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susceptibles d’une solution rigoureuse, qui s’impose comme une vérité démontrée. Tout ce que l’on peut se proposer, en pareille matière, c’est de faire voir que l’hypothèse pour laquelle on se prononce est encore celle qui offre le moins de difficultés, celle qui est le mieux d’accord avec l’ensemble des faits sur lesquels a pu porter l’observation, et avec ce que l’on sait des lois auxquelles est soumis le développement de l’esprit. Sans doute, ce n’est qu’au prix d’un puissant effort pour nous détacher de toutes nos habitudes et pour sortir de nous-mêmes que nous arrivons à admettre cette conception d’un poète illettré composant de tête un poème qui, si large que l’on fasse la part aux interpolations, devait bien avoir, de premier jet, au moins dix mille vers. Ce qui ajoute à notre embarras, c’est que ce poème a certains des caractères de ces œuvres savantes qui viennent, vers le moment où s’achève un mouvement littéraire, faire oublier, par l’harmonie de leurs proportions et par la perfection de leur forme, tous les essais antérieurs, tous ces ouvrages d’où elles ont tiré les élémens de la langue qu’elles emploient, des idées qu’elles expriment et des personnages qu’elles créent. Un pareil phénomène déconcerte et surprend la critique ; elle a peine à s’expliquer cette alliance d’une naïveté si sincère et d’un art si consommé ; elle comprend mal comment ce poète, chez qui la pensée a des teintes d’aurore et qui a pris la première fleur de tous les sentimens humains, est en même temps un maître d’une habileté si prodigieuse, un maître que l’on imitera désormais sans l’égaler.
{{tiret2|suscep|tibles}} d’une solution rigoureuse, qui s’impose comme une vérité démontrée. Tout ce que l’on peut se proposer, en pareille matière, c’est de faire voir que l’hypothèse pour laquelle on se prononce est encore celle qui offre le moins de difficultés, celle qui est le mieux d’accord avec l’ensemble des faits sur lesquels a pu porter l’observation, et avec ce que l’on sait des lois auxquelles est soumis le développement de l’esprit. Sans doute, ce n’est qu’au prix d’un puissant effort pour nous détacher de toutes nos habitudes et pour sortir de nous-mêmes que nous arrivons à admettre cette conception d’un poète illettré composant de tête un poème qui, si large que l’on fasse la part aux interpolations, devait bien avoir, de premier jet, au moins dix mille vers. Ce qui ajoute à notre embarras, c’est que ce poème a certains des caractères de ces œuvres savantes qui viennent, vers le moment où s’achève un mouvement littéraire, faire oublier, par l’harmonie de leurs proportions et par la perfection de leur forme, tous les essais antérieurs, tous ces ouvrages d’où elles ont tiré les élémens de la langue qu’elles emploient, des idées qu’elles expriment et des personnages qu’elles créent. Un pareil phénomène déconcerte et surprend la critique ; elle a peine à s’expliquer cette alliance d’une naïveté si sincère et d’un art si consommé ; elle comprend mal comment ce poète, chez qui la pensée a des teintes d’aurore et qui a pris la première fleur de tous les sentimens humains, est en même temps un maître d’une habileté si prodigieuse, un maître que l’on imitera désormais sans l’égaler.


Nous ne nous dissimulons pas ce qu’il y a là d’insolite et d’étrange ; nous croyons pourtant avoir montré que l’Homère multiple et flottant de Wolf et de ses continuateurs est encore plus invraisemblable que l’Homère de la tradition, ou tout au moins que celui dont nous avons entrevu l’image et dessiné le rôle. ''L’Iliade'' telle que nous la connaissons reste, il est vrai, quelque chose d’unique en son genre, une sorte de miracle du génie poétique de la Grèce ; mais, après tout, elle est moins inexplicable qu’une ''Iliade'' à laquelle je ne sais combien de poètes auraient mis la main, et qui se serait, pour ainsi dire, faite toute seule, ou que celle des commissaires de Pisistrate, que ''l’Iliade'' par une ''Société de gens de lettres'', comme disait Sainte-Beuve. Toutes ces théories, qui n’éclairent rien et qui ne font que rendre les ténèbres plus épaisses, n’ont de spécieux que leur partie négative. Ne serait-il pas sage d’en revenir au mot de La Bruyère : « On n’a guère vu jusqu’à présent de chef-d’œuvre de l’esprit qui soit l’ouvrage de plusieurs. »
Nous ne nous dissimulons pas ce qu’il y a là d’insolite et d’étrange ; nous croyons pourtant avoir montré que l’Homère multiple et flottant de Wolf et de ses continuateurs est encore plus invraisemblable que l’Homère de la tradition, ou tout au moins que celui dont nous avons entrevu l’image et dessiné le rôle. ''L’Iliade'' telle que nous la connaissons reste, il est vrai, quelque chose d’unique en son genre, une sorte de miracle du génie poétique de la Grèce ; mais, après tout, elle est moins inexplicable qu’une ''Iliade'' à laquelle je ne sais combien de poètes auraient mis la main, et qui se serait, pour ainsi dire, faite toute seule, ou que celle des commissaires de Pisistrate, que ''l’Iliade'' par une ''Société de gens de lettres'', comme disait Sainte-Beuve. Toutes ces théories, qui n’éclairent rien et qui ne font que rendre les ténèbres plus épaisses, n’ont de spécieux que leur partie négative. Ne serait-il pas sage d’en revenir au mot de La Bruyère : « On n’a guère vu jusqu’à présent de chef-d’œuvre de l’esprit qui soit l’ouvrage de plusieurs. »


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GEORGE PERROT.