« Notice sur les titres et les travaux scientifiques de Louis Lapicque » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Phe-bot (discussion | contributions)
m Le_ciel_est_par_dessus_le_toit: match
Ligne 1 140 :
(35 pages)
 
 
==__MATCH__:[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/113]]==
* '''Chapitre IV: Etudes sur la nutrition'''
 
Ligne 1 163 ⟶ 1 164 :
** (131). Sur les limites de l'isodynamie; à propos du coefficient isodyname des albuminoïdes, 1er Congrès international d'hygiène alimentaire, Paris, 2 octobre.
 
Le chiffre de 118 grammes par jour, fixé en 1860 par Pettenkofer et Voit, avait pendant trente ans été considéré comme le besoin minimum d'albuminoïdes dans la ration alimentaire de l'homme, lorsque diverses expériences, faites en Allemagne notamment par Hirschfeld et par le Japonais Kumagawa, réalisèrent l'équilibre d'azote avec une quantité sensiblement plus petite. En même temps, Rubner montrait, sur le chien, que la destruction d'albumine corporelle pendant le jeûne n'est pas la mesure de la désintégration nécessaire, et qu'en assurant tous les besoins caloriques avec des aliments ternaires, on peut réduire considérablement cette désintégration. Après avoir été le premier, je crois, à insister en France sur cette évolution de la théorie alimentaire (14), je refis, à titre de contrôle, des expériences où j'obtins l'équilibre du bilan nutritif avec une quantité d'albuminoïdes égale à la moitié du chiffre de Voit (29).
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/114]]==
Ces expériences ont été réalisées, avec la collaboration de M. Marette, sur nous-mêmes. Le régime comprenait chaque jour une partie fixe, 170 grammes de riz et un litre de lait; le sujet avait à sa disposition du pain, du beurre et du sucre ; il en prenait à son appétit, mais la quantité prise était soigneusement déterminée. C'est-à-dire que nous laissions à l'instinct le soin de fixer la quantité nécessaire. Dans les expériences auxquelles j'ai fait allusion plus haut, l'équilibre azoté ne s'obtenait, disait-on, avec la ration réduite d'albuminoïdes, qu'à la condition de forcer jusqu'à l'excès les aliments ternaires. Je désirais savoir comment se comporterait un sujet habitué à une assez grande quantité d'albumine, quand il aurait à sa disposition une alimentation relativement pauvre en albumine. L'azote était dosé chaque jour dans les excreta. Le sujet I, âgé de vingt-six ans, pesait 65.800 grammes. L'expérience dura dix jours consécutifs. Poids le dixième jour : 65.300 grammes. Albumine ingérée, moyenne par jour, 57 grammes; azote éliminé, moyenne par jour, urine: 7 gr. 4; fèces : 1 gr. 75; total : 9 gr. 15, soit (avec le même facteur conventionnel 6,25 qui sert pour le calcul des albuminoïdes dans les aliments), 57 gr. 30. Valeur de la ration journalière moyenne, en calories, 2728. Résultat : équilibre d'azote presque exact ; permanence du poids total presque exacte ; néanmoins léger déficit. Sujet II, trente ans; 73 kilogrammes. Expérience durant huit jours ; albumine ingérée, moyenne journalière, 57 gr. 1; poids invariable; azote éliminé, urine : 7 gr. 17; fèces : 1 gr. 11, soit par jour, en albumine, 52 grammes. Valeur journalière moyenne de la ration en calories, 2653. Résultat : équilibre nutritif général, léger excédent d'azote. Pendant l'expérience, nous n'avons ressenti aucun trouble subjectif; nous avons vaqué comme d'habitude à nos occupations, sans éprouver de faiblesse ; l'alimentation a donc été suffisante à tous les points de vue auxquels on pouvait la juger. La valeur calorifique totale est la même qu'avec les régimes plus riches en albumine. On peut faire des réserves sur le sujet numéro 1, penser que le quasi-équilibre réalisé pendant dix jours ne permet pas de conclure à une longue durée. Mais pour le sujet numéro 2, le bilan se solde avec un excédent suffisant pour couvrir toutes les erreurs possibles, et il n'y a aucune raison de supposer que la balance puisse se renverser. Néanmoins, l'expérience est courte, pour une loi de nutrition; les expériences de ce genre sont fatalement courtes, car il est difficile de supporter longtemps, non le régime en lui-même, mais l'assujettissement minutieux que comporte toute observation du bilan nutritif. Aussi, on en contestait la portée générale, en disant que l'observation de régimes naturels librement choisis ne donnait jamais, pour un homme normalement musclé, un chiffre d'albumine inférieur à 100 grammes par jour. Je répondis à cette objection de la façon suivante: Les observations de régimes naturels n'ont jusqu'ici porté que sur des Européens; les chiffres de Voit et Pettenkofer peuvent être conservés pour représenter la moyenne du régime normal européen. Mais de quel droit conclure
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/115]]==
d'une habitude à un besoin? Les peuples se nourrissent de ce qu'ils ont; or, l'aliment végétal qui fait la base de la nourriture européenne, le blé, est, par lui-même, déjà relativement riche en azote albuminoïde, même sans aucune adjonction d'aliment animal. Il y a de grandes régions du globe où l'aliment correspondant est plus pauvre en azote. Comparons, par exemple, au blé, la durrha (Sorghum vulgare), qui est la céréale d'une grande partie de l'Afrique et d'une partie de l'Asie, ou le riz, qui est la céréale de l'Asie méridionale et orientale. Pour cent parties de ces trois céréales, on trouve comme albumine, en chiffres ronds : blé, 12; durrha, 8; riz, 6. Si nous calculons la quantité d'albumine correspondant à une valeur calorifique de 3000 calories (chiffre de la consommation du sujet de Voit et Pettenkofer), on trouve avec la durrha, 60 grammes; avec le riz, 52 grammes seulement d'albumine. C'est évidemment chez les peuples qui ont à se nourrir avec des substances pauvres en albumine qu'il faut voir — s'ils s'en contentent — s'ils ajoutent toujours des aliments plus azotés, — ou s'ils engloutissent des kilogrammes de nourriture pour trouver quand même ces 120 grammes, au moins ces 100 grammes d'albumine posés comme une nécessité absolue. Il ne faut pas oublier que ce sont les Japonais qui ont élevé les premiers doutes contre cette nécessité. Il y avait intérêt à reprendre avec précision, hors d'Europe, des observations de régimes opératoires. A ce moment, je trouvai dans le voyage de la Sémiramis l'occasion de faire de telles observations; Mme Jules Lebaudy voulut bien faire installer une cabine de son yacht en laboratoire propre à l'analyse des rations, et je pus, sur place, faire les déterminations suivantes.
 
