« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Cathédrale » : différence entre les versions

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=== CATHÉDRALE ===
 
s. f. De <i>cathedra</i>, qui signifie <i>siège</i>, ou <i>trône épiscopal</i>.
Cathédrale s’entend comme église dans laquelle est placé le trône de
l’évêque du diocèse<span id="note1"></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]]. Dans les églises primitives, le trône de l’évêque
(<i>cathedra</i>) était placé au fond de l’abside, dans l’axe, comme le siège du
juge de la basilique antique, et l’autel s’élevait en avant de la tribune,
ordinairement sur le tombeau d’un martyr<span id="note2"></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]]. L’évêque, entouré de son
clergé, se trouvait ainsi derrière l’autel isolé et dépourvu de retable; il
voyait donc l’officiant en face (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Autel|Autel]]). Cette disposition primitive
explique pourquoi, jusque vers le milieu du dernier siècle, dans certaines
cathédrales, le maître autel n’était qu’une simple table sans gradins,
tabernacles ni retables<span id="note3"></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]]. La cathédrale du monde chrétien, Saint-Pierre
de Rome, conserve encore le siège du prince des apôtres enfermé dans
une chaire de bronze, au fond de l’abside. C’était dans les églises cathédrales,
dans ce lieu réservé à la <i>cathedra</i>, que les évêques faisaient les
ordinations. Lorsque ceux-ci étaient invités par l’abbé d’un monastère, on
plaçait une <i>cathedra</i> au fond du sanctuaire. Ce jour-là, l’église abbatiale
était cathédrale. Le siège épiscopal était et est encore le signe, le symbole
de la juridiction des évêques. La juridiction épiscopale est donc le véritable
lien qui unit la basilique antique à l’église chrétienne. La cathédrale n’est
pas seulement une église appropriée au service divin, elle conserve, et
conservait bien plus encore pendant les premiers siècles du christianisme,
le caractère d’un tribunal sacré; et comme alors la constitution civile n’était
pas parfaitement distincte de la constitution religieuse, il en résulte que
les cathédrales sont restées longtemps, et jusqu’au XIV<sup>e</sup> siècle, des édifices
à la fois religieux et civils. On ne s’y réunissait pas seulement pour assister
aux offices divins, on y tenait des assemblées qui avaient un caractère
purement politique; il va sans dire que la religion intervenait presque
toujours dans ces grandes réunions civiles ou militaires.
 
Jusqu’à la fin du XII<sup>e</sup> siècle, les cathédrales n’avaient pas des dimensions
extraordinaires; beaucoup d’églises abbatiales étaient d’une plus grande
étendue; c’est que, jusqu’à cette époque, le morcellement féodal était un
obstacle à la constitution civile des populations; l’influence des évêques
était gênée par ces grands établissements religieux du XI<sup>e</sup> siècle. Propriétaires
puissants, jouissant de privilèges étendus, seigneurs féodaux,
protégés par les papes, tenant en main l’éducation de la jeunesse, participant
à toutes les grandes affaires politiques, les abbés attiraient tout à eux,
richesse et pouvoir, intelligence et activité. Lorsque les populations
urbaines, instruites, enrichies, laissèrent paraître les premiers symptômes
d’émancipation, s’érigèrent en communes, il se fit une réaction contre la
féodalité monastique et séculière dont les évêques, appuyés par la monarchie,
profitèrent avec autant de promptitude que d’intelligence. Ils
comprirent que le moment était venu de reconquérir le pouvoir et l’influence
que leur donnait l’Église, et qui étaient tombés en partie entre les mains
des établissements religieux. Ce que les abbayes firent pendant le XI<sup>e</sup> siècle,
les évêques n’eussent pu le faire; mais, au XII<sup>e</sup> siècle, la tâche des établissements
religieux était remplie; le pouvoir monarchique avait grandi,
l’ordre civil essayait ses forces et voulait se constituer. C’est alors que
l’épiscopat entreprit de reconstruire et reconstruisit ses cathédrales; et il
trouva dans les populations un concours tellement énergique, qu’il dut
s’apercevoir que ses prévisions étaient justes, que son temps était venu,
et que l’activité développée par les établissements religieux, et dont ils
avaient profité, allait lui venir en aide. Rien, en effet, aujourd’hui, si ce
n’est peut-être le mouvement intellectuel et commercial qui couvre
l’Europe de lignes de chemins de fer, ne peut donner l’idée de l’empressement
avec lequel les populations urbaines se mirent à élever des cathédrales.
Nous ne prétendons pas démontrer que la foi n’entrât pas pour une
grande part dans ce mouvement, mais il s’y joignait un instinct très-juste
d’utilité, de constitution civile.
 
À la fin du XII<sup>e</sup> siècle, l’érection d’une cathédrale était un besoin, parce
que c’était une protestation éclatante contre la féodalité. Quand un sentiment
instinctif pousse ainsi les peuples vers un but, ils font des travaux
qui, plus tard, lorsque cette sorte de fièvre est passée, semblent être le
résultat d’efforts qui tiennent du prodige. Sous un régime théocratique
absolu, les hommes élèvent les pyramides, creusent les hypogées de Thèbes
et de Nubie; sous un gouvernement militaire et administratif, comme
celui des Romains pendant l’empire, ils couvrent les pays conquis de
routes, de villes, de monuments d’utilité publique. Le besoin de sortir de
la barbarie et de l’anarchie; de défricher le sol, fait élever, au XI<sup>e</sup> siècle,
les abbayes de l’Occident. L’unité monarchique et religieuse, l’alliance de
ces deux pouvoirs pour constituer une nationalité, font surgir les grandes
cathédrales du nord de la France. Certes, les cathédrales sont des monuments
religieux, mais ils sont surtout des édifices nationaux. Le jour où
la société française a prêté ses bras et donné ses trésors pour les élever,
elle a voulu se constituer et elle s’est constituée. Les cathédrales des XII<sup>e</sup>
et XIII<sup>e</sup> siècles sont donc, à notre point de vue, le symbole de la nationalité
française, la première et la plus puissante tentative vers l’unité. Si, en
1793, elles sont restées debout, sauf de très-rares exceptions, c’est que ce
sentiment était resté dans le cœur des populations, malgré tout ce qu’on
avait fait pour l’en arracher.
 
Où voyons-nous les grandes cathédrales s’élever à la fin du XII<sup>e</sup> siècle et
au commencement du XIII<sup>e</sup>? c’est dans des villes telles que [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], Soissons,
Laon, Reims, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], qui toutes avaient, les premières, donné le signal
de l’affranchissement des communes; c’est dans la ville capitale de l’Île de
France, centre du pouvoir monarchique, Paris; c’est à Rouen, centre de la
plus belle province reconquise par Philippe-Auguste. Mais il est nécessaire
que nous entrions à ce sujet dans quelques développements.
 
Au commencement du XII<sup>e</sup> siècle, le régime féodal était constitué; il
enserrait la France dans un réseau dont toutes les mailles, fortement
nouées, semblaient ne devoir jamais permettre à la nation de se développer.
Le clergé régulier et séculier n’avait pas protesté contre ce régime; il s’y
était associé; toutefois, quoique seigneurs féodaux, les abbés des grands
monastères conservaient, par suite des privilèges exorbitants dont ils
jouissaient, une sorte d’indépendance au milieu de l’organisation féodale.
Il n’en était pas de même des évêques; ceux-ci n’avaient pas profité de la
position exceptionnelle que leur donnait le pouvoir spirituel; ils venaient
se ranger, comme les seigneurs laïques, sous la bannière de leurs suzerains.
 
«Qui ne s’étonnerait pas, disait saint Bernard<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]], de voir que la même
personne qui, l’épée à la main, commande une troupe de soldats, puisse,
revêtu de l’étole, lire l’Évangile au milieu d’une église?» Mais les
évêques ne tardèrent pas à reconnaître que cette position douteuse ne
convenait pas au caractère dont ils étaient revêtus. Lorsque la monarchie
eut laissé voir que son intention était de dompter la féodalité, «le clergé
sentit aisément<span id="note5"></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]] que, dans la lutte qui allait s’engager, les seigneurs
seraient vaincus; dès lors il rompit avec eux, sépara sa cause de la leur,
renonça à tout engagement, déposa ses mœurs guerrières, et même,
abjurant tout souvenir, il ne craignit pas de rivaliser d’ardeur avec le
trône, pour dépouiller les seigneurs de leurs prérogatives. Il commença
par étendre au delà de toutes limites sa juridiction, qui, dans l’origine,
était toute spirituelle; il lui suffit pour cela d’un mauvais raisonnement,
dont le succès fut prodigieux; il consistait à dire: que l’Église, en vertu
du pouvoir que Dieu lui a donné, doit prendre connaissance de tout ce qui
est péché, afin de savoir si elle doit remettre ou retenir, lier ou délier.
Dès lors, comme toute contestation judiciaire peut prendre sa source dans
la fraude, le clergé soutenait avoir le droit de juger tous les procès;
affaires réelles, personnelles ou mixtes, causes féodales ou criminelles...
Le peuple ne voyait pas ces envahissements d’un mauvais œil; il trouvait
dans les cours ecclésiastiques une manière de procéder moins barbare que
celle dont on faisait usage dans les justices seigneuriales: le combat n’y
avait jamais été admis; l’appel y était reçu; on y suivait le droit canonique,
qui se rapproche, à beaucoup d’égards, du droit romain; en un mot,
toutes les garanties légales que refusaient les tribunaux des seigneurs, on
était certain de les obtenir dans les cours ecclésiastiques.» C’est alors que,
soutenus par le pouvoir monarchique déjà puissant, forts des sympathies
des populations qui se tournaient rapidement vers les issues qui leur
faisaient entrevoir une espérance d’affranchissement, les évêques voulurent
donner une forme visible à un pouvoir qui leur semblait désormais appuyé
sur des bases inébranlables; ils réunirent des sommes énormes, et jetant
bas les vieilles cathédrales devenues trop petites, ils les employèrent sans
délai à la construction de monuments immenses faits pour réunir à tout
jamais autour de leur siège épiscopal ces populations désireuses de s’affranchir
du joug féodal. Cela se passait sous Philippe-Auguste, et c’est en effet
sous le règne de ce prince que nous voyons commencer et élever rapidement
les grandes cathédrales de Soissons, de Paris, de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]], de Laon,
d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], de Reims. C’est alors aussi que l’architecture religieuse
sort de ses langes monacals; ce n’est pas aux couvents que les évêques
vont demander leurs architectes, c’est à ces populations laïques dont les
trésors apportés avec empressement vont servir à élever le premier édifice
vraiment populaire en face du château féodal, et qui finira par le vaincre.
 
Nous ne voudrions pas que cette origine à la fois politique et religieuse
donnée par nous à la grande cathédrale pût faire supposer que nous
prétendons diminuer la valeur de cet élan qui se manifeste en France à la
fin du XII<sup>e</sup> siècle. Il y a dans le haut clergé séculier de cette époque une
pensée trop grande, dont les résultats ont été trop vastes, pour qu’elle ne
prenne pas sa source dans la religion; mais il ne faut pas oublier que, chez
les peuples naissants, la religion et la politique vont de pair; il n’est pas
possible de les séparer; d’ailleurs les faits parlent d’eux-mêmes. On était
aussi religieux en France au commencement du XII<sup>e</sup> siècle qu’à la fin;
cependant, c’est précisément au moment où les évêques font cause commune
avec la monarchie, veulent se séparer de la féodalité, qu’ils trouvent
les ressources énormes dont l’emploi va leur permettre d’élargir l’enceinte
de leurs cathédrales pour contenir tout entières les populations des villes.
Non-seulement alors la cathédrale dépasse les dimensions des plus vastes
églises d’abbayes, mais elle se saisit d’une architecture nouvelle; son iconographie
n’est plus celle des églises monastiques; elle parle un nouveau
langage; elle devient un livre pour la foule, elle instruit le peuple en même
temps qu’elle sert d’asile à la prière.
 
Nous allons étudier tout à l’heure, sur les monuments mêmes, les phases
de ce mouvement qui se manifeste vers la fin du XII<sup>e</sup> siècle.
 
Poursuivons. L’alliance du clergé avec la monarchie ne tarda pas à
inquiéter les barons; saint Louis reconnut bientôt que le pouvoir royal ne
faisait que changer de maître. En 1235, la noblesse de France et le roi
s’assemblèrent à Saint-Denis pour mettre des bornes à la puissance que
les tribunaux ecclésiastiques s’étaient arrogée. En 1246, les barons rédigèrent
un acte d’union «et nommèrent une commission de quatre des
plus puissants d’entre eux<span id="note6"></span>[[#footnote6|<sup>6</sup>]], pour décider dans quels cas le baronnage
devait prendre fait et cause pour tout seigneur vexé par le clergé; de plus,
chaque seigneur s’était engagé à mettre en commun la centième partie de
son revenu, afin de poursuivre activement le but de l’union. Ainsi l’on
voit l’attitude du clergé français quand saint Louis monta sur le trône;
elle était hostile et menaçante.»
 
Au milieu de ces dangers, par sa conduite à la fois ferme et prudente,
le saint roi sut contenir les prétentions exorbitantes du clergé dans de
justes bornes, et faire prévaloir l’autorité monarchique sur la féodalité.
Dès 1250, le peuple, rassuré par la prédominance du pouvoir royal,
s’habituant à le considérer comme la représentation de l’unité nationale,
trouvant sous son ombre l’autorité avec la justice, ne montra plus le même
empressement pour jeter dans l’un des plateaux de la balance ces trésors
qui, cinquante ans auparavant, avaient permis de commencer, sur des
proportions gigantesques, les cathédrales. Aussi est-ce à partir de cette
époque que nous voyons ces constructions se ralentir, ou s’achever à la
hâte sur de moins vastes patrons, <i>s’atrophier</i> pour ainsi dire. Faut-il
attribuer cela à un refroidissement religieux? nous ne le pensons pas; la
nation, sentant désormais un pouvoir supérieur à la féodalité, portait ses
regards vers lui, et n’éprouvait plus le besoin si vif, si pressant, d’élever la
cathédrale en face de la forteresse féodale.
 
À la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, celles de ces vastes constructions qui étaient
tardivement sorties de terre n’arrivèrent pas à leur développement; elles
s’arrêtèrent tout à coup; si elles furent achevées, ce ne fut plus que par les
efforts personnels d’évêques ou de chapitres qui employèrent leurs propres
biens pour terminer ce que l’entraînement de toute une population avait
permis de commencer. Il n’est pas <i>une seule</i> cathédrale qui ait été finie
telle qu’elle avait été projetée; et cela se comprend; la période pendant
laquelle les grandes cathédrales eussent dû être conçues et élevées, celle
pendant laquelle leur existence est pour ainsi dire un besoin impérieux,
l’expression d’un désir national irrésistible, est comprise entre les années
1180 et 1240. Soixante ans! Si l’on peut s’étonner d’une chose, c’est que
dans ce court espace de temps, on ait pu obtenir, sur tout un grand territoire,
des résultats aussi surprenants; car ce n’était pas seulement des
manœuvres qu’il fallait trouver, mais des milliers d’artistes qui, la plupart,
étaient des hommes dont le talent d’exécution est pour nous aujourd’hui
un sujet d’admiration.
 
Tel était alors, en France, le besoin d’agrandir les cathédrales, que,
pendant leur construction même, les premiers travaux, déjà exécutés en
partie, furent parfois détruits pour faire place à des projets plus grandioses.
En dehors du domaine royal, le mouvement n’existe pas, et ce n’est que
plus tard, vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, lorsque la monarchie eut à peu près
réuni toutes les provinces des Gaules à la France, que l’on entreprend la
reconstruction des cathédrales. C’est alors que quelques diocèses remplacent
leurs vieux monuments par des constructions neuves élevées sur des
plans sortis du domaine royal. Mais ce mouvement est restreint, timide,
et il s’arrête bientôt par suite des malheurs politiques du XIV<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="Angers4">À la mort de Philippe-Auguste, en 1223, les principales cathédrales comprises
dans le domaine royal étaient celles de Paris, de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]],
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], de Laon, de Soissons, de Meaux, d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], d’Arras, de Cambrai,
de Rouen, d’Évreux, de Séez, de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bayeux|Bayeux]], de Coutances, du Mans, d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Angers|Angers]],
de Poitiers, de Tours; or tous ces diocèses avaient rebâti leurs cathédrales,
dont les constructions étaient alors fort avancées. Si certains diocèses
sont politiquement unis au domaine royal et se reconnaissent vassaux,
leurs cathédrales s’élèvent rapidement sur des plans nouveaux comme
celles de la France; les diocèses de Reims, de Sens, de Chalons, de Troyes
en Champagne, sont les premiers à suivre le mouvement. En Bourgogne,
ceux d’Auxerre et de Nevers, les plus rapprochés du domaine royal,
reconstruisent leurs cathédrales; ceux d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Autun|Autun]] et de Langres, plus
éloignés, conservent leurs anciennes églises élevées vers le milieu du
XII<sup>e</sup> siècle.
 
Dans la Guyenne, restée anglaise, excepté Bordeaux qui tente un effort
vers 1225, Périgueux, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Angouleme|Angoulême]], Limoges, Tulle, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cahors|Cahors]], Agen, gardent
leurs vieux monuments.
 
À la mort de Philippe le Bel, en 1314, le domaine royal s’est étendu: il
a englobé la Champagne; il possède le Languedoc, le marquisat de Provence;
il tient l’Auvergne et la Bourgogne au milieu de ses provinces.
Montpellier, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Carcassonne|Carcassonne]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]], Lyon, exécutent dans leurs cathédrales
des travaux considérables et tentent de les renouveler. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]]
en Auvergne cherche à suivre l’exemple. Les provinces anglaises et la
Provence résistent seules.
 
À la mort de Charles V, en 1380, les Anglais ne possèdent plus que
Bordeaux, le Cotentin et Calais; mais la séve est épuisée: les cathédrales
dont la reconstruction n’a pas été commencée pendant le XIII<sup>e</sup> siècle
demeurent ce qu’elles étaient; celles restées inachevées se terminent avec
peine.
 
Nous avons essayé de tracer sommairement un historique général de la
construction de nos cathédrales françaises; si incomplet qu’il soit, nous
espérons qu’il fera comprendre l’importance de ces monuments pour notre
pays, de ces monuments qui ont été la véritable base de notre unité
nationale, le premier germe du génie français. À nos cathédrales, se
rattache toute notre histoire intellectuelle; elles ont abrité, sous leurs
cloîtres, les plus célèbres écoles de l’Europe pendant les XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles;
elles ont fait l’éducation religieuse et littéraire du peuple; elles ont été
l’occasion d’un développement dans les arts qui n’est égalé que par l’antiquité
grecque. Si les derniers siècles ont laissé périr dans leurs mains ces
grands témoins de l’effort le plus considérable qui ait été fait depuis le
christianisme en faveur de l’unité, espérons que, plus juste et moins
ingrat, le nôtre saura les conserver.
 
