« Œuvres de Florian/Théâtre/Avant-propos » : différence entre les versions

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La réunion des deux genres dont je viens de parler ferait sans doute un bon ouvrage : malheureusement cette réunion est extrêmement difficile. Presque toujours le comique nuit à l'intérêt, et l'intérêt exclut le comique. J'ai cru pourtant qu'il n'était pas impossible de les allier. J'ai pensé que le sentiment et la plaisanterie pouvaient tellement être unis, qu'ils- fussent quelquefois confondus, que le spectateur s'égayât et s'attendrit en même temps, qu'il fût également ému par l'intérêt de l'action et réjoui par le comique de l'acteur, en un mot, que le même personnage fit pleurer et rire à la fois. Pour cela j'avais besoin d'Arlequin <ref>Ce personnage, qui paraît avoir été connu des anciens, a été l'objet des recherches de plusieurs auteurs. L'opinion la plus vraisemblable, c'est qu'il fut, dans son origine, un esclave africain. Son visage noir et sa tête rasée semblent l'indiquer. Quant à son habit de trois couleurs, ce que j'ai pu découvrir, sinon de plus authentique, au moins de plus agréable, le voici :
Un pauvre petit nègre orphelini abandonné près de Rcpgame, ne trouva d'amis et de protecteurs que dans trois enfants de son âge qui jouaient hors de la ville. Ils eurent pitié du malheureux étranger, commencèrent par lui donner leur pain ; et, le voyant presque nu, ils résolurent de l'habiller ; mais ils n'avaient point d'argent . Heureusement chacun d'eux était fils d'un marchand de drap. Sans s'être donné le mot, les trois petits bienfaiteurs volèrent le même jour, dans la boutique de leur père. iine demi- aune de drap pour vêtir leur jeune ami. Ces trois demi-aunes se trouvèrent de différentes couleurs. Malgré cet inconvénient, on se hâta de les coudre ensemble du mieux qu'on put. L'habit fut assez mal taillé ; mais il parut à tous fort joli. On voulut même donner une épée à celui qu'on trouvait si bien mis : un morceau de bois fit l'affaire. Alors on crut pouvoir présenter le petit étranger dans la ville. Arlequin s'y établit ; et la reconnaissance lui lit un devoir de porter toujours cet habit, qui lui rappelait un bienfait si aimable.</ref>.
 
Un pauvre petit nègre orpheliniorphelin, abandonné près de RcpgameBergame, ne trouva d'amis et de protecteurs que dans trois enfants de son âge qui jouaient hors de la ville. Ils eurent pitié du malheureux étranger, commencèrent par lui donner leur pain ; et, le voyant presque nu, ils résolurent de l'habiller ; mais ils n'avaient point d'argent . Heureusement chacun d'eux était fils d'un marchand de drap. Sans s'être donné le mot, les trois petits bienfaiteurs volèrent le même jour, dans la boutique de leur père. iineUne demi- aune de drap pour vêtir leur jeune ami. Ces trois demi-aunes se trouvèrent de différentes couleurs. Malgré cet inconvénient, on se hâta de les coudre ensemble du mieux qu'on put. L'habit fut assez mal taillé ; mais il parut à tous fort joli. On voulut même donner une épée à celui qu'on trouvait si bien mis : un morceau de bois fit l'affaire. Alors on crut pouvoir présenter le petit étranger dans la ville. Arlequin s'y établit ; et la reconnaissance lui lit un devoir de porter toujours cet habit, qui lui rappelait un bienfait si aimable.</ref>.
Ce caractère est k seul peut-être qui rassemble l'esprit et la naïveté, la finesse et la balourdise. Arlequin, toujours simple et bon, toujours facile à tromper, croit ce qu'on lui dit, fait ce que l'on veut, et vient se mettre de moitié dans les pièges qu'on veut lui tendre : rien ne l'étonné, tout l'embarrasse ; il n'a point de raison, il n'a que de la sensibilité ; il se fâche, s'apaise, s'afflige, se console dans le même instant : sa joie «t sa douleur sont également plaisantes. Ce n'est pourtant rien moins qu'un bouffon ; ce n'est pas non plus un personnage sérieux : c'est un grand enfant; il en a les grâces, la douceur, l'ingénuité ; et les enfants sont si aimables, si attrayants, que j'ai cru mon succès certain, si je pouvais donner à cet enfant toute la raison, tout l'esprit, toute la délicatesse d'un homme.
 
