur public avait bien informé Gustave Doulcet que l’accusée l’avait choisi pour son conseil. Mais le gendarme, chargé de porter la lettre de Fouquier-Tinville, n’étant pas parvenu à trouver le destinataire, l’avait rapportée tardivement à l’accusateur public. Gustave
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Doulcet ne s’étonna pas que le gendarme ne l’eût pas découvert : se sachant suspect, il changeait chaque soir de domicile. Mais l’injurieux reproche de Charlotte lui était intolérable. Il adressa à tous les journaux une protestation : « C’est quatre jours après son exécution que le Tribunal révolutionnaire m’a donné avis du choix qu’avait fait Marie Corday ».
 
 
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L’une des amies de Charlotte Corday, Mme de Faudoas. périt un an après elle. Son père, le marquis de Faudoas, fidèle royaliste, était resté jusqu'aux derniers moments de Loris XVI un de ses plus ardents défenseurs. il fut arrêté pendant la Terreur avec sa sœur et
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sa fille. Tous trois furent traduits devant le Tribunal révolutionnaire le 13 juillet 94. C'était le moment des condamnations massives. Ce jour-là, vingt-huit accusés furent exécutés. Éléonore de Faudoas refusa le secours d’un prêtre assermenté, s’appuya au bras de son père et gravit en se signant les degrés de l’échafaud. Elle avait dix-huit ans.
 
 
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M. de Corday d’Armont, le père de Charlotte, qui vivait avec ses vieux parents à Argentan depuis janvier 1793, apprit le drame par un journal. On ne l’inquiéta pas démesurément. Il subit un interrogatoire le 20 juillet. Il déclara que depuis son veuvage, depuis onze ans, sa fille n’avait guère vécu, au total, qu’un an avec lui. Et il répéta les termes de la lettre qu’elle lui avait écrite le 9 juillet au matin, avant son départ pour Paris. Chose singulière :
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il pâtit davantage comme père d’émigrés. À ce titre, il fut emprisonné un moment en 94 et proscrit en 98. Peu après, il mourut à Barcelone.
 
 
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Quant à l’abbé de Corday, qui recevait sa nièce Charlotte au presbytère de Vicques, il s’exila en 92, après avoir été molesté comme prêtre réfractaire. Il se réfugia à Jersey, puis au château de Winchester, où le gouvernement anglais avait recueilli un grand nombre de ces ecclésiastiques. Revenu en France, il mourut curé-doyen de Couliboeuf en 1825. Il disait
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volontiers que Charlotte avait « été une nouvelle Judith suscitée par Dieu pour sauver la France ».
 
 
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Cependant, Augustin Leclerc continuait de veiller sur elle, bien qu’il fût accablé de chagrin par la mort de Charlotte Corday. Jamais il ne devait s’en consoler, jamais il ne cessa d'approuver hautement son geste. Dès que Mme de Bretteville put s’éloigner de sa maison sans
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éveiller de suspicion, Augustin Leclerc la conduisit à Verson, où elle possédait un domaine. La bonne dame resta toujours reconnaissante à son « homme de confiance ». Elle lui laissa une partie de ses biens lorsqu’elle mourut en 99, à soixante-quinze ans. Sa maison, que la Révolution avait épargnée, fut abattue et reconstruite sur un plan plus avantageux, en 1852.
 
 
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Dans la pénombre de la voûte, parmi les fumées
Dans la pénombre de la voûte, parmi les fumées des brûle-parfums et des flambeaux, au sommet d’une estrade de douze mètres, tendue aux trois couleurs, le corps de Marat était étendu sous une draperie. Son bras droit retombait. Sa main tenait une plume de fer, comme s’il allait encore « écrire pour le bonheur du peuple ». Le peignoir ensanglanté, la baignoire où il avait péri, encadraient le lit funèbre. Toute la journée, la foule défila, gémissant de tristesse, criant vengeance et jetant des fleurs.
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des brûle-parfums et des flambeaux, au sommet d’une estrade de douze mètres, tendue aux trois couleurs, le corps de Marat était étendu sous une draperie. Son bras droit retombait. Sa main tenait une plume de fer, comme s’il allait encore « écrire pour le bonheur du peuple ». Le peignoir ensanglanté, la baignoire où il avait péri, encadraient le lit funèbre. Toute la journée, la foule défila, gémissant de tristesse, criant vengeance et jetant des fleurs.
 
 
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Il était près de minuit quand le cortège sans fin, après avoir parcouru une partie de Paris, revint aux jardins des Cordeliers. Là, se dressait le tombeau de Marat, une grotte de granit, close d’une grille. C’était le symbole de sa fermeté,
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le souvenir du souterrain où il avait vécu. On descendit dans le caveau le corps placé dans un cercueil de plomb, puis deux vases qui contenaient l’un les entrailles, l’autre les poumons de Marat. On y ensevelit enfin les œuvres complètes de « l’ami du peuple ». Les discours se prolongèrent fort avant dans la nuit.
 
 
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Le 19 août, les « citoyennes révolutionnaires » célébrèrent à leur tour la mémoire de Marat. Elles se rendirent en cortège, derrière le buste du divin Marat, jusqu’à la place du Carrousel. Là s’élevait une pyramide creuse. À l’intérieur, on plaça la baignoire, la lampe, l’écritoire, la plume, le papier de Marat. Un
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culte naissait, farouche : les époux Loison, de pauvres montreurs de marionnettes des Champs-Elysées, qui avaient habillé une figurine en Charlotte Corday et lui faisaient crier : « À bas Marat! », furent arrêtés pour manœuvres coupables et guillotinés. L’image de Marat était innombrable. On plaçait son buste dans toutes les salles publiques. On distribuait son portrait aux écoliers. On vendait des bagues, des épingles de cravate, des tabatières à l’effigie de Marat. Autant de fétiches, d’ailleurs, et de gages de patriotisme. Sa mort inspirait des pièces de théâtre, des complaintes par centaines. On enseigna dans des écoles le signe de croix au nom de Marat, le Credo de Marat.
 
 
On donnait aux enfants le prénom de Marat. Joachim Murat, qui devait devenir roi de Naples, demanda à la Convention de changer son nom contre celui de Marat. À Paris, on débaptisa des places et des rues. Tout ce qui s’appelait Montmartre s’appela Montmarat ; la rue des Cordeliers devint la rue Marat ; la place de l’Observance devint la place de l’Ami du Peuple. En province, où s’élevaient partout, au pied de l’arbre de la Liberté, des cénotaphes à sa gloire, plus de quarante localités
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prirent le nom de Marat. Par exemple, le Havre-de-Grâce devint le Havre-Marat ; Neuville-sur-Saône s’appela Marat-sur-Saône.
 
 
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Le peuple avait changé de dieu. La Convention, qui s’était laissée porter par la foule dans cet immense élan vers Marat, n’avait fait que la suivre dans son reflux : l’Assemblée venait de décréter que les honneurs du Panthéon ne seraient
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accordés à un citoyen que dix ans après sa mort.
 
 
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Le lendemain, le buste de Marat disparut des salles de théâtre, de la Convention même. On arrêta des manifestants qui voulaient promener l’emblème réprouvé par les rues. Enfin, de jeunes ouvriers du faubourg Saint Antoine se rendirent en cortège au Jardin du Palais-Royal, y brûlèrent un mannequin qui représentait Marat. Ils recueillirent les cendres dans un vase de nuit et les jetèrent dans l’égoutl’
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égout de la rue Montmartre, non loin de l’Hôtel de la Providence. Et ils laissèrent sur place cette inscription : « Marat, voilà ton Panthéon. »
 
 
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Un homme, parmi ces spectateurs, fut à tel point ébloui à la vue de Charlotte, transporté d’une adoration si soudaine et si folle, qu’il résolut de la suivre dans la mort. Il était placé rue Saint-Honoré, non loin de cette fenêtre où Danton, Robespierre et Camille Desmoulins regardaient
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passer Charlotte Corday dans cette charrette qui, d’ailleurs, devait bientôt les emporter tous trois. Il s’appelait Adam Lux.
 