Puisque nous prétendons démontrer que la cathédrale française, dans
le sens moral du mot, est née avec le pouvoir monarchique, il est juste
que nous commencions par nous occuper de celle de Paris; d’ailleurs,
c’est la première qui ait été commencée sur un plan vaste destiné à donner
satisfaction aux tendances à la fois religieuses et politiques de la fin du
XII<sup>e</sup> siècle.
 
La cathédrale de Paris se composait, en 860, de deux édifices, l’un du
titre de Saint-Étienne, martyr, l’autre du titre de Sainte-Marie; nous ne
savons pas quelles étaient les dimensions exactes de ces monuments, dont
l’un, Saint-Étienne, fut épargné par les Normands moyennant une somme
d’argent. Les fouilles qui furent faites au midi, en 1845, laissèrent à
découvert un mur épais qui venait se prolonger, en se courbant, sous les
chapelles actuelles du chœur. La portion visible du cercle donne lieu de
croire que l’abside de cette première église n’avait guère plus de huit à
neuf mètres de diamètre. En 1140 environ, Étienne de Garlande, archidiacre,
fit faire d’importants travaux à l’église de la Vierge. De ces
ouvrages, il ne reste plus que les bas-reliefs du tympan et une portion des
voussures de la porte Sainte-Anne, replacés au commencement du
XIII<sup>e</sup> siècle, lorsqu’on construisit la façade actuelle, probablement parce
que ces sculptures semblèrent trop remarquables pour être détruites.
C’était d’ailleurs un usage assez ordinaire, au moment de cet entraînement
qui faisait reconstruire les cathédrales, de conserver un souvenir des
édifices primitifs, et l’exemple cité ici n’est pas le seul, ainsi que nous le
verrons. En 1160, Maurice de Sully, évêque de Paris, résolut de réunir
les deux églises en une seule, et il fit commencer la cathédrale que nous
voyons aujourd’hui<span id="note7"></span>[[#footnote7|<sup>7</sup>]], sous l’unique vocable de Sainte-Marie. En 1196,
Maurice de Sully mourut en laissant cinq mille livres pour couvrir le chœur
en plomb; donc, alors, le chœur était achevé jusqu’au transsept, ce que
vient confirmer le caractère archéologique de cette partie de
Notre-Dame
de Paris. Il y a tout lieu de croire même que la nef était élevée alors jusqu’à
la troisième travée après les tours, à quelques mètres au-dessus du sol.
Eude de Sully, successeur de Maurice, continua l’œuvre jusqu’en 1208,
époque de sa mort. La grande façade et les trois premières travées de la
nef furent seulement commencées à la fin de l’épiscopat de Pierre de
Nemours, vers 1218; car ce fut seulement à cette époque, d’après le
Martyrologe de l’église de Paris cité par l’abbé Lebeuf, qu’on détruisit les
restes de la vieille église de Saint-Étienne qui gênaient les travaux. À la
mort de Philippe-Auguste, en 1223, le portail était achevé jusqu’à la base
de la grande galerie à jour qui réunit les deux tours. Il y eut évidemment,
à cette époque, une interruption dans les travaux; le style du sommet de
la façade et la nature des matériaux employés ne peuvent faire douter que
les tours, avec la grande galerie qui enceint leur base, aient été élevés,
vers 1235, fort rapidement. Alors la cathédrale était complètement
terminée, sauf les flèches qui devaient surmonter les deux tours.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Paris.primitive.png|center]]
<div class="text">
Nous donnons (fig. 1)<span id="note8"></span>[[#footnote8|<sup>8</sup>]] le plan de cette église primitive dépouillé des
adjonctions faites depuis cette époque. Comme on peut le voir, cette vaste
église était dépourvue de chapelles, ou, s’il en existait, elles n’étaient
qu’au nombre de trois, fort petites, et situées derrière l’abside en L; car
nous avons retrouvé la corniche extérieure du double bas-côté sur presque
tous les points de la circonférence de ce double bas-côté absidal; ces
chapelles ne pouvaient donc être percées qu’au-dessous de cette corniche,
et, par conséquent, n’occuper qu’une faible hauteur et un petit espace.
Nous serions plutôt portés à croire que trois autels étaient placés contre la
paroi de ce double bas-côté: l’un dédié à la Vierge, l’autre à
saint-Étienne,
et le troisième à la sainte-Trinité. Mais ce qu’on avait voulu surtout obtenir
en traçant ce plan si simple, c’était un vaste espace pour contenir le clergé
et la foule devant et autour de l’autel principal placé au centre du sanctuaire.
En E était une galerie à deux étages, dont les traces ont été
retrouvées,
communiquant de l’évêché au chœur et aux larges galeries qui
s’élèvent sur le premier bas-côté. En G, les treize marches qui descendaient
du parvis à la berge de la Seine. À gauche, du côté nord, contre le flanc
de la façade, s’élevait la petite église de Saint-Jean-le-Rond, probablement
un ancien baptistère; et, de cette église à la ligne ponctuée A, les cloîtres
et dépendances de la cathédrale qui s’étendaient assez loin. Ce n’était pas
assez de cette vaste surface couverte<span id="note9"></span>[[#footnote9|<sup>9</sup>]] à rez-de-chaussée; comme nous
l’avons dit tout à l’heure; une large galerie pourtourne l’église
au-dessus
du collatéral intérieur<span id="note10"></span>[[#footnote10|<sup>10</sup>]]; on y arrive par quatre grands escaliers à vis d’un
emmarchement de 1<sup>m</sup>,50 environ. Les galeries supérieures, de la même
largeur que le bas-côté et voûtées, n’apparaissent guère pendant la première
partie de la période ogivale, que dans les cathédrales de l’Île de France; on
les retrouve à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], à Laon, à Soissons (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]]).
Dans ces villes riches et populeuses, on avait probablement senti le besoin
d’offrir aux fidèles ce supplément de surface, pour les jours de grandes
cérémonies; mais ces galeries avaient encore cet avantage de permettre
d’ouvrir des jours larges propres à éclairer le centre de la nef, et de donner
une plus grande solidité aux constructions.
</div>
[[Image:Coupe.transversale.cathedrale.Paris.png|center]]
<div class="text">
La coupe transversale que nous présentons (fig. 2) fera comprendre le
système de construction adopté par l’architecte de la cathédrale de Paris,
de 1160 à 1220. Des découvertes récentes du plus haut intérêt nous
engagent à reproduire cette coupe, tracée déjà, mais d’une manière
incomplète, dans l’article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]]. On voit en A les
fenêtres de la galerie ou triforium, dont la position indique nettement
l’intention de donner du jour dans la nef, que les fenêtres B du double
bas-côté et les fenêtres C supérieures eussent laissée dans l’obscurité.
Mais cette disposition inclinée des voûtes du triforium forçait de relever le
chéneau D et par conséquent le comble E; il restait un espace FG, que
nous supposions plein, nous en tenant à la première travée de la nef
laissée dans son état primitif<span id="note11"></span>[[#footnote11|<sup>11</sup>]]. Or cet intervalle entre l’appui de la fenêtre
haute et l’arc du triforium était percé de roses J à meneaux
très-singuliers,
et destinées autant à alléger la construction qu’à donner de la lumière
sous le comble E. Les jours de grandes cérémonies, ces roses étaient
utilisées pour décorer l’édifice à l’intérieur. La grande élévation du mur
du triforium portant le chéneau D avait permis de construire les
arcs-boutants
H I à double volée avec une pile K intermédiaire. De plus, la
naissance des grandes voûtes était maintenue par des sous
arcs-boutants L
portant les pannes du comble E. Ces arcs-boutants L étaient eux-mêmes
contrebuttés par les arcs-boutants inférieurs M, qui maintenaient en même
temps les voûtes du triforium. Cette construction, solide, ingénieuse et
belle en même temps, était rendue stable à tout jamais par les énormes
contreforts N, qui seuls présentent un cube considérable de matériaux
posés à l’extérieur de l’édifice.
</div>
[[Image:Vue.exterieure.travee.cathedrale.Paris.png|center]]
 
[[Image:Vue.interieure.travee.cathedrale.Paris.png|center]]
<div class="text">
La figure 3 donne l’aspect extérieur, et la figure 4 l’aspect intérieur
(coupe longitudinale) de deux travées primitives de la cathédrale et d’une
travée modifiée pendant le cours du XIII<sup>e</sup> siècle. La coupe fait voir avec
quel soin le poids des constructions était réparti sur les piles, et combien
déjà, à cette époque, les constructeurs cherchaient à éviter les <i>murs</i>. En
effet, sous l’appui des grandes fenêtres A du triforium, faites pour être
vues de la nef, sont ménagés des arcs de décharge.
 
La tradition de la construction romane est donc déjà complètement
abandonnée dans la cathédrale de Paris de la fin du XII<sup>e</sup> siècle; il n’y a
plus que des piles et des arcs. Le système de la construction ogivale est
franchement écrit dans ce remarquable monument.
 
Malheureusement, cette église reçut très-promptement d’importantes
modifications qui sont venues en altérer le caractère si simple et grandiose.
De 1235 à 1240<span id="note12"></span>[[#footnote12|<sup>12</sup>]] un incendie, dont l’histoire ne fait nulle mention, mais
dont les traces sont visibles sur le monument, détruisit les charpentes
supérieures et les combles E du triforium de la cathédrale (voyez la coupe
transversale fig. 2 et la coupe longitudinale fig. 4); les meneaux des roses J
furent calcinés ainsi que leurs claveaux et les bahuts O du grand comble.
Il est probable que la seconde volée I des arcs-boutants et les voûtes du
triforium furent endommagées.
 
Déjà, à cette époque, d’autres cathédrales avaient été élevées, et on les
avait percées de fenêtres plus grandes, garnies de brillants vitraux ; cette
décoration prenait chaque jour plus d’importance. Au lieu de réparer le
dommage survenu aux constructions de Notre-Dame de Paris, on en
profita pour supprimer les roses J percées au-dessus du triforium, faire
descendre les fenêtres hautes, en sapant leurs appuis jusqu’au point P
(voyez la coupe fig. 2, la face extérieure fig. 3 et la coupe fig. 4); on enleva
le chéneau D, on démolit les arcs-boutants H I à double volée; on descendit
le chéneau D au niveau R, on abaissa les triangles S des voûtes; on fit
sur ces voûtes un dallage à double pente; les grandes fenêtres A de la
galerie furent coupées, ainsi qu’il est indiqué en Q, fig. 3; et, n’osant
plus laisser isolées les piles K, fig. 2, qui ne se trouvaient plus suffisamment
étrésillonnées par les couronnements D abaissés, on établit de grands
arcs-boutants à une seule volée de T en V. Les arcs-boutants
sous-comble
L, détruits par le feu, furent supprimés, et les arcs-boutants M restèrent
seuls en place dans une situation anormale, car ils étaient trop hauts pour
contrebutter les voûtes du triforium seulement. Les corniches et les
couronnements supérieurs X furent refaits, les pinacles Z changés. Les
fenêtres hautes, agrandies, furent garnies de meneaux (fig. 3 et 4) très-simples,
dont la forme et la sculpture nous donnent précisément l’époque
de ce travail. À peine cette opération était-elle terminée à la hâte (car
l’examen des constructions dénote une grande précipitation), que l’on
entreprit, vers 1245, de faire des chapelles U, entre les saillies formées à
l’extérieur par les gros contreforts de la nef<span id="note13"></span>[[#footnote13|<sup>13</sup>]]. Ces chapelles furent élevées
également avec une grande rapidité; leur construction eut pour résultat de
faire disparaître la claire-voie A’ (voyez les fig. 2 et 3)<span id="note14"></span>[[#footnote14|<sup>14</sup>]] qui donnait du
jour au-dessus des voûtes du deuxième bas-côté, et de rendre l’écoulement
des eaux plus difficile. En examinant le plan (fig. 1), on peut se rendre
compte du fâcheux effet produit par cette adjonction. Les deux pignons du
transsept se trouvaient alors débordés par la saillie de ces chapelles. Comparativement
à la nouvelle décoration extérieure de la nef, ces deux pignons
devaient présenter une masse lourde; on les démolit, et, en 1257, on les
reconstruisit à neuf, ainsi que le constate l’inscription sculptée à la base
du portail sud. Entre les contreforts du chœur, trois chapelles au nord et
trois chapelles au sud, compris la petite porte rouge qui donnait dans le
cloître, furent bâties en même temps, pour continuer la série des chapelles
de la nef. Ces travaux, vu leur importance et le soin apporté dans leur
exécution, durent exiger plusieurs années. En 1296, Matiffas de Bucy,
évêque de Paris, commença la construction des chapelles du chœur, entre
les contreforts du XII<sup>e</sup> siècle, en les débordant de 1<sup>m</sup>
,50 environ. Ce fut
alors aussi que l’on refit les grands pinacles des arcs-boutants de cette
partie de l’édifice, et que l’on ouvrit, dans la partie circulaire du triforium,
de grandes fenêtres surmontées de gâbles à jour, à la place des fenêtres
coupées précédemment. Ces ouvrages durent être terminés vers 1310. En
même temps que l’on reconstruisait les pignons du transsept (c’est-à-dire
vers 1260), on refit, au nord, un arc-boutant à double volée, le premier
après le croisillon. C’était un essai de reconstruction des anciens arcs-boutants
du XII<sup>e</sup> siècle, probablement conservés jusqu’alors autour du
chœur, bien que l’on eût fait subir aux fenêtres hautes, vers 1230, le
même changement qu’on avait imposé à celles de la nef. Il n’était plus
possible de rien ajouter à ce vaste édifice, achevé vers 1230 et remanié
pendant près d’un siècle. Son plan ne fut plus modifié depuis lors; nous
le donnons ici (fig. 5) tel qu’il nous est resté<span id="note15"></span>[[#footnote15|<sup>15</sup>]]. Les tours de la façade
demeurèrent inachevées; les flèches en pierre dont la souche existe au
sommet, à l’intérieur, ne furent jamais montées. Une flèche en bois, élevée
au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, recouverte de plomb, surmonta la croisée
du transsept jusqu’à la fin du siècle dernier (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Flèche|Flèche]]). Ces changements,
faits à un monument complet, immédiatement après sa construction,
donnent l’histoire des programmes de cathédrales qui se succédèrent en
France pendant tout le cours du XIII<sup>e</sup> siècle.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Paris.png|center]]
<div class="text">
Dans l’origine, peu ou point de chapelles, un seul autel principal, le
trône de l’évêque placé derrière à l’abside. Tout autour, dans des collatéraux
larges, la foule; à l’entrée du chœur, donnant sur le transsept, une tribune
pour lire l’épître et l’évangile; les stalles du chapitre dans le chœur des
deux côtés de l’autel. La cathédrale, dans cet état, c’est-à-dire au moment
où elle prend une grande importance morale et matérielle, se rapproche
plus de la basilique antique que des églises monastiques, déjà toutes
munies, à l’abside au moins, de nombreuses chapelles. C’est une immense
salle, dont l’objet principal est l’autel, et la <i>cathedra</i>, le siège du prélat,
signe de la justice épiscopale. Le monument vient donc ici pleinement
justifier ce que nous avons dit au commencement de cet article. Mais un
seul exemple n’est pas une preuve; ce peut être une exception. Examinons
d’autres cathédrales de la France d’alors.<span id=Bourges1>
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Bourges.png|center]]
<div class="text">
À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]], il existait encore, au milieu du XII<sup>e</sup> siècle, une cathédrale
bâtie pendant le XI<sup>e</sup>, d’une dimension assez restreinte, si l’on en juge par la
crypte qui existe encore au centre du chœur et qui donne le périmètre de
l’ancienne abside. En 1172, l’évêque Étienne projette de bâtir un nouvel
édifice<span id="note16"></span>[[#footnote16|<sup>16</sup>]]. Toutefois, il ne paraît pas que l’exécution de ce grand monument
ait été commencée avant les premières années du XIII<sup>e</sup> siècle. En voici le
plan (fig. 6)<span id="note17"></span>[[#footnote17|<sup>17</sup>]]. À l’abside, seulement cinq très-petites chapelles; doubles
collatéraux comme à Notre-Dame de Paris; pas de transsept; l’unité
d’objet, dans ce plan, est encore plus marquée que dans le plan de la
cathédrale de Paris. Outre les entrées de la façade, deux portes sont
ménagées en A et B; et c’est (comme à Notre-Dame de Paris, à la porte
Sainte-Anne) avec des fragments de sculpture appartenant au XII<sup>e</sup> siècle
que ces portes sont bâties<span id="note18"></span>[[#footnote18|<sup>18</sup>]]. On élève, vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, deux
porches en avant de ces portes. À côté sont ménagés deux larges escaliers
qui descendent à une église souterraine, à doubles bas-côtés, enveloppant
l’ancienne crypte de la cathédrale du XI<sup>e</sup> siècle. Les petites chapelles absidales
n’apparaissent pas dans l’église inférieure; elles sont portées en
encorbellement (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Chapelle|Chapelle]]) Sur un pilier accosté de deux colonnes
dégagées. Cette église inférieure n’est pas une nécessité du culte, mais une
nécessité de construction; à la fin du XII<sup>e</sup> siècle, les remparts romains de
la ville de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]] s’élevaient à quelques mètres de l’abside de l’ancienne
cathédrale, qui ne dépassait pas le sanctuaire de celle actuelle. Voulant
faire pourtourner les doubles collatéraux, les constructeurs se trouvaient
obligés de descendre dans les fossés de la ville; il y avait donc nécessité
de faire un étage inférieur, ce qui fut fait avec un luxe de construction
remarquable; car de toute la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]], c’est cet étage
inférieur qui est le mieux bâti; là, rien n’a été épargné, ni les matériaux
qui sont d’une belle qualité, ni la taille, ni même la sculpture, qui est du
plus beau caractère. Mais la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]] était en retard. Sa
partie orientale, sortie de terre seulement vers 1220, était à peine élevée
à la hauteur des voûtes du deuxième collatéral, que les ressources étaient
moins abondantes. La construction s’en ressentit, et toutes les parties
supérieures de cet immense vaisseau furent terminées tant bien que mal,
à la hâte, et probablement en réduisant la hauteur de la nef, qui, nous le
croyons, avait été projetée sur une coupe plus élancée (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]], fig. 34, la coupe de cette cathédrale). La partie antérieure de
la nef ne fut achevée qu’au XIV<sup>e</sup> siècle, et le sommet de la façade avec ses
deux tours qu’au XVI<sup>e</sup>. Des chapelles latérales vinrent gâter ce beau plan,
et entourer le colosse d’une décoration parasite; mais, à partir de la fin du
XIII<sup>e</sup> siècle, bien peu de cathédrales en France purent se soustraire à la
manie de ces chapelles latérales. La grande idée première qui les avait fait
élever était sortie de l’esprit du clergé pendant le cours de ce siècle. Les
confréries, les corporations, des familles même, en donnant des sommes
pour achever ou réparer le monument national, voulaient avoir leur chapelle;
on n’obtenait plus d’argent qu’à ce prix.
 
