« La Galerie espagnole du maréchal Soult » : différence entre les versions

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Les compositions de Ribeira exposées à la salle Lebrun sont au nombre de sept. Quatre d'entre elles, ''la Délivrance de Saint Pierre'', le ''Saint Sébastien, le Portement de Croix'' et ''la Sainte Famille'', peuvent être rangées au nombre de ses meilleurs ouvrages. Les deux premiers tableaux sont dans la manière vigoureuse du maître et rappellent les violens effets du Caravage. ''La Sainte Famille'' est exécutée dans un tout autre système et doit être de l'époque où Ribeira, séduit, par la suavité du coloris du Corrège, modifia son style qu'il s'efforça d'adoucir et de rendre plus châtié. Ribeira, cette fois, s'est refusé ces brusques contrastes d'ombre et de lumière qui lui sont familiers et auxquels la plupart de ses compositions doivent leur effet si puissant. Les chairs sont en pleine lumière, les ombres sont transparentes et dorées, et cependant les figures ont un merveilleux relief qu'elles doivent à une richesse d'empâtement qu'on ne saurait trop admirer.
 
Plusieurs compositions de Roelas, ode Juan Joanès, fils de Vincent Joanès, de François Pacheco, d'Herrera le vieux et de Ribalta comblent, avec les Ribeira, l'intervalle qui sépare l'ancienne école de l'école du XVIIe siècle. ''La Cène'' de Ribalta, l'un des meilleurs peintres de l'école de Valence, doit être la première pensée de ''la Cène'' qu'il exécuta dans cette ville pour le maître-autel du collège du ''Corpus Christi''. C'est une charmante composition, d'un coloris plus varié que savant, et qui rappelle les vivantes esquisses des grands maîtres italiens. Le ''Saint Basile'' d'Herrera le vieux ne présente aucune de ces réminiscences italiennes; c'est une oeuvreœuvre tout-à-fait espagnole et dans laquelle on retrouve ce style rude et majestueux et cette férocité d'exécution qui ont rendu ce maître fameux entre tous les artistes énergiques qu'a produits l'Espagne. Herrera, au moment de la composition, poussait la fougue jusqu'à la fureur. Ses élèves redoutaient de l'approcher tandis qu'armé de balais en guise de brosses, et se faisant aider de sa servante, il jetait la couleur sur sa toile, remplissant, comme au hasard, les contours des figures qu'il traçait au moyen de joncs. Bien que d'une puissance de relief sans égale, le ''Saint Basile'' paraît exécuté plus sagement. Ce qui distingue cette composition, c'est un grand sentiment de la réalité. Rien n'est accordé au charlatanisme de l'effet; mais aussi rien de trivial ou de faux. Nous recommandons l'étude de ce tableau à nos peintres naturalistes. C'est du reste bien à tort, à notre avis, que l'on a porté contre l'école espagnole l'accusation de matérialisme. Les moyens sont humains sans doute, mais le but est toujours élevé et ''spirituel''. Ses peintres les plus amoureux de la nature ont consacré leurs pinceaux au service d'une idée où ils puisent l'inspiration de leurs chefs-d'oeuvre les plus sublimes : ''l'idée religieuse''. CelteCette influence irrésistible que, sous Charles-Quint et Philippe II, la religion exerçait sur la politique, dont le domaine est tout de ce monde, devait naturellement s'étendre aux beaux-arts qui, de tout temps, ont été comme un des modes d'expression du sentiment religieux. Le paganisme avait peuplé ses sanctuaires des statues de ses dieux et de ses déesses. Le catholicisme couvrit les murs des églises de ces saintes images qui les revêtent encore. En Espagne, cette application de l'art fut plus exclusive encore qu'en Italie. Il fut un temps où l'artiste qui, à l'instar des Raphaël, des Titien et des Corrège, eût emprunté à la fable et au paganisme le sujet de ses compositions, au lieu d'admirateurs, eût rencontré des critiques ombrageux, peut-être des juges. L'art espagnol est donc religieux avant tout. Ce n'est que plus tard, au moment de la grande explosion du XVIIe siècle, que le pinceau de l'artiste se permet de profanes libertés; mais alors encore, sous Vélasquez et Murillo comme sous les maîtres de Tolède et de Valence, le fond de l'école reste dévoué au triomphe du dogme. Sans doute, pour honorer le ciel, elle emprunte beaucoup trop à la terre. Toutefois son horreur des abstractions est fort éloignée du matérialisme des écoles contemporaines; elle ne se sert pas de la nature pour exalter la nature, elle ne s'en sert que comme Moïse et les prophètes se sont servis de la création, pour faire comprendre toute la puissance du Créateur, le glorifier et le faire aimer.
 