* Régime des Abyssins (26).
 
Mes observations ont été faites dans l'hiver de 1892-1893 dans la colonie italienne de l'Erythrée (capitale: Massouah), où j'ai séjourné deux mois. Les Abyssins se nourrissent presque exclusivement de durrha. La farine de ce grain sert à faire des galettes (engera) analogues à celles que faisaient et font encore en quelques régions les paysans d'Europe, avec nos propres céréales. Il y a une partie notable de la population qui ne consomme, avec ces galettes, que des condiments sans valeur alimentaire notable. Ceux qui vivent dans une aisance suffisante pour s'accorder une nourriture tout à fait conforme à leurs goûts y ajoutent une petite quantité d'aliments plus azotés, du lait, des graines de légumineuses, de la viande de loin en loin. (La réputation de grands mangeurs de viande faite aux Abyssins reposait sur des récits de voyageurs ayant assisté à des festins exceptionnels.) Le régime que j'ai considéré comme typique, et comparable aux observations européennes,
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/116]]==
est celui des soldats indigènes (ascari), vivant chacun dans sa maison, avec sa famille, dans une aisance sans luxe, et menant une vie active sans travail servile.
 
L'examen détaillé du régime de plusieurs d'entre eux, avec analyses directes des substances consommées, contrôlé par l'examen du régime d'autres catégories sociales, m'a amené à résumer ainsi la ration type:
Ligne 1 199 ⟶ 1 206 :
* Abyssins (Lapicque): 52; 2040; 50; 0,96;
* Malais: 52; 2072; 60; 1,15.
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/117]]==
 