Les parties supérieures de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]] se ressentent du
défaut d’unité; défigurées aujourd’hui par des restaurations barbares qui
n’appartiennent à aucune époque, à aucun style, on n’en peut plus juger;
mais nous les avons vues encore, il y a quinze ans, telles que les siècles
nous les avaient laissées; il semblait que l’emploi des sommes successives
eût été fait sans tenir compte du projet primitif; c’était comme une
montagne sur laquelle chacun élève à son gré la construction qui lui
convient. Les architectes appelés successivement à la terminer ou à consolider
des constructions élevées avec des moyens insuffisants, y ajoutèrent,
l’un un arc-boutant, l’autre un couronnement de contrefort incomplètement
chargé. Certainement celui qui avait conçu le plan et élevé le chœur
jusqu’à la hauteur des voûtes avait projeté un édifice qui ne présentait
pas ces superfétations et cette confusion; et il faut se garder de juger l’art
des hommes du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle avec ce que nous donne
aujourd’hui la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]]<span id="note19"></span>[[#footnote19|<sup>19</sup>]].
 
La cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]] nous représente mieux encore une salle destinée
à une grande assemblée que la cathédrale de Paris, non-seulement dans
son plan, par l’absence du transsept, mais dans sa coupe, par la disposition
des deux galeries étagées, l’une au-dessus du second bas-côté donnant dans
le premier bas-côté, l’autre au-dessus des voûtes de ce premier bas-côté
donnant dans la nef centrale. C’était là un moyen de ménager des vues
sur le milieu du vaisseau, et de permettre à de nombreux spectateurs de
voir ce qui se passait dans la grande nef. Ne perdons pas de vue que les
cathédrales n’étaient pas, au XIII<sup>e</sup> siècle, seulement destinées au culte; on
y tenait des assemblées, on y discutait, on y représentait des mystères, on
y plaidait, on y vendait, et les divertissements profanes n’en étaient pas
exclus<span id="note20"></span>[[#footnote20|<sup>20</sup>]], par exemple, la fête des Innocents à Laon, qui se célébrait le
28 décembre; la fête des Fous, etc.; ces farces furent difficilement supprimées,
et nous les voyons encore persister pendant le XV<sup>e</sup> siècle.
 
Mais les dispositions particulières à la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]] nous ont
fait sortir de la voie chronologique, dans laquelle il est nécessaire de
revenir pour mettre de l’ordre dans notre sujet.
 
<span id=Noyon1>En 1131, un incendie terrible détruit la ville de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] et sa cathédrale.
L’évêque Simon, qui occupait alors le siège épiscopal de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], n’était
pas en état de réparer le désastre; ses finances étaient épuisées par la
construction de l’abbaye d’Ourscamp; alors, le mouvement qui, quelques
années plus tard, allait porter le haut clergé séculier et les fidèles à élever
des cathédrales sur de vastes plans, n’était pas prononcé. Le successeur
de Simon, Beaudoin II, prélat rempli de prévoyance, prudent, régulier,
sut administrer son diocèse avec autant de sagesse que d’énergie; il
était lié d’amitié avec saint Bernard, honoré de la confiance et de la faveur
de Suger. Dans son excellente notice archéologique sur Notre-Dame de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], M. Vitet croit devoir faire remonter la construction de cette église,
telle que nous la voyons aujourd’hui, à l’épiscopat de Beaudoin; non-seulement
nous partageons l’opinion émise par M. Vitet, mais nous serons
plus affirmatif que lui, car nous appuierons ses preuves historiques de
preuves plus sûres encore, tirées de l’examen du monument même. Nous
venons de dire que Suger honorait l’évêque Beaudoin d’une confiance
particulière, et Suger était, comme chacun sait, fort préoccupé de la
construction des églises; il fit rebâtir entièrement celle de son abbaye, et
les portions qui nous restent de ces constructions ont un caractère remarquable
pour l’époque où elles furent élevées. Elles font un grand pas vers
le système ogival; elles abandonnent presque entièrement la tradition
romane. Qui Suger employa-t-il pour élever l’église abbatiale de Saint-Denis?
cela nous serait difficile à savoir. L’illustre abbé et ses successeurs
ne nous en disent rien; ils conservent pour eux (et cela se conçoit) tout
l’honneur de cette entreprise; à les en croire, les moines suffirent à tout.
Mais il y a, dans l’histoire de cette édification, tant de fables, de faits
évidemment présentés avec l’intention de frapper la foule de respect et
d’admiration, que nous ne pouvons y attacher une véritable importance
historique<span id="note21"></span>[[#footnote21|<sup>21</sup>]]. Suger était aussi bon politique que religieux sincère; il était
plus qu’aucun autre à même de se servir des hommes que pourrait lui
fournir l’époque où il vivait; c’était un esprit éclairé, et, comme on dirait
aujourd’hui, amateur du progrès. Son église le prouve; elle est en avance
de vingt ou trente ans sur les constructions que l’on élevait alors, même
dans le domaine royal. Qu’il ait été le premier à former cette école nouvelle
de constructeurs, ou qu’il ait su voir le premier qu’à côté de l’école monacale
il se formait une école laïque d’architectes, à nos yeux le mérite serait
le même; mais ce qui est incontestable, c’est la physionomie, nouvelle
pour le temps, des constructions élevées par lui à Saint-Denis. Or nous
retrouvons, à la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], la même construction, les mêmes
procédés d’appareil, les mêmes profils, les mêmes ornements qu’à Saint-Denis.
Nous y voyons ce singulier mélange du plein cintre et de l’ogive.
L’église de Saint-Denis de Suger et la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] semblent avoir
été bâties par le même atelier d’ouvriers. L’abbé et l’évêque sont liés
d’amitié; Suger est à la tête du pays: quoi de plus naturel que de supposer
que l’évêque Beaudoin, le voyant rebâtir l’église de son abbaye sur des
dispositions et avec des moyens de construction neufs pour l’époque, se
soit adressé à lui pour avoir les maîtres des œuvres et ouvriers nécessaires
à la reconstruction de sa cathédrale ruinée par un incendie? Si ce ne sont
pas là des preuves, il nous semble que ce sont au moins des présomptions
frappantes. M. Vitet a compris toute l’importance qu’il y a à préciser d’une
manière rigoureuse la date de la construction de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]].
Cette importance est grande en effet, car la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] est un
monument de transition, et un monument de transition en avance sur son
temps. Il précède de quelques années la construction des cathédrales de
Paris et de Soissons. Faudrait-il donc voir, dans l’église de
Saint-Denis et
dans les cathédrales de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] et de Senlis, le berceau de l’architecture
ogivale? Et Suger, à la fois abbé et ministre, serait-il le premier qui eût
été chercher les constructeurs en dehors des monastères, qui eût compris
que les arts et les sciences étouffaient dans les cloîtres et ne pouvaient plus
se développer sous leur ombre? Voilà des questions que nous laissons à
résoudre à plus habiles que nous.
 
Mais avant d’entamer la description des monuments, que l’on nous
permette encore un argument. Saint-Bernard s’était, à plusieurs reprises,
élevé contre le goût des sculptures répandues dans les églises clunisiennes;
son esprit droit, positif, éclairé, était choqué par ces représentations des
scènes singulièrement travesties de l’Ancien et du Nouveau Testament,
ces légendes, cette façon barbare de figurer les vices et les vertus qui
tapissaient les chapiteaux des églises romanes. À Vézelay même, au
milieu de ces images les plus étrangement sculptées, il n’avait pas craint
de qualifier ces arts de barbares et d’impies, de les stigmatiser comme
contraires à l’esprit chrétien; aussi, lorsqu’il établit la règle de Cîteaux,
voulut-il protester contre ce qu’il regardait comme une monstruosité, en
s’abstenant de toute représentation sculptée.
 
Les âmes de la trempe de celle de saint-Bernard sont rarement comprises
par la foule; quand elles sont soutenues par des vertus éclatantes, une
conviction inébranlable et une éloquence entraînante, tant qu’elles demeurent
au milieu de la société, elles exercent une pression sur ses goûts et
ses habitudes; mais sitôt qu’elles ont disparu, ces goûts et ces habitudes
reprennent leur empire; toutefois, de la protestation d’un esprit convaincu,
il reste une trace ineffaçable. Faites honte à un homme de ses goûts
dépravés, montrez-les-lui sous le côté odieux et ridicule, il ne se corrigera
peut-être pas, mais il modifiera la forme, l’expression de ces goûts. La
protestation de saint-Bernard ne changea pas les goûts de la nation pour
les arts plastiques, heureusement; mais il est certain qu’elle les modifia, et
les modifia en les forçant de se diriger vers le vrai, vers le beau. Cette
révolution se fait précisément au moment où les arts se répandent en
dehors du cloître, et deviennent le partage des laïques.
 
À Saint-Denis, les étrangetés contre lesquelles saint-Bernard s’était
élevé ont déjà disparu. Dans nos cathédrales des XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles, il n’en
reste plus trace. Sur les chapiteaux et dans les intérieurs, des ornements
empruntés à la Flore locale; jamais ou très-rarement des figures, des
scènes sculptées; il semble que la voix de saint-Bernard tonnait encore
aux oreilles des imagiers.
 
Dans nos cathédrales, l’iconographie se règle sous la haute direction des
évêques; les ouvriers laïques ne tombent plus dans ces bizarreries affectionnées
par les moines des XI<sup>e</sup> et XII<sup>e</sup> siècles. La sculpture cherche moins
à surprendre ou terrifier, qu’à instruire et expliquer; ce n’est plus de la
superstition, c’est de la foi, de la poésie, de la science.
 
Ainsi, constatons bien ce fait: avec le besoin d’élever nos grandes
cathédrales, naît un système de construction nouveau, apparaît un art
nouveau, en dehors de l’influence des ordres monastiques, et presqu’en
opposition avec l’esprit de ces ordres.
 
Revenons à la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]]. C’est donc vers 1150 qu’elle fut
commencée; l’église de Saint-Denis, bâtie par Suger, avait été dédiée en
1140 et 1144.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Noyon.png|center]]
<div class="text">
<span id=Noyon3>Nous donnons (fig. 7) le plan de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]]<span id="note22"></span>[[#footnote22|<sup>22</sup>]]. Le chœur, le
transsept appartiennent à la construction de Beaudoin; la nef paraît n’avoir
été terminée que vers la fin du XII<sup>e</sup> siècle. Nous ne pouvons mieux faire ici
que de citer M. Vitet<span id="note23"></span>[[#footnote23|<sup>23</sup>]], pour expliquer la forme de ce plan et le mélange
prononcé du plein cintre et de l’ogive dans cette église déjà toute ogivale
comme construction:
 
«Lorsque Beaudoin II entreprit la reconstruction de sa cathédrale, il
existait à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] une commune depuis longtemps établie, et consacrée
par une paisible jouissance, mais placée en quelque sorte sous la tutelle
de l’évêque. C’est le reflet de cette situation que nous présente l’architecture
de l’église. Le nouveau style avait déjà fait trop de chemin à
cette époque pour qu’il ne fût pas franchement adopté, surtout dans un
édifice séculier et dans une ville en possession de ses franchises; mais
en même temps le pouvoir temporel de l’évêque avait encore trop de
réalité pour qu’il ne fût pas fait une large part aux traditions canoniques.
Nous ne prétendons pas que cette part ait été réglée par une transaction
explicite, ni même qu’il soit intervenu aucune convention à ce sujet: les
faits de ce genre se passent souvent presque à l’insu des contemporains.
Que de fois nous agissons sans nous douter que nous obéissons à une
loi générale; et cependant cette loi existe, c’est elle qui nous fait agir, et
d’autres que nous viendront plus tard en signaler l’existence et en apprécier
la portée. C’est ainsi que l’évêque et les chanoines, tout en confiant
la conduite des travaux à quelque maître de l’œuvre laïque, parce que le
temps le voulait ainsi, tout en le laissant bâtir à sa mode, lui auront
recommandé de conserver quelque chose de l’ancienne église, d’en
rappeler l’aspect en certaines parties, et de là tous ces pleins cintres
dont l’extérieur de l’édifice est percé, de là ces grandes arcades circulaires
qui lui servent de couronnement tant au dedans qu’au dehors. Il
est vrai que les profils déliés de ces arcades les rendent aussi légères que
des ogives; l’ obéissance de l’artiste laïque ne pouvait pas être plus
complète; elle consistait dans la forme et non pas dans l’esprit.
 
«C’est encore pour complaire aux souvenirs et aux prédilections des
chanoines que le plan semi-circulaire des transsepts aura été maintenu:
la vieille église avait probablement ses bras ainsi arrondis, suivant
l’ancien type byzantin. Mais tout en conservant cette forme, on semble
avoir voulu racheter l’antiquité du plan par un redoublement de nouveauté
dans l’élévation. Remarquez en effet que ces transsepts en hémicycles
sont percés de deux rangs de fenêtres à ogive, tandis que, dans la
nef, bien qu’elle soit évidemment postérieure, toutes les fenêtres sont à
plein cintre.
 
«Il est très-probable aussi que la forme arrondie de ces deux transsepts
a été conservée en souvenir de la cathédrale de Tournay, cette sœur de
notre cathédrale. À Tournay, en effet, les deux transsepts byzantins
subsistent encore aujourd’hui dans leur majesté primitive, avec leur
ceinture de hautes et massives colonnes. En 1153, la séparation des deux
sièges n’était prononcée que depuis sept années. La mémoire de ces
admirables transsepts était encore toute fraîche, et c’est peut-être en
témoignage de ses regrets, et comme une sorte de protestation contre la
bulle du Saint-Père<span id="note24"></span>[[#footnote24|<sup>24</sup>]], que le chapitre de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] voulut que les transsepts
de sa nouvelle église lui rappelassent, au moins par leur plan, ceux de
la cathédrale qu’il avait perdue...»
 
L’incendie de 1131 ne fut pas le seul qui attaqua la cathédrale de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]]; en 1152, la ville fut brûlée, et la cathédrale fut probablement
atteinte; mais alors ou l’église de Beaudoin n’était pas commencée, ou elle
était à peine sortie de terre, et l’incendie ne put détruire que des constructions
provisoires faites pour que le culte ne fût pas interrompu pendant la
construction du nouveau chœur. En 1238, le feu dévasta, pour la troisième
fois, une grande partie de la ville. En 1293, quatrième incendie, qui brûla
les charpentes de la nouvelle cathédrale et lui causa des dommages considérables.
Ces dévastations successives expliquent certaines singularités
que l’on remarque dans les constructions de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]]. Nous
allons y revenir.
</div>
[[Image:Schema.travee.cathedrale.Noyon.png|right]]
<div class="text">
Observons d’abord que le plan du chœur de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] est
accompagné de cinq chapelles circulaires et de quatre chapelles carrées; or
ces chapelles sont la partie la plus ancienne de toute l’église. Nous avons vu
et nous verrons que les plans des cathédrales bâties vers la fin du XII<sup>e</sup> siècle
et le commencement du XIII<sup>e</sup>, comme Notre-Dame de Paris, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]], Laon,
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], sont totalement ou presque totalement dépourvues de chapelles.
Mais [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] précède le grand mouvement qui porte les évêques et les
populations à élever de nouvelles cathédrales, mais le plan de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] est
encore soumis à l’influence canonique ou conventuelle, mais enfin [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]]
suit la construction de l’église de Saint-Denis, qui possède de même des
chapelles circulaires et des chapelles carrées à l’abside. Si nous examinons
le plan de Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], nous voyons encore qu’à l’entrée du
chœur, après les deux piles des transsepts, sont élevées deux piles aussi
épaisses. En regard, les maçonneries des bas-côtés ont également une
grande force, et contiennent des escaliers. Des tours sont commencées sur
ce point, elles ne furent jamais terminées. Dans la nef, dont la construction
parait être comprise entre les années 1180 et 1190, nous voyons cinq
travées presque carrées portées par des piles formées de faisceaux de
colonnes, et divisées par des colonnes monocylindriques. Cette disposition
indique nettement des voûtes composées d’arcs ogives portant sur les
grosses piles, avec arcs doubleaux simples sur les piles intermédiaires
(fig. 8). C’est, en effet, le mode adopté pour la construction des voûtes de
Notre-Dame de Paris, de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]] et de Laon; cependant, contrairement
à cette disposition si bien écrite dans le plan de la nef, les voûtes sont
construites conformément à l’usage adopté au XIII<sup>e</sup> siècle,
c’est-à-dire que
chaque pile, grosse ou fine, porte arcs doubleaux et arcs ogives (voy.
fig. 7); seulement les arcs doubleaux des grosses piles sont
plus épais que ceux posés sur les piles intermédiaires. Il y
a lieu de croire que ces voûtes de la nef furent en partie
refaites après l’incendie de 1238, les gros arcs doubleaux
seuls auraient été conservés; et, au lieu de refaire ces voûtes
ainsi qu’elles avaient existé, c’est-à-dire avec arcs ogives
portant seulement sur les grosses piles, on aurait suivi
alors la méthode adoptée partout. Si nous examinons les
profils de ces arcs ogives et des arcs doubleaux portant
sur les piles intermédiaires, nous voyons qu’en effet ces
profils ne paraissent pas appartenir à la fin du XII<sup>e</sup> siècle.
Les voûtes du chœur et des chapelles absidales seules sont certainement de
la construction primitive; leurs nervures sont ornées de perles, de rosettes
très-délicates, comme les arcs des voûtes de la partie antérieure de l’église
de Saint-Denis. Quoi qu’il en soit, la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] était complètement
terminée à la fin du XII<sup>e</sup> siècle, et, sauf quelques adjonctions et
restaurations faites après l’incendie de 1293 et après les guerres du
XVI<sup>e</sup> siècle, elle est parvenue jusqu’à nous à peu près dans sa forme
première.
 
<span id=Noyon2>À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], comme à la cathédrale de Paris, et comme dans l’église de
Saint-Denis construite par Suger, les collatéraux sont surmontés d’une
galerie voûtée au premier étage<span id="note25"></span>[[#footnote25|<sup>25</sup>]]. En examinant la coupe du chœur, on
voit que l’arcature qui surmonte la galerie du premier étage n’est qu’un
faux triforium, simple décoration plaquée sur le mur qui est élevé dans la
hauteur du comble en appentis recouvrant les voûtes du premier étage.
Dans la nef, cette arcature est isolée; c’est un véritable triforium comme
à la cathédrale de Soissons dans le croisillon sud (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]],
fig. 31). Une belle salle capitulaire et un cloître du XIII<sup>e</sup> siècle
accompagnent, du côté nord, la nef de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Cloître|Cloître]],
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Salle |Salle ]] capitulaire). <span id=Noyon5>Deux grosses tours, fort défigurées par des restaurations
successives, et dont les flèches primitives ont été remplacées, si jamais
elles ont été faites, par des combles en charpente, sont élevées sur la
façade. <span id=Noyon4>Quant au porche, il date du commencement du XIV<sup>e</sup> siècle; mais
cette partie de l’édifice n’offre aucun intérêt.
 
