« L’Odyssée/Traduction Bareste/02 » : différence entre les versions

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ne sont pas tous des augures. Certes, Ulysse a péri loin de sa patrie. Plût aux dieux que tu fusses mort avec lui ; car tu ne nous ferais point en ce
 
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« Vieillard, retire-toi ; va dans ta demeure prophétiser à tes enfants pour les garantir des maux dont l'avenir les menace. Que d'oiseaux voltigent sans cesse sous les rayons du soleil, mais ne sont pas tous des augures. Certes, Ulysse a péri loin de sa patrie. Plût aux dieux que tu fusses mort avec lui ; car tu ne nous ferais point en ce moment de telles prédictions, et tu n'exciterais pas le courroux de Télémaque, dans le désir, sans doute, de recevoir pour ta famille le présent que le fils de Pénélope voudra bien t'accorder. Mais ce que je vais te dire s'accomplira aussi. Écoute, si, en te servant de ruses anciennes, tu prétends irriter, par tes paroles, ce jeune héros, sa destinée n'en sera que plus funeste (il ne pourra jamais accomplir ses desseins), et nous t'infligerons, à toi vieillard, un châtiment qui ébranlera ton âme et dont la douleur sera cruelle. Je conseille donc à Télémaque d'ordonner à sa mère de se retirer dans la maison paternelle, afin que ses parents concluent son mariage et préparent pour elle une dot très considérable <ref><small>Nous avons traduit mot à mot ce passage : καὶ ἀρτυνέουσιν ἔενδα πολλὰ μαλ’, etc., etc. - Selon Nitzch, la dot consistait en une partie des présents de noces.</small></ref>, digne d'une fille aussi chérie. C'est alors que les fils des Achéens cesseront leurs persévérantes poursuites ; car ils ne redoutent personne, pas même Télémaque, bien qu'il soit un grand orateur. Vieillard, nous nous inquiétons fort peu des oracles que tu nous annonces vainement et qui ne font que te rendre encore plus odieux. Les biens d'Ulysse seront de nouveaux ravagés, et ce désordre durera tant que Pénélope fatiguera les Grecs en différant son hymen. Quant à nous, passant nos jours dans l'attente, nous lutterons avec elle à cause de sa vertu, et nous ne rechercherons aucune autre femme qu'il conviendrait cependant à chacun de nous de prendre pour épouse. »
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| [[Auteur:Homère|Homère]]
| [[L’Odyssée/Traduction Bareste|L’Odyssée (trad. Bareste)]]
| <small>édition bilingue</small>
| [[../01|Chant 1]]
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|[[../03|Chant 3]]
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[[Image:Liv21.jpg]]
 
 
[[Image:Liv22.jpg|180px|left]]<br>Dès que la fille du matin, Aurore aux doigts de roses, apparaît, le fils chéri d'Ulysse abandonne sa couche et revêt ses habits. Il suspend à ses épaules un glaive acéré, attache à ses pieds brillants des brodequins magnifiques, et, semblable à un dieu, il s'éloigne de sa chambre. Soudain il ordonne aux hérauts à la voix sonore de convoquer en assemblée les Achéens à la longue chevelure : les hérauts obéissent, et les citoyens se rassemblent aussitôt. Lorsqu'ils sont arrivés et que tous ont pris place, Télémaque se rend à l'assemblée, tenant dans sa main une lance d'airain. Il n'est point seul : deux chiens agiles suivent ses pas. Minerve répand autour de lui une grâce divine, et la foule contemple avec admiration le jeune Télémaque qui s'avance. Il se place sur le siège de son père, et les vieillards se rangent à ses côtés.
 