Dans l'étude des rations alimentaires, la quantité d'albumine et la valeur énergétique totale se présentent ensemble et ne peuvent pas être séparées, puisque l'équilibre d'azote n'est possible que si les besoins énergétiques sont couverts. Mais pour l'exposition, je vais examiner successivement les deux points de vue.
Ligne 1 207 ⟶ 1 215 :
Dans la dernière colonne du tableau ci-dessus, on voit qu'il peut suffire de moins d'un gramme par kilogramme; mais les chiffres de cet ordre se rapportent à des conditions expérimentales, à des observations de courte durée; il convient d'attacher une importance plus grande aux observations ethniques, comme les trois dernières du tableau; ces observations, en effet, quand elles ont été bien choisies, chez les peuples primitifs où les règles diététiques sont remarquablement uniformes et stables, représentent des millions d'expériences durables, et le fait qu'un peuple en vit prouve sans conteste qu'un tel régime suffit à tous les besoins. On voit alors, dans le cas systématiquement choisi des ressources naturelles pauvres en albumine, la ration se fixer aux environs de 1 gramme par kilogramme. Cette règle donnée par moi en 1894, pour le minimum d'albumine, a remplacé, en France, les règles de Voit et Pettenkofer, et c'est elle qu'on retrouve actuellement dans tous les traités d'hygiène et les manuels de physiologie, explicitement rapportée à mon nom.
 
En posant cette règle pratique, je faisais, au point de vue théorique, toute réserve sur sa signification; j'estimais que le besoin réel devait être beaucoup plus bas, et j'ajoutais cette phrase qui a été souvent reproduite: « En réalité, nous ne connaissons du besoin d'albumine pas plus la grandeur que la cause. » Cette réserve s'est trouvée justifiée lorsque, dans ces dernières années, on en est venu à distinguer les diverses albuminoïdes par les proportions des diverses peptides qui en sont les matériaux constitutifs. On doit maintenant concevoir le besoin minimum d'albumine comme différant beaucoup suivant la nature des albumines fournies. Ainsi je m'explique le fait suivant que j'avais constaté, il y a quinze ans, que j'avais vérifié en étendant les constatations, et qui restait pour moi paradoxal. Le riz se montre insuffisant comme matière alimentaire; tous les peuples dont il est la céréale, Hindous, Malais, Indochinois, Chinois et Japonais, y ajoutent quelque peu de nourriture animale considérée par eux comme indispensable. Or, le riz, consommé seul, à la dose où il couvrirait les besoins énergétiques, donnerait
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/118]]==
une quantité d'albuminoïdes qui se montre suffisante dans les régimes expérimentaux. La contradiction s'explique par ce fait qu'il s'agit, dans un cas, d'albumine végétale, dans l'autre, au moins pour une partie, d'albumine animale, chimiquement plus voisine de nos tissus et plus apte à la rénovation de ceux-ci.
 
 
Ligne 1 227 ⟶ 1 237 :
* Malais: 52; 39,8; 1220.
 
Les calories rapportées à l'unité de poids donnent, en chiffres ronds, pour la moyenne des Européens, 44; pour les Japonais, 54; pour les Abyssins et les Malais, sensiblement le même chiffre, 39 à 40. S'agit-il d'une différence ethnique? Mais si nous calculons la surface (simplement au moyen de la formule approximative bien connue, qui donne pour l'homme en fonction du poids P, la surface S = 12,3*P(2/2), le nombre des calories par mètre carré devient, pour les Européens, 1492; pour les Japonais, 1498, c'est-à-dire l'égalité (fortuitement presque exacte). Ce sont deux races de taille différente, vivant sous la même latitude : la nourriture fixée par l'instinct apporte, avec des matériaux différents, la même quantité d'énergie à surface égale. Pour les Abyssins et pour les Malais, deux races bien distinctes entre elles (les Malais étant proches parents des Japonais), on obtient dans les mêmes conditions une quantité de chaleur sensiblement plus faible, égale aux 4/5 de la précédente, ce qui s'explique par le fait qu'ils vivent dans des pays plus chauds. (Parmi les chiffres des Européens, le plus faible est celui de mon expérience; celle-ci a été faite au mois d'août.) Conclusions : Au point de vue des consommations alimentaires, les différences de races dans l'espèce humaine n'influent que comme différences de
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/119]]==
grandeur corporelle; seules, les données géométriques et physiques conditionnant la perte de chaleur règlent ces consommations. Cette constatation, que je trouvais en étudiant la question de l'albumine, se rattache d'une façon heureuse aux recherches sur les animaux faites spécialement dans cette direction par d'autres auteurs. Elle contribua à établir que le point de vue énergétique est quantitativement le plus important dans la théorie de l'alimentation.
 