Il est une cathédrale qui remplit exactement les conditions imposées aux
reconstructions de ces grands édifices à la fin du XII<sup>e</sup> siècle et au commencement
du XIII<sup>e</sup>, c’est celle de Laon. On a voulu voir, dans la cathédrale
actuelle de Laon, celle qui fut reconstruite ou réparée après les désastres
qui signalèrent, en 1112, l’établissement de la commune. Cela n’est pas
admissible; le monument est là, qui, mieux que tous les textes, donne la
date précise de sa reconstruction, et nous n’avons pas besoin de revenir
là-dessus après les observations que M. Vitet a insérées sur la cathédrale de
Laon dans sa <i>Monographie de Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]]</i>.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Laon.png|center]]
<div class="text">
La cathédrale de Laon (fig. 9) présente en plan une grande nef avec
collatéraux, coupée à peu près vers son milieu par des transsepts; l’abside
se termine carrément. Deux chapelles sont seulement pratiquées vers l’est
aux deux extrémités des bras de croix. La ville de Laon était, pendant les
XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles, une ville riche, populeuse, turbulente; elle s’établit à
main armée une des premières en commune, et obtint de
Philippe-Auguste,
après bien des tumultes et des violences, en 1191, une <i>paix</i>, ou confirmation
de la commune, moyennant une rente annuelle de deux cents livres
parisis<span id="note26"></span>[[#footnote26|<sup>26</sup>]]. C’est probablement peu de temps après l’octroi de cette <i>paix</i>
que les citoyens de Laon, possesseurs tranquilles de leurs franchises,
aidèrent les évêques de ce diocèse à élever l’admirable édifice que nous
voyons encore aujourd’hui.
 
De toutes les populations urbaines qui, dans le nord de la France,
s’établirent en commune, celle de Laon fut une des plus énergiques, et dont
les tendances furent plus particulièrement démocratiques. Le plan donné à
leur cathédrale fut-il une sorte de concession à cet esprit? Nous n’oserions
l’affirmer; il n’en est pas moins certain que ce plan est celui de toutes
nos grandes cathédrales qui se prête le mieux, par sa disposition, aux
réunions populaires. C’est dans ce vaisseau, qui conserve tous les caractères
d’une salle immense, que pendant plus de trois siècles, se passèrent, à
certaines époques de l’année, les scènes les plus étranges. Nous avons
dit déjà «qu’on y célébrait, le 28 décembre, la fête des Innocents<span id="note27"></span>[[#footnote27|<sup>27</sup>]], où
les enfants de chœur, portant chapes, occupaient les hautes stalles et
chantaient l’office avec toute espèce de bouffonneries; le soir, ils étaient
régalés aux frais du chapître<span id="note28"></span>[[#footnote28|<sup>28</sup>]]. Huit jours après, venait la fête des Fous.
La veille de l’Épiphanie, les chapelains et choristes se réunissaient pour
élire un pape, qu’on appelait le patriarche des Fous. Ceux qui s’abstenaient
de l’élection payaient une amende. On offrait au patriarche le pain et le
vin de la part du chapitre, qui donnait, en outre, à chacun, huit livres
parisis pour le repas. Toute la troupe se revêtait d’ornements bizarres,
et avait, les deux jours suivants, l’église entière à sa disposition. Après
plusieurs cavalcades par la ville, la fête se terminait par la grande procession
des <i>rabardiaux</i>. Ces farces furent abolies en 1560; mais le souvenir
s’en conserva dans l’usage, qui subsista jusqu’au dernier siècle, de distribuer,
à la messe de l’Épiphanie, des couronnes de feuilles vertes aux
assistants<span id="note29"></span>[[#footnote29|<sup>29</sup>]]... Au XV<sup>e</sup> siècle, de nombreux mystères furent représentés
dans la cathédrale de Laon, et les chanoines eux-mêmes ne dédaignèrent
pas d’y figurer comme acteurs<span id="note30"></span>[[#footnote30|<sup>30</sup>]]. En 1462, aux fêtes de la Pentecôte, on
joua la passion de N.-S. Jésus-Christ, distribuée en cinq journées... Le
26 août 1476, on représenta un mystère intitulé: <i>Les Jeux de la vie de
Monseigneur saint Denys</i>. Afin de faciliter la représentation, la messe
fut dite à huit heures et les vêpres chantées à midi<span id="note31"></span>[[#footnote31|<sup>31</sup>]]...»
 
Si le chapitre et les évêques de Laon croyaient nécessaire de faire de
semblables concessions morales aux citoyens, ne peut-on admettre que
cette tolérance influa sur les dispositions primitives du plan de la cathédrale?
Après les luttes et les scènes tragiques qui ensanglantèrent l’établissement
de la commune de Laon, lorsque, par l’entremise du pouvoir royal,
cette commune fut définitivement constituée, il est probable que, d’un
commun accord, le chapitre, l’évêque et les bourgeois élevèrent cet édifice
à la fois religieux et civil. C’est par des concessions de ce genre que le
clergé put amener les citoyens d’une ville riche à faire les sacrifices d’argent
nécessaires à la construction d’un monument qui devait servir
non-seulement
au culte, mais même à des assemblées profanes. Nous ne nous dissimulons
pas combien ces conjectures paraîtront étranges aux personnes
qui n’ont pas, pour ainsi dire, vécu dans la société du moyen âge, qui
croient que cette société était soumise à un régime purement féodal et
théocratique; mais quand on pénètre dans cette civilisation qui se forme au
XII<sup>e</sup> siècle et se développe au XIII<sup>e</sup>, on voit à chaque pas naître un besoin
de liberté si prononcé à côté de privilèges monstrueux, une tendance si
active vers l’unité nationale, qu’on n’est plus étonné de trouver le haut
clergé disposé à aider à ce mouvement et cherchant à le diriger pour ne
pas être entraîné et débordé. Les évêques aimaient mieux ouvrir de vastes
édifices à la foule, sauf à lui permettre parfois des saturnales pareilles à
celles dont nous venons de donner un aperçu, plutôt que de se renfermer
dans le sanctuaire, et de laisser bouillonner en dehors les idées populaires.
Sous les voûtes de la grande cathédrale, quoique profanes, les assemblées
des citoyens étaient fortement empreintes d’un caractère religieux. Les
populations urbaines s’habituaient ainsi à considérer la cathédrale comme
le centre de toute manifestation publique. Les évêques et les chapitres
avaient raison; ils comprenaient leur époque; ils savaient que, pour civiliser
des esprits encore grossiers, faciles à entraîner, unis par un profond
sentiment d’union et d’indépendance, il fallait que le monument religieux
par excellence fût le pivot de tout acte public.
 
Laon est une ville turbulente qui, pendant un siècle, est en lutte ouverte
avec son seigneur, l’évêque. Après ces troubles, ces discussions, le pouvoir
royal qui, par sa conduite, commence à inspirer confiance en sa force,
parvient à établir la paix; mais on se souvient, de part et d’autre, de ces
luttes dans lesquelles seigneurs et peuple ont également souffert; il faut se
faire des concessions réciproques pour que cette paix soit durable; la
cathédrale se ressent de cette sorte de compromis; sa destination est religieuse,
son plan conserve un caractère civil.
 
À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], d’autres précédents amènent des résultats différents.
 
«En l’année 1098, dit M. A. Thierry<span id="note32"></span>[[#footnote32|<sup>32</sup>]], Baudri de Sarchainville, archidiacre
de l’église cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], fut promu, par le choix du clergé
de cette église, à la dignité épiscopale. C’était un homme d’un caractère
élevé, d’un esprit sage et réfléchi. Il ne partageait point l’aversion
violente que les personnes de son ordre avaient en général contre
l’institution des communes. Il voyait dans cette institution une sorte
de nécessité sous laquelle, de gré ou de force, il faudrait plier tôt ou
tard, et croyait qu’il valait mieux se rendre aux vœux des citoyens que
de verser le sang pour reculer de quelques jours une révolution
inévitable... De son propre mouvement, l’évêque de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] convoqua en
assemblée tous les habitants de la ville, clercs, chevaliers, commerçants
et gens de métier. Il leur présenta une charte qui constituait le corps
des bourgeois en association perpétuelle, sous des magistrats appelés
jurés, comme ceux de Cambrai...»
 
M. Vitet a donc raison de dire<span id="note33"></span>[[#footnote33|<sup>33</sup>]] que «lorsque Beaudoin II entreprit la
reconstruction de sa cathédrale, il existait à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] une commune depuis
longtemps établie, et <i>consacrée par une paisible jouissance</i>, mais placée
en quelque sorte sous la tutelle de l’évêque.»
 
Aussi la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] présente-t-elle le plan d’un édifice religieux:
abside avec chapelles, transsepts avec croisillons arrondis. Là, le clergé
est resté le directeur de l’œuvre, il n’a besoin de faire aucune concession;
il n’a pas eu recours, non plus que la commune, lorsqu’il commença
l’œuvre, à l’intervention du pouvoir royal. Il entre dans la cathédrale de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] moins d’éléments laïques que dans celle de Senlis, par exemple,
construite en même temps, et où l’ogive domine sans partage. Mais la
cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] est de près de cinquante années antérieure à celle de
Laon; il n’est pas surprenant, objectera-t-on, que son plan se rapproche
davantage des traditions cléricales; cela est vrai. Cependant, nous avons
vu le plan de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]], contemporaine de celle de Laon,
où la tradition cléricale est encore conservée; nous verrons tout à l’heure
le plan de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], où, plus qu’à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]] encore, les
données religieuses de l’architecture romane sont observées. Laon, au
contraire, possède un plan dont le caractère est tranché; il a fallu faire
une large part aux idées laïques. Peut-être voudra-t-on prétendre encore
que les évêques de Laon, ayant eu de fréquents rapports avec l’Angleterre,
leur cathédrale aurait pris la disposition carrée du plan de l’abside aux
monuments de ce pays; <span id=Cantorbery2>l’observation ne saurait être admise, par la raison
que les absides carrées anglaises sont postérieures à celle de la cathédrale
de Laon; le chœur de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Cantorbéry]], qui date du XII<sup>e</sup> siècle,
est circulaire; les absides carrées d’Ély, de Lincoln, ne sont pas antérieures
à 1230.
 
Ce n’est pas seulement cette abside carrée qui nous frappe dans le plan
de la cathédrale de Laon (fig. 9), c’est encore la disposition des collatéraux
avec galeries supérieures voûtées, comme à Notre-Dame de Paris, comme
à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], comme à la cathédrale de Meaux dans l’origine; c’est la place
qu’occupent les chapelles circulaires des transsepts, chapelles à deux
étages; c’est la présence de quatre tours aux quatre angles des deux
croisillons et d’une tour carrée sur les piles de la croisée; c’est cette
grande et belle salle capitulaire qui s’ouvre au sud des premières travées
de la nef; ce sont ces deux salles, trésors et sacristies, qui avoisinent le
chœur et sont réservées entre les collatéraux et les chapelles circulaires.
On voit en tout ceci un plan conçu et exécuté d’un seul jet, une disposition
bien franche commandée par un programme arrêté. Quant au style d’architecture
adopté dans la cathédrale de Laon, il se rapproche de celui des
parties de Notre-Dame de Paris qui datent du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle;
il est cependant plus lourd, plus trapu; il faut dire aussi que les matériaux
employés sont plus grossiers.
 
À la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, ce beau plan fut défiguré par l’adjonction de
chapelles élevées entre les saillies des contreforts de la nef. Une salle fut
érigée au milieu du préau du cloître. C’est aussi pendant le cours du
XIII<sup>e</sup> siècle que les dispositions premières du porche furent modifiées. Les
sept tours étaient surmontées de flèches, détruites aujourd’hui (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Clocher|Clocher]]).
 
Malgré son importance, la cathédrale de Laon fut élevée avec une précipitation
telle, que, sur quelques points, et particulièrement sur la façade,
les constructeurs dédaignèrent de prendre les précautions que l’on prend
d’ordinaire, lorsque l’on bâtit des édifices de cette dimension: les fondations
furent négligées, ou bloquées au milieu des restes de substructions
antérieures; on ne laissa pas le temps aux constructions inférieures des
tours de s’asseoir avant de terminer leurs sommets. Il en résulta des
tassements inégaux, des déchirements qui compromirent la solidité de la
façade<span id="note34"></span>[[#footnote34|<sup>34</sup>]].
 
La cathédrale de Laon conserve quelque chose de son origine démocratique;
elle n’a pas l’aspect religieux des églises de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]]
ou de Reims. De loin, elle paraît un château plutôt qu’une église; sa nef
est, comparativement aux nefs ogivales et même à celle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], basse;
sa physionomie extérieure est quelque peu brutale et sauvage; et jusqu’à
ces sculptures colossales d’animaux, bœufs, chevaux, qui semblent garder
les sommets des tours de la façade (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Animaux|Animaux]]), tout concourt à produire
une impression d’effroi plutôt qu’un sentiment religieux, lorsqu’on gravit
le plateau sur lequel elle s’élève. On ne sent pas, en voyant
Notre-Dame
de Laon, l’empreinte d’une civilisation avancée et policée, comme à Paris
ou à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]]; là, tout est rude, hardi: c’est le monument d’un peuple
entreprenant, énergique et plein d’une mâle grandeur. Ce sont les mêmes
hommes que l’on retrouve à Coucy-le-Château, c’est une race de géants.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Soissons.png|center]]
<div class="text">
Nous ne quitterons pas cette partie de la France sans parler de la cathédrale
de Soissons. Cet édifice fut certainement conçu sur un plan dont les
dispositions rappellent le plan de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] (fig. 10). Comme
à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], le transsept sud de la cathédrale de Soissons, qui date de la fin
du XII<sup>e</sup> siècle, est arrondi, et il est flanqué à l’est d’une vaste chapelle
circulaire à deux étages, comme celles des transsepts de Laon. À Soissons,
ce croisillon circulaire possède un bas-côté avec galerie voûtée
au-dessus
et triforium dans la hauteur du comble de la galerie (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]], fig. 30 et 31). L’étage supérieur de la chapelle circulaire servait
de trésor avant la révolution; était-ce là sa destination primitive? C’est ce
que nous ne pourrions dire aujourd’hui, n’ayant aucune donnée sur l’utilité
de ces chapelles à deux étages, que nous retrouvons encore à Saint-Remy
de Reims et dans la grande église de Saint-Germer.
 
Que la cathédrale de Soissons ait été élevée complètement pendant les
dernières années du XII<sup>e</sup> siècle, ou seulement commencée, toujours est-il
que le chœur et la nef furent construits pendant les premières années du
XIII<sup>e</sup> siècle. Le chœur est accompagné de cinq chapelles circulaires et de
huit chapelles carrées. C’est déjà une modification au plan des cathédrales
de cette époque. Le transsept nord ne fut terminé que plus tard, ainsi que
la façade.
 
Jusqu’à présent, nous voyons régner, dans ces édifices élevés depuis le
milieu du XII<sup>e</sup> siècle jusqu’au commencement du XIII<sup>e</sup><span id="note35"></span>[[#footnote35|<sup>35</sup>]], une sorte d’incertitude;
les plans de ces cathédrales françaises sont comme autant d’essais
subissant l’influence de programmes variés. On élève des cathédrales
nouvelles plus vastes que les églises romanes, pour suivre le mouvement
qui s’était si bien prononcé pendant les règnes de Louis le Jeune et de
Philippe-Auguste; mais la <i>cathédrale</i> type n’est pas encore sortie de terre.
Nous allons la voir naître définitivement et arriver, en quelques années, à
sa perfection.
 
À la suite d’un incendie qui détruisit de fond en comble la cathédrale
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], en 1020, l’évêque Fulbert voulut reconstruire son église. Les
travaux furent continués par ses successeurs à de longs intervalles. En
1145, les deux clochers de la façade occidentale, que nous voyons encore
aujourd’hui, étaient en pleine construction. En 1194, un nouvel incendie
ruina l’édifice de Fulbert à peine achevé. Les parties inférieures de la façade
occidentale, le clocher <i>vieux</i> terminé et la souche du clocher <i>neuf</i> resté en
construction échappèrent à la destruction. Sur les débris encore fumants
de la cathédrale, Mélior, cardinal-légat du pape Célestin III, fit assembler
le clergé et le peuple de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], et, à la suite de ses exhortations, tous
se mirent à l’œuvre pour reconstruire, sur un nouveau plan, l’ancienne
église de Notre-Dame<span id="note36"></span>[[#footnote36|<sup>36</sup>]]. L’évêque Reghault de Mouçon et les chanoines
abandonnèrent le produit total de leurs revenus et de leurs prébendes
pendant trois années.
</div>
<center>
... borjois et rente et mueble<br>
Abandonèrent en aie<br>
Chascun selon sa menantie<span id="note37"></span>[[#footnote37|<sup>37</sup>]].<br>
</center>
<div class="text">
 
Philippe-Auguste, Louis VIII et saint Louis contribuèrent par leurs
dons à l’érection de la vaste église.
 
<span id=Chartres3>Déjà, en 1220, Guillaume le Breton parle de ses voûtes «que l’on peut
comparer, dit-il, à une écaille de tortue,» et qui sont assez solides pour
défier les incendies à venir.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Chartres.png|center]]
<div class="text">
La fig. 11 donne le plan de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]]. Ici, l’influence religieuse
paraît tout entière. Trois grandes chapelles à l’abside, quatre autres
moins prononcées entre elles, doubles bas-côtés d’une grande largeur;
autour du chœur, vastes transsepts. Là, le culte peut déployer toutes ses
pompes; le chœur, plus qu’à Paris, plus qu’à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]], plus qu’à Soissons
et à Laon surtout, est l’objet principal; c’est pour lui que l’église est faite.
Il faut supposer que l’église de Fulbert était très-vaste déjà, car les cryptes
qui existent, et datent de son épiscopat, occupent la surface entière du
premier bas-côté; la nef centrale et le chœur étant un terre-plein, le
XIII<sup>e</sup> siècle n’ajouta donc à l’édifice roman, comme surface, que le second
bas-côté du chœur, les chapelles absidales et les extrémités des deux
transsepts.
 
<span id=Chartres1>Nous voyons se reproduire à Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]] un fait analogue à
ceux signalés dans la construction des cathédrales de Paris et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]].
Non-seulement les architectes du XIII<sup>e</sup> siècle conservèrent les deux clochers
occidentaux de l’église du XII<sup>e</sup> siècle, mais ils ne voulurent pas laisser
perdre les trois belles portes qui donnaient entrée dans la nef et étaient
autrefois placées au fond d’un porche en A (voyez le plan). On voit encore
entre les deux tours la trace des constructions de ce porche et l’amorce
du mur de face. Les trois portes, avec leurs belles statues, les tympans,
voussures et fenêtres qui les surmontent, replacées sur l’alignement des
deux clochers, furent couronnées par une rose s’ouvrant sous la voûte de la
nef centrale. La construction de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]] fut conduite avec
une incroyable rapidité. L’empressement des populations, des seigneurs et
souverains, à mener l’œuvre à fin ne fut nulle part plus actif. Aussi, cet
édifice présente-t-il une grande homogénéité de style; il devait être complétement
achevé vers 1240<span id="note38"></span>[[#footnote38|<sup>38</sup>]]. De 1240 à 1250, on ajouta des porches aux
deux entrées des transsepts; la sacristie fut bâtie au nord, proche le chœur,
à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, et, vers le milieu du XIV<sup>e</sup> siècle, on éleva, derrière
l’abside, la chapelle Saint-Piat à deux étages. C’est aussi pendant la seconde
moitié du XIII<sup>e</sup> siècle que fut posé l’admirable jubé qui fermait l’entrée du
chœur il y a encore un siècle<span id="note39"></span>[[#footnote39|<sup>39</sup>]].
 
À Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], la nef est courte comparativement au chœur;
c’est probablement pour lui donner deux travées de plus que l’ancien porche
de la façade fut supprimé et les portes avancées au nu du mur extérieur
des tours. Voulant conserver, pour bâtir le chœur, la crypte qui lui sert
de fondations et les deux belles tours occidentales, il n’était pas possible
de donner à l’église une plus grande longueur.
</div>
[[Image:Detail.plan.cathedrale.Chartres.png|center]]
<div class="text">
Aux quatre angles du transsept, quatre tours B furent commencées
(voy. fig. 12, présentant le plan du premier étage de la moitié du chœur
et des transsepts de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]]); elles restèrent inachevées,
ainsi que la tour centrale qui, probablement, devait s’élever sur les quatre
gros piliers C de la croisée. Deux autres tours A furent élevées sur les deux
dernières travées du second bas-côté du chœur précédant les chapelles
absidales; ces tours restèrent également inachevées à la hauteur des
corniches supérieures du chœur. C’étaient donc neuf tours qui accompagnaient
la grande cathédrale du pays chartrain. Les tours situées en A,
en avant du rond-point, appartiennent à une disposition normande; beaucoup
d’églises de cette province possédaient des tours ainsi élevées sur les
bas-côtés au delà des transsepts. Ce monument, complétement achevé
avec ses neuf flèches se surpassant en hauteur jusqu’à la flèche centrale,
eût produit un effet prodigieux.
 
Une seule chapelle fut élevée au sud, entre les contreforts de la nef, en
1413. Au commencement du XVI<sup>e</sup> siècle, on termina le clocher nord du
portail qui était resté inachevé, et on dressa la gracieuse clôture du chœur
que nous voyons encore aujourd’hui et qui seule a résisté en partie aux
mutilations que les chanoines firent subir au sanctuaire pendant le dernier
siècle. Toutes les verrières de cet édifice sont de la plus grande magnificence
et datent du XIII<sup>e</sup> siècle, sauf celles des trois fenêtres du portail
occidental, qui furent replacées avec leurs baies et proviennent de l’église
du XII<sup>e</sup> siècle.
 
Guillaume le Breton avait raison lorsque, en 1220, il disait que la
cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]] n’avait plus rien à craindre du feu. En 1836, un
terrible incendie consuma toute la charpente supérieure et le beau beffroi
du clocher vieux (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Beffroi|Beffroi]]). La vieille cathédrale put résister à cette
épreuve; elle est encore debout telle que les constructeurs du XIII<sup>e</sup> siècle
nous l’ont laissée; elle demeure comme un témoin de l’énergique puissance
des arts de cette époque; et, du haut de la colline qui lui sert de base, sa
mâle silhouette, qui de neuf flèches n’en possède que deux, est une cause
d’étonnement et d’admiration pour les étrangers qui traversent la Beauce.
 
Nous ne trouvons plus à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]] la galerie supérieure voûtée; un
simple triforium, décoré d’une arcature, laisse une circulation intérieure
tout au pourtour de la cathédrale, derrière les combles en appentis des
bas-côtés. Cette église, la plus solidement construite de toutes les cathédrales
de France<span id="note40"></span>[[#footnote40|<sup>40</sup>]], ne présente, dans sa coupe transversale, rien qui lui
soit particulier, si ce n’est la disposition des arcs-boutants (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Arc-boutant|Arc-boutant]],
fig, 54).
 
Afin de conserver un ordre logique dans cet article, nous devons,
quant à présent, laisser de côté certains détails sur lesquels nous aurons à
revenir, et poursuivre notre examen sommaire des cathédrales élevées au
commencement du XIII<sup>e</sup> siècle. Jusqu’à présent, nous avons présenté des
plans dans lesquels il se rencontre des indécisions, des tâtonnements,
l’empreinte de traditions antérieures. À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]] même, les fondations de
l’église de Fulbert et la conservation des vieux clochers ne laissent pas
aux architectes toute leur liberté.
 
En 1211, l’ancienne cathédrale de Reims, bâtie par Ebon, et qui datait du
IX<sup>e</sup> siècle, fut détruite de fond en comble par un incendie. Cette église était
lambrissée, et affectait probablement la forme d’une basilique. Dès l’année
suivante, en 1212, Albéric de Humbert, qui occupait le siège archiépiscopal
de Reims, posa la première pierre de la cathédrale actuelle; l’œuvre fut confiée
à un homme dont le nom nous est resté, Robert de Coucy. Si le monument
était champenois, l’architecte était d’une ville voisine du domaine royal;
il ne faut pas oublier ce fait. Le plan, conçu par Robert de Coucy, était vaste,
établi sur des bases solides; cet architecte doutait de pouvoir l’exécuter tel
qu’il l’avait projeté; il doutait de l’étendue des ressources, et peut-être
de la constance des Rémois. Ses doutes n’étaient que trop fondés. Cependant
le projet de Robert fut rapidement exécuté jusqu’à la hauteur des
voûtes des bas-côtés, depuis le chœur jusqu’à la moitié de la nef environ.
Nous présentons (13) le plan de la cathédrale de Reims.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Reims.png|center]]
<div class="text">
Si nous comparons ce plan avec ceux de Notre-Dame de Paris, des
cathédrales de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]], de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], de Laon et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], nous serons
frappés de l’épaisseur proportionnelle des constructions formant le périmètre
de l’édifice. C’est que Robert de Coucy appartenait à une école de
constructeurs robustes, que cette école s’était élevée dans un pays où la
pierre est abondante; c’est, bien plus encore, que Robert avait conçu un
édifice devant atteindre des dimensions colossales. La bâtisse avait à peine
atteint la hauteur des basses nefs, que l’on dut renoncer à exécuter, dans
tous leurs développements, les projets de Robert, qu’il fallut faire certains
sacrifices, probablement à cause de l’insuffisance reconnue des ressources
futures. Le plan du premier étage de la cathédrale de Reims est loin de
répondre à la puissance des soubassements. Cependant il est certain que
l’on suivit, autant que possible, en diminuant le volume des points
d’appuis, les projets primitifs; et il faut une attention particulière, et
surtout la connaissance des constructions de cette époque, pour reconnaître
ces changements apportés aux plans de Robert de Coucy. Nous
essayerons toutefois de les rendre saisissables pour tout le monde, car ce
fait ne laisse pas d’avoir une grande importance pour l’histoire de nos
cathédrales, d’autant plus qu’il se reproduit partout à cette époque.
</div>
[[Image:Coupe.transversale.nef.cathedrale.Reims.png|center]]
<div class="text">
Voici d’abord (fig. 14) une coupe transversale de la nef de la cathédrale
de Reims. Il est facile de reconnaître que les contreforts, dans la hauteur
du collatéral, ont une puissance, une saillie que ne motive pas la légèreté
de la partie supérieure recevant les arcs-boutants; on sera plus frappé
encore de la différence de force qu’il y a entre les parties inférieures et
supérieures de ces contreforts, en examinant la vue perspective extérieure
d’un contrefort de la nef (fig. 15). Dans la construction des deux pignons
des transsepts, la différence entre le rez-de-chaussée et les étages supérieurs
est encore plus marquée. Robert de Coucy avait probablement
projeté, sur ce point, des tours dont il fallut réduire la hauteur par des
raisons d’économie. Une
</div>
[[Image:Contrefort.nef.cathedrale.Reims.png|center]]
<div class="text">
<br>
observation de détail vient appuyer la conjecture d’une modification dans les projets. Le larmier du couronnement des
corniches qui passent au niveau des bas-côtés devant les contreforts des
transsepts et du chœur, est muni de petits repos horizontaux, espacés les
uns des autres de 0,40 c. à 0,50 c., qui forment comme des créneaux, et
que Villart de Honnecourt, contemporain et ami de Robert de Coucy,
appelle, dans ses curieuses notes, des <i>carniaux</i> réservés sur la pente des
larmiers pour permettre aux ouvriers de circuler autour des contreforts, à
l’extérieur (fig. 16). Cela est fort ingénieux et bien entendu, puisque la
pente des larmiers ne permettrait pas, sans ce secours, de passer devant
les parements des contreforts à toutes hauteurs. Or ces <i>carniaux</i>, dont
parle Villart, n’existent que sur les larmiers couronnant le rez-de-chaussée.
</div>
[[Image:Carniaux.cathedrale.Reims.png|center]]
<div class="text">
Robert de Coucy eût cependant, s’il eût continué l’œuvre, réservé à plus
forte raison des passages semblables dans les parties élevées de l’édifice;
mais les parements qui se dressent au-dessus de ces larmiers à <i>carniaux</i>,
au lieu d’affleurer l’arête supérieure du lit du larmier, ainsi que l’indique
la fig. 17, sont en retraite, comme l’indique la fig. 17 bis. Donc, alors, les
<i>carniaux</i> deviennent inutiles, puisque derrière eux reste une partie horizontale
permettant la circulation; donc, si Robert eût voulu
</div>
[[Image:Carniaux.cathedrale.Reims.2.png|center]]
<div class="text">
<br>
retraiter ainsi brusquement ses contreforts à partir du premier étage, il n’eût pas réservé
des <i>carniaux</i> sur ses larmiers; et puisqu’il les avait réservés, c’est qu’il
entendait continuer à donner à ses gros points d’appui une saillie, et par
conséquent une force plus grande que celle laissée après l’abandon des
premiers projets. Il y a donc lieu d’admettre que Robert de Coucy éleva la
cathédrale de Reims jusqu’à la hauteur des corniches des chapelles du
chœur et bas-côtés, sauf les quatre premières travées de la nef, qu’il ne
commença même pas; qu’après lui, la construction fut continuée en faisant
subir des changements aux projets primitifs afin de réduire les dépenses;
que cette nécessité de terminer l’édifice à moins de frais était le résultat
d’une diminution dans les dons faits par les populations. L’ornementation
des parties inférieures du chœur et des transsepts de la cathédrale de
Reims, jusques et y compris la corniche des chapelles rayonnantes, porte
encore le cachet de la sculpture de la fin du XII<sup>e</sup> siècle; tandis qu’immédiatement
au-dessus du niveau des corniches de ces chapelles apparaît une
ornementation qui a tous les caractères de celle du milieu du XIII<sup>e</sup> siècle.
Dans la travée de droite du pignon du transsept nord, est percée une porte
donnant aujourd’hui dans la petite sacristie établie entre les contreforts;
cette porte, dont les sculptures sont peintes, date évidemment des premières
constructions commencées par Robert de Coucy, et les bas-reliefs
pourraient même être attribués à l’école des sculpteurs de la fin du
XII<sup>e</sup> siècle. Les parties inférieures du pignon du transsept sud, qui ne furent
pas modifiées par l’ouverture de portes, affectent une sévérité de style
qui ne le cède en rien aux constructions inférieures de la façade de Notre-Dame
de Paris. Tout, enfin, dans le rez-de-chaussée de la cathédrale de
Reims, du chœur à la moitié de la nef, dénote l’œuvre d’un artiste appartenant
à l’école laïque d’architectes née à la fin du XII<sup>e</sup> siècle.
Au-dessus,
le style ogival a pris son entier développement, mais la transition entre les
deux caractères architectoniques est habilement ménagée. Nous ne savons
en quelle année Robert de Coucy cessa de travailler à la cathédrale; cependant
lui-même, en construisant, modifia probablement quelques détails de
son projet primitif. Cet architecte n’en était pas à son coup d’essai lorsqu’il
commença l’œuvre en 1212, et peut-être était il déjà d’un âge assez
avancé; toutefois (et les notes de Villart de Honnecourt sont là pour le
prouver) il cherchait sans cesse, comme tous ses contemporains, des
perfectionnements à l’art laissé par le XII<sup>e</sup> siècle; il ne pouvait ignorer ce
que l’on tentait autour de lui; c’est ainsi qu’il fut amené à terminer les
chapelles du chœur, commencées sur un plan circulaire comme celles de la
cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], par des pans coupés. Les ornements de la corniche
de ces chapelles, les <i>carniaux</i> des larmiers dont parle Villart, le style des
statues d’anges qui surmontent les petits contreforts, ne peuvent laisser
douter qu’elles n’aient été achevées par Robert de Coucy, de 1220 à 1230.
Il avait fallu plusieurs années pour jeter les fondements de cet édifice
commencé d’après un projet aussi robuste, d’autant plus que le sol sur
lequel la cathédrale de Reims est assise n’est pas égal, et ne devient bon
qu’à plusieurs mètres au-dessous du pavé (de quatre à sept mètres d’après
quelques fouilles faites au pourtour). Il n’est pas surprenant donc que ces
énormes constructions, quelle que fût l’activité apportée à leur exécution,
ne fussent pas, en 1230, c’est-à-dire dix-huit ans après leur mise en train,
élevées au-dessus des voûtes basses. À la première vue, le
rez-de-chaussée
des pignons des deux transsepts<span id="note41"></span>[[#footnote41|<sup>41</sup>]] paraît plus ancien que les chapelles du
chœur; les fenêtres basses sont sans meneaux et encadrées de profils
et ornements qui rappellent l’architecture de transition; tandis que les
fenêtres des chapelles du chœur sont déjà pourvues de meneaux dont les
formes, la disposition particulière et l’appareil sont identiquement semblables
aux meneaux des bas-côtés de la nef de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]],
qui datent de l’année 1230 environ. Robert de Coucy avait bien pu amender
lui-même certains détails de son projet, en même temps qu’il adoptait les
pans coupés pour ces chapelles au-dessus de la forme circulaire de leur
soubassement. Quoi qu’il en soit, le maître de l’œuvre, en mourant ou
en abandonnant les constructions à des architectes plus jeunes,
peut-être
après une interruption de quelques années, avait laissé des projets dont
ses successeurs, malgré les réductions dont nous avons parlé, se rapprochèrent
autant que possible. C’est ce qui donne à cet édifice un caractère
d’unité si remarquable, quoiqu’il ait fallu un siècle pour conduire le
travail jusqu’aux voûtes hautes. À Reims, plus que partout ailleurs, on
respecta la conception du premier maître de l’œuvre. Aussi, lorsque l’on
veut se faire une idée de ce que devait être une cathédrale conçue par
un architecte du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, de la plus belle époque de
l’art ogival, c’est à Reims qu’il faut aller. Et cependant, combien ce grand
monument ne subit-il pas de modifications importantes; et, tel que nous
le voyons aujourd’hui, combien il est loin des projets de Robert de Coucy
et même de ce qu’il fut avant l’incendie de la fin du XV<sup>e</sup> siècle.
 
Le plan de la cathédrale de Reims est simple (voy. fig. 13); les chapelles
rayonnantes du chœur sont larges, profondes; la nef longue et dépourvue
de chapelles. Les coupes et élévations des parties latérales de l’édifice
répondent à la simplicité du plan; les contreforts et arcs-boutants, admirables de conception et de grandeur; les piles sont épaisses, les fenêtres
supérieures profondément encadrées. Cet édifice a toute la force de la
cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], sans en avoir la lourdeur; il réunit enfin les véritables
conditions de la beauté dans les arts, la puissance et la grâce; il est
d’ailleurs construit en beaux matériaux, savamment appareillés, et on
retrouve dans toutes ses parties un soin et une recherche fort rares à une
époque où l’on bâtissait avec une grande rapidité et souvent avec des
ressources insuffisantes. Ce ne fut guère qu’en 1240 que l’on continua les
parties supérieures du chœur, que l’on commença les premières travées de
la nef et la façade. Celle-ci ne fut achevée, sauf les deux flèches des deux
tours occidentales, que vers le commencement du XIV<sup>e</sup> siècle; on y travaillait
encore pendant le XV<sup>e</sup> siècle, mais en suivant les dispositions et
détails des XIII<sup>e</sup> et XIV<sup>e</sup> siècles. Un cloître s’élevait au nord de la nef et du
transsept; et c’était probablement pour donner entrée dans ce cloître
qu’avait été faite la porte ouverte dans la travée de droite du pignon nord,
porte dont nous avons parlé tout à l’heure. Deux autres portes publiques
furent ouvertes, dans les deux autres travées de ce pignon, vers le milieu
du XIII<sup>e</sup> siècle, et richement décorées de voussures, bas-reliefs et statues<span id="note42"></span>[[#footnote42|<sup>42</sup>]].
Deux tours s’élèvent sur la façade occidentale; quatre tours surmontent
les quatre angles des transsepts, et une tour centrale se dressait, au centre
de l’édifice, sur les quatre piles de la croisée. Une flèche en plomb
couronnait le poinçon de la croupe du comble au-dessus du sanctuaire. Le
pignon du transsept sud donnant du côté de l’archevêché ne fut jamais
percé de grandes portes. On arrivait du palais archiépiscopal au chœur par
des portes secondaires, percées dans les soubassements de ce pignon
(voyez le plan). Pendant les XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles, de petites chapelles furent
bâties du côté nord, entre les contreforts de la nef et dans l’intervalle
laissé par le cloître; mais ces petites chapelles, qui ne dépassent pas l’appui
des fenêtres, ne dérangent en rien l’ordonnance intérieure du vaisseau;
elles ne s’ouvrent, dans le bas-côté, que par de petites portes.
 
Si les projets de Robert de Coucy furent modifiés, c’est surtout dans la
construction de la façade occidentale, qui présente tous les caractères de
l’architecture la plus riche de la seconde moitié du XIII<sup>e</sup> siècle. Comme
décoration, elle se relie encore aux faces latérales par ces admirables
couronnements de contreforts dans lesquels sont placées des statues colossales.
Mais la multiplicité des détails nuit à l’ensemble; cette façade,
quelque belle qu’elle soit, n’a pas la grandeur des faces latérales. L’archivolte
de la porte principale vient entamer la base des contreforts intermédiaires,
ce qui tourmente l’œil; les nus, les parties tranquilles font défaut.
Cependant, et telle qu’elle est, la façade occidentale de la cathédrale de
Reims est une des plus splendides conceptions du XIII<sup>e</sup> siècle; elle a pour
nous, d’ailleurs, l’avantage d’être la seule. Notre-Dame de Paris est encore
une façade de l’époque de transition. Il en est de même à Laon. Nous ne
pouvons considérer ces portails comme appartenant au style purement
ogival. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] n’a qu’une façade tronquée, non terminée, sur laquelle des
époques différentes sont venues se superposer.
 