 
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Il éprouvait un tel dégoût qu’il songea au suicide. Il prépara le discours qu’il tiendrait à la barre de la Convention avant de disparaître. « J'ai juré d’être libre ou de mourir. Par conséquent, il est temps de mourir. Depuis le 2
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juin, j'ai la vie en horreur. » Il espérait aussi que sa mort serait «  plus utile à la liberté que sa vie », qu’elle donnerait à réfléchir aux mandataires du peuple et marquerait la fin de la violence.
 
 
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En deux jours, il écrit un éloge de Charlotte Corday. La passion l’éclaire et l’anime. Avec quelle lucidité il résume le drame : « Une fille délicate, bien née, bien faite, bien élevée, animée d’un amour ardent de la patrie en danger, se croit obligée de s’immoler pour la sauver, en otant la vie à un homme qu’elle pense être la source des malheurs publics. Elle prend cette résolution le 2 juin, s’y affermit le 7 juillet, quitte son foyer paisible ; elle ne se
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confie à personne ; malgré la chaleur excessive, elle fait un grand voyage à ce dessein ; elle arrive, sans appui, sans conseil, sans consolateur. Elle conçut, elle exécuta un projet qui, selon ses espérances, devait sauver la vie à des milliers d'hommes. Elle prévoyait son sort… Elle garda toujours sa fermeté, sa présence d'esprit, sa douceur, pendant quatre jours, jusqu’à son dernier soupir. »
 
 
Le ton s’avive lorsqu'il peint ses impressions : « Quel fut mon étonnement lorsque, outre une intrépidité que j'attendais, je vis cette douceur inaltérable au milieu des hurlements barbares !… Ce regard si doux et si pénétrant! Ces étincelles vives et humides qui éclataient dans ses beaux yeux… Regards d’un ange, qui pénétrèrent intimement mon cœur, le remplirent d'émotions violentes qui me furent inconnues jusqu'alors… Pendant deux heures, depuis son départ jusqu’à l’échafaud, elle garda la même fermeté, la même douceur inexprimable.. Sur sa charrette, n’ayant ni appui, ni consolateur, elle était exposée aux huées continuelles d’une foule indigne du nom d’hommes. Elle monta sur l’échafaud. Elle expira.. Charlotte, âme céleste, n’étais-tu qu’une mortelle ? »Enfin,
==[[Page:Michel Corday - Charlotte Corday, 1929.djvu/174]]==
il défie la Montagne, en ces termes où reparaît son déboire : « Usurpateurs du 31 mai, vous qui, pour échapper aux supplices mérités par vos forfaits, avez trompé les Parisiens et les Français ! Je cherchais ici le règne de la douce liberté : je trouvai l’oppression du mérite, le triomphe de l’ignorance et du crime, Je suis las de vivre au milieu de tant d’horreurs que vous commettez, de tant de malheurs que vous préparez à la Patrie! Il ne me reste que deux espérances : ou, par vos soins, en victime de la liberté, mourir sur cet échafaud honorable, ou de concourir à faire disparaître vos mensonges, qui sont la véritable cause de la guerre civile. »
 
 
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Et il termine ces pages d’une folle et tendre hardiesse par le vœu « qu’au lieu même de sa mort
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l’immortelle Charlotte Corday ait une statue avec cette inscription : Plus grande que Brutus. »
 
 
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Le procès à peine clos, une âpre discussion éclatait entre lui et l’accusateur public. Fouquier-Tinville lui reprochait d’avoir modifié la dernière des trois questions posées au jury. Parlant de l’assassinat commis par Charlotte, l’accusateur public avait ainsi libellé cette troisième question : « L’a-t-elle fait avec préméditation
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et avec des intentions criminelles et contre-révolutionnaires ? » Montané l’avait remplacée par ce texte : « L’a-t-elle fait avec des intentions criminelles et préméditées ? »
 
 
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En tout cas, Montané avait risqué la sienne. Le 30 juillet, en effet, le Président du Tribunal révolutionnaire était arrêté sur l’ordre du Comité de Salut Public, pour avoir, dans le jugement de Charlotte Corday, « changé la rédaction de la troisième question posée aux jurés ». Heureusement pour lui, on l’oublia dans sa prison. Il fut sauvé par le 9 Thermidor (27 juillet 1794) où tomba Robespierre et s’évanouits’
==[[Page:Michel Corday - Charlotte Corday, 1929.djvu/177]]==
évanouit le cauchemar de la Terreur. Il fut acquitté et mis en liberté le 13 septembre 94.
 
 
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Les membres du Comité de Sûreté générale furent amenés à rendre grâce à son singulier ascendant.
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Fouquier-Tinville les avait consultés sur l’opportunité de publier dans les journaux l’interrogatoire de Charlotte et ses deux lettres datées de la prison. Ils écrivirent à l’accusateur public : « Le Comité pense qu’il serait inutile et peut-être dangereux de donner trop de publicité aux lettres de cette femme extraordinaire, qui n’a déjà inspiré que trop d'intérêt aux malveillants. »
 
 
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Il ne dépassait pas en férocité ce pétitionnaire, Guirault, qui, à la barre de la Convention, à la séance du 14 juillet, avait demandé que l’on inventât pour Charlotte des supplices nouveaux : « Décrétez une loi de circonstance. Le supplice le plus affreux n’est pas assez pour venger la Nation d’un aussi énorme attentat. Apprenez
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aux forcenés ce que vaut la vie. Au lieu de la leur trancher comme un fil, que l’effroi des tourments désarme leurs mains parricides. »
 
 
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Mais tous ces efforts devaient rester vains. Dès que le culte de Marat perdit de son ardeur oppressive, dès que s’éteignit le délire populaire, on vit refleurir la douce image de Charlotte. Elle orna des bijoux, des éventails, des bonbonnières. Désormais, par centaines, des dessinateurs
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et des peintres s’en emparèrent : presque après cent ans, au seul Salon de 1880, ne vit-on pas quatre Charlotte Corday ? Elle parut sur toutes les scènes du monde : en un siècle, elle inspira quarante pièces, presque autant que Jeanne d’Arc en cinq siècles. La mode même lui paya son tribut : on porta des bonnets à la Charlotte Corday ; des femmes adoptèrent le châle rouge, en souvenir de cette chemise rouge qu’on avait vue, toute trempée par l’orage, épouser « le corps modeste et voluptueux de Charlotte Corday ».
 
 
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Puis, comme Charlotte, il avait souffert devoir
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la Révolution glisser dans le sang. Comme elle, il avait eu pitié de Louis XVI, il avait souhaité que le peuple décidât de son sort. Ses strophes à Charlotte Corday sont bien dignes de leur héroïne, puisqu’elles témoignent d’autant de courage que de beauté :
 
 
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Quel magnifique et pur hommage lui rendit Pétion lorsqu'il apprit sa mort ! Il voulut redresser le jugement erroné qu'il avait porté sur elle. En pleine Assemblée de Caen, il s’écria : « Dans les temps ordinaires, la justice seule doit frapper les coupables. Mais, dans les circonstances actuelles, l’homicide de Marat est un acte de justice nationale. Une femme a montré l’exemple aux hommes. Puissent ceux-ci profiter de la leçon et purifier la France des scélérats qui l’oppriment ! » Louvet,
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poursuivi après l’échec de l’insurrection normande, lui consacrait, dans de hâtifs mémoires, des pages enflammées. Il enviait Barbaroux d’avoir reçu la lettre qu’elle lui avait écrite en prison : « Ou rien de ce qui fut beau dans la Révolution française ne demeurera, ou cette épître doit passer à travers les siècles. » Et l’auteur de Faublas se glorifiait d’avoir été nommé par Charlotte dans son interrogatoire. Pour lui, c’était l’immortalité : « J’ai donc reçu le prix de tous mes travaux, le dédommagement de mes sacrifices, de mes peines, des derniers tourments qui me sont réservés… Oui, quoi qu'il arrive, j'ai reçu du moins ma récompense : Charlotte m’a nommé, je suis sûr de ne pas mourir ! »
 
