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à exécution, le départ, annonçaient déjà chez eux un certain esprit aventureux joint à quelque hardiesse et à quelque énergie. Arrivés au lieu de destination, ils se sont trouvés dans une société d’hommes jeunes, énergiques et non moins aventureux qu’eux-mêmes, ils ont entendu parler de grandes fortunes faites, perdues, regagnées, de spéculations hasardeuses qui n’ont réussi qu’à force d’audace et de persévérance ; leurs qualités et leurs penchans naturels se sont rapidement développés dans un tel milieu, et à leur tour ils se sont jetés avec non moins d’audace dans la tourmente des affaires, mettant à l’œuvre pour y réussir le capital qu’ils avaient apporté, jeunesse, activité, intelligence. À des hommes de cette trempe, la prudence doit paraître un défaut dès qu’elle se montre plus hésitante que la spéculation bien raisonnée. Peureux, le vrai type du négociant, c’est le commerçant honnête, réservé, persévérant, intelligent sans doute, mais avant tout hardi ; ils ne recherchent que les affaires nouvelles, laissant volontiers à leurs aînés les sentiers battus ; l’inconnu, loin de les effrayer, exerce sur leur esprit une attraction invincible, et leur semble, jusqu’à un certain point, une garantie de succès. Sur des indices souvent faibles, sur le rapport d’un voyageur ou d’un capitaine dont le navire a été jeté sur une côte non explorée, ils n’hésitent pas à échafauder une affaire sérieuse. En cela, ils n’agissent cependant point à la légère, ils mettent au contraire un grand amour-propre à ne négliger aucun détail propre à contribuer au succès et à diminuer autant que possible les hasards de l’entreprise ; mais ils sont en quelque sorte satisfaits de laisser une large part à la chance et de mettre en pratique l’adage : « qui ne risque rien n’a rien… » Très souvent ces sortes d’affaires échouent et amènent de grandes pertes. Les gens forts, — et on en trouve, toutes proportions gardées, un plus grand nombre dans l’extrême Orient que parmi nous, — supportent ces revers philosophiquement ; loin de se décourager, ils sont prêts à se remettre à l’œuvre le lendemain d’une défaite. En ces derniers temps, cet esprit de spéculation à outrance a produit de véritables désastres financiers ; aussi est-il tombé dans un certain discrédit. L’extrême Orient, grâce à la facilité de relations qui existe depuis quelques années, s’est rapidement européanisé, et l’on commence à y professer le même culte que dans nos vieilles sociétés pour la prudence en matière de négoce. En 1859, il n’en était pas encore ainsi : les grandes maisons de commerce de la Chine disposaient d’immenses capitaux, d’un crédit illimité ; leurs agens étaient confians dans l’avenir et décidés à marcher en avant sans se laisser influencer par les échecs du passé. Aussi l’avis de l’ouverture du Japon au commerce européen fut pour tout ce monde une heureuse nouvelle, et l’on s’empressa d’en tirer tout le parti.
à exécution, le départ, annonçaient déjà chez eux un certain esprit
aventureux joint à quelque hardiesse et à quelque énergie. Arrivés
au lieu de destination, ils se sont trouvés dans une société d’hommes
jeunes, énergiques et non moins aventureux qu’eux-mêmes, ils ont
entendu parler de grandes fortunes faites, perdues, regagnées, de
spéculations hasardeuses qui n’ont réussi qu’à force d’audace et de
persévérance; leurs qualités et leurs penchans naturels se sont rapidement développés dans un tel milieu, et à leur tour ils se sont jetés avec non moins d’audace dans la tourmente des affaires, mettant
à l’œuvre pour y réussir le capital qu’ils avaient apporté, jeunesse,
activité, intelligence. A des hommes de cette trempe, la prudence
doit paraître un défaut dès qu’elle se montre plus hésitante que la
spéculation bien raisonnée. Peureux, le vrai type du négociant, c’est
le commerçant honnête, réservé, persévérant, intelligent sans doute,
mais avant tout hardi; ils ne recherchent que les affaires nouvelles,
laissant volontiers à leurs aînés les sentiers battus; l’inconnu, loin
de les effrayer, exerce sur leur esprit une attraction invincible, et
leur semble, jusqu’à un certain point, une garantie de succès. Sur
des indices souvent faibles, sur le rapport d’un voyageur ou d’un
capitaine dont le navire a été jeté sur une côte non explorée, ils n’hésitent pas à échafauder une affaire sérieuse. En cela, ils n’agissent
cependant point à la légère, ils mettent au contraire un grand amour-propre à ne négliger aucun détail propre à contribuer au succès et à
diminuer autant que possible les hasards de l’entreprise; mais ils
sont en quelque sorte satisfaits de laisser une large part à la chance
et de mettre en pratique l’adage : « qui ne risque rien n’a rien... »
Très souvent ces sortes d’affaires échouent et amènent de grandes
pertes. Les gens forts, — et on en trouve, toutes proportions gardées, un plus grand nombre dans l’extrême Orient que parmi nous,
— supportent ces revers philosophiquement; loin de se décourager,
ils sont prêts à se remettre à l’œuvre le lendemain d’une défaite.
En ces derniers temps, cet esprit de spéculation à outrance a produit
de véritables désastres financiers; aussi est-il tombé dans un certain discrédit. L’extrême Orient, grâce à la facilité de relations qui
existe depuis quelques années, s’est rapidement européanisé, et
l’on commence à y professer le même culte que dans nos vieilles
sociétés pour la prudence en matière de négoce. En 1859, il n’en
était pas encore ainsi : les grandes maisons de commerce de la
Chine disposaient d’immenses capitaux, d’un crédit illimité; leurs
agens étaient confians dans l’avenir et décidés à marcher en avant
sans se laisser influencer par les échecs du passé. Aussi l’avis de
l’ouverture du Japon au commerce européen fut pour tout ce monde
une heureuse nouvelle, et l’on s’empressa d’en tirer tout le parti.