Je défendis ce point de vue à un moment où il était encore très contesté, dans l'article « Aliments » du Dictionnaire de Physiologie, article fait en collaboration avec M. Richet (40) et dans le cours public que je faisais à l'Ecole d'Anthropologie (85). J'y pris parti pour la théorie des substitutions isodynames de Rubner, théorie étroitement liée à cette conception énergétique, et devenue aujourd'hui classique ; pour les mêmes raisons théoriques, et aussi en vertu des constatations faites dans mes expériences, j'admis l'utilisation isodyname des petites quantités d'alcool, fait péremptoirement démontré plus tard par Atwater et Benedikt; je repoussai complètement l'idée d'aliments d'épargne et j'expliquai, par un mécanisme nerveux, l'illusion subjective qui avait donné lieu à cette idée (1). En 1902, quelques physiologistes des plus éminents étaient encore rebelles à l'idée qu'un pardessus ou du charbon de calorifère peut remplacer un bifteck (2). M. Larguier des Bancels, dans un travail exécuté sous ma direction, ajouta au faisceau des preuves antérieures un fait qui me parait particulièrement démonstratif. Des pigeons furent soumis à des températures variées par périodes de plusieurs jours consécutifs; ils conservèrent un poids sensiblement constant; leur consommation alimentaire étant notée avec précision, il fut constaté qu'entre 8 degrés et 27 degrés la quantité de nourriture absorbée est fonction (à peu près linéaire) de l'écart de température entre l'animal et le milieu; la nourriture offerte aux pigeons et prise par eux suivant leurs besoins était du blé. Voici les chiffres d'une expérience:
Ligne 1 253 ⟶ 1 265 :
* (2) Une grande partie de la discussion s'est faite oralement, notamment aux séances de la Société de Biologie, et c'est seulement de loin en loin qu'un des thèmes prenait la forme écrite.
 
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/120]]==
 
* Sur la théorie générale de l'alimentation.
 
Toutefois, il est bien certain que la somme d'énergie disponible dans les aliments n'est pas l'unique point de vue à considérer. Il y a lieu de faire des réserves que j'ai notées expressément dès 1894 (32) et j'y suis revenu à diverses reprises pour les préciser de plus en plus. La ration alimentaire chez un homéotherme doit répondre à deux ordres de besoin: 1) elle doit fournir la quantité d'énergie potentielle correspondant aux dépenses de force vive, chaleur et travail mécanique; 2) elle doit fournir des substances chimiques déterminées, dont l'organisme en général ou tel organe particulier fait une certaine consommation, sans qu'il puisse remplacer l'une de ces substances par aucune autre, ni la fabriquer lui-même aux dépens d'autres. Le premier ordre de besoin s'exprime par un chiffre de calories. Le deuxième ordre de besoins devrait, pour être exprimé d'une façon adéquate, être représenté par un tableau où serait porté, en regard de chaque nom d'une liste de substances, un certain poids. Cette liste est loin d'être établie même qualitativement. On en a examiné spécialement le numéro le plus important, l'albumine; pour les autres numéros, on a fort peu de renseignements précis. L'étude en serait à la fois fort intéressante et fort compliquée; elle constituerait la part la plus grande de la théorie de l'alimentation chez les animaux à sang froid. Chez un animal à sang chaud, cette étude, tout aussi intéressante théoriquement, n'a aucun intérêt pratique avec les substances qui sont en fait les aliments; tous les besoins sont couverts quand le besoin thermique est couvert. Même pour l'albumine, dans le régime humain au moins, nous avons vu qu'il est difficile de constituer exprès un régime insuffisant; l'examen de ce que nous savons des aliments minéraux m'a amené à la même conclusion, et on peut la généraliser. C'est que les aliments, dans la nature, ne sont jamais les simples mélanges de principes immédiats, albumine, graisses, hydrates de carbone, auxquels nous les ramenons abstraitement; les aliments
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/121]]==
des animaux sont toujours des êtres ou parties d'êtres vivants, au moins des sécrétions d'êtres vivants; provenant de la vie, ils comprennent, par le fait même, l'ensemble des matières nécessaires à la vie, une dans les deux règnes. Le quantum n'a besoin d'être déterminé que pour le besoin maximum, qui est ici l'énergie. Reste la question suivante, sur laquelle s'est concentrée la discussion: la valeur énergétique d'un aliment pour un homéotherme est-elle représentée exactement par la chaleur de combustion (jusqu'au même état final) de cet aliment? La réponse affirmative est l'isodynamie pure. Mais, comme toute théorie, l'isodynamie a ses limites; j'ai cherché à préciser schématiquement cette notion de la façon suivante.
 