 
Un autre des Girondins proscrits, Salle, lui rendit un hommage plus touchant encore. Leur parti défait, lui et ses compagnons, Guadet, Buzot, Pétion, Barbaroux, d’autres encore, avaient quitté Caen et s’étaient jetés à travers la France. Ils étaient traqués comme des bêtes, repoussés comme des lépreux. Au prix d’angoisses et de souffrances indicibles, ils atteignirent Saint-Emilion. Une femme admirable, Mme Bouquey, qui paya d’ailleurs son
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dévouement de sa vie, se chargea de les cacher. D'abord dans des grottes, puis dans deux greniers. Et c’est là, dans une soupente où il ne pouvait ni se tenir debout ni allumer de lampe, que Salle écrivit sur Charlotte Corday une tragédie en cinq actes et en vers !.…
 
 
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En effet, ils furent dénoncés. Le 17 juin 94, une véritable armée, lancée à leur recherche, envahit le bourg. Des chiens mème étaient chargés de les dépister. Salle et Guadet sont arrêtés,
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puis guillotinés à Bordeaux deux jours après. Les trois autres se sauvent dans les bois. Mais le lendemain, ils se croient découverts par des soldats. Barbaroux tente de se tuer et se brise la mâchoire d’un coup de pistolet. On le porte sanglant et muet sur l’échafaud. Huit jours plus tard on découvrit dans un champ de blé les cadavres de Buzot et Pétion, à demi rongés par les chiens. L’état de leurs corps ne permit pas d'établir comment ils s'étaient tués.
 
 
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Un dernier repas les réunit dans la prison. Ils passèrent le reste de la nuit à deviser gravement.
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Jusqu’au pied de l’échafaud, ils entonnèrent la Marseillaise. Celui qui vécut le dernier chantait toujours.
 
 
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Le Destin, semble-t-il, a voulu montrer qu’on ne peut enfreindre le suprême précepte, le respect de la vie, fût-ce pour servir le plus bel idéal, la passion de la Paix.
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DOCUMENTS ET COMMENTAIRES
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Beaucoup de ses lettres, disent-ils, sont signées Marie de Corday ou Marie Corday. Notamment la dernière, celle qu’elle écrivait à Gustave Doulcet, quand le bourreau entra dans sa cellule. Doulcet lui-même, qui connaissait bien la jeune fille, l’appelle Marie Corday dans la lettre à Montané et dans la note aux journaux où il proteste contre l’accusation portée par elle contre lui. Enfin son premier biographe, l’Allemand Klause, qui fut son contemporain, l’appelle également Marie Corday. On
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pourrait, sur le même terrain, produire des preuves contraires. Un bourgeois lettré de Caen, Laurent Esnault, qui écrivit des Mémoires pendant la Révolution, parle de « la fameuse Charlotte Corday ». Bougon-Longrais, lorsqu'il écrit à sa mère quelques instants avant d’être exécuté, invoque ainsi la jeune fille : « Oh ! Charlotte Corday ! Oh ! ma noble et généreuse amie… »
 
 
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En particulier, Charles Vatel avait patiemment recueilli, de 1845 à 1870, les souvenirs de vieillards — servantes, compagnes de jeux — qui avaient connu Charlotte Corday au pays normand. Ces témoins étaient encore nombreux
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au début de l’enquête. Or, ils sont unanimes. Tous, en parlant d’elle, disaient : « Mademoiselle Charlotte ».
 
 
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On retrouve dans des chartes de 1077 la trace du Normand Robert de Corday, qui servit sous Robert Guiscard. La famille de Corday tire son nom de la terre de Corday, située dans la commune de Boucé, près d’Argentan. Il existe d’ailleurs un village de Corday à six kilomètres au sud de Falaise. Le blason de la famille de Corday « porte d’azur à trois chevrons brisés d’or avec couronne de comte et devise : corde et ore ».Toutes
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les maisons de son enfance dessinent sur la carte une petite constellation. (Page 11.)
 
 
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Je rappelle que toutes ces demeures sont inscrites dans le triangle Argentan-Falaise-Vimoutiers. Elle
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était l’arrière-petite-fille de Corneille. (Page 12.)
 
 
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En 1788, Charlotte Corday aurait offert à l’abbesse, Mme de Pontécoulant, un dessin colorié pour sa fête, la Sainte-Aimée. Il représentait un cœur principal, relié à d’autres cœurs
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par des guirlandes de roses que soutenaient des anges ailés. Il était signé Corde.
 
 
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À propos des connaissances que Charlotte souhaitait d’acquérir, notons encore qu’elle voulut apprendre l'italien, l’anglais. Son amie, Mlle
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Levaillant, commença de les lui enseigner. Mais le départ pour Rouen des Levaillant interrompit les leçons.
 
 
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Récemment, en 1928, en appendice d’un ouvrage intitulé Épisodes de la Révolution à Caen et qui contient les Mémoires de l’avocat Laurent Esnault, M. Lesage a publié une lettre adressée à Mlle Corday, chez Mme Bretteville, vis-à-vis l’église Saint-Jean, et qui fut retenue par le Cabinet Noir, le 1er juin 1793. Écrite par un commis marchand nommé Beausoleil, elle vient de Maëstricht et montre bien que la jeune fille, sortie du couvent, continuait de s'occuper des mêmes transactions. En effet, Beausoleil
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fait allusion à l’un de ces envois de dentelles qui servaient alors de monnaie d'échange, gémit sur le renchérissement des marchandises et s’excuse de ne pas pouvoir lui faire livrer de toile contre des assignats.
 
 
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En dehors de ces deux lettres, il existe encore une relique de Charlotte, relative à son séjour à l’Abbaye-aux-Dames. Tous ses biographes signalent ce petit livre, illustré d’emblèmes, un Typus Mundi, un « portrait du monde », relié de vélin blanc à fleurons d’or, qu’onqu’
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on peut voir sous vitrine dans la Salle Révolutionnaire du Musée Carnavalet. Au verso du faux-titre, on lit : « Acheté 4 livres. Corday d’Armont, Sainte-Trinité de Caen, 20 décembre 1790. »
 
 
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Vatel a signalé cette erreur fréquente. Elle est
Vatel a signalé cette erreur fréquente. Elle est capitale, En effet, quand le jeune Henri de Belzunce arriva en garnison à Caen, en avril 89, l’abbesse était morte depuis deux ans. (Elle n’était d’ailleurs que sa parente éloignée ; elle descendait des Belzunce de Castelmoron et lui des Belzunce de Macaïe.) Il n’avait donc aucune raison de se présenter en 89 à l’Abbaye-aux-Dames, et il est probable qu’il n’y a jamais rencontré Charlotte Corday. Or, nombre d’historiens et de romanciers ont fait de Charlotte la fiancée mystique, inconsolable, du jeune vicomte de Belzunce.
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capitale, En effet, quand le jeune Henri de Belzunce arriva en garnison à Caen, en avril 89, l’abbesse était morte depuis deux ans. (Elle n’était d’ailleurs que sa parente éloignée ; elle descendait des Belzunce de Castelmoron et lui des Belzunce de Macaïe.) Il n’avait donc aucune raison de se présenter en 89 à l’Abbaye-aux-Dames, et il est probable qu’il n’y a jamais rencontré Charlotte Corday. Or, nombre d’historiens et de romanciers ont fait de Charlotte la fiancée mystique, inconsolable, du jeune vicomte de Belzunce.
 
 
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Si bien que, par un phénomène fréquent dans l’histoire française, les vues de nos philosophes
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ne triomphèrent dans leur pays que retour d'Amérique.
 
 
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En réalité, chaque îlot de maisons de Caen contenait et contient encore de véritables suites de cours intérieures. Ainsi, d’après le plan même que j’ai sous les yeux, derrière la façade du 148, rue Saint-Jean, on trouvait d’abord la cour proprement dite de la maison de Mme de Bretteville, puis la petite cour qui la séparait de la maison du brasseur Lacouture, enfin, en s’enfonçant toujours, la cour du
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Grand Manoir. C’est donc sans doute la proximité des deux demeures qui a créé cette confusion singulière.
 