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]] n’est qu’une réunion de fragments. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]] et Rouen sont des
mélanges de styles de trois et quatre siècles. Les façades de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bayeux|Bayeux]], de
Coutances, de Soissons, de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], de Sens, de Séez, sont restées inachevées,
ont été dénaturées, ou présentent des amas de constructions sans
ensemble, élevées successivement sans projet arrêté. La façade principale
de Notre-Dame de Reims, malgré cet excès de richesse, a donc pour nous
l’avantage de nous donner une conception franche en style ogival, et, sous
ce point de vue, elle mérite toute l’attention des architectes. Son iconographie
est complète, et ce fait seul est d’une grande importance. Mais
nous reviendrons sur cette partie de la décoration des cathédrales.
</div>
[[Image:Cathedrale.XIIIe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Afin de donner une idée de ce que devait être une cathédrale du
XIII<sup>e</sup> siècle, complète, achevée telle qu’elle avait été conçue, nous donnons
ici (18) une vue cavalière d’un édifice de cette époque, exécutée d’après
le type adopté à Reims. Faisant bon marché des détails, auxquels nous
n’attachons pas ici d’importance, on peut admettre que le monument
projeté par Robert de Coucy devait présenter cet ensemble, si ce n’est que
les flèches occidentales ne furent jamais terminées et que les flèches
centrale et des transsepts étaient en bois et plomb. Le 24 juillet 1481, des
ouvriers plombiers, dont les noms nous sont restés<span id="note43"></span>[[#footnote43|<sup>43</sup>]], mirent le feu à la
toiture par négligence. L’incendie dévora toutes les charpentes. C’était,
autour de l’édifice, un tel déluge de plomb, que l’on ne pouvait en approcher
pour porter secours. Le dévouement des Rémois ne put maîtriser le
fléau, et ce fut une véritable désolation non-seulement dans la province,
mais dans la France, entière. Louis XI prit fort mal la nouvelle de ce
sinistre, qu’on lui apporta au Plessis-lès-Tours; il fut question de remplacer
le chapitre par des moines<span id="note44"></span>[[#footnote44|<sup>44</sup>]]. Quels que fussent les sacrifices que
s’imposèrent le chapitre et l’archevêque, les dons royaux, qui furent
considérables, on ne put songer à rétablir le monument dans l’état où il
était avant l’incendie. La sève qui, au XIII<sup>e</sup> siècle, se répandait dans ces
grands corps était épuisée. On dut se borner à refaire la charpente, les
galeries supérieures, les pignons, à réparer les tours du portail et à raser
les quatre tours des transsepts au niveau du pied du grand comble. C’est
dans cet état que nous trouvons aujourd’hui ce monument, si splendide
encore malgré les mutilations qu’il a subies.
 
<span id="Amiens81">La cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], dévastée par le feu et les invasions normandes,
en 850, 1019 et 1107, fut totalement détruite par un incendie en 1218.
En 1220, Evrard de Fouilloy, quarante-cinquième évêque d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], fit
jeter les fondements de la cathédrale actuelle. Le maître de l’œuvre était
Robert de Luzarches. L’évêque picard alla chercher son architecte dans
l’Île de France. Les nouvelles constructions furent commencées par la nef;
probablement les restes de l’ancien chœur furent conservés provisoirement
afin de ne pas interrompre le culte. En 1223, l’évêque Evrard mourut;
les fondations étaient achevées sous la nef, et probablement le pignon du
transsept sud était élevé de quelques mètres au-dessus du sol. Sous
l’épiscopat du successeur de l’évêque Evrard, Geoffroy d’Eu, nous voyons
déjà les travaux confiés à un second architecte, Thomas de Cormont.
Robert de Luzarches n’avait pu que laisser les plans de l’édifice qu’il avait
fondé. Le second maître de l’œuvre éleva les constructions de la nef jusqu’à
la naissance des grandes voûtes; nous arrivons alors à l’année 1228. Son
fils, Renault de Cormont, continua l’œuvre et passe pour l’avoir achevée
en 1288, ce qui n’est guère admissible, si nous observons les différences
profondes de style qui existent entre le rez-de-chaussée et les parties
hautes du chœur. En 1237, l’évêque Geoffroy mourut; son successeur
Arnoult termina les voûtes de la nef et fit élever sur la partie centrale de
la croisée une tour de pierre surmontée d’une flèche en bois et plomb. Ce
fut probablement aussi cet évêque qui fit élever les chapelles du chœur<span id="note45"></span>[[#footnote45|<sup>45</sup>]].
<span id="Amiens114"></span>En 1240, l’évêque Arnoult avait poussé les travaux avec une telle activité
que les fonds étaient épuisés; il fallut suspendre les constructions et
amasser de nouvelles sommes. En 1258, un incendie consuma les charpentes
des chapelles de l’abside; on voit parfaitement, encore aujourd’hui,
les traces de ce sinistre au-dessus des voûtes de ces chapelles. Ce désastre
dut contribuer encore à ralentir l’achèvement du chœur. Il est certain
que le triforium de l’abside, et par conséquent toute l’œuvre haute, ne fut
commencé qu’après cet incendie, car, sur les pierres calcinées en 1258,
sont posées les premières assises parfaitement pures de ce triforium. Les
successeurs d’Arnoult, Gérard ou Evrard de Couchy (pour COucy) et
Aléaume de Neuilly, ne purent que réunir les fonds nécessaires à la
continuation des travaux. À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], comme partout ailleurs, les populations
montraient moins d’empressement à voir terminer le <i>monument</i>
de la cité; on mit un temps assez long à recueillir les dons nécessaires
à l’achèvement du chœur, et ces dons ne furent pas assez abondants
pour permettre de déployer dans cette construction la grandeur et le
luxe que l’on trouve dans la nef et les chapelles absidales. <span id="Amiens116"></span>En 1269,
cet évêque faisait placer les verrières des fenêtres hautes du chœur<span id="note46"></span>[[#footnote46|<sup>46</sup>]],
et son successeur, Guillaume de Mâcon, en 1288, mit la dernière main
aux voûtes et parties supérieures du chevet. En construisant la nef, de
1220 à 1228, on avait voulu clore, avant tout, le vaisseau, et on ne s’était
pas préoccupé de la façade laissée en <i>arrachement</i>. La porte centrale seule
avait été percée au bas du pignon et la rose supérieure ouverte. Ce ne fut
guère qu’en 1238, lorsqu’une nouvelle impulsion fut donnée aux travaux
par l’évêque Arnoult, que l’on songea à terminer la façade occidentale.
Mais déjà, probablement, on pressentait l’épuisement des ressources, si
abondantes pendant le règne de Philippe-Auguste, et les projets primitifs
furent restreints. L’examen de l’édifice ne peut laisser de doutes à cet
égard.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Amiens.png|center]]
<div class="text">
<span id="Amiens88">En jetant les yeux sur le plan (fig. 19) nous voyons une ligne E F tirée
parallèlement au pignon du portail; c’est la limite de l’arrachement de
l’ancienne façade projetée contre lequel on est venu plaquer le portail
actuel. De cette modification au projet primitif, il résulte que les deux
tours G H, au lieu d’être élevées sur un plan carré comme toutes les tours
des cathédrales de cette époque, sont barlongues, moins épaisses que
larges; ce ne sont que des moitiés de tours dans toute leur hauteur, et
les deux contreforts, qui devaient se trouver, latéralement, dans les milieux
de ces tours, sont devenus contreforts d’angles. La preuve la plus certaine
de cette modification apportée au projet de Robert de Luzarches, c’est que
les fondations existent sous le périmètre total des tours telles qu’elles sont
indiquées sur le plan présenté ici. De la façade primitive, il ne reste que
le trumeau et les deux pieds-droits de la porte centrale, sur lesquels sont
sculptées les vierges sages et folles, et l’entourage de la grande rose percée
sous la maîtresse voûte. Les trois porches, si remarquables d’ailleurs, les
pinacles qui les surmontent, la galerie à jour et la galerie des rois, datent
de 1240 environ, ainsi que l’étage inférieur des tours. Quant aux parties
supérieures de ces tours et à la galerie entre deux, ce sont des constructions
successivement élevées pendant le XIV<sup>e</sup> siècle. Ce fut aussi pendant le
XIV<sup>e</sup> siècle que l’on ferma les parties supérieures des pignons des deux
transsepts qui probablement étaient restées inachevées, et que l’on
construisit des chapelles entre les contreforts de la nef, adjonction funeste
à la conservation de l’édifice et qui détruisit l’unité et la grandeur de cet
admirable vaisseau. Le XIV<sup>e</sup> siècle vit encore exécuter les balustrades supérieures
du chœur et de la nef. Les balustrades des chapelles et les meneaux
des deux roses occidentale et méridionale, la consolidation de la rose
septentrionale furent entrepris au commencement du XVI<sup>e</sup> siècle. Le clocher
central en pierre et charpente, posé sur les quatre piliers de la croisée,
sous l’épiscopat d’Arnoult, vers 1240, fut détruit par la foudre le 15 juillet
1527. On craignit un instant que le sinistre ne s’étendît à toute la
cathédrale; heureusement les progrès du feu furent promptement arrêtés,
grâce au dévouement des habitants d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]].
 
<span id="Amiens68">Ce fut en 1529 que fut reconstruite la flèche actuelle, en charpente
recouverte de plomb, par deux charpentiers picards, Louis Cordon et
Simon Taneau (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Flèche|Flèche]]).
 
Nous avons dit que Robert de Luzarches avait pu voir non-seulement
les fondations de sa cathédrale, mais aussi quelques mètres du pignon du
transsept sud, élevés au-dessus du sol. En effet, le portail percé à la base
de ce pignon, dit portail de la Vierge dorée, présente des détails d’architecture plus anciens que tous ceux des autres parties de l’édifice; ce
portail fut cependant remanié vers 1250; le tympan et les voussures
datent de cette époque et furent reposés après coup sur les pieds-droits
et le trumeau du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle. La Vierge qui décore ce
trumeau ne peut être antérieure à 1250; le trumeau fut lui-même alors
doublé à l’intérieur, afin de recevoir une décoration en placage qui n’existait
pas dans l’origine.
 
<span id="Amiens54">Le plan de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] n’indique pas que les premiers
maîtres de l’œuvre aient eu la pensée d’élever, comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], à Laon
et à Reims, quatre tours aux angles des transsepts; de sorte que nous
voyons aujourd’hui la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] à peu près telle qu’elle fut
originairement conçue, si ce n’est que les deux tours de la façade eussent
dû avoir une base plus large et une beaucoup plus grande hauteur.
Cependant on remarque sur ce plan les escaliers posés à l’extrémité des
doubles bas-côtés du chœur, et précédant les chapelles. Ces escaliers sont
comme un dernier reflet des tours placées sur ces points dans les églises
normandes, et qui, comme nous l’avons dit, se voient encore à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]].
Nous les retrouvons dans les cathédrales de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]], de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]], de Limoges, qui sont toutes des filles de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]].
Du côté du nord s’élevaient les anciens bâtiments de l’évêché,
qui étaient mis en communication avec la cathédrale par la grande
porte du pignon septentrional et par une petite porte percée sous l’appui
de la fenêtre de la première travée du bas-côté. Sur le flanc nord du
chœur était placée une sacristie avec trésor au-dessus. Un cloître du
XIV<sup>e</sup> siècle, dans les galeries duquel on entrait par les deux chapelles A et
B, pourtournait le rond-point irrégulièrement, en suivant les sinuosités
données par d’anciens terrassements. <span id="Amiens96">En D sont placées des dépendances
et une chapelle, ancienne salle capitulaire qui date également de la
première moitié du XIV<sup>e</sup> siècle. Ce cloître et la chapelle étaient désignés
sous la dénomination de cloître et chapelle Macabre, des Macabrés, et, par
corruption, des Machabées. Les arcades vitrées de ce cloître, ou
peut-être
les murs, étaient probablement décorés autrefois de peintures représentant
la danse macabre<span id="note47"></span>[[#footnote47|<sup>47</sup>]].
</div>
[[Image:Coupe.cathedrale.Amiens.png|center]]
<div class="text">
<span id="Amiens82">Voici (20) la coupe transversale de la nef de cette immense église,
la plus vaste des cathédrales françaises, dont le plan couvre une surface,
tant vides que pleins, de 8000 mètres environ<span id="note48"></span>[[#footnote48|<sup>48</sup>]]. Il est intéressant de
comparer les deux coupes transversales des cathédrales de Reims et
d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]]. La nef de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], élevée rapidement d’un seul
jet, dix ans environ avant celle de Reims, présente une construction plus
légère, mieux entendue. À Reims, non-seulement dans le plan et les parties
inférieures de l’édifice on retrouve encore quelques traces des traditions
romanes, mais dans la coupe de la nef il y a un luxe d’épaisseurs de piles
qui indique, chez les constructeurs, une certaine appréhension. À Reims
(voy. fig. 14), les arcs-boutants sont placés trop haut; on ne comprend
pas, par exemple, quelle est la fonction du deuxième arc. Le triforium
est petit, mesquin; les arcs doubleaux, afin de diminuer la poussée des
voûtes, sont trop aigus, et prennent, par conséquent, trop de hauteur;
leur importance donne de la lourdeur à la nef principale; il semble que ces
voûtes, qui occupent une énorme surface, vous étouffent. La construction
préoccupe. Dans la nef d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], au contraire, on respire à l’aise; à
peine si l’on songe aux piles, aux constructions; on ne voit pas, pour ainsi
dire, le monument; c’est comme un grand réservoir d’air et de lumière.
 
Bien que la cathédrale de Reims soit un édifice ogival, on y sent encore
l’empreinte du monument antique; que cette influence soit due au génie
de Robert de Coucy, ou aux restes d’édifices romains répandus sur le sol
de Reims, elle n’en est pas moins sensible. La cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]],
comme plan et comme structure, est l’église ogivale par excellence. En
examinant la coupe (fig. 20), on n’y trouve nulle part d’excès de force<span id="note49"></span>[[#footnote49|<sup>49</sup>]].
Les piles des bas-côtés, plus hautes que celles de Reims, ont près d’un
tiers de moins d’épaisseur. Le triforium B est élancé et permet de donner
aux combles des bas-côtés une forte inclinaison. Les arcs-boutants sont
parfaitement placés de façon à contrebutter la grande voûte. La charge
sur les piles inférieures est diminuée par l’évidement des contreforts
adossés aux piles supérieures; les arcs doubleaux sont moins aigus que
ceux de Reims.
 
<span id="Amiens20">On ne voit plus, au sommet de la nef d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], cette masse énorme de
maçonnerie, qui n’a d’autre but que de charger les piles afin d’arrêter
la poussée des voûtes. Ici, toute la solidité réside dans la disposition
des arcs-boutants et l’épaisseur des culées ou contreforts A. Cependant
cette nef, dont la hauteur est de 42m,50 sous clef, et la largeur d’axe en
axe des piles de 14m,60, ne s’est ni déformée, ni déversée. La construction
n’a subi aucune altération sensible; elle est faite pour durer encore
des siècles, pour peu que les moyens d’écoulement des eaux soient maintenus
en bon état. À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], les murs ont disparu; derrière la claire-voie
du triforium en C, ce n’est qu’une cloison de pierre, rendue plus légère
encore par des arcs de décharge; sous les fenêtres basses en D, ce n’est
qu’un appui évidé par une arcature; au-dessus des fenêtres supérieures
en E, il n’y a qu’une corniche et un chéneau, partout entre la lumière.
Les eaux du grand comble s’écoulent simplement, facilement et par le plus
court chemin, sur les chaperons des arcs-boutants supérieurs. Celles reçues
par les combles des collatéraux sont déversées à droite et à gauche des
contreforts par des gargouilles<span id="note50"></span>[[#footnote50|<sup>50</sup>]]. Il est difficile de voir une construction plus
simple et plus économique, eu égard à sa dimension et à l’effet qu’elle produit.
 
<span id="Amiens5">Dans les parties hautes du chœur de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], on voulut
pousser le principe si simple, adopté pour la nef, aux dernières limites, et
on dépassa le but. Lorsque la construction de l’œuvre haute du chœur
fut reprise après une interruption de près de vingt ans, on avait déjà, dans
l’église de l’abbaye de Saint-Denis, dans les cathédrales de Troyes et même
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], adopté le système des galeries de premier étage à claire voie
prenant des jours extérieurs. Le triforium se trouvait ainsi participer des
grandes fenêtres supérieures et prolongeait leurs ajours et leur riche décoration
de verrières jusqu’au niveau de l’appui de la galerie. Ce parti était trop
séduisant pour ne pas être adopté par l’architecte du haut chœur d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]].
 
Mais examinons d’abord le plan de cette partie de l’édifice, qui sortait de
terre seulement un peu avant 1240, c’est-à-dire au moment où l’on
commençait aussi la Sainte-Chapelle du Palais à Paris<span id="note51"></span>[[#footnote51|<sup>51</sup>]]. On reconnaît, dans
le plan du chœur de Notre-Dame d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], une main savante; là, plus de
tâtonnements, d’incertitudes; aussi, nos lecteurs ne nous sauront pas
mauvais gré de leur faire connaître la façon de procéder employée par le
troisième maître de l’œuvre de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], Renault de Cormont,
pour tracer le rez-de-chaussée du plan de l’abside. Soit A B la ligne de
base de la moitié de l’abside (fig. 21); les espaces A C, C B les écartements
des axes des rangées de piles; soit la ligne A X l’axe longitudinal du vaisseau.
</div>
[[Image:Plan.abside.cathedrale.Amiens.png|center]]
<div class="text">
Sur cette ligne d’axe, le traceur a commencé par poser le centre O à
2m,50 de la ligne A B; les deux cercles C E, B D ont été tracés en prenant
comme rayons les lignes O C, O B. L’arc de cercle, dont B O est la moitié,
a été divisé en sept parties égales; le rayon F O prolongé a été tiré; ce
rayon vient couper l’arc C E au point d’intersection du prolongement de
l’axe C C’; et, passant par le centre O, rencontre le point correspondant à
C. Comment le traceur aurait-il obtenu ce résultat? Est-ce par des tâtonnements
ou par un moyen géométrique? Les côtés B F G H n’appartiennent
pas à un polygone divisant le cercle en parties égales. Il y a lieu de croire
que c’est le tracé primitif de l’abside qui a commandé l’ouverture de la nef
principale, et que Renault de Cormont n’a fait que suivre, quant à la
plantation de cette abside, ce que ses prédécesseurs avaient tracé sur
l’épure<span id="note52"></span>[[#footnote52|<sup>52</sup>]]. Si le tracé de l’abside n’avait pas commandé l’espace A C, le
hasard n’aurait pu faire que le point d’intersection de la ligne F O, se
prolongeant jusqu’au point correspondant à C avec l’axe C C’, se rencontrât
sur l’arc C E. Il est donc vraisemblable que la largeur A B étant donnée,
le centre O a été posé sur le grand axe; que le grand arc de cercle B D a été
tracé et divisé en sept parties, et que le prolongement du rayon F O a
donné, par son intersection avec la ligne A B, la largeur A C de la nef
centrale. Dès lors, traçant l’arc C E, la perpendiculaire C C’ devait nécessairement
rencontrer le rayon F O sur un point K de ce cercle, qui
devenait le centre de la deuxième pile du rond-point. Il ne faut pas
oublier, d’ailleurs, que, généralement, la construction des cathédrales
était commencée par le chœur. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] fait exception; mais tous les tracés
et la plantation avaient dû être préparés par Robert de Luzarches, le
premier architecte. Quoi qu’il en soit, ce fait indique clairement que les
tracés de cathédrales étaient commencés par le rond-point; c’était la
disposition de l’abside qui commandait l’écartement relatif des piles de la
nef et des bas-côtés.
 