Zurbaran est de tous les peintres de la grande période le plus franchement espagnol. Zurbaran, comme Giotto, était fils de paysans. Comme il montrait d'étonnantes dispositions pour la peinture, ses parens le firent entrer dans l'atelier du clerc Las Roëlas, peintre de Séville qui jouissait alors de la vogue. Zurbaran fit de rapides progrès à son école et s'adonna surtout à l'étude des étoffes et des draperies. Il ne fit pas le voyage d'Italie, et si, comme on l'assure, il a copié plusieurs tableaux du Caravage, sa manière se rapproche peu de celle de ce maître, et son style vigoureux et simple est surtout exempt de sa fougue un peu apprêtée. Zurbaran est un de ces peintres religieux dont nous parlions tout à l'heure; le petit nombre de compositions profanes qu'il a exécutées l'ont été sur l'ordre du roi, qui lui commanda pour le Retiro les ''Travaux d'Hercule''. C'est dans la grotte du cénobite ou dans la cellule du moine qu'il s'établit de préférence. Nul artiste n'a su exprimer comme lui les austérités de la vie claustrale; nul n’a su comme lui draper comme lui la chappe de l'archidiacre, l'aube ou le surplis du prêtre, et dérouler avec une majesté plus terrible les bruns replis de la robe du moine et du manteau de l'anachorète. La collection que nous examinons comprend vingt tableaux de Zurbaran; c'est cinq fois plus que les musées de Madrid n’en renferment. Plusieurs de ces tableaux faisaient partie de la série de compositions commandées par le marquis de Malagon pour le cloître des pères de l& Merci chaussés de Séville, représentant l'histoire de saint Pierre de Nolasque. Deux tableaux de cette série, ''l'Apparition de saint Pierre apôtre à saint Pierre de Notasque'' et ''le Songe de saint Pierre de Nolasque'', à qui un ange indique le chemin de Jérusalem, sont aujourd'hui au musée de Madrid. Un ''Martyre de saint Pierre'' faisait partie de la collection de M. Aguado. Les tableaux du maréchal Soult appartenant à la même série sont au nombre de trois. L'un nous montre saint Pierre de Nolasque siégeant au milieu du chapitre de Barcelone, un autre ''les Funérailles d'un Évêque'', le troisième ''le Miracle du Crucifix''. Les ''Funérailles d'un Évêque'' sont une composition dans ce genre terrible. C'est l'image de la mort avec sa froide immobilité, les regrets qu'elle inspire, le recueillement dont on l'entoure, les hommages suprêmes qu'on lui rend. ''Le Miracle du Crucifix'' est peut-être le meilleur des tableaux de Zurbaran. La composition est des plus simples : un frère franciscain debout dans sa cellule, vêtu de la robe grise de l'ordre, soulève un rideau, découvre un crucifix où Jésus est représenté mourant sur la croix, et le montre à plusieurs moines qui l'accompagnent. Un fauteuil, une table, quelques rayons chargés de livres recouverts en parchemin tel est l'ameublement de la cellule. Le calme de ces personnages, la foi qui anime leurs regards, l'austère simplicité de leurs vêtemens, rappellent les meilleures compositions de Lesueur, avec lequel Zurbaran a plus d'un point de ressemblance, et qu'il surpasse cette fois en vigueur.