 
Ligne 1 263 ⟶ 1 278 :
Soit un homéotherme au repos, ayant une température propre de 40 degrés, vivant dans un milieu à 15°. Ses besoins alimentaires sont, d'abord, ceux d'un poecilotherme porté à 40 degrés par la température ambiante; un ensemble de fonctions physiologiques primordiales (circulation, respiration, etc.) consomment pour leur accomplissement certaines substances en certaine quantité; l'énergie disponible par la consommation de ces substances se retrouve à peu près intégralement sous forme de chaleur dans l'organisme, le travail mécanique de ces fonctions physiologiques s'épuisant presque totalement en frottements internes. Soit q(phi) la quantité de chaleur ainsi produite dans l'organisme par unité de temps. En même temps, la quantité de chaleur soustraite à l'organisme dépend de l'excès e de la température du corps sur celle du milieu ; soit Q(e) cette quantité. Chez les animaux en général, le mécanisme nerveux qui crée l'homéothermie n'étant pas constitué, la chaleur cédée par l'organisme au milieu, en régime stable et au repos, ne peut être que q(phi), et la température du corps s'établit par rapport à la température ambiante, de telle sorte que Q(e) égale précisément q(phi), (q(phi) étant lui-même fonction de la température, de la même façon que les réactions chimiques). Chez l'homéotherme la température du corps étant constante, q(phi) est constant, mais e, et par conséquent Q(e), varient avec la température ambiante. Donc en général Q(e), et q(phi), ne seront pas égaux; dans le cas considéré (cas le plus ordinaire), Q(e) > q(phi); nous avons vu en effet qu'une élévation de la température ambiante diminue la chaleur produite et dégagée; il y a donc, outre q(phi), de la chaleur supplémentaire, produite pour maintenir la température du corps, de la thermogenèse pure; soit q(theta) ce complément positif à q(phi): on a Q(e) = q(phi) + q(theta). (La température extérieure s'élevant, Q(e) tend vers q(phi), q(theta) vers 0, et, pour une température suffisante, q(theta) sera négatif, ce qui a un sens physiologique clair; c'est l'entrée en jeu des mécanismes de réfrigération, sueur, polypnée); q(theta) constitue ce que j'ai appelé la marge de la thermogenèse.
 
* (1) Voir A. Dastre: "La vie et la mort", page 137.
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/122]]==
 
 
Toute la question de savoir si les divers combustibles alimentaires se substituent les uns aux autres exactement suivant leur valeur calorique (substitutions isodynames), ou bien suivant la proportion qu'ils peuvent fournir de tel combustible particulièrement exigé (substitutions isoglycosiques, par exemple) revient à déterminer si les quantités de chaleur dégagées par la transformation rentrent ou non dans la marge de la thermogenèse. On peut bien dire qu'en général l'isodynamie s'applique; ses limites varient avec la température du milieu, et, probablement, avec la taille de l'animal; le calcul montre que, chez l'homme, la limite est dépassée dans le cas d'un fort repas de viande (131). 11 faut faire intervenir aussi la marge de la thermogenèse dans l'étude de la ration de travail; le supplément de ration nécessité par la production d'un même travail mécanique extérieur à l'organisme, diffère suivant la répartition de ce travail dans le temps (40, 83).
Ligne 1 279 ⟶ 1 296 :
L'usage du sel, c'est-à-dire du chlorure de sodium ajouté aux aliments, est répandu dans le monde entier; non que tous les peuples aient cet usage, mais partout les voyageurs sont frappés comme par une exception lorsqu'ils rencontrent des populations méprisant ce condiment. Les physiologistes ont par suite été amenés à considérer le sel comme nécessaire; mais nous n'avons pas d'explication physiologique de ce besoin. Une théorie très séduisante a été proposée par M. Bunge.
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/123]]==
 