 
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Vatel était entré en correspondance avec la fille d’Augustin Leclerc. Frappé de la netteté de ses déclarations, il fit le voyage de Rouen, où elle était mariée, afin de lui rendre visite. C’était vers 1860. Elle avait une soixantaine d’années. Elle avait gardé le culte filial le plus touchant, la mémoire la plus fidèle. Les précieux souvenirs qu’il tint de cette dame confirment et complètent ceux qu’il avait recueillis sur Augustin Leclerc dans la région caennaise.
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sur Augustin Leclerc dans la région caennaise.
 
 
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À ce titre, Bougon-Longrais signa, en avril 92, à la suite des troubles de Verson, un arrêté du Directoire départemental qui témoigne bien de la largeur et de la générosité de son esprit. On y relève par exemple ce passage : « Considérant qu'il serait à désirer que le véritable esprit philosophique et les vrais principes de la Constitution eussent fait assez de progrès pour que la tolérance la plus absolue couvrît d’un voile tutélaire et pacificateur les diverses opinions religieuses, ainsi que les différents cultes qui en sont la manifestation. » Et plus loin : « Très expresses défenses sont faites, au nom de la Loi, de la Patrie et de l’Honnêteté, à tous citoyens, de se porter à aucunes insultes, maltraitements, pillages ou tous autres excès envers aucunes personnes, soit pour raisons de diversité d’opinions politiques ou religieuses, sous peine d’être poursuivi comme coupable de violation des droits de l’homme et du citoyen… »
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des droits de l’homme et du citoyen… »
 
 
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Ce jour-là, la Municipalité, suivie de la Garde nationale, avait amené sur le lieu de l’émeute le drapeau rouge, mais n’eut pas à le déployer.Le
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drapeau rouge était alors le drapeau de l’ordre. Voici ce que dit à ce sujet Laurent Esnault, l’avocat de Caen, dans ses Mémoires : « L’Assemblée Nationale avait décrété la manière de faire usage du drapeau rouge dans les insurrections populaires : la municipalité du lieu, accompagnée de la force armée, se transportait à l’endroit du rassemblement tumultueux, avec le drapeau rouge dans un étui ; après trois proclamations, si les perturbateurs ne se dispersaient pas, on déployait le drapeau rouge et l’on donnait l’ordre de faire feu… »
 
 
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Les Souvenirs de Mme de Maromme sont malheureusement entachés d’erreurs. Ainsi elle dit : « Mme de Belzunce survécut peu à son neveu. » Or elle était morte deux ans avant
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le vicomte de Belzunce. Parlant du père de Charlotte : « Le vieux gentilhomme, assure-t-elle, était royaliste jusqu’à la moelle des os. » Or les différents écrits laissés par M. de Corday d’Armont, c’est-à-dire ses Mémoires aux Assemblées provinciales, ses deux Mémoires sur le Droit d’aînesse, ses Principes de Gouvernement, attestent son libéralisme.
 
 
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Aussi n’ai-je pas cru devoir introduire dans mon récit l’anecdote, souvent reproduite, du dîner chez Mme de Bretteville. Là encore, l’erreur et la vérité doivent s’entremêler. Ainsi, Mme de Maromme place ce diner à la Saint-Michel 1791, c’est-à-dire le 29 septembre. Et elle fait passer sous les fenêtres, pendant ce repas, le cortège de l’entrée solennelle de l’évêque Fauchet. Or, cette entrée solennelle eut lieu le 11 mai. Et, d’après les Mémoires de
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Laurent Esnault, Fauchet partit précisément pour Paris le 28 septembre.
 
 
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Si les souvenirs de Mme de Maromme sont parfois inexacts dans le détail, ils sont certainement d’une couleur véridique dans l’ensemble, on sent, par exemple, que ce portrait de
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Charlotte Corday est ressemblant : « Elle était d’une blancheur éblouissante et de la plus éclatante fraîcheur. Son teint avait la transparence du lait, l’incarnat de la rose et le velouté de la pêche. Le tissu de la peau était d’une rare finesse : on croyait voir circuler le sang sous un pétale de lis. Elle rougissait avec une facilité extrême et devenait alors vraiment ravissante. Ses yeux, légèrement voilés, étaient bien fendus et très beaux ; son menton, un peu proéminent, ne nuisait pas à un ensemble charmant et plein de distinction. L’expression de ce beau visage était d’une douceur ineffable, ainsi que le son de sa voix. Jamais on n’entendit un organe plus harmonieux, plus enchanteur ; jamais on ne vit un regard plus angélique et plus pur, un sourire plus attrayant. Ses cheveux châtain clair s’accordaient parfaitement avec son visage ; enfin, c'était une femme superbe. »
 
 
Lorsque Mlle Levaillant eut quitté Caen pour Rouen, Charlotte Corday lui écrivit une douzaine de lettres. Sa mère voulut les brûler, par prudence, à la mort de Marat. Deux d’entre elles ont échappé à la destruction. Casimir Périer les a publiées à la suite des Souvenirs de Mme de Maromme. Elles sont surtout intéressantes par leur naturel. On entend parler Charlotte.
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par leur naturel. On entend parler Charlotte.
 
 
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Vous me demandez des nouvelles ; à présent, mon cœur, il n’y en a plus dans notre ville ; les âmes sensibles sont ressuscitées et parties ; les malédictions que vous avez proférées contre notre ville font leur effet ; s’il n’y a pas d'herbe dans les rues, c’est que la saison n’en est pas venue. Les Faudoas sont partis, et même une partie de leurs meubles. M. de Cussy a la garde des drapeaux ; il épouse un
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peu Mlle Fleuriot. Avec cette désertion générale, nous sommes fort tranquilles et, moins il y aura de monde, moins il y aura de danger d’insurrection.…
 
 
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Mon frère est parti, il y a quelques jours, pour augmenter le nombre des chevaliers errants ; ils pourront rencontrer à leur chemin des
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moulins à vent. Je ne saurais penser, comme vos fameux aristocrates, qu’on fera une entrée triomphante sans combattre, d’autant que l’armement de la nation est formidable ; je veux bien que les gens qui sont pour eux ne soient pas disciplinés ; mais cette idée de liberté donne quelque chose qui ressemble au courage, et d’ailleurs le désespoir peut encore les servir ; je ne suis donc pas tranquille, et de plus quel est Le sort qui nous attend ? Un despotisme épouvantable, si l’on parvient à renchaîner le peuple. C’est donc tomber de Charybde en Scylla, il nous faudra toujours souffrir.
 
 
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Je reçois toujours avec un nouveau plaisir, ma belle amie, les témoignages de votre amitié ; mais ce qui m'afflige, c’est que vous soyez indisposée. Il paraîtrait que c’est une suite de la petite vérole. Il faut vous ménager.
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la petite vérole. Il faut vous ménager.
 
 
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Ceux de Verson avaient, le jour de Pâques, insulté un national et même sa cocarde : c’est insulter un âne jusque dans sa bride. Là-dessus, délibérations tumultueuses : on force les corps administratifs à permettre le départ de Caen, dont les préparatifs durèrent jusqu’à deux heures et demie. Ceux de Verson, avertis du matin, crurent qu’on se moquait d’eux. Enfin le curé eut le temps de se sauver, en laissant dans le chemin une personne morte dont on faisait l’enterrement. Vous savez que ceux qui étaient là et qui ont été pris sont l’abbé Adam et de La Pallue, chanoine du Sépulcre, un curé étranger et un jeune abbé de la paroisse : les femmes sont la mère de l’abbé Adam, la sœur du curé, et puis le maire de la paroisse. Ils n’ont été que quatre jours en prison. Un
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paysan, interrogé par les municipaux : « Êtes-vous patriote ? — Hélas! oui, messieurs, je le suis ! Tout le monde sait que j’ai mis le premier à l’enchère sur les biens du clergé, et vous savez bien, messieurs, que les honnêtes gens n’en voulaient pas. » Je ne sais si un homme d'esprit eût mieux répondu que cette pauvre bête, mais les juges même, malgré leur gravité, eurent envie de sourire.
 