Le héros Egyptius parle le premier : il était courbé sous le poids de la vieillesse et il avait acquis une longue expérience. Un fils qu'il chérissait, le vaillant Antiphus, partit jadis sur de creux navires pour accompagner le divin Ulysse vers les rivages d'Ilion, de cette ville féconde en coursiers : ce fut lui que le cruel Cyclope égorgea dans un antre profond et qui servit de dernier repas à ce monstre. Egyptius a encore trois enfants : l'un d'eux, Eurynome, est au nombre des prétendants, et les deux autres cultivent les champs paternels. L'infortuné vieillard ne peut se consoler de la perte de son fils ; cependant, les yeux baignés de larmes, il prononce ces paroles :
 
« Ithaciens, écoutez ce que je vais dire. Nous n'avons eu ni assemblée, ni conseil depuis que le divin Ulysse s'est embarqué sur ses navires profonds. Qui donc nous a réunis aujourd'hui ? Quelle affaire importante est-il donc survenu soit aux jeunes hommes, soit aux vieillards ? Quelqu'un aurait-il entendu dire que l'armée était de retour, et prétend-il nous faire connaître celui qui a reçu cette nouvelle le premier ? Veut-il enfin nous instruire ou parler de quelque intérêt public ? Je le considère alors comme un homme probe et utile. Puisse Jupiter accomplir favorablement les desseins que son esprit a conçus ! »
 
Il dit. Le fils chéri d'Ulysse se réjouit de ce présage, et, impatient de haranguer, il ne peut rester plus longtemps assis. Il s'avance au milieu de l'assemblée, prend entre ses mains le sceptre que lui présente Pisenor, héraut fertile en sages conseils, et répond à Egyptius en ces termes :
 
« Vieillard, il n'est pas loin cet homme (et vous le connaîtrez bientôt vous-même) qui rassemble le peuple : c'est moi qui, plus que tous les autres, suis accablé par la douleur. Je n'ai point entendu dire que l'armée fût de retour ; mais je vous ferai connaître cette nouvelle si je l'apprends le premier. Je ne veux pas non plus vous instruire, ni parler de quelque intérêt public ; car il s'agit de ma propre détresse : un double malheur pèse sur ma famille. J'ai perdu d'abord le bienveillant auteur de mes jours, Ulysse, qui jadis régnait sur vous comme le père le plus tendre. Un autre désastre, non moins terrible, détruira bientôt tous mes domaines et consumera entièrement mes richesses.
 
 
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Le dieu qui rassemble au loin les nuages lui dit :
 
Les prétendants, fils chéris des hommes les plus puissants, sollicitent, contre son gré, la main de ma mère. Ils craignent encore d'aller dans la maison de son père Icare <ref> <small>Selon Pausanias (lib. III, c. 20), Icare était Lacédémonien. Aristote (De Art. Poet. , c. 26) dit au contraire qu'il était de Cephalènie. D'autres critiques vont plus loin, dit Dugas-Montbel (Observ. sur l'Odyss., ch. II), et soutiennent que non seulement Icare n'était pas de Sparte, mais qu'il habitait Ithaque. En effet, Télémaque dit ici εἰς οἶκον, dans sa maison ; et si son grand-père avait été étranger, il aurait dit : πρός τὸ ἄστυ, ou bien πρὸς τὴν γαῖαν, dans la ville ou dans le pays habité par Icare. Ces mêmes critiques ajoutent : Comment Eumée, qui chérissait si tendrement ses maîtres, aurait-il dit au XIVe chant, v. 68 : « Plût aux dieux que toute la race d'Hélène eût péri dans sa source ? » car Hélène étant la fille de Tyndare, frère d'Icare, Pénélope se serait trouvée comprise dans l'imprécation si elle eût été fille de ce même Icare. - De tout ceci, il faut conclure qu'Icare, père de Pénélope, n'était ni Lacédémonien ni Céphalénien, mais habitant d'Ithaque.</small></ref>, afin qu'il dote sa fille et l'accorde à celui qu'elle aura choisi et qui lui plaît le mieux. Ils passent toutes leurs journées dans notre palais, égorgent nos bœufs, nos brebis et nos chèvres les plus belles, s'abandonnent à la joie des festins, boivent impunément le vin aux sombres couleurs <ref><small>Il y a dans le texte grec : αἴθοπα οἶνον (vin noir), que les traductions latines de Clarke et de Dübner ont rendu par nigrum vinum. Le mot αἴθοψ a été omis par tous les traducteurs français.</small></ref> et dévorent toute ma fortune. II n'est plus maintenant qu'un héros tel qu'Ulysse pour écarter la ruine de notre palais. Je ne puis à présent me défendre (mais un jour je leur paraîtrai terrible, quoiqu'ignorant l'art de combattre)! Oh! comme je les repousserais si j'en avais la force! De tels excès ne peuvent plus se tolérer, et ma maison périt sans honneur <ref><small>Bitaube a traduit οὐδ’ ἔτι καλῶς οἶκος ἐμὸς διόλωλε (ma maison périt sans honneur) par : mon nom va être extirpé de la terre avec infamie.</small></ref>. Soyez donc enfin saisis de honte, et redoutez les reproches des peuples voisins qui nous entourent! Craignez la colère des dieux, de peur qu'irrités ils ne punissent vos crimes comme ils le méritent!
 