Les rayons G O, H O tirés donnaient, par leur rencontre avec le petit arc
C E, les centres des autres piles du sanctuaire. <span id="Amiens44">Quant aux chapelles, celles
de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] présentent cinq côtés d’un octogone régulier.
Voici comment on s’y prit pour les tracer: la ligne N P, axe de la chapelle,
étant tirée, les lignes G G’, F F’ ont été conduites parallèles à cet axe. La
base F G du polygone étant reculée pour dégager la pile, la ligne L M a été
tirée, divisant en deux angles égaux l’angle droit F’ L S. L’angle M L S a été
divisé en deux angles égaux par une ligne L R. L’intersection de cette ligne
L R avec l’axe N P est le centre T de l’octogone. Les lignes T R, T M, T Z,
T F’ donnent la projection horizontale de quatre des arcs de la voûte. Il
en est de même des lignes O C, O K F, O G, etc.
 
Pour tracer les arcs ogives des voûtes des bas-côtés, soit I le devant de
la pile séparative des chapelles, la ligne I I’ a été divisée en deux parties
égales, et, prenant O J comme rayon, un cercle a été décrit. La rencontre
de ce cercle avec les axes des chapelles a donné le centre des clefs des
voûtes (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Voûte |Voûte ]]).
 
Voulant avoir une chapelle plus profonde que les six autres dans l’axe,
on a pris la distance H U sur le prolongement de la ligne tirée du point H
parallèlement au grand axe; puis, à partir du point U, on a procédé comme
nous l’avons indiqué à partir du point L.
 
La fig. 21 bis présente le tracé des arcs des voûtes et piles des chapelles,
ainsi que des contreforts extérieurs qui viennent tous s’inscrire dans un
grand plateau circulaire en maçonnerie V Q, s’élevant d’un mètre environ
au-dessus du sol extérieur.
 
Tout ce grand ensemble de constructions est admirablement planté,
régulier, solide; les différences dans les ouvertures des chapelles sont de
trois ou quatre centimètres en moyenne au plus. On voit que ce sont les
projections horizontales des arcs des voûtes qui ont commandé la disposition
du plan (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Chapelle|Chapelle]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Pilier |Pilier ]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Travée|Travée]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Voûte |Voûte ]], pour les
détails de cette partie de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]]).
La cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] n’était pas la seule qui se construisait sur ce
plan, dans cette partie de la France, de 1220 à 1260. À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], en 1225,
on jetait les fondements d’une église aussi vaste; mais la bâtisse était,
suivant l’usage ordinaire, commencée, dans cette dernière ville, par le
chœur; et le plan de ce chœur vient appuyer l’opinion que nous émettions
ci-dessus au sujet du tracé de ces monuments, à savoir: que c’était le
tracé du sanctuaire qui donnait la largeur comparative des bas-côtés et de
la nef centrale.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Beauvais.png|center]]
<div class="text">
<span id=Beauvais2>Si nous jetons les yeux sur le plan de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]] (22)<span id="note53"></span>[[#footnote53|<sup>53</sup>]],
nous voyons que si la largeur du chœur de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]],
compris les bas-côtés, est moindre que celle du chœur de la cathédrale
d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], cependant la largeur du sanctuaire de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], d’axe en axe
des piles, est plus grande que celle d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]]<span id="note54"></span>[[#footnote54|<sup>54</sup>]]. Procédant, pour le tracé
des parties rayonnantes de l’abside, comme nous l’avons indiqué fig. 21, le
centre étant porté à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], de 2m,50 environ sur le
grand axe au-delà de la ligne de base, et le cercle extérieur à diviser en
sept parties égales étant plus petit, il en résultait nécessairement (ces
divisions n’étant pas d’ailleurs les côtés de polygones réguliers) que le
rayon, passant par la première de ces divisions et le centre, venait couper
la ligne de base à une distance plus grande du grand axe. Une figure fera
comprendre ce que nous voulons dire: soit (23) la ligne de base A B, le
grand axe C D; O le point de centre, traçant deux arcs de cercle A D B,
G F E. Si nous divisons chacun de ces arcs de cercle en sept parties égales,
le rayon H O, tiré du point diviseur H de l’arc du grand cercle prolongé,
viendra couper la corde A B au point K; tandis que le rayon, tiré du point
diviseur I de l’arc du petit cercle prolongé, viendra couper cette même
corde en L. D’où l’on doit conclure, si nous suivons la méthode adoptée
par les architectes des cathédrales d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], pour tracer
une abside avec bas-côtés et chapelles rayonnantes, que le centre de
l’abside étant fixé à une distance invariable de la ligne de base sur le grand
axe, la largeur du sanctuaire sera en raison inverse de la largeur totale
comprise entre les axes des piles extérieures des bas-côtés, du moment
que la portion du cercle absidal sera divisée en sept parties.
</div>
[Illustration: Fig. 23.]
<div class="text">
<span id=Chartres2>Nous avons vu, dans le plan de l’abside de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]]
(fig. 12), que les chapelles sont mal plantées; les arcs-boutants ne sont pas
placés sur le prolongement de la ligne de projection horizontale des arcs
rayonnants du sanctuaire; que l’on trouve encore là les suites d’une
hésitation, des tâtonnements. Rien de pareil à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] et à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]]; la
position des arcs-boutants venant porter sur les massifs entre les chapelles
rayonnantes est parfaitement indiquée par le prolongement des rayons
tendant au centre de l’abside. À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], on ne rencontre
aucune irrégularité dans la plantation des constructions absidales.
et la barbarie, ses épreuves et son dernier refuge dans un monde meilleur.
L’architecte de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]] avait voulu surpasser l’œuvre
des successeurs de Robert de Luzarches. Non-seulement (fig. 22) il avait
tenté de donner plus de largeur au sanctuaire de son église, mais il avait
pensé pouvoir donner aussi une plus grande ouverture aux arcades parallèles
du chœur, en n’élevant que trois travées au lieu de quatre entre le
rond-point et la croisée. Aux angles des transsepts, il projetait certainement
quatre tours, sans compter la tour centrale qui fut bâtie. Ses chapelles absidales,
moins grandes que celles d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] et moins élevées, laissèrent, entre
leurs voûtes et celles des bas-côtés, régner un triforium avec fenêtres au-dessus<span id="note55"></span>[[#footnote55|<sup>55</sup>]].
En élévation, il donna plus de hauteur à ses constructions centrales,
et surtout plus de légèreté. Ses efforts ne furent pas couronnés de succès;
la construction du chœur était à peine achevée avec les quatre piles de la
croisée et la tour centrale, que cette construction, trop légère, et dont
l’exécution était d’ailleurs négligée, s’écroula en partie. À la fin du
XIII<sup>e</sup> siècle, des piles durent être intercalées entre les piles des trois
travées du chœur (fig. 22) en A, en B et en C (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]]).
 
Une sacristie fut élevée en D comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], et ce ne fut qu’au commencement
du XVI<sup>e</sup> siècle que l’on put songer à terminer ce grand
monument. Toutefois, ces dernières constructions ne purent s’étendre
au delà des transsepts, ainsi que l’indique notre plan; les guerres religieuses
arrêtèrent à tout jamais leur achèvement<span id="note56"></span>[[#footnote56|<sup>56</sup>]].
 
<span id=Cologne2>La cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] et celle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]] produisirent un troisième
édifice, dans l’exécution duquel on profita avec succès des efforts tentés,
par les architectes de ces deux monuments; nous voulons parler de la
cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]]. Nous avons vu que le chœur de la cathédrale
d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] avait dû être commencé de 1235 à 1240; celui de la cathédrale
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]] fut fondé en 1225; mais nous devons avouer que nous ne
voyons, dans les parties moyennes de cet édifice, rien qui puisse être
antérieur à 1240; cependant, en 1272, ce chœur était achevé, puisqu’on
s’occupait déjà, à cette époque, de relever les voûtes écroulées. <span id=Cologne1>En 1248,
on commençait la construction du chœur de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]]<span id="note57"></span>[[#footnote57|<sup>57</sup>]]; en
1322, ce chœur était consacré. On a prétendu que les projets primitifs de
la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]] avaient été rigoureusement suivis lors de la
continuation de ce vaste édifice; si cette conjecture n’est pas admissible
dans l’exécution des détails architectoniques, nous la croyons fondée en
ce qui touche aux dispositions générales.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Cologne.png|center]]
<div class="text">
<span id=Beauvais1>Voici le plan de cette cathédrale (24)<span id="note58"></span>[[#footnote58|<sup>58</sup>]]. Si nous comparons ce plan avec
ceux d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], nous voyons entre eux trois un degré de
parenté incontestable; non-seulement les dispositions, mais les dimensions
sont à peu de chose près les mêmes. À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], si ce n’est la chapelle de
la Vierge qui fait exception, nous voyons le chœur composé de quatre
travées parallèles comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]]; dans l’une et l’autre église, les
bas-côtés sont doubles en avant des chapelles absidales; ils se retournent
dans les transsepts. La différence la plus remarquable entre ces deux
édifices consiste dans les transsepts et la nef. La nef du dôme de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]]
possède quatre collatéraux; celle de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] n’en
possède que deux. Les transsepts, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]], se composent de quatre
travées chacun, ceux d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] n’en ont que trois. À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], la nef du
XIII<sup>e</sup> siècle devait-elle avoir quatre bas-côtés? c’est ce que nous ne pourrions
affirmer; mais le plan des chapelles absidales de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]] semble
calqué sur celui de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]]. Cependant l’architecte du dôme de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]]
avait élargi ses bas-côtés et donné plus de force aux contreforts extérieurs;
il s’était écarté de la règle suivie à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] et à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], pour le tracé de
la grande voûte du rond-point; il avait su éviter les témérités qui causèrent
la ruine du chœur de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]]; si ses élévations et ses coupes se rapprochent
de celles d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], elles s’éloignent de celles de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]]. De ces
trois chœurs élevés en même temps, ou peut s’en faut, celui de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]]
est certainement le moins ancien; et le maître de l’œuvre de ce dernier
monument sut profiter des belles dispositions adoptées à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]] et à
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], en évitant les défauts dans lesquels ses deux devanciers étaient
tombés. Mais, nous devons le dire, malgré la perfection d’exécution du
chœur de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]], malgré la science pratique déployée
par le constructeur de cet édifice, dans lequel il ne se manifesta aucun
mouvement sérieux, la conception du chœur de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]] nous paraît
supérieure. Si l’architecte du chœur de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]] avait pu disposer de
moyens assez puissants, de matériaux d’un fort volume; s’il n’eût pas été
contraint, par le manque évident de ressources financières, d’employer des
procédés trop au-dessous de l’œuvre projetée; s’il n’eût pas été gêné par
l’emplacement trop étroit qui lui était donné, il eût accompli une œuvre
incomparable; car ce n’est pas par la théorie que pèche la construction du
chœur de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], mais par l’exécution, qui est médiocre,
pauvre. N’oublions pas que la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]] fut commencée au
moment où déjà s’était ralenti le mouvement politique et religieux qui
avait provoqué l’exécution des grandes cathédrales du Nord.
 
Cet art français du XIII<sup>e</sup> siècle arrive si rapidement à son développement,
que déjà, vers le milieu de ce siècle, on sent qu’il étouffera l’imagination
de l’artiste; il se réduit souvent à des formules qui tiennent plus de la
science que de l’inspiration; il tend à devenir banal. Des tâtonnements, il
tombe presque sans transition dans la rigueur mathématique. Le moment
pendant lequel on peut le saisir est compris entre des essais dans lesquels
on sent une surabondance de force et d’imagination, et un formulaire
toujours logique, mais souvent sec et froid. Cela tient non pas seulement
aux arts de cette époque, mais à l’esprit de notre pays, qui tombe sans
cesse des excès de l’imagination dans l’excès de la méthode, de la règle;
qui, après s’être passionné pour les formes extérieures de l’art, se passionne
pour un principe abstrait; qui, pour tout dire en un mot, ne sait se
maintenir dans le juste milieu en toutes choses.
 
On nous a répété bien des fois que nous étions <i>latins</i>: par la langue,
nous en tombons d’accord; par l’esprit, nous penchons plutôt vers les
Athéniens. Comme eux, une fois au pied de l’échelle, nous arrivons
promptement au sommet, non pour nous y tenir, mais pour en descendre.
Si nous passons en revue l’histoire des arts de tous les peuples (qui ont
eu des arts), nous ne trouverons nulle part, si ce n’est à Athènes et dans
le coin de l’Occident que nous occupons, ce besoin incessant de faire
pencher les plateaux de la balance tantôt d’un côté, tantôt de l’autre,
sans jamais les maintenir en équilibre.
 
Ce qu’on a toujours paru redouter le plus en France, c’est l’immobilité;
au besoin de mouvement, l’on a sacrifié de tout temps, chez nous, le vrai
et le bien, lorsque par hasard on y était arrivé. Et pour ne pas sortir
des questions d’art, nous avons toujours fait succéder à une période
d’invention, de recherche, de développement de l’imagination, de poésie,
si l’on veut, une période de raisonnement; aux égarements de la fantaisie
et de la liberté, la règle absolue. De l’architecture si variée et si pleine
d’invention du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, de cette voie si large qui
permettait à l’esprit d’arriver à toutes les applications de l’art, on se jette
tout à coup dans la science pure, dans une suite de déductions impérieuses
qui font passer cet art des mains des artistes inspirés aux mains des appareilleurs.
Des abus de ce principe naissent les architectes de la renaissance,
ceux-ci laissent pleine carrière à leur imagination; la fantaisie règne en
maîtresse absolue; mais bientôt, s’appuyant sur une interprétation judaïque
de l’architecture antique, on veut être plus Romain que les Romains, on
circonscrit l’art de l’architecture dans la connaissance des <i>ordres</i>, soumis
à des règles impérieuses que les anciens se gardèrent bien de reconnaître<span id="note59"></span>[[#footnote59|<sup>59</sup>]].
Cependant, les excès en France sont presque toujours couverts d’un
vernis, d’une sorte d’enveloppe qui les rend supportables; on appellera
cela le goût si l’on veut. On arrive promptement à l’abus, et l’abus persiste
parce qu’on le rend presque toujours séduisant.
 
L’architecture française était en chemin, dès le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, de
franchir en peu de temps les limites du possible; cependant on s’arrête
aux hardiesses, on n’atteint pas l’extravagance. L’architecte du chœur de
la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], si ce monument eût été exécuté avec soin, fût
arrivé, cinquante ans après l’inauguration de l’art ogival, à produire tout
ce que cet art peut produire; il est à croire que les fautes qu’il commit
dans l’exécution arrêtèrent l’élan de ses confrères: il y eut réaction; à
partir de ce moment, l’imagination cède le pas aux calculs, et les constructions
religieuses qui s’élèvent à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle sont l’expression d’un
art arrivé à sa maturité, basé sur l’expérience et le raisonnement, et qui
n’a plus rien à trouver.
 
Mais avant de donner des exemples de ces derniers monuments, nous
ne pouvons omettre de parler de certaines cathédrales qui doivent être
classées à part.
 
Nous avons d’abord fait connaître les édifices de premier ordre élevés
pendant une période de soixante ans environ, pour satisfaire aux besoins
nouveaux du clergé et des populations, dans des villes riches, et au moyen
de ressources considérables. Mais si l’entraînement qui portait les évêques
à rebâtir leurs cathédrales était le même sur toute la surface du domaine
royal et des provinces les plus voisines, les ressources n’étaient pas, à
beaucoup près, égales dans tous les diocèses. Pendant que Reims, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]]
et [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] élevaient leur église mère sur de vastes plans, après en avoir
assuré la durée par des travaux préliminaires exécutés avec un grand luxe
de précautions, d’autres diocèses, entourés de populations moins favorisées,
moins riches, en se laissant entraîner dans le mouvement irrésistible
de cette époque, ne pouvaient réunir des sommes en rapport avec la
grandeur des entreprises, quelle que fût d’ailleurs la bonne volonté des
fidèles.
 
De ce besoin de construire des églises vastes avec des moyens insuffisants,
il résultait des édifices qui ne pouvaient présenter des garanties de
durée. Pour pouvoir élever, au moins partiellement, les constructions sans
épuiser toutes les ressources disponibles dès les premiers travaux, on se
passait de fondations, ou bien on les établissait avec tant de parcimonie,
qu’elles n’offraient aucune stabilité. Lorsqu’on a vu comme sont fondées
les cathédrales de Paris, de Reims, de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]] ou d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], on ne peut
admettre que les maîtres des œuvres des XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles ne fussent pas
experts dans la connaissance de ces éléments de la construction. Mais tel
évêque voulait une cathédrale vaste, promptement élevée, qui pût rivaliser
avec celles des diocèses voisins, et ses ressources étaient proportionnellement
minimes; il n’entendait pas qu’on enfouît sous le sol une grande
partie de ces sommes réunies à grande peine, il fallait paraître; le maître
de l’œuvre se contentait de jeter, dans des tranchées mal faites, du mauvais
moellon que l’on pilonnait; puis il élevait à la hâte, sur cette base
peu résistante, un grand édifice. Habile encore dans son imprudence, il
achevait son œuvre.
 