L'alimentation végétale est la condition du besoin du sel (chlorure de sodium), car on observe régulièrement la concomitance des deux faits. Un grand nombre d'animaux herbivores soit domestiques, soit sauvages, recherchent avidement le sel; on n'a jamais rien observé de pareil pour aucun carnivore. Parmi les hommes, les populations agricoles, c'est-à-dire celles dont la nourriture est surtout empruntée aux végétaux, consomment du sel. Lorsque les conditions géographiques font que ce minéral est rare dans une région habitée par des agriculteurs, ceux-ci considèrent le sel comme extrêmement précieux et le recherchent avec une avidité frappante. Au contraire, les peuples chasseurs et pasteurs ne consomment pas de sel, même quand ils vivent dans le voisinage de la mer, des sources salées ou d'efflorescences salines. Or, si l'on compare la composition minérale d'un régime carnivore, d'une part, et d'un régime végétal de l'autre, on voit que la différence caractéristique porte, non pas sur l'absence de sels de sodium dans le régime végétal, mais sur un grand excès de sels de potassium dans ce régime. Bunge admet, en vertu d'un raisonnement précis, que le passage de ces sels de potasse à travers l'organisme tend à dépouiller celui-ci de son chlorure de sodium. C'est à couvrir cette perte qu'est destinée l'ingestion volontaire du sel marin.
Ligne 1 286 ⟶ 1 304 :
* 1) Le régime végétal est la cause du besoin de sel, ou du moins coexiste toujours avec l'appétit pour ce condiment. Ce point parait acquis. Pour ce qui regarde l'homme en particulier, l'enquête ethnographique à laquelle s'est livré Bunge est très démonstrative; et les faits nouveaux la confirment. C'est ainsi que j'ai pu, dans le voyage de la Sémiramis, noter celui-ci, dans une région sur laquelle Bunge avouait manquer de renseignements, l'Insulinde. A Florès, les indigènes essentiellement agricoles ont, malgré l'état peu avancé de leur industrie en général, constitué une méthode assez perfectionnée pour l'extraction du sel marin. Pendant la saison sèche de chaque année, les villages envoient au bord de la mer un petit groupe de femmes qui vient y camper sous les palétuviers pour se livrer à la préparation du sel. La boue noire que les racines des palétuviers maintiennent au niveau des hautes marées, se sature de sel au point que sa surface est blanchie par les efflorescences. Cette boue saline sert à préparer par lixiviation une solution à peu près saturée qui est ensuite dans une bassine porté à l'ébullition jusqu'à ce que le sel commence à cristalliser à chaud; la bouillie cristalline est alors versée sur un filtre grossier de feuilles de latanier tressées; les cristaux sont retenus, les eaux-mères s'écoulent à travers le filtre, et, s'évaporant encore à l'air libre, déposent une sorte de stalactite à la pointe du filtre. Le sel ainsi obtenu est tout à fait blanc, et parait du chlorure de sodium aussi pur que notre meilleur sel de cuisine.
* 2) Le second point serait l'explication physiologique du premier; le
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/124]]==
besoin de sel est causé par l'ingestion excessive de sels de potassium; il répond à un déficit en chlorure de potassium;
je pensai trouver un contrôle de cette théorie dans le fait suivant. Les explorateurs de la région du Congo nous ont fait connaître que les indigènes remplacent le sel marin par un sel extrait des cendres de certaines plantes. Cette contrée est dépourvue des gisements naturels de sel, et, en fait jusqu'à une époque récente, était privée de communications avec la mer; les nègres qui l'habitent sont agriculteurs; il est intéressant de constater qu'ils se sont ingéniés à se procurer malgré tout un sel de cuisine. Mais ce sel est-il du chlorure de sodium, ou tout au moins un mélange de sels où le métal dominant soit le sodium? Les végétaux sont généralement riches en potassium, mais il y a quelques exceptions. Si les nègres africains avaient su trouver de ces plantes exceptionnelles pour les incinérer et en tirer un sel sodique, la théorie de Bunge se trouvait confirmée d'une façon éclatante. Je m'efforçai d'obtenir des renseignements sur ce point; j'en cherchai inutilement en Abyssinie, quand j'y passai en 1892; enfin, en 1895, mon ami le Docteur Herr, à qui j'avais, lors de son départ, signalé la question, me rapporta d'une exploration sur la Sangha un échantillon de sel de cendres.
 
Pour préparer ce sel, les nègres prennent systématiquement certaines espèces de plantes aquatiques, notamment une aroïdée flottante, "Pistia Stratiotes", qui serait même cultivée dans ce but. Ces plantes sont récoltées, séchées, incinérées; les cendres sont placées dans un panier conique formant filtre, épuisées par de l'eau; la solution est concentrée par ébullition dans un vase de terre où on la laisse cristalliser par refroidissement.
 