 
 
Minerve, la déesse aux yeux étincelants, lui réplique à son tour :
Au nom de Jupiter Olympien, au nom de Thémis qui réunit et disperse les assemblées des hommes, réprimez-les, ô mes amis, et laissez-moi seul me livrer à ma douleur profonde! Si jamais mon père, le vertueux Ulysse, se rendit coupable de quelque injustice envers les Achéens aux belles cnémides <ref><small>Madame Dacier, Bitaubé et Dugas-Montbel oublient tous trois de mentionner l'epithéte εὔκνημις (aux belles cnémides) qu'Homère donne aux Grecs. -Voir l'Iliade, liv. I, notes.</small></ref> et les accabla de maux, soyez coupables à votre tour, vengez-vous sur moi et rendez-moi toutes ces infortunes en excitant ces audacieux ! Je préférerais vous voir dévorer mes provisions et mes troupeaux: car bientôt viendrait le jour où je serais dédommagé. J'irais sans cesse par toute la ville vous adresser mes prières, et je vous redemanderais mes biens jusqu'à ce que vous me les eussiez entièrement rendus. Mais aujourd'hui vous accablez vainement mon âme de douleurs ! »
 
 
 
Ainsi parle Télémaque irrité ; puis il jette son sceptre à terre en répandant des larmes : le peuple est ému de compassion. Tous les prétendants gardent le silence et n'osent lui répondre par de dures paroles. Antinoüs, seul, se lève et lui dit :
 
« Télémaque, harangueur téméraire, esprit impétueux, pourquoi nous outrager par un tel discours ? Tu veux donc nous couvrir de honte ! Les prétendants achéens ne sont point la cause de ta ruine; mais ta chère mère, elle qui possède toutes les ruses. Déjà trois années se sont écoulées, et la quatrième va s'accomplir, depuis qu'elle cherche à tromper l'esprit des Grecs. Elle flatte nos espérances ; elle fait à chacun de nous des promesses ; mais dans son âme elle conçoit d'autres desseins. - Voici le nouveau stratagème que son esprit lui a suggéré. Elle s'est mise, dans son palais, à tresser une toile d'un tissu délicat et d'une grandeur immense ; puis elle nous a dit : Jeunes gens qui prétendez à ma main, puisque le divin Ulysse a péri, différez mon mariage jusqu'au jour où j'aurai terminé ce voile funèbre que je destine au héros Laërte (puissent mes travaux n'être pas entièrement perdus !), lorsque le triste destin l'aura plongé dans le long sommeil de la mort, afin qu'aucune femme, parmi le peuple des Achéens, ne s'indigne contre moi, s'il reposait sans linceul celui qui posséda tant de richesses. C'est ainsi qu'elle parlait, et nos âmes généreuses se laissaient persuader. Durant le jour elle tissait cette grande toile ; mais le soir, à la lueur des flambeaux, elle détruisait son ouvrage. Ainsi, pendant trois années, elle se cacha au moyen de cette ruse, et parvint à persuader les Grecs. Mais enfin, à la quatrième année, vint le jour où une femme bien instruite nous fit cette confidence : nous trouvâmes Pénélope défaisant sa magnifique toile. Alors elle l'acheva malgré elle et par force. - Télémaque, voici maintenant ce que les prétendants te déclarent afin que tu le saches bien au fond de ton âme et qu'aucun d'entre les Achéens ne l'ignore : renvoie ta mère ; ordonne-lui d'épouser celui que désignera son père et qui lui plaira. Mais, si elle fatigue longtemps encore les fils de la Grèce en suivant les conseils de Minerve, de Minerve qui l'instruisit dans les travaux splendides, qui lui inspira de prudentes pensées et d'heureux stratagèmes, tels que nos ancêtres les Achéens à la belle chevelure ne rapportèrent jamais rien de semblable, même en citant les femmes qui vécurent autrefois : Alcmène, Tyro et Mycène au front ceint d'une superbe couronne <ref><small>Nous nous sommes rapproché le plus qu'il nous a été possible du texte grec dans la traduction de cette longue digression qui a été supprimée par Knight. Nous avons laisse subsister les mots εὐπλοκαμῖδες Ἀχαιοί (Achéens à la belle chevelure, ou aux cheveux bien bouclés), et l'épithète εὐστέφανος (ceint d'une belle couronne), dont madame Dacier, Bitaubé et Dugas-Montbel ne parlent point.</small></ref> ; car aucune d'elles ne se servit de ruses égales à celles de Pénélope ; si, dis-je, elle persiste, ce qui n'est ni permis, ni convenable, nous dévorerons ton héritage et tes biens, tant qu'elle conservera la pensée que les dieux ont mise en son âme. Elle obtiendra sans doute une grande gloire ; mais toi, tu regretteras tes richesses. Nous ne retournerons ni à nos champs ni dans nos demeures qu'elle n'ait épousé celui d'entre les Achéens qu'elle aura choisi. »
 
