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{{journal|Mouvement philosophique en province|[[Jules Simon]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.30, tome1842}} 30
 
Mouvement philosophique en province
 
[[Jules Simon]]
 
 
Lorsqu'à la suite de la révolution française les coutumes locales et les privilèges des diverses provinces firent place à cette organisation régulière et uniforme qui réunit toute la France sous une même administration et dans une même hiérarchie, Paris devint l'unique centre de tous les pouvoirs et de tous les intérêts, et, par une conséquence presque nécessaire, de tout le mouvement littéraire et scientifique du pays. Les communautés religieuses vouées à la culture des lettres furent proscrites; avec elles disparurent les cours, les bibliothèques, les collections, et, ce qui n'est pas moins nécessaire pour susciter et entretenir le zèle des études, les conseils, les encouragemens et l'exemple d'hommes éclairés qui mettent en commun leurs lumières et leurs espérances. Par suite de cette concentration, tandis que l'Angleterre a deux universités florissantes, et qu'en Allemagne on rencontre partout des universités, des académies, des hommes d'étude, en France, l'activité intellectuelle n'a, à vrai dire, qu'un seul foyer pour suffire à tous les besoins. De là, l'appauvrissement des provinces, qui, n'étant pas encouragées et ne recevant pas l'impulsion d'assez près, se détournent de la culture des lettres et font refluer sur la capitale, qu'ils encombrent, tous les esprits ardens et ambitieux. Le talent ne se révèle pas toujours de lui-même à celui qui le possède; le plus souvent l'étincelle vient du dehors. Si l'on veut que la lumière se répande également dans toute la France, il faut donner des alimens aux esprits, éveiller la curiosité, faire naître le goût de la science et des fortes études par le spectacle, rendu plus présent, de l'activité intellectuelle et de la vie littéraire et scientifique. Une riche nature peut rester endormie si rien ne la sollicite, et ignorer toujours les dons qu'elle avait reçus. L'amour de la vérité a aussi sa contagion, et, selon la belle parole d'un père de l'église, « les ames s'allument l'une à l'autre comme des flambeaux. » Croit-on que Paris s'accroisse de ce que l'on ôte aux provinces? Tout ce mouvement qui se fait autour des pouvoirs politiques dans une grande capitale, est-ce donc un auxiliaire pour la science? Avec cette publicité chaque jour croissante qui met la célébrité à la portée de tout le monde, assure cent mille lecteurs à un article frivole et n'en laisse pas aux œuvres les plus sérieuses, que devient la littérature sans croyance, sans culte de l'art, vendue au plus offrant et trans�formée en appeau pour prendre des dupes? Quelle indépendance, quelle dignité peut conserver la philosophie, traînée à la remorque des partis, flattant les passions qu'elle devrait dompter, et exploitée seulement au profit des philosophes? Les querelles envenimées, les ambitions, les intrigues qui occupent l'opinion et la faveur populaires, ne permettent pas à la philosophie de faire entendre sa voix au milieu de ces cris de haine. Il faut qu'elle s'avilisse jusqu'à devenir l'instrument d'un parti et à porter ses couleurs. Elle est la bien-venue sous cette livrée, pourvu encore qu'elle ne se rende pas importune! Ne sommes-nous pas les témoins de cette prévari�cation et de cette honte? Mais, s'il est vrai que la vérité ne se découvre qu'à ceux qui l'aiment et ne se donne qu'à ceux qui la recherchent pour elle-même, ne faut-il pas ouvrir des asiles aux méditations calmes, aux études persévérantes; fournir des issues à ces ambi�tions qui se nuisent, qui s'étouffent, et détourner au profit de la science cette impatiente activité qui se dépense sans but ou s'exerce pour le mal?