Ce sel de cendres est essentiellement potassique, à telle enseigne que, placé dans la flamme d'un bec Bunsen, il donne une coloration violette (or, 1 p. de NaCl mélangé à 20 p. de KCl donne déjà une flamme nettement jaune). J'indiquai cette constatation comme inconciliable avec la théorie de Bunge (51 et 52). Bunge, en soulevant d'ailleurs des doutes discrets sur la valeur de mon analyse, répondit qu'il s'agissait là d'une aberration de l'instinct, sans signification physiologique. Je lui envoyai un échantillon de mon sel; il vérifia que ce sel contenait 200 de potassium pour 1 de sodium. Bientôt Léon Fredericq confirmait, en l'étendant, le fait signalé par moi, et déclarait se rallier entièrement à mon opinion, et quelques années plus tard, Abderhalden donnait une nouvelle observation du même genre.
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/125]]==
 
 
Cette année même, M. Bunge a repris la discussion. Il s'agit de savoir, dit-il, si l'usage de ces sels potassiques constitue « la règle pour les tribus nègres de l'Afrique ou si ce n'est pas plutôt l'exception ». Il a donc cherché à se procurer ce qu'il appelle des succédanés du sel de cuisine provenant de diverses régions de l'Afrique, de façon à dresser une espèce de statistique comparative des sels potassiques et des sels sodiques. Cinq échantillons lui ont été adressés par deux voyageurs; tous les cinq se sont révélés à l'analyse plus riches en sodium qu'en potassium; j'ai fait remarquer ceci (162). Tous les sels potassiques ont été recueillis dans une région continue qui commence à quelque distance au sud du lac Tchad et se prolonge vers le Sud-Est jusqu'à 3000 kilomètres de là; c'est tout le bassin du Congo, plus des annexes. Tous les sels sodiques de Bunge ont été recueillis dans d'autres régions, et la plupart d'entre eux sont des sels de sebkha, une forme naturelle bien connue du vrai sel de cuisine. Les documents invoqués par Bunge ne diminuent donc en rien la signification de la coutume congolaise. Dans toute une étendue six fois grande comme la France, pour 20 ou 25 millions d'êtres humains, l'usage des sels de cendres à base de potasse était la règle; dans cette étendue, on n'a encore signalé aucune exception. Le fait que j'ai opposé à la théorie de Bunge est donc plus que jamais valable. Quant à l'explication à mettre à la place de celle-là, j'ai noté que d'autres condiments, les piments, par exemple, sont également très recherchés par les peuples agricoles; la nourriture par les céréales étant généralement fade, c'est comme excitant sensoriel que le sel serait employé. Il semble donc que Salluste ait, à propos d'un cas particulier, embrassé la question tout entière, lorsqu'il écrivait: "Numidae plerumque lacte et carne ferina vescebantur, et neque salem neque alia irritamenta gulae quaerebant".
Ligne 1 301 ⟶ 1 323 :
** (82). Observation sur une communication de M. Hénocque intitulée: "Etude de l'activité de la réduction de l'oxyhémoglobine dans les ascensions en ballon, Société de Biologie, 23 novembre.
* 1904
** (100). Observation sur la communication de M. X intitulée: "Expériences faites au Mont-
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/126]]==
Blanc en 1903 sur l'activité des combustions organiques aux hautes altitudes, Société de Biologie, 16 août;
** (100 bis). Critiques générales sur la mesure de l'activité des échanges par la méthode de Hénocque, Société de Biologie, 12 novembre.
 
Ligne 1 316 ⟶ 1 340 :
 
* Appendice: Elimination de l'azote
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/127]]==
 
* Dosage de l'azote urinaire.
Ligne 1 331 ⟶ 1 356 :
** (18). Note sur l'action des alcalins, Société de Biologie, 31 octobre.
 
L'action des alcalins sur les échanges azotés venait d'être étudiée dans une importante série de recherches en Allemagne; on avait établi notamment ceci: sur des hommes en bonne santé, avec régime d'entretien bien réglé et élimination d'azote constante, l'ingestion d'alcalins (citrate de soude) ne change pas la moyenne, mais provoque dans l'élimination journalière de grandes irrégularités. Je suis arrivé au résultat précisément inverse, en expérimentant la même substance, aux mêmes doses, sur un arthritique dont le régime, non réglé, comportait en général un excès de viande. En l'absence du médicament, l'urée journalière (très irrégulière naturellement en régime libre), oscillait de 29 à 48 grammes, moyenne 38 grammes. Sous l'influence du médicament, le régime restant libre, et les conditions d'alimentation d'ailleurs identiques, oscillait de moins d'un gramme autour de 33 grammes. Le sujet accusait, pendant les périodes d'alcalinité, une sensation marquée de bien-être.
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/128]]==
J'avais antérieurement (23) indiqué théoriquement la différence à établir pour l'action d'un médicament comme les alcalins, suivant qu'on l'administre à un sujet normal, ou à un sujet présentant une déviation des phénomènes nutritifs. Le fait signalé ici me parait une illustration assez curieuse de cette différence.
 