 
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Ne parlons plus d’eux. Toutes les personnes dont vous me parlez sont à Paris. Aujourd’hui le reste de nos honnêtes gens partent pour Rouen, et nous restons presque seules. Que voulez-vous, à l'impossible nul n’est tenu. J'aurais été charmée à tous égards que nous eussions pris domicile dans votre pays, d’autant qu’on nous menace d’une très prochaine insurrection. On ne meurt qu’une fois et ce qui me rassure contre les horreurs de notre situation,
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c’est que personne ne perdra en me perdant, à moins que vous ne comptiez à quelque chose ma tendre amitié. Vous serez peut être surprise, mon cœur, de voir mes craintes : vous les partageriez, j’en suis sûre, si vous étiez ici. On pourra vous dire en quel état est notre ville et comment les esprits fermentent.
 
 
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Le journal de Marat s’est appelé l’Ami du Peuple,
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puis le Journal de la République à partir du 26 septembre 92, et enfin le Publiciste de la République Française, à partir du 14 mars 93.
 
 
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C’est pendant sa détention au château de Caen, dit-on, que le conventionnel Romme ébaucha son calendrier républicain. Cet ouvrage fut achevé par Fabre d’Églantine. Lalande y aurait également collaboré. Une
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grande Revue fut annoncée par voie d'affiches. (Page 96.)
 
 
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Je t’adresse, mon cher et bon ami, quelques ouvrages intéressants qu'il faut répandre. L'
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ouvrage de Salle, sur la Constitution, est celui qui, dans ce moment, produira le plus grand effet ; je t’en enverrai par la première occasion bon nombre d’exemplaires.
 
 
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DISTRICT DE CAEN
 
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Laissez passer la citoyenne Marie Corday, native du Mesnil-Imbert ; domiciliée à Caen, municipalité de Caen, département du Calvados, âgée de 24 ans, taille cinq pieds un pouce, cheveux et sourcils châtains, yeux gris, front élevé, nez long, bouche moyenne, menton rond, fourchu, visage ''ovale.''
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ENSUELLARD, Officier municipal. Les nouvelles arcades du Palais-Royal. (Page 114.)
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nouvelles arcades du Palais-Royal. (Page 114.)
 
 
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Les belles qualités de Mademoiselle Simonne Evrard
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ayant captivé mon cœur dont elle a reçu l’hommage, je lui laisse pour gage de ma foi, pendant le voyage que je vais faire à Londres, l’engagement sacré de lui donner ma main immédiatement après mon retour; si toute ma tendresse ne lui suffisait pas pour garant de ma fidélité, que l’oubli de cet engagement me couvre d’infamie.
 
 
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Cependant, elle passait pour sa sœur dans leur entourage. Ainsi le commissionnaire Laurent Bas, dans ses interrogatoires, ses déclarations, ses récits, parle toujours de « la sœur ». Après le drame, elle devint « la veuve Marat ». Un des frères, les deux sœurs de Marat, tinrent même à reconnaître publiquement cette union, à marquer leur gratitude à la jeune femme. Ils communiquèrent au Journal de la Montagne cette déclaration qui parut le 26 août 93 : « Quoique déjà convaincus des importants services rendus par la citoyenne Evrard au citoyen Marat, son époux, nous avons cru nécessaire, pour donner à cet acte toute l’authenticité qu’exige notre reconnaissance,
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d’appeler en témoignage les personnes qui ont connu la situation où était réduit notre frère par les sacrifices qu’il avait faits pour coopérer à la Révolution.
 
 
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D’après la tradition, Charlotte, avant de retourner chez Marat, se serait fait coiffer et « mettre un doigt de poudre » à l’Hôtel de la Providence par le coiffeur Férieux. Il aurait même vu le couteau traîner sur la cheminée. Je n’ai pas retenu cette anecdote dans mon récit, parce qu’elle me paraît douteuse. D’abord beaucoup de gens ont faussement cru voir Charlotte à Paris : l’employé Hénoque, la
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femme Lebourgeois. Surtout, la patronne et le garçon de l’hôtel ont signalé les moindres faits et gestes de Charlotte, les visites qu’elle a reçues ; ils ont minutieusement décrit l’aspect, le costume de Lauze de Perret : il n’ont pas parlé de Férieux.
 
 
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Comment expliquer cette troisième visite, acceptée par tant d'écrivains ? À mon avis, elle a été inventée par la portière, la femme Pain, pour se couvrir, pour dégager sa responsabilité. Dans une première visite, par elle imaginée, cette femme aurait carrément refusé l’accès même de la maison à la jeune fille, qui n'
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aurait franchi le seuil à son insu qu’au deuxième essai.
 
 
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Charlotte Corday, en quittant le domicile de Marat, fut-elle conduite au Comité de Sûreté
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générale afin d’y subir un nouvel interrogatoire, avant d’être incarcérée à la prison de l’Abbaye ? Les avis sont partagés.
 
 
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Mais voici la preuve capitale à mon sens. Drouet, comme délégué du Comité de Sûreté générale, s’est transporté chez Marat, puis il a conduit Charlotte Corday à l’Abbaye. À la Convention, le 14 juillet, il rend compte de sa mission. Il succède à la tribune à Chabot, qui à raconté ce qu’il a vu chez Marat. Drouet débute ainsi : « Je ne parlerai pas de ce qui s’est passé chez Marat. J’ai conduit l’assassin à l'Abbaye… » Il rapporte la fureur du peuple, les mots qu’il a prononcés pour l’apaiser. À aucun moment il n’est question d’une halte, d’un nouvel interrogatoire. Évidemment, le fiacre a été droit de la rue des Cordeliers (actuellement rue de l’École-de-Médecine) à Saint-Germain-des-Prés. Il n’a pas fait le long détour des Tuileries, où siégeait le Comité de Sûreté générale. Tous ses vêtements avaient été saisis. (Page 130.)
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ses vêtements avaient été saisis. (Page 130.)
 
 
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«Et attendu que les dits effets sont les seuls étant dans la dite chambre, les avons pliés dans une serviette ouvrée, marquée de la lettre B, que nous avons aussi trouvée dans la dite chambre, et sur lequel paquet nous avons apposé notre cachet de commissaire, en deux endroits, pour être transmis au département de police. » Le
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16 juillet, un garçon de la mairie apporta ce paquet au Greffe de la Conciergerie. Ce dépôt fut enregistré en ces termes :
 
