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Il est surprenant que ce problème n’ait pas tenté plus de critiques. Celui qui jusqu’ici l’a le plus franchement abordé chez nous, c’est M. Nisard dans ses ''Études sur les poètes latins de la décadence''. Le chapitre qu’il a consacré à Juvénal est l’un des meilleurs de son livre ; il est écrit de verve et plein d’observations nouvelles et piquantes. Seulement les conclusions en sont trop rigoureuses : M. Nisard ne voit en Juvénal qu’un moraliste sans conscience et sans conviction, un indifférent qui s’emporte à froid, un coupable peut-être qui, craignant d’être grondé, prend les devans et crie plus fort que tout le monde. Il n’a pas non plus rendu assez justice au talent de l’auteur qu’il étudiait. La rigueur de ses principes littéraires, sa préférence exclusive pour la perfection classique, l’empêchent quelquefois de sentir pleinement la grandeur des littératures de décadence. Il a trop pris l’habitude des développemens réguliers et des horizons calmes pour se laisser jamais séduire à ces beautés mêlées et heurtées qui inquiètent le goût, mais qui impriment à l’âme de si vives secousses. Il n’en reste pas moins à M. Nisard le mérite d’avoir cherché à nous donner un Juvénal véritable et de nous avoir délivrés de celui que le pédantisme de la tradition imposait depuis des siècles à l’admiration servile des écoliers. C’est sur ses traces qu’il faut marcher pour rendre au poète sa vraie figure.
Il est surprenant que ce problème n’ait pas tenté plus de critiques. Celui qui jusqu’ici l’a le plus franchement abordé chez nous, c’est M. Nisard dans ses ''Études sur les poètes latins de la décadence''. Le chapitre qu’il a consacré à Juvénal est l’un des meilleurs de son livre ; il est écrit de verve et plein d’observations nouvelles et piquantes. Seulement les conclusions en sont trop rigoureuses : M. Nisard ne voit en Juvénal qu’un moraliste sans conscience et sans conviction, un indifférent qui s’emporte à froid, un coupable peut-être qui, craignant d’être grondé, prend les devans et crie plus fort que tout le monde. Il n’a pas non plus rendu assez justice au talent de l’auteur qu’il étudiait. La rigueur de ses principes littéraires, sa préférence exclusive pour la perfection classique, l’empêchent quelquefois de sentir pleinement la grandeur des littératures de décadence. Il a trop pris l’habitude des développemens réguliers et des horizons calmes pour se laisser jamais séduire à ces beautés mêlées et heurtées qui inquiètent le goût, mais qui impriment à l’âme de si vives secousses. Il n’en reste pas moins à M. Nisard le mérite d’avoir cherché à nous donner un Juvénal véritable et de nous avoir délivrés de celui que le pédantisme de la tradition imposait depuis des siècles à l’admiration servile des écoliers. C’est sur ses traces qu’il faut marcher pour rendre au poète sa vraie figure.


Il est bien fâcheux que M. Widal, qui vient de publier un volume sur Juvénal, n’ait pas cru devoir suivre M. Nisard dans la voie qu’il avait ouverte. M. Widal s’était préparé à ce travail par des études sérieuses : il connaissait bien son auteur, il avait lu les ouvrages qui ont paru récemment sur ce sujet en Allemagne, et son livre s’ouvre par une critique judicieuse des opinions d’Otto Ribbeck, qui a entrepris de nier l’authenticité des dernières satires parce qu’elles lui semblent trop différentes des autres <ref>Non content de nier l’authenticité des dernières satires, M. Ribbeck vont faire subir aux autres des changemens très graves qui ne permettent pas de les reconnaître. Dans un très grand nombre de cas, il supprime, il abrège, il transpose des passages quelquefois très longs qui ne lui semblent pas à leur place. Ces altérations ne me paraissent pas en général conformes à une saine critique philologique. On peut bien accepter que quelques vers, omis par un copiste, puis écrits à la marge par un correcteur, aient été plus tard réintégrés dans le texte plus haut ou plus bas qu’il ne fallait ; mais il est impossible d’admettre que le lendemain même de la mort d’un écrivain il y ait eu un arrangeur, ou plutôt un dérangeur, qui se soit fait un jeu de détruire l’économie régulière d’un ouvrage pour y substituer le désordre. Ce qui rend la chose plus improbable ici, c’est que cet arrangeur qu’imagine M. Ribbeck n’était pas un sot, puisqu’il lui attribue les admirables morceaux de la Xe et de la XIIIe satire. Je ne comprends pas que M. Widal, qui discute assez vivement les opinions de M. Ribbeck dans son introduction, accepte en détail dans le texte de son ouvrage presque toutes les réformes qu’il propose. Ces réformes n’ont pas fait fortune en Allemagne, et je ne vois pas que les maîtres de la science, les Madvig, les Haupt, les Otto Jahn, les aient admises.</ref>. Malheureusement, une
Il est bien fâcheux que M. Widal, qui vient de publier un volume sur Juvénal, n’ait pas cru devoir suivre M. Nisard dans la voie qu’il avait ouverte. M. Widal s’était préparé à ce travail par des études sérieuses : il connaissait bien son auteur, il avait lu les ouvrages qui ont paru récemment sur ce sujet en Allemagne, et son livre s’ouvre par une critique judicieuse des opinions d’Otto Ribbeck, qui a entrepris de nier l’authenticité des dernières satires parce qu’elles lui semblent trop différentes des autres<ref name=p148>Non content de nier l’authenticité des dernières satires, M. Ribbeck vont faire subir aux autres des changemens très graves qui ne permettent pas de les reconnaître. Dans un très grand nombre de cas, il supprime, il abrège, il transpose des passages quelquefois très longs qui ne lui semblent pas à leur place. Ces altérations ne me paraissent pas en général conformes à une saine critique philologique. On peut bien {{tiret|ac|cepter}} </ref>. Malheureusement, une