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premiers musiciens du monde. Il y en a même qui regarderoient volontiers la musique à Paris comme une affaire d’Etat, peut-être parce que c’en fut une à Sparte de couper deux cordes à la lyre de Timothée : à cela vous sentez qu’on n’a rien à dire. Quoi qu’il en soit, l’Opéra de Paris pourroit être une fort belle institution politique, qu’il n’en plairoit pas davantage aux gens de goût. Revenons à ma description.
apperçu ces objets que de fort loin, l’inspection en est si libre qu’il reste peu de chose à deviner. Ces dames paroissent mal entendre en cela leurs intérêts ; car, pour peu que le visage soit agréable, l’imagination du spectateur les serviroit au surplus beaucoup mieux que ses yeux ; & suivant le philosophe gascon, la faim entiere est bien plus âpre que celle qu’on a déjà rassasiée, au moins par un sens.


Les Ballets, dont il me reste à vous parler, sont la partie la plus brillante de cet Opéra ; & considérés séparément, ils font un spectacle agréable, magnifique & vraiment théâtral ; mais ils servent comme partie constitutive de la piece & c’est en cette qualité qu’il les faut considérer. Vous connoissez les opéras de Quinault ; vous savez comment les divertissemens y sont employés : c’est à peu près de même, ou encore pis, chez ses successeurs. Dans chaque acte l’action est ordinairement coupée au moment le plus intéressant par une fête qu’on donne aux acteurs assis & que le parterre voit debout. Il arrive de là que les personnages de la piece sont absolument oubliés, ou bien que les spectateurs regardent les acteurs qui regardent autre chose. La maniere d’amener ces fêtes est simple : si le prince est joyeux, on prend part à sa joie & l’on danse ; s’il est triste, on veut l’égayer & l’on danse. J’ignore si c’est la mode à la cour de donner le bal aux rois quand ils sont de mauvaise humeur : ce que je sais par rapport à ceux-ci, c’est qu’on ne peut trop admirer leur constance stoique à voir des gavottes ou écouter des chansons, tandis qu’on décide quelquefois derriere le théâtre de leur couronne ou de leur sort. Mais il y a bien d’autres sujets de danse : les plus
Leurs traits sont peu réguliers ; mais, si elles ne sont pas belles, elles ont de la physionomie, qui supplée à la beauté & l’éclipse quelquefois. Leurs yeux vifs & brillans ne sont pourtant ni pénétrans ni doux. Quoiqu’elles prétendent les animer à force de rouge, l’expression qu’elles leur donnent par ce moyen tient plus du feu de la colere que de celui de l’amour : naturellement ils n’ont que de la gaieté ; ou s’ils semblent quelquefois demander un sentiment tendre, ils ne le promettent jamais.*

[*Parlons pour nous, mon cher philosophe : pourquoi d’autres ne seroient-ils pas plus heureux ? Il n’y a qu’une coquette qui promette à tout le monde, ce qu’elle ne doit tenir qu’à un seul. ]

Elles se mettent si bien, ou du moins elles en ont tellement la réputation, qu’elles servent en cela, comme en tout, de modele au reste de l’Europe. En effet, on ne peut employer avec plus de goût un habillement plus bizarre. Elles sont de toutes les femmes les moins asservies à leurs propres modes. La mode domine les provinciales ; mais les Parisiennes dominent la mode & la savent plier chacune à son avantage. Les premieres sont comme des copistes ignorants & serviles qui copient jusqu’aux fautes d’orthographe ; les autres sont des auteurs