 
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« Vous avez désiré, citoyen, le détail de mon voyage. Je ne vous ferai point grâce de la moindre anecdote. J’étais avec de bons Montagnards que je laissai parler tout leur content,et
« Vous avez désiré, citoyen, le détail de mon voyage. Je ne vous ferai point grâce de la moindre anecdote. J’étais avec de bons Montagnards que je laissai parler tout leur content,et leurs propos aussi sots que leurs personnes étant désagréables, ne servirent pas peu à m’endormir ; je ne me réveillai pour ainsi dire qu'à Paris. Un de nos voyageurs, qui aime sans doute les femmes dormantes, me prit pour la fille d’un de ses anciens amis, me supposa une fortune que je n’ai pas, me donna un nom que je n’avais jamais entendu, et enfin m'offrit sa fortune et sa main. Quand je fus ennuyée de ses propos : Nous jouons parfaitement la comédie, lui dis-je, il est malheureux avec autant de talent de n’avoir point de spectateurs ; je vais chercher nos compagnons de voyage, pour qu’ils prennent leur part du divertissement. Je le laissai de bien mauvaise humeur. La nuit, il chanta des chansons plaintives, propres à exciter le sommeil ; je le quittai enfin à Paris, refusant de lui donner mon adresse ni celle de mon père à qui il voulait me demander ; il me quitta de bien mauvaise humeur. j’ignorais que ces messieurs eussent interrogé les voyageurs, et je soutins ne les connaître aucuns pour ne point leur donner le désagrément de s’expliquer. Je suivais en cela mon oracle Raynal, qui dit qu’on ne doit pas la vérité à ses tyrans. C’est par la voyageuse qui était avec moi que l’on a su que je vous connaissais et que j'avais parlé à Duperret. Vous connaissez l’âme ferme de Duperret, il leur a répondu l’exacte vérité. J’ai confirmé sa déposition par la mienne ; il n’y a rien contre lui, mais sa fermeté est un crime. Je craignais, je l’avoue, qu’on ne découvrit que je lui avais parlé ; je m’en repentis trop tard ; je voulus le réparer en l’engageant à vous aller retrouver ; il est trop décidé pour se laisser engager. Sûre de son innocence et de celle de tout le monde, je me décidai à l’exécution de mon projet. Le croiriez-vous, Fauchet est en prison comme mon complice, lui qui ignorait mon existence ; mais on n'est guère content de n’avoir qu’une femme sans conséquence à offrir aux mânes de ce grand homme. Pardon, ô humains, ce mot déshonore votre espèce ; c'était une bête féroce qui allait dévorer le reste de la France par le feu de la guerre civile. Maintenant, vive la Paix ! Grâce au ciel, il n’était pas né Français. Quatre membres se trouvèrent à mon premier interrogatoire ; Chabot avait l’air d’un fou. Legendre voulait m’avoir vue le matin chez lui ; moi qui n’ai jamais songé à cet homme, je ne lui crois pas d’assez grands moyens pour être le tyran de son pays et je ne prétendais pas punir tant de monde. Tous ceux qui me voyaient pour la première fois prétendaient me connaître de longtemps. Je crois que l’on a imprimé les dernières paroles de Marat ; je doute qu'il en ait proféré ; mais voilà les dernières qu'il m'a dites. Après avoir écrit vos noms à tous, et ceux des administrateurs du Calvados qui sont à Évreux, il me dit, pour me consoler, que dans peu de jours il vous ferait tous guillotiner à Paris. Ces derniers mots décidèrent de son sort. Si le département met sa figure vis-à-vis celle de Saint-Fargeau, il pourra faire graver ses paroles en lettres d’or. Je ne vous ferai aucun détail sur ce grand événement, les journaux vous en parleront. J’avoue que ce qui m’a décidée tout à fait, c’est le courage avec lequel nos volontaires se sont enrôlés dimanche 7 juillet, vous vous souvenez comme j’en étais charmée, et je me promettais bien de faire repentir Pétion des soupçons qu’il manifesta sur mes sentiments. « Est-ce que vous seriez fâchée s’ils ne partaient pas ? » me dit-il. Enfin donc j’ai considéré que tant de braves gens venant pour avoir la tête d’un seul homme qu’ils auraient manqué ou qui aurait entraîné dans sa perte beaucoup de bons citoyens, il ne méritait pas tant d'honneur, suffisait de la main d’une femme. J’avoue que j’ai employé un artifice perfide pour l’attirer à me recevoir ; tous les moyens sont bons dans une telle circonstance. Je comptais en partant de Caen le sacrifier sur la cime de sa Montagne ; mais il n’allait plus à la Convention. Je voudrais avoir conservé votre lettre ; on aurait mieux connu que je n’avais pas de complice ; enfin, cela s’éclaircira. Nous sommes si bons républicains à Paris que l’on ne conçoit pas comment une femme inutile dont la plus longue vie serait bonne à rien, peut se sacrifier de sang-froid pour sauver tout son pays. Je m'attendais bien à mourir dans l'instant ; des hommes courageux et vraiment au-dessus de tout éloge m'ont préservée de la fureur bien excusable des malheureux que j'avais faits. Comme j'étais vraiment de sang-froid, je souffris des cris de quelques femmes ; mais qui sauve la Patrie ne s’aperçoit point de ce qu'il en coûte. Puisse la Paix s’établir aussitôt que je la désire ; voilà un grand préliminaire, sans cela, nous ne l’aurions jamais eue. Je jouis délicieusement de la Paix depuis deux jours ; le bonheur de mon pays fait le mien. Il n’est point de dévouement dont on ne retire plus de jouissance qu’il n’en coûte de s’y décider. Je ne doute pas que l’on ne tourmente un peu mon père qui a déjà bien assez de ma perte pour l’affliger. Si l’on y trouve mes lettres, la plupart sont 95 portraits. S'il s’y trouvait quelques plaisanteries sur votre compte, je vous prie de me les passer ; je suivais la légèreté de mon caractère. Dans ma dernière lettre je lui faisais croire que, redoutant les horreurs de la guerre civile, je me retirais en Angleterre. Alors mon projet était de garder l’incognito, de tuer Marat publiquement et mourant aussitôt, laisser les Parisiens chercher inutilement mon nom. Je vous prie, citoyen, vous et vos collègues, de prendre la défense de mes parents et amis si on les inquiète ; je ne dis rien à mes chers amis Aristocrates, je conserve leur souvenir dans mon cœur. Je n’ai jamais haï qu’un seul être et j’ai fait voir avec quelle violence ; mais il en est mille que j'aime encore plus que je ne le haïssais. Une imagination vive, un cœur sensible, promettent une vie bien orageuse ; je prie ceux qui me regretteraient de le considérer et ils se réjouiront de me voir jouit du repos dans les Champs-Elysées avec Brutus et quelques anciens. Pour les modernes, il est peu de vrais patriotes qui sachent mourir pour leur pays; presque tout est égoïsme. Quel triste peuple pour fonder une République. Il faut du moins fonder la Paix et le gouvernement viendra comme il pourra ; du moins ce ne sera pas la Montagne qui régnera si l’on m'en croit. Je suis on ne peut mieux dans ma prison ; les concierges sont les meilleurs gens possible. On m’a donné des gens d’armes pour me préserver de l’ennui : j’ai trouvé cela fort bien pour le jour et fort mal pour la nuit. Je me suis plainte de cette indécence, le Comité n’a pas jugé à propos d’y faire attention. Je crois que c’est de l’invention de Chabot, il n’y a qu’un capucin qui puisse avoir de telles idées. Je passe mon temps à écrire des chansons, je donne le dernier couplet de celle de Valady à tous ceux qui le veulent. Je promets à tous les Parisiens que nous ne prenons les armes que contre l’anarchie, ce qui est exactement vrai.
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leurs propos aussi sots que leurs personnes étant désagréables, ne servirent pas peu à m’endormir ; je ne me réveillai pour ainsi dire qu'à Paris. Un de nos voyageurs, qui aime sans doute les femmes dormantes, me prit pour la fille d’un de ses anciens amis, me supposa une fortune que je n’ai pas, me donna un nom que je n’avais jamais entendu, et enfin m'offrit sa fortune et sa main. Quand je fus ennuyée de ses propos : Nous jouons parfaitement la comédie, lui dis-je, il est malheureux avec autant de talent de n’avoir point de spectateurs ; je vais chercher nos compagnons de voyage, pour qu’ils prennent leur part du divertissement. Je le laissai de bien mauvaise humeur. La nuit, il chanta des chansons plaintives, propres à exciter le sommeil ; je le quittai enfin à Paris, refusant de lui donner mon adresse ni celle de mon père à qui il voulait me demander ; il me quitta de bien mauvaise humeur. j’ignorais que ces messieurs eussent interrogé les voyageurs, et je soutins ne les connaître aucuns pour ne point leur donner le désagrément de s’expliquer. Je suivais en cela mon oracle Raynal, qui dit qu’on ne doit pas la vérité à ses tyrans. C’est par la voyageuse qui était avec moi que l’on a su que je vous
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connaissais et que j'avais parlé à Duperret. Vous connaissez l’âme ferme de Duperret, il leur a répondu l’exacte vérité. J’ai confirmé sa déposition par la mienne ; il n’y a rien contre lui, mais sa fermeté est un crime. Je craignais, je l’avoue, qu’on ne découvrit que je lui avais parlé ; je m’en repentis trop tard ; je voulus le réparer en l’engageant à vous aller retrouver ; il est trop décidé pour se laisser engager. Sûre de son innocence et de celle de tout le monde, je me décidai à l’exécution de mon projet. Le croiriez-vous, Fauchet est en prison comme mon complice, lui qui ignorait mon existence ; mais on n'est guère content de n’avoir qu’une femme sans conséquence à offrir aux mânes de ce grand homme. Pardon, ô humains, ce mot déshonore votre espèce ; c'était une bête féroce qui allait dévorer le reste de la France par le feu de la guerre civile. Maintenant, vive la Paix ! Grâce au ciel, il n’était pas né Français. Quatre membres se trouvèrent à mon premier interrogatoire ; Chabot avait l’air d’un fou. Legendre voulait m’avoir vue le matin chez lui ; moi qui n’ai jamais songé à cet homme, je ne lui crois pas d’assez grands moyens pour être le tyran de son pays et je ne prétendais pas punir
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tant de monde. Tous ceux qui me voyaient pour la première fois prétendaient me connaître de longtemps. Je crois que l’on a imprimé les dernières paroles de Marat ; je doute qu'il en ait proféré ; mais voilà les dernières qu'il m'a dites. Après avoir écrit vos noms à tous, et ceux des administrateurs du Calvados qui sont à Évreux, il me dit, pour me consoler, que dans peu de jours il vous ferait tous guillotiner à Paris. Ces derniers mots décidèrent de son sort. Si le département met sa figure vis-à-vis celle de Saint-Fargeau, il pourra faire graver ses paroles en lettres d’or. Je ne vous ferai aucun détail sur ce grand événement, les journaux vous en parleront. J’avoue que ce qui m’a décidée tout à fait, c’est le courage avec lequel nos volontaires se sont enrôlés dimanche 7 juillet, vous vous souvenez comme j’en étais charmée, et je me promettais bien de faire repentir Pétion des soupçons qu’il manifesta sur mes sentiments. « Est-ce que vous seriez fâchée s’ils ne partaient pas ? » me dit-il. Enfin donc j’ai considéré que tant de braves gens venant pour avoir la tête d’un seul homme qu’ils auraient manqué ou qui aurait entraîné dans sa perte beaucoup de bons citoyens, il ne méritait pas tant
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d'honneur, suffisait de la main d’une femme. J’avoue que j’ai employé un artifice perfide pour l’attirer à me recevoir ; tous les moyens sont bons dans une telle circonstance. Je comptais en partant de Caen le sacrifier sur la cime de sa Montagne ; mais il n’allait plus à la Convention. Je voudrais avoir conservé votre lettre ; on aurait mieux connu que je n’avais pas de complice ; enfin, cela s’éclaircira. Nous sommes si bons républicains à Paris que l’on ne conçoit pas comment une femme inutile dont la plus longue vie serait bonne à rien, peut se sacrifier de sang-froid pour sauver tout son pays. Je m'attendais bien à mourir dans l'instant ; des hommes courageux et vraiment au-dessus de tout éloge m'ont préservée de la fureur bien excusable des malheureux que j'avais faits. Comme j'étais vraiment de sang-froid, je souffris des cris de quelques femmes ; mais qui sauve la Patrie ne s’aperçoit point de ce qu'il en coûte. Puisse la Paix s’établir aussitôt que je la désire ; voilà un grand préliminaire, sans cela, nous ne l’aurions jamais eue. Je jouis délicieusement de la Paix depuis deux jours ; le bonheur de mon pays fait le mien. Il n’est point de dévouement dont on ne retire plus de jouissance qu’il n’
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en coûte de s’y décider. Je ne doute pas que l’on ne tourmente un peu mon père qui a déjà bien assez de ma perte pour l’affliger. Si l’on y trouve mes lettres, la plupart sont 95 portraits. S'il s’y trouvait quelques plaisanteries sur votre compte, je vous prie de me les passer ; je suivais la légèreté de mon caractère. Dans ma dernière lettre je lui faisais croire que, redoutant les horreurs de la guerre civile, je me retirais en Angleterre. Alors mon projet était de garder l’incognito, de tuer Marat publiquement et mourant aussitôt, laisser les Parisiens chercher inutilement mon nom. Je vous prie, citoyen, vous et vos collègues, de prendre la défense de mes parents et amis si on les inquiète ; je ne dis rien à mes chers amis Aristocrates, je conserve leur souvenir dans mon cœur. Je n’ai jamais haï qu’un seul être et j’ai fait voir avec quelle violence ; mais il en est mille que j'aime encore plus que je ne le haïssais. Une imagination vive, un cœur sensible, promettent une vie bien orageuse ; je prie ceux qui me regretteraient de le considérer et ils se réjouiront de me voir jouit du repos dans les Champs-Elysées avec Brutus et quelques anciens. Pour les modernes, il est peu de vrais patriotes qui sachent mourir pour leur
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pays; presque tout est égoïsme. Quel triste peuple pour fonder une République. Il faut du moins fonder la Paix et le gouvernement viendra comme il pourra ; du moins ce ne sera pas la Montagne qui régnera si l’on m'en croit. Je suis on ne peut mieux dans ma prison ; les concierges sont les meilleurs gens possible. On m’a donné des gens d’armes pour me préserver de l’ennui : j’ai trouvé cela fort bien pour le jour et fort mal pour la nuit. Je me suis plainte de cette indécence, le Comité n’a pas jugé à propos d’y faire attention. Je crois que c’est de l’invention de Chabot, il n’y a qu’un capucin qui puisse avoir de telles idées. Je passe mon temps à écrire des chansons, je donne le dernier couplet de celle de Valady à tous ceux qui le veulent. Je promets à tous les Parisiens que nous ne prenons les armes que contre l’anarchie, ce qui est exactement vrai.
 
