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et chaude figure en bronze de ''Madier de Montjau''. L’''Ève'' accroupie de M. Dagonet, dans sa pose ramassée, la tête sur ses genoux, rappelle une des dernières compositions de cet excellent Delaplanche ; les jambes, entourées par les bras, sont plus serrées encore ; l’ensemble forme une espèce de masse cubique dans le goût de certaines pleureuses égyptiennes, qui serait assez disgracieuse si l’habileté du sculpteur n’en avait remarquablement combiné les lignes et assoupli les contours. Il n’y faut pas trop chercher l’expression d’une douleur profonde, mais le morceau est d’un bon style. N’est-ce pas encore une Eve quelconque s’éveillant à la vie, que le public croit voir dans la jeune géante, assise sur le sol, les yeux encore clos, soulevée à demi, s’étirant les bras, qui représente, suivant M. Boucher, la ''Naissance de la Terre'' ? Le titre semble avoir été mis après coup, comme les noms d’héroïnes bibliques ou d’illustres dames de la renaissance dont les peintres du premier étage baptisent ''in extremis'' leurs études d’après le modèle parisien, au moment d’en faire la déclaration légale aux employés du catalogue. Rien ne justifie, ni dans le caractère, ni dans l’attitude, ni dans les accessoires, les ambitions cosmogoniques de cette robuste tille, dont la tête étroite, d’un profil court et mesquin, ne doit pas contenir beaucoup de cervelle. M. Boucher, qui est un de nos plus vigoureux tailleurs de marbre, pense beaucoup à Michel-Ange ; il s’attaque, volontiers, comme lui, aux figures colossales. Désirerait-il, comme lui, joindre, à la gloire de l’artiste, la gloire du penseur ? On le croirait, car il nous présente, depuis quelque temps, toutes ses études comme de hautes synthèses sur lesquelles nous sommes invités à méditer : s’il représente une femme qui s’endort, c’est le ''Repos'' ; s’il agrandit, avec un talent considérable, mais sans originalité inventive, le superbe Adam de Jacopo della Quercia, travaillant la glèbe, le pied sur sa bêche, cela devient la ''Terre''. Pour cette dernière figure, passe encore, l’œuvre était imposante et pouvait, jusqu’à un certain point, supporter ce titre ambitieux ; mais, avec ce système, nous n’aurions bientôt plus, au Salon, que des créations philosophiques, scientifiques, symboliques, à trop peu de frais, en vérité, et sans que la pensée moderne s’en trouve suffisamment fortifiée ou éclairée. Il n’est pas de paysanne allaitant son nourrisson qui ne puisse devenir la ''Maternité'' ou même l’''Humanité'', pas de troupier combattant qui ne puisse symboliser la ''Patrie'' ou la ''Gloire''. Les grands mots ne suffisent point à faire les grandes œuvres. Avec des intentions plus modestes, la figure de M. Boucher, puissamment modelée en quelques parties, trouverait la critique disposée à plus
et chaude figure en bronze de ''Madier de Montjau''. L’''Ève'' accroupie de M. Dagonet, dans sa pose ramassée, la tête sur ses genoux, rappelle une des dernières compositions de cet excellent Delaplanche ; les jambes, entourées par les bras, sont plus serrées encore ; l’ensemble forme une espèce de masse cubique dans le goût de certaines pleureuses égyptiennes, qui serait assez disgracieuse si l’habileté du sculpteur n’en avait remarquablement combiné les lignes et assoupli les contours. Il n’y faut pas trop chercher l’expression d’une douleur profonde, mais le morceau est d’un bon style. N’est-ce pas encore une Eve quelconque s’éveillant à la vie, que le public croit voir dans la jeune géante, assise sur le sol, les yeux encore clos, soulevée à demi, s’étirant les bras, qui représente, suivant M. Boucher, la ''Naissance de la Terre'' ? Le titre semble avoir été mis après coup, comme les noms d’héroïnes bibliques ou d’illustres dames de la renaissance dont les peintres du premier étage baptisent ''in extremis'' leurs études d’après le modèle parisien, au moment d’en faire la déclaration légale aux employés du catalogue. Rien ne justifie, ni dans le caractère, ni dans l’attitude, ni dans les accessoires, les ambitions cosmogoniques de cette robuste fille, dont la tête étroite, d’un profil court et mesquin, ne doit pas contenir beaucoup de cervelle. M. Boucher, qui est un de nos plus vigoureux tailleurs de marbre, pense beaucoup à Michel-Ange ; il s’attaque, volontiers, comme lui, aux figures colossales. Désirerait-il, comme lui, joindre, à la gloire de l’artiste, la gloire du penseur ? On le croirait, car il nous présente, depuis quelque temps, toutes ses études comme de hautes synthèses sur lesquelles nous sommes invités à méditer : s’il représente une femme qui s’endort, c’est le ''Repos'' ; s’il agrandit, avec un talent considérable, mais sans originalité inventive, le superbe Adam de Jacopo della Quercia, travaillant la glèbe, le pied sur sa bêche, cela devient la ''Terre''. Pour cette dernière figure, passe encore, l’œuvre était imposante et pouvait, jusqu’à un certain point, supporter ce titre ambitieux ; mais, avec ce système, nous n’aurions bientôt plus, au Salon, que des créations philosophiques, scientifiques, symboliques, à trop peu de frais, en vérité, et sans que la pensée moderne s’en trouve suffisamment fortifiée ou éclairée. Il n’est pas de paysanne allaitant son nourrisson qui ne puisse devenir la ''Maternité'' ou même l’''Humanité'', pas de troupier combattant qui ne puisse symboliser la ''Patrie'' ou la ''Gloire''. Les grands mots ne suffisent point à faire les grandes œuvres. Avec des intentions plus modestes, la figure de M. Boucher, puissamment modelée en quelques parties, trouverait la critique disposée à plus