Ce caractère est kle seul peut-être qui rassemble l'esprit et la naïveté, la finesse et la balourdise. Arlequin, toujours simple et bon, toujours facile à tromper, croit ce qu'on lui dit, fait ce que l'on veut, et vient se mettre de moitié dans les pièges qu'on veut lui tendre : rien ne l'étonné, tout l'embarrasse ; il n'a point de raison, il n'a que de la sensibilité ; il se fâche, s'apaise, s'afflige, se console dans le même instant : sa joie «tet sa douleur sont également plaisantes. Ce n'est pourtant rien moins qu'un bouffon ; ce n'est pas non plus un personnage sérieux : c'est un grand enfant ; il en a les grâces, la douceur, l'ingénuité ; et les enfants sont si aimables, si attrayants, que j'ai cru mon succès certain, si je pouvais donner à cet enfant toute la raison, tout l'esprit, toute la délicatesse d'un homme.
Delisie et Marivaux en avaient déjà tiré un grand parti. Le premier a fait de son Arlequin un philosophe de la nature, misanthrope gai, cynique décent, qui voit les objets comme ils sont, les montre comme il les voit, s'exprime avec énergie, et fait rire en raisonnant juste.
 
DelisieDelisle et Marivaux en avaient déjà tiré un grand parti. Le premier a fait de son Arlequin un philosophe de la nature, misanthrope gai, cynique décent, qui voit les objets comme ils sont, les montre comme il les voit, s'exprime avec énergie, et fait rire en raisonnant juste.
Marivaux, ce grand anatomiste du cœur humain, qui, pour avoir voulu tout dire, n'a pas toujours dit ce qu'il fallait, Marivaux a fait des Arlequins moins naturels, moins philosophes que ceux de Delisie, mais plus délicats, plus aimables, et qui, à force d'esprit, rencontrent quelquefois la naïveté.
 
Marivaux, ce grand anatomiste du cœur humain, qui, pour avoir voulu tout dire, n'a pas toujours dit ce qu'il fallait, Marivaux a fait des Arlequins moins naturels, moins philosophes que ceux de DelisieDelisle, mais plus délicats, plus aimables, et qui, à force d'esprit, rencontrent quelquefois la naïveté.
 
Je n'ai voulu copier ni Marivaux ni Delisle. Cela ne m'aurait pas été facile : l'un avait plus de finesse, l'autre plus de profondeur que moi. J'ai voulu peindre un Arlequin bon, doux, ingénu, simple sans être bête, parlant purement, et exprimant avec naïveté les sentiments d'un cœur très-tendre. Une fois ce caractère établi, non d'après les auteurs qui s'en étaient servis avant moi, mais d'après mes idées particulières, j'ai cherché des intrigues qui pussent m'aider à le développer. J'étais presque sûr que mon héros était intéressant ; son masque et son habit le rendaient comique ; il ne fallait plus que trouver des situations attachantes, et je devais faire rire et pleurer. Il reste à savoir si j'y suis parvenu.
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Lorsque j'osai risquer pour la première fois au théâtre l'Arlequin que je m'étais créé, il y avait plus de vingt ans que la comédie italienne avait abandonné les pièces de Marivaux et rteDelisie, pour des canevas italiens que les acteurs remplissaient à leur gré. J'essayai de rappeler un genre oublié. Je lis représenter par des acteurs italiens une pièce toute francaise : ''les Deux Billets''. Elle réussit, quoiqu'elle ne fût pas iouée par le célèbre Carlin, acteur à jamais recommandable par ses grâces, par son naturel, et à qui peut-être il n'a manqué que de la mémoire pour être le premier des acteurs comiques.
 