 
« Ici l’on m'a transférée à la Conciergerie, et ces messieurs du grand jury m'ont promis de vous envoyer ma lettre ; je continue donc. J'ai prêté un long interrogatoire ; je vous prie de vous le procurer s’il est rendu public. J’avais une Adresse sur moi, lors de mon arrestation, aux
« Ici l’on m'a transférée à la Conciergerie, et ces messieurs du grand jury m'ont promis de vous envoyer ma lettre ; je continue donc. J'ai prêté un long interrogatoire ; je vous prie de vous le procurer s’il est rendu public. J’avais une Adresse sur moi, lors de mon arrestation, aux Amis de la Paix; je ne puis vous l’envoyer ; j'en demanderai la publication, je crois bien en vain. J'avais eu une idée hier au soir, de faire hommage de mon portrait au département du Calvados ; mais le Comité de Salut Public, à qui je l’avais demandé, ne m’a point répondu ; et maintenant il est trop tard. Je vous prie, Citoyen, de faire part de ma lettre au citoyen Bougon, procureur-général-syndic du département ; je ne la lui adresse pas pour plusieurs raisons. D’abord je ne suis pas sûre que dans ce moment il soit à Évreux ; je crains de plus qu’étant naturellement sensible, il ne soit affligé de ma mort. Je le crois cependant assez bon citoyen pour se consoler par l’espoir de la Paix. Je sais combien il la désire et j'espère qu’en la facilitant, j’ai rempli ses vœux. Si quelques amis demandaient communication de cette lettre, je vous prie de ne la refuser à personne. Il faut un défenseur, c’est la règle. J’ai pris le mien sur la Montagne : c’est Gustave Doulcet. J'imagine qu'il refusera cet honneur. J’ai pensé demander Robespierre ou Chabot. Je demanderai à disposer du reste de mon argent, et alors je l’offre aux femmes et enfants des braves habitants de Caen partis pour délivrer Paris. Il est bien étonnant que le peuple m’ait laissé conduire de l’Abbaye à la Conciergerie. C’est une preuve nouvelle de sa modération. Dites-le à nos bons habitants de Caen ; ils se permettent quelquefois de petites insurrections que l’on ne contient pas si facilement. C’est demain, à huit heures, que l’on me juge ; probablement à midi, j'aurai vécu, pour parler le langage romain. On doit croire à la valeur des habitants du Calvados, puisque les femmes même de ce pays sont capables de fermeté ; au reste, j'ignore comment se passeront les derniers moments et c’est la fin qui couronne l’œuvre. Je n’ai point besoin d’affecter d’insensibilité sur mon sort, car jusqu'à cet instant je n'ai pas la moindre crainte de la mort. Je n’estimai jamais la vie que par l'utilité dont elle devait être. J'espère que demain Duperret et Fauchet seront mis en liberté ; on prétend que ce dernier m’a conduite à la Convention, dans une tribune. De quoi se mêle-t-il d’y conduire des femmes ? Comme député, il ne devait point être aux tribunes, et comme évêque il ne devait point être avec des femmes. Ainsi, c’est une petite correction ; mais Duperret n’a aucun reproche à se faire. Marat n'ira point au Panthéon ; il le méritait pourtant bien. Je vous charge de recueillir les pièces propres à faire son oraison funèbre. J'espère que vous n’abandonnerez point l’affaire de Mlle Forbin ; voici son adresse s’il est besoin de lui écrire : Alexandrine Forbin à Mandresie, par Zurich en Suisse. Je vous prie de lui dire que je l’aime de tout mon cœur, Je vais écrire un mot à Papa ; je ne dis rien à nos autres amis ; je ne leur demande qu’un prompt oubli, leur affliction déshonorerait ma mémoire. Dites au général Wimpffen que je crois lui avoir aidé à gagner plus d’une bataille, en facilitant la Paix. Adieu citoyen : je me recommande au souvenir des vrais Amis de la Paix.
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Amis de la Paix; je ne puis vous l’envoyer ; j'en demanderai la publication, je crois bien en vain. J'avais eu une idée hier au soir, de faire hommage de mon portrait au département du Calvados ; mais le Comité de Salut Public, à qui je l’avais demandé, ne m’a point répondu ; et maintenant il est trop tard. Je vous prie, Citoyen, de faire part de ma lettre au citoyen Bougon, procureur-général-syndic du département ; je ne la lui adresse pas pour plusieurs raisons. D’abord je ne suis pas sûre que dans ce moment il soit à Évreux ; je crains de plus qu’étant naturellement sensible, il ne soit affligé de ma mort. Je le crois cependant assez bon citoyen pour se consoler par l’espoir de la Paix. Je sais combien il la désire et j'espère qu’en la facilitant, j’ai rempli ses vœux. Si quelques amis demandaient communication de cette lettre, je vous prie de ne la refuser à personne. Il faut un défenseur, c’est la règle. J’ai pris le mien sur la Montagne : c’est Gustave Doulcet. J'imagine qu'il refusera cet honneur. J’ai pensé demander Robespierre ou Chabot. Je demanderai à disposer du reste de mon argent, et alors je l’offre aux femmes et enfants des braves habitants de Caen partis pour délivrer Paris. Il est bien étonnant
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que le peuple m’ait laissé conduire de l’Abbaye à la Conciergerie. C’est une preuve nouvelle de sa modération. Dites-le à nos bons habitants de Caen ; ils se permettent quelquefois de petites insurrections que l’on ne contient pas si facilement. C’est demain, à huit heures, que l’on me juge ; probablement à midi, j'aurai vécu, pour parler le langage romain. On doit croire à la valeur des habitants du Calvados, puisque les femmes même de ce pays sont capables de fermeté ; au reste, j'ignore comment se passeront les derniers moments et c’est la fin qui couronne l’œuvre. Je n’ai point besoin d’affecter d’insensibilité sur mon sort, car jusqu'à cet instant je n'ai pas la moindre crainte de la mort. Je n’estimai jamais la vie que par l'utilité dont elle devait être. J'espère que demain Duperret et Fauchet seront mis en liberté ; on prétend que ce dernier m’a conduite à la Convention, dans une tribune. De quoi se mêle-t-il d’y conduire des femmes ? Comme député, il ne devait point être aux tribunes, et comme évêque il ne devait point être avec des femmes. Ainsi, c’est une petite correction ; mais Duperret n’a aucun reproche à se faire. Marat n'ira point au Panthéon ; il le méritait pourtant bien. Je vous
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charge de recueillir les pièces propres à faire son oraison funèbre. J'espère que vous n’abandonnerez point l’affaire de Mlle Forbin ; voici son adresse s’il est besoin de lui écrire : Alexandrine Forbin à Mandresie, par Zurich en Suisse. Je vous prie de lui dire que je l’aime de tout mon cœur, Je vais écrire un mot à Papa ; je ne dis rien à nos autres amis ; je ne leur demande qu’un prompt oubli, leur affliction déshonorerait ma mémoire. Dites au général Wimpffen que je crois lui avoir aidé à gagner plus d’une bataille, en facilitant la Paix. Adieu citoyen : je me recommande au souvenir des vrais Amis de la Paix.
 