 
Ligne 1 342 ⟶ 1 369 :
** (77). Observations sur la détermination de la toxicité urinaire, Société de Biologie, 9 juin.
 
Après que M. Houchard eut démontré l'existence de la toxicité urinaire, on avait fait de nombreuses recherches sur les variations pathologiques de cette toxicité; on n'avait à peu près pas examiné l'influence des conditions physiologiques diverses. J'ai entrepris cette étude avec M. Ch. Marette. Nos recherches ont porté sur trois hommes en bonne santé, âgés de vingt-six à trente-deux ans. Toutes les urines émises étaient recueillies, pendant plusieurs jours consécutifs, par périodes de vingt-quatre heures. Dans ces urines de vingt-quatre heures, nous avons dosé l'acidité, l'urée, l'azote total, les cendres, les acides sulfoconjugués, et la matière colorante (celle-ci simplement par la colorimétrie). L'essai de la toxicité était fait sur une portion aliquote de l'urine des vingt-quatre heures (1/4 ou 2/5, suivant le poids du sujet) ramenée au volume fixe de 100 centimètres cubes, par évaporation sous pression réduite, à basse température. L'urine concentrée et neutralisée était injectée dans la veine de l'oreille d'un lapin à la vitesse de 2 centimètre cubes par minute. L'injection était poussée jusqu'au moment où l'animal mourait; on calculait d'après le volume nécessaire pour amener la mort d'un animal d'un certain poids, le poids qui aurait pu être tué par la totalité des urines des vingt-quatre heures; ce chiffre de kilogrammes représente le degré de toxicité. Nous avons observé chez les sujets les variations des fermentations intestinales, en prenant comme mesure de celles-ci la quantité d'acides sulfoconjugués de l'urine; nous avons fait varier l'alimentation; nous avons enfin soumis les sujets à un travail musculaire plus ou moins intense. Voici les faits principaux qui ressortent de nos expériences. Il n'y a de rapport constant entre aucun des éléments de l'urine que nous avons dosé et la toxicité urinaire. En particulier, la quantité de matière colorante, d'une part, et les pouvoirs myotique et toxique, de l'autre, ne présentent pas de rapport constant, et peuvent même varier en sens inverse. Le pouvoir myotique de l'urine est détruit par l'ébullition; il résiste au chauffage à 80 degrés. Quand les acides sulfoconjugués présentent un excès notable sur la normale, la toxicité est augmentée. Les variations du régime alimentaire entre les limites habituelles n'ont pas d'action sensible.
==[[Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/129]]==
 
 
Un régime composé exclusivement de lait et de riz diminue les fermentations intestinales et fait baisser la toxicité urinaire, Le régime lacté exclusif, comprenant une quantité de lait suffisante pour l'appétit d'une personne active, soit 3 à 4 litres par jour, augmente notablement la toxicité urinaire; cette toxicité présente un maximum le troisième jour. Les acides sulfoconjugués sont diminués; la quantité de matière colorante est diminuée; les urines deviennent fluorescentes. Les sujets perdent de leur poids. L'exercice musculaire, plus ou moins intense, mais n'entraînant pas un sentiment de fatigue prononcé, n'a pas d'action sur la toxicité urinaire. Le tableau des phénomènes toxiques chez l'animal soumis à l'injection est resté sensiblement le même dans les divers cas, c'est-à-dire que la toxicité urinaire a varié quantitativement, mais non qualitativement.
 
Le fait général qui résulte de cette étude, c'est que les diverses conditions étudiées n'ont d'influence que lorsqu'elles sortent des limites physiologiques; alors, elles augmentent la toxicité. L'accroissement de toxicité par le régime lacté exclusif était tout à fait paradoxal; les médecins du monde entier, en effet, prescrivaient le lait pour diminuer la toxicité urinaire, sans qu'aucun, d'ailleurs, eût jamais vérifié le phénomène. La toxicité ayant été plus que doublée dans nos expériences, nous avons pu être très affirmatifs et maintenir notre fait contre toutes les objections. Quelques années plus tard, en 1903, Widal et Javal démontraient que l'action bienfaisante du régime lacté tient à une cause tout autre que la prétendue diminution de toxicité.
 
=== no match ===