D'après ce succès qui m'encouragea, d'après une chute qui m'éclaira <ref>''Arlequin ruiroi, dame'' »let valet'', tombé le 5 novembre 47791779, clet jeté au fnifen le 6 du même mois.</ref>, je voulus donner à mes comédies un hut de morale et d'utilité. Cette idée n'avait rieri de neuf, car toutes les bonnes comédies sont ou doivent être morales. Mais, avec le personnage que j'avais choisi, je ne pouvais pas développer de grands sujets, ni prétendre à corriger les hommes en attaquant de grands vices : j'essayai du moins de les exciter à la vertu, en leur rappelant combien elle donne de vrais plaisirs. Je voulus surtout présenter le tableau de ces vertus familières, de ces vertus de tous les jours, les plus utiles peut- être, les plus nécessaires au bonheur : car ce ne sont pas, ce me semble, les grands préceptes de la morale et de la philosophie que l'on trouve à mettre en pratique le plus souvent. On est rarement dans le cas de sacrifier à son devoir, à la patrie, à l'honneur, à son repos, sa fortune et sa vie; mais on est obligé à tous les instants d'être un bon fils, un bon époux, un bon père.
 
Voilà les modèles que je résolus de tracer. J'avais déjà peint le désintéressement du véritable amour; je tentai de peindre le bonheur de deux époux bien unis, et de prouver qu'il ne faut jamais soupçonner un cœur que l'on connait vertueux. Je voulus ensuite esquisser le tableau d'un père qui adore sa fille, et qui voit sa tendresse récompensée par une confiance entière ; celui d'une mère sage qui se sacrifie elle- même pour rendre sa fille au bonheur ; enfin celui d'un fils vertueux et sensible qui immole sa passion à sa mère.
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Dans le ''Bon fils'', il n'y a point d'Arlequin ; parce que la situation du bon fils, obligé de choisir entre sa mère et sa maitresse, forcé de sacrifier l'une à l'autre, semble exclure de son rôle toute espèce de comique. Non-seulement il ne faut pas que le bon fils rie, mais il ne faut pas qu'il fasse rire un moment. L'intérêt est, ce me semble, trop vif, trop important, pour admettre le moindre comique. Dès lors il est nécessaire de bannir toute idée d'Arlequin, qui, dans quelque situation qu'on le place, doit toujours au moins faire sourire.
 
J'avoue que le grand défaut du ''''Son fils'' est ce manque de comique : j'ai tâché d'y suppléer par le rôle de Thibaut. J'avoue encore que je me suis consolé d'avoir fait, sans Arlequin, une comédie en trois actes, où j'ai présenté un modèle de la première vertu que l'on met en usage dans le monde. J'y ai trouvé le plaisir de rassurer quelques personnes, qui, me voyant toujours faire des pièces avec un Arlequin, craignaient (par amitié pour moi) que je ne pusse jamais faire autre chose. Un intérêt si tendre méritait bien que je prisse la peine de leur offrir une comédie sans Arlequin. J'aurais eu d'autant plus mauvaise grâce à me refuser à cette complaisance, que le ''Bon fils'' est de tous mes ouvrages celui qui m'a le moins coûté.
 
Afin de compléter ce petit cours de morale, j'ai voulu faire une pièce pour des enfants. J'ai pris mon sujet dans M. Gessner ; et le nom de cet aimable auteur m'a rendu ce sujet plus cher que si je l'avais inventé. J'ai eu grand soin de faire imprimer à la tête de ma pastorale la charmante idylle qui me l'a fournie. J'ai été fier de mêler dans mes ouvrages un ouvrage du chantre d'Abel. Il m'a semblé que cette idylle porterait bonheur à mon recueil, et qu'une simple fleur du jardin de M. Gessner suffirait pour parfumer tout mon bouquet.