 
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Sur son passage dans cette prison, j’ai trouvé dans les dossiers Vatel, en trois endroits, la trace
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d’une anecdote pourtant peu répandue. Dans un couloir obscur, Charlotte aurait marché sur la patte d’un petit chat. La bête ayant miaulé de douleur, Charlotte se serait écriée : « Ah ! cela me fait plus de peine que d’avoir tué Marat! » Il y a là un effet de contraste facile, qui rend le trait suspect.
 
 
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« J’ai l'honneur de vous faire part que Marie Anne-Charlotte Corday, prévenue d’assassinat en la personne de Marat, vous a choisi pour son conseil, nonobstant l’observation qui lui a été faite, tant par le président que par moi, qu’un député ne pouvait pas être son conseil, attendu qu'il était obligé à son poste ; mais nommé je dois vous en faire part et que la cause
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est indiquée à demain huit heures précises ; je vous observe de plus que, prévoyant qu’il serait possible que vos affaires ne vous permissent pas de vous rendre à cette invitation, j’ai fait nommer un conseil-adjoint.
 
 
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Parmi ces jurés figurait le magistrat Fualdès, qui fut assassiné en 1817. Cette retentissante affaire est toujours restée mystérieuse. Une légende est née : Fualdès se serait engagé à sauver ou à faire évader Charlotte Corday ; n’ayant point tenu sa promesse, il aurait payé de sa mort, vingt-quatre ans plus tard, cette sorte de trahison. C’est bien invraisemblable. Montané fit d'ailleurs confusion. (Page 143.)
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d'ailleurs confusion. (Page 143.)
 
 
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Un conservateur de musée à qui je soumettais cette remarque, me dit spirituellement : « C’est un faux en peinture publique. » Le
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peintre se nommait Jean-Jacques Hauer. (Page 150.)
 
 
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Marie-Anne-Charlotte Corday, peinte d’après nature, allant au supplice, par Brard. Et ces deux vers, sur une bande de papier :
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ces deux vers, sur une bande de papier :
 
 
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J'ai retrouvé dans les papiers d’Anatole France des coupures de journaux de 1890, annotées par lui et toutes relatives à ce crâne, depuis le massif article du Temps jusqu’à la légère fantaisie de la Vie parisienne. Retenons simplement
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ce symbole de la curiosité qu’inspirait encore, après un siècle, la mémoire de Charlotte Corday.
 
 
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Lorsque Ponsard fit représenter à la Comédie-Française, le 23 mars 1850, sa Charlotte Corday, un critique dramatique qui signait Th. de B… écrivit sans ambages : « Si la petite-fille de Corneille eût été épouse et mère, le jeune et beau sang qui inondait son cerveau et son cœur, et la rendait folle de fanatisme, eût gonflé des mamelles fécondes et nourri de beaux enfants, pareils à celui qu’elle embrassait
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en pleurant dans le Palais-Royal…Les anges qui parlaient à l’oreille de l’héroïne de Vaucouleurs, c’étaient les mêmes que ceux qui conseillaient l’assassinat à Charlotte Corday ; c’étaient sa jeunesse, sa vie et son sang révoltés… Ce qu’il y a de plus monstrueux dans la gloire et dans l’ignominie des deux martyres, c'est cette virginité dont nos lois sauvages font un devoir. »
 
 
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J’ai longuement réfléchi sur cette question. Je crois avoir été des premiers, dans le roman, à étudier le retentissement de la vie sexuelle sur la vie tout court. Six ouvrages… Je le rappelle sans fausse modestie et peut-être opportunément, car beaucoup de ceux qui devraient s’en souvenir semblent l’avoir oublié. En tout cas, cela me donne le droit de vote. Mon opinion s’est lentement formée : je ne crois pas que la chasteté retentisse profondément sur la santé morale. Ceux qui s’y tiennent s’en accommodent impunément. Un cloître n’est pas plus fou qu’un harem. Il y a des modes pour la science comme pour le vêtement ;
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aujourd'hui, la vie sexuelle est tout ; demain, elle ne sera rien. La vérité est médiane.
 
 
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« O saintes âmes, dévouées à une idée, pardonnez-
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nous. Nous sentons que votre seule apparition suffit à rendre la race humaine plus estimable et à la compenser du trop grand nombre de ceux dont les jouissances grossières sont l’unique but ! »