 
Le prudent Télémaque lui répond aussitôt :
 
« Antinoüs, non, jamais contre son gré, je n'éloignerai de ce palais celle qui me donna le jour et me nourrit. Mon père est mort sur une terre étrangère, ou il existe encore ; mais, quoi qu'il en soit, éprouverais-je un grand dommage pour m'acquitter envers Icare, si je renvoyais ma mère <ref> <small>Κακὸν δὲ μεπόλλ’ ἀποτίνειν Ἰκαρίῳ, dit Homère. Les traducteurs latins ont très exactement rendu ce passage par: durum vero me multa reddere Icario. - Eustathe nous apprend à ce sujet que d'anciens critiques, trouvant qu'il était indigne de Télémaque de ne vouloir renvoyer sa mère que parce qu'il serait obligé de rendre sa dot, ponctuaient différemment les vers 131 et 132 de ce livre, et lisaient ainsi :</small>
:<small>… κακὸν δὲ μεπόλλ’ ἀποτίνειν,</small>
:<small>Ἰκαρίῳ αἴκ’ αὐτός ἑκὼν ἀπὸ μητέρα πέμψω.</small>
<small>« Il me serait funeste, et les dieux me puniraient si je voulais renvoyer ma mère à son père Icare. » Dugas-Montbel, qui cite Eustathe, dit qu'aucune edition n'adopte cette ponctuation que tous placent la virgule après Ἰκαρίῳ, et non après ἀποτίνειν, et que l'autre leçon appartenait sans doute à quelques grammairiens d'Alexandrie, qui avaient l'habitude de juger les mœurs heroiques d'après celles de leur siècle.</small></ref>: Ulysse ne manquerait pas de me punir. Les dieux ajouteraient encore d'autres châtiments ; car Pénélope , en quittant cette demeure. invoquerait les odieuses Furies, et l'indignation des hommes s'appesantirait sur moi. Non, jamais je ne prononcerai une telle parole ! Si votre âme est indignée, sortez de chez moi ; disposez ailleurs vos festins, et consumez vos richesses en vous traitant tour à tour dans vos propres palais. Mais, s'il vous semble meilleur et préférable de dévorer impunément l'héritage d'un seul homme, continuez ; moi j'invoquerai les dieux éternels pour que Jupiter vous châtie selon vos crimes : puissiez-vous alors, dans ces demeures, périr sans vengeance ! »
 
 
[[Image:Liv24.jpg ]]
 
 
Ainsi parle Télémaque. Tout à coup Jupiter, dont la voix retentit au loin <ref><small>Dugas-Montbel traduit εὐρύποα Ζεύς (Jupiter dont la voix retentit au loin) par : le puissant Jupiter; Bitaubé dit : le dieu du tonnerre, et Madame Dacier retranche entièrement l'épithète.</small></ref>, fait voler deux aigles du sommet élevé de la montagne.
 
Pendant quelques instants ces oiseaux s'abandonnent au souffle des vents en se tenant l'un près de l'autre et en étendant leurs ailes ; mais dès qu'ils planent au-dessus de la bruyante assemblée <ref><small>Clarke traduit πολύφημον par celebrem, et Dugas-Montbel par illustre: mais comme l'adjectif πολύφημος signifie tout à la fois célèbre et bruyant, nous avons suivi la traduction latine de Dübner, qui rend πολύφημον par clamosam, attendu que cette assemblée devait être sans aucun doute plus bruyante que célèbre.</small></ref> ils volent en cercle, agitent leurs ailes épaisses, et ils promènent leurs regards sur les têtes des prétendants comme pour leur prédire la mort. On les voit aussitôt se déchirer avec leurs serres la tête et le cou, et s'envoler à droite en traversant les palais et la ville des Ithaciens. Tous les assistants admirent les aigles qu'ils ont vus de leurs propres yeux, et méditent en leur âme sur ce qui doit s'accomplir. - Alors s'avance le fils de Mastor, le vénérable héros Halitherse, qui l'emporte sur tous ceux de son âge dans l'art de connaître les augures et de prédire l'avenir. Il prend la parole et dit avec sagesse :
 
« Peuple d'Ithaque, écoute ce que je vais dire ; mais c'est surtout aux prétendants que je m'adresse, car un grand malheur les menace. Ulysse ne sera pas longtemps éloigné des siens. Déjà près de ces lieux, il médite la mort et le carnage de tous ses ennemis, et ce malheur causera la ruine de plusieurs d'entre nous qui habitons la belle ville d'Ithaque. Voyons maintenant comment nous réprimerons ces insensés. Qu'ils changent eux-mêmes de conduite, c'est le parti le plus sage. - Je ne suis pas, vous le savez, un prophète sans expérience, mais un savant augure. Tout s'est accompli comme je le prédis autrefois, lorsque les Argiens s'embarquèrent pour Ilion, et emmenèrent avec eux le prudent Ulysse. J'annonçai que ce héros souffrirait des maux sans nombre, qu'il perdrait ses compagnons, et qu'à la vingtième année, inconnu de tous, il reviendrait dans sa patrie. - C'est donc maintenant que toutes ces choses vont s'accomplir. »
 
 
Eurymaque, fils de Polybe, lui réplique en ces termes :
 
« Vieillard, retire-toi ; va dans ta demeure prophétiser à tes enfants pour les garantir des maux dont l'avenir les menace. Que d'oiseaux voltigent sans cesse sous les rayons du soleil, mais ne sont pas tous des augures. Certes, Ulysse a péri loin de sa patrie. Plût aux dieux que tu fusses mort avec lui ; car tu ne nous ferais point en ce moment de telles prédictions, et tu n'exciterais pas le courroux de Télémaque, dans le désir, sans doute, de recevoir pour ta famille le présent que le fils de Pénélope voudra bien t'accorder. Mais ce que je vais te dire s'accomplira aussi. Écoute, si, en te servant de ruses anciennes, tu prétends irriter, par tes paroles, ce jeune héros, sa destinée n'en sera que plus funeste (il ne pourra jamais accomplir ses desseins), et nous t'infligerons, à toi vieillard, un châtiment qui ébranlera ton âme et dont la douleur sera cruelle. Je conseille donc à Télémaque d'ordonner à sa mère de se retirer dans la maison paternelle, afin que ses parents concluent son mariage et préparent pour elle une dot très considérable <ref><small>Nous avons traduit mot à mot ce passage : καὶ ἀρτυνέουσιν ἔενδα πολλὰ μαλ’, etc., etc. - Selon Nitzch, la dot consistait en une partie des présents de noces.</small></ref>, digne d'une fille aussi chérie. C'est alors que les fils des Achéens cesseront leurs persévérantes poursuites ; car ils ne redoutent personne, pas même Télémaque, bien qu'il soit un grand orateur. Vieillard, nous nous inquiétons fort peu des oracles que tu nous annonces vainement et qui ne font que te rendre encore plus odieux. Les biens d'Ulysse seront de nouveaux ravagés, et ce désordre durera tant que Pénélope fatiguera les Grecs en différant son hymen. Quant à nous, passant nos jours dans l'attente, nous lutterons avec elle à cause de sa vertu, et nous ne rechercherons aucune autre femme qu'il conviendrait cependant à chacun de nous de prendre pour épouse. »