Ces derniers monuments ne sont pas les moins intéressants à étudier,
car ils prouvent, beaucoup mieux que ceux élevés avec luxe, deux choses:
la première, c’est que le nouveau système d’architecture adopté par l’école
laïque se prêtait à ces imperfections d’exécution, et pouvait, à la rigueur,
se passer de précautions regardées comme nécessaires; la seconde, que,
dans des cas pareils, les maîtres des œuvres du moyen âge arrivaient, par
des artifices de construction qui dénotent une grande subtilité et beaucoup
d’adresse, à élever à peu de frais des édifices vastes et d’une grande
apparence. Si ces édifices tombent aujourd’hui, s’ils ont subi des altérations
effrayantes, ils n’en ont pas moins duré six siècles; les évêques qui les
ont bâtis ont obtenu le résultat auquel ils tendaient: eux et leurs successeurs
les ont vus debout.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Troyes.png|center]]
<div class="text">
Parmi les cathédrales qui furent construites dans des conditions aussi
défavorables, il faut citer en première ligne la cathédrale de Troyes. Le
chœur et les transsepts de la cathédrale de Troyes, dont nous présentons
le plan (25), appartiennent, par leurs dimensions, à un monument du
premier ordre. Le vaisseau principal n’a pas moins de 14<sup>m</sup>50 d’axe en
axe; or, que l’on compare le plan du chœur de la cathédrale de Troyes
avec celui du chœur de la cathédrale de Reims, par exemple, qui, dans
œuvre, est à peu près de la même dimension comme largeur; quelle
énorme différence de cube de matériaux à rez-de-chaussée, entre ces deux
édifices. L’architecte de la cathédrale de Troyes a établi ce vaste monument
sur des fondations composées uniquement de mauvais sable et de débris
de craie; mais, avec une connaissance parfaite du défaut de sa construction,
il a cherché à reporter ses pesanteurs sur le milieu du chœur, en
donnant aux piliers intérieurs une assiette comparativement large, et aux
contreforts extérieurs un volume moindre que dans les édifices analogues.
Il espérait ainsi, en ne chargeant pas le périmètre de son monument,
éviter le déversement que devait nécessairement produire le poids des
contreforts, augmenté de la poussée des grandes voûtes. Il va sans dire
qu’il ne réussit qu’imparfaitement dans l’exécution. Malgré leur peu de
pesanteur, les contreforts extérieurs se déversèrent sous la pression
oblique des arcs-boutants, et, au XIV<sup>e</sup> siècle, il fallut déjà prendre des
mesures pour arrêter les fâcheux effets causés par le vice radical de la
construction de la cathédrale de Troyes. Ce n’est pas seulement dans les
fondations que l’on remarque l’extrême parcimonie avec laquelle la partie
orientale de cet édifice fut élevée; en élévation, tous les membres résistants
et épais de la bâtisse sont construits en matériaux petits, inégaux, d’une
mauvaise qualité; les meneaux, corniches et colonnes sont seuls en
pierre de taille; les voûtes sont en craie. Le fondateur n’en vit pas moins
ce vaste chœur élevé; son but était atteint. Le chœur de la cathédrale de
Troyes est d’ailleurs fort beau comme composition; à l’intérieur on ne
s’aperçoit pas de cette pauvre exécution. La galerie ou triforium est,
comme dans le chœur de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], à claire-voie, et toutes
les fenêtres sont garnies de beaux vitraux. La sculpture intérieure est sobre,
mais large et belle; les chapelles sont d’une heureuse proportion. Vers
le commencement du XIV<sup>e</sup> siècle, la nef fut élevée avec des doubles bas-côtés;
peu après, c’est-à-dire vers le milieu du XIV<sup>e</sup> siècle, des chapelles
vinrent encore s’ajouter à cette nef. La façade ne fut commencée qu’au
XVI<sup>e</sup> siècle et resta inachevée. Ces constructions des XIV<sup>e</sup> et XVI<sup>e</sup> siècles sont
solidement fondées et savamment combinées<span id="note60"></span>[[#footnote60|<sup>60</sup>]].
 
Le chœur de la cathédrale de Troyes présente quelques particularités
que nous devons signaler (fig. 25). Si la chapelle de la Vierge (dans l’axe de
l’abside) n’est pas aussi profonde qu’à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], cependant elle se distingue
des quatre autres chapelles absidales; elle possède deux travées en avant
du rond-point au lieu d’une seule. Du côté du nord, deux chapelles plus
petites s’ouvrent à l’extrémité des bas-côtés, avant les chapelles absidales;
l’une des deux est ouverte dans le second collatéral. Au sud, est une
sacristie et un double bas-côté terminé par une sorte d’abside peu prononcée.
La grande voûte n’est pas tracée comme le sont celles d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]]
et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]]. Le centre du rond-point est posé sur le dernier arc doubleau,
et la poussée des arcs arêtiers est contrebuttée par deux demi-arcs
ogives franchissant la largeur de la dernière travée. Enfin, si le chœur de
la cathédrale de Troyes est champenois, bâti à une époque où cette
province n’était pas encore réunie à la France, il appartient, comme
architecture, au domaine royal. Sa construction fut certainement confiée
à l’un de ces maîtres des œuvres appartenant à l’école des Thomas de
Cormont, des architectes qui rebâtirent, au XIII<sup>e</sup> siècle, le haut chœur de
l’église abbatiale de Saint-Denis<span id="note61"></span>[[#footnote61|<sup>61</sup>]], qui élevèrent le chœur de la cathédrale
de Tours, dont nous présentons ici le plan (26). Comparativement aux
plans que nous avons donnés jusqu’à présent, celui de la cathédrale de
Tours est petit<span id="note62"></span>[[#footnote62|<sup>62</sup>]]; mais les constructions sont excellentes. Le triforium est à
claire-voie comme ceux de Troyes et d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]].
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Tours.png|center]]
<div class="text">
Tours était cependant une ville très-importante au XIII<sup>e</sup> siècle; mais
nous ne trouvons plus dans les populations des bords de la Loire cet
esprit hardi, téméraire des populations de l’Île de France, de Champagne
et de Picardie. Plus sages, plus mesurés, les riverains de la Loire n’exécutent
leurs monuments que dans les limites de leurs ressources. La
cathédrale de Tours, dans ses dimensions restreintes, en est un exemple
remarquable.
 
Ce charmant édifice est exécuté avec un soin tout particulier; on n’y
voit, dans aucune de ses parties, de ces négligences si fréquentes dans nos
grandes cathédrales du nord. Les cathédrales de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]] et d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]]
particulièrement, paraissent avoir été élevées avec une hâte qui tient de la
fièvre; il semble, lorsqu’on parcourt ces édifices, que leurs architectes
aient eu le pressentiment du peu de durée de cette impulsion à laquelle ils
obéissaient. À Tours, on sent l’étude, le soin, la lenteur dans l’exécution;
le chœur de la cathédrale est l’œuvre d’un esprit rassis, qui possède son
art et n’exécute qu’en vue des ressources dont il peut disposer. On peut
dire que ce gracieux monument suit pas à pas les progrès de l’art de son
temps; mais aussi n’y sent-on pas l’inspiration du génie qui conçoit et
devance l’exécution, qui anime la pierre, et la soumet sans cesse à de
nouvelles idées.
 
<span id=18>Il est nécessaire que nous revenions sur nos pas pour reprendre, à sa
souche, une autre branche des grandes constructions religieuses du
XIII<sup>e</sup> siècle. À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Autun|Autun]], il existe encore une cathédrale bâtie vers le milieu
du XII<sup>e</sup> siècle; ce monument rappelle les constructions religieuses de
Cluny; il avait été élevé sous l’influence des églises de cet ordre et des
traditions romaines vivantes encore dans cette ville.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Autun.png|center]]
<div class="text">
Son plan, que nous donnons ici (27), couvre une surface médiocre
comme étendue<span id="note63"></span>[[#footnote63|<sup>63</sup>]]; il est d’une grande simplicité; la nef et les collatéraux
se terminent par trois absides semi-circulaires; le vaisseau principal est
voûté en berceau ogival, avec arcs doubleaux; les bas-côtés en voûtes
d’arêtes sans arcs ogives<span id="note64"></span>[[#footnote64|<sup>64</sup>]]. Un vaste porche, bâti peu de temps après la
construction de la nef, la précède, comme dans les églises clunisiennes.
 
Cet édifice en produisit bientôt un autre; c’est la cathédrale de Langres
(28). À Langres, le bas-côté pourtourne le sanctuaire; une seule chapelle
existait à l’abside<span id="note65"></span>[[#footnote65|<sup>65</sup>]]; dans les murs est des croisillons, s’ouvrent deux
petites absides. Le rond-point était encore voûté en cul-de-four; mais, dans
la travée qui le précède et dans le collatéral circulaire, apparaissent les
voûtes d’arêtes avec arcs ogives. Les fenêtres et les galeries sont plein
cintre; tous les archivoltes, formerets et arcs doubleaux, en tiers point
(voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Voûte |Voûte ]]). Des arcs-boutants, qui datent de la construction primitive,
contre-buttent les poussées reportées sur les contreforts.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Langres.png|center]]
<div class="text">
Le chœur de la cathédrale de Langres date de la seconde moitié du
XII<sup>e</sup> siècle; la nef, des dernières années de ce siècle ou des premières du
XIII<sup>e</sup>. Nous présentons (29) la coupe transversale de ce monument. En
examinant cette coupe, il est facile de voir qu’il y a là tous les éléments
d’un art qui se développe, des dispositions simples et sages. Si la cathédrale
d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Autun|Autun]], avec son grand berceau ogival sans arcs-boutants, n’offrait
pas des conditions de stabilité suffisantes<span id="note66"></span>[[#footnote66|<sup>66</sup>]], à Langres, le problème était
résolu, les conditions de stabilité excellentes.
</div>
[[Image:Coupe.cathedrale.Langres.png|center]]
<div class="text">
Cette école de constructeurs, dont nous retrouvons les œuvres à la
Charité-sur-Loire, dans le porche de Vézelay, dans celui de Cluny, dans
la belle église de Montréale (Yonne), dans une grande partie du Lyonnais,
de la Bourgogne et du fond de la Champagne, s’élevait parallèlement à
l’école sortie de l’Île de France; elle fut absorbée par celle-ci.
 
La cathédrale de Langres est la dernière expression originale de cette
branche de l’art ogival issue des provinces du sud-est; les deux rameaux
se rencontrèrent à Sens pour se mêler et produire un édifice d’un caractère
particulier, mais où cependant l’influence française prédomine;
Nous présentons le plan (30) de la cathédrale de Sens<span id="note67"></span>[[#footnote67|<sup>67</sup>]], terminée à la
fin du XII<sup>e</sup> siècle. En comparant le chœur de cette cathédrale avec celui de
Langres, on trouve entre eux deux une certaine analogie. Le sanctuaire
est entouré d’un collatéral; une seule chapelle est disposée dans l’axe;
dans les transsepts, les absides, dont nous trouvons l’embryon à Langres,
se développent à Sens. Dans les détails, on rencontre également, entre les
deux édifices, des points de rapport. Les arcs ogives, par exemple, des
voûtes des bas-côtés, à Sens comme à Langres, reposent sur des culs-de-lampes
ménagés au-dessus des chapiteaux, ceux-ci ne recevant que les
retombées des archivoltes et des arcs doubleaux.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Sens.png|center]]
<div class="text">
Mais, à Sens, plus de pilastres cannelés; déjà le système de la voûte
française est adopté dans les bas-côtés<span id="note68"></span>[[#footnote68|<sup>68</sup>]]. Autour du sanctuaire, ce n’est
plus, comme à Langres, une simple rangée de colonnes qui porte les parties
supérieures, mais des colonnes accouplées suivant les rayons de la courbe,
et des piles formées de faisceaux de colonnettes. Ce système de colonnes
accouplées entre des piles plus fortes, se reproduit dans toute l’œuvre
intérieure de la cathédrale de Sens, et s’adapte parfaitement à la combinaison
des voûtes dont les diagonales ou arcs ogives comprennent deux
travées; c’est une disposition analogue à celle de la nef de la cathédrale de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], et qui fut généralement adoptée dans les églises de l’Île-de-France
de la fin du XII<sup>e</sup> siècle. Malheureusement, la cathédrale de Sens subit
bientôt de graves modifications; des reconstructions et adjonctions postérieures
à sa construction changèrent profondément ses belles dispositions
premières. Pour bien nous rendre compte de l’édifice primitif, il nous faut
passer la Manche et aller à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Canterbury]].
 
Nous ne possédons aucun renseignement précis sur la fondation de la
cathédrale actuelle de Sens, et le nom du maître de l’œuvre qui la conçut nous
est inconnu; on sait seulement que sa construction était en pleine activité
sous l’épiscopat de Hugues de Toucy, de 1144 à 1168, dates qui s’accordent
parfaitement avec le caractère archéologique du monument. Nos voisins
d’outre-mer sont plus soigneux que nous lorsqu’il s’agit de l’histoire de
leurs grands monuments du moyen âge. Les documents abondent chez
eux, et depuis longtemps ont été recueillis avec soin; grâce à cet esprit
conservateur, nous allons trouver à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Canterbury]] l’histoire de la cathédrale
sénonaise.
</div>
[[Image:Detail.plan.cathedrale.Canterbury.png|center]]
<div class="text">
En 1174, un incendie détruisit le chœur et le sanctuaire de la cathédrale
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Canterbury]]; l’année suivante, après que les restes de la partie incendiée
eurent été dérasés et qu’on eut établi provisoirement les stalles dans
l’ancienne nef, on commença le nouveau chœur. L’œuvre fut confiée à un
certain Guillaume de Sens<span id="note69"></span>[[#footnote69|<sup>69</sup>]]. Ce maître de l’œuvre ne quitta l’Angleterre
qu’en 1179, à la suite d’une chute qu’il fit sur ses travaux, après avoir
élevé la partie antérieure du nouveau chœur et les deux transsepts de l’est<span id="note70"></span>[[#footnote70|<sup>70</sup>]].
Avant de partir, étant blessé et ne pouvant quitter son lit, Guillaume de
Sens, voyant l’hiver (1778-1779) approcher, et ne voulant pas laisser la
grande voûte inachevée, donna la conduite du travail à un moine habile et
industrieux qui lui servait de conducteur de travaux. Ce fut ainsi que put
être terminée la voûte de la croisée et des deux transsepts orientaux.
 
<span id=Cantorbery>Mais «le maître, s’apercevant qu’il ne recevait aucun soulagement des
médecins, abandonna l’œuvre, et, traversant la mer, retourna chez lui
en France. Un autre lui succéda dans la direction des travaux William
de nom, Anglais de nation, petit de corps, mais probe et habile dans
toutes sortes d’arts.» Ce fut ce second maître, <i>anglais de nation</i>, qui
termina le chœur, le chevet, la chapelle de la Trinité et la chapelle dite
<i>la couronne de Becket</i>. Or cette extrémité orientale, dont nous donnons le
plan au niveau de la galerie du rez-de-chaussée (31), quoique élevée par
un architecte anglais, conserve encore tous
les caractères de l’abside de la cathédrale de
Sens, non-seulement dans son plan, mais dans
sa construction, ses profils et sa sculpture
d’ornement, avec plus de finesse et de légèreté;
ce qui s’explique par l’intervalle de quelques
années qui sépare ces deux constructions.
William l’Anglais n’a fait que suivre,
nous le croyons, les projets de son malheureux
prédécesseur, qui pourrait bien être le
maître de l’œuvre de la cathédrale de Sens.
Le chevet de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Canterbury]] nous
donne le moyen de restituer le chevet de la
cathédrale de Sens, ainsi que nous l’avons fait (fig. 30)<span id="note71"></span>[[#footnote71|<sup>71</sup>]].
 
Ce qui caractérise la cathédrale de Sens, c’est l’ampleur et la simplicité
des dispositions générales. La nef est large, les points d’appui résistants,
élevés seulement sous les retombées réunies des grandes voûtes; le chœur
est vaste et profond. L’architecte avait su allier la mâle grandeur des
églises bourguignonnes du XII<sup>e</sup> siècle aux nouvelles formes adoptées par
l’Île-de-France. Mais il ne faut pas croire que ce monument nous soit
conservé tel que l’avait laissé l’évêque Hugues de Toucy. Dévasté par un
incendie vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, les voûtes, les fenêtres hautes et les
couronnements furent refaits, puis la chapelle absidale. Des colonnes
furent ajoutées entre les colonnes accouplées du rond-point, afin de porter
de fond les archivoltes qui devaient, comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Canterbury]], porter sur des
culs-de-lampe saillants entre les deux chapiteaux (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Pilier |Pile ]]).
 
À la fin de ce siècle, on pratiqua des chapelles entre les contreforts de la
nef; cette malheureuse opération, que subirent toutes nos cathédrales
françaises, sauf celles de Reims et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], eut pour résultat d’affaiblir
les points d’appui extérieurs et de rendre l’écoulement des eaux difficile.
Vers 1260, la tour sud de la façade s’écroula sur la belle salle synodale bâtie
vers 1240, en C; cette tour fut remontée à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle et achevée
seulement au XVI<sup>e</sup> siècle. La tour du nord, élevée vers la fin du XII<sup>e</sup> siècle,
n’était terminée que par un beffroi de bois, recouvert de plomb, monté vers
le commencement du XIV<sup>e</sup> siècle<span id="note72"></span>[[#footnote72|<sup>72</sup>]]. Au commencement du XVI<sup>e</sup> siècle, le
pignon du transsept sud, qui datait du XIII<sup>e</sup> siècle, fut repris dans toute
sa partie supérieure; celui du nord, complétement rebâti; les fenêtres
hautes des croisillons, refaites avec leurs vitraux; enfin, deux chapelles de
forme irrégulière vinrent s’accoter, à la fin du XVI<sup>e</sup> et au XVII<sup>e</sup> siècle, contre
les flancs du collatéral de l’abside. Une salle du trésor et des sacristies
qui communiquent avec l’archevêché s’élevèrent en B. L’entrée principale
du palais archiépiscopal était sous la salle synodale en A.
 
Dans la cathédrale de Sens, le plein cintre vient se mêler à l’ogive,
comme dans le chœur de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Canterbury]]. C’est encore là une
influence de l’école bourguignonne.
 
Les constructions achevées en 1168 avaient dû s’arrêter à la seconde
travée de l’entrée de la nef. Les parties les plus anciennes de la façade ne
remontent pas plus loin que les dernières années du XII<sup>e</sup> siècle; il ne reste,
de cette époque, que les deux portes centrale et nord et la tour nord
tronquée. À l’intérieur et à l’extérieur, sur ce point, c’est un mélange
incompréhensible de constructions reprises pendant les XIII<sup>e</sup>, XIV<sup>e</sup> et
XVI<sup>e</sup> siècles.
 
Ce qui reste des vitraux du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle et du XVI<sup>e</sup>,
dans la cathédrale de Sens, est fort remarquable (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Vitrail |Vitrail ]]).
 
Saint-Étienne de Sens est une cathédrale à part, comme plan et comme
style d’architecture; contemporaine de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], elle n’en a
pas la finesse et l’élégance. On y trouve, malgré l’adoption du nouveau
système d’architecture, l’ampleur des constructions romanes, bourguignonnes
et de Langres, comme un dernier reflet de l’antiquité romaine. Ce
qui caractérise la cathédrale sénonaise, c’est surtout l’unique chapelle
absidale et les deux absidioles des transsepts. Quoique Sens et Langres
dépendissent de la Champagne, ces deux églises appartiennent bien moins à
cette province qu’à la Bourgogne, comme disposition et style d’architecture.
 
<span id="Auxerre18">Nous en trouvons la preuve dans les substructions de la cathédrale
d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Auxerre|Auxerre]]. La cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Auxerre|Auxerre]], rebâtie après un incendie par l’évêque
Hugues, vers 1030, possédait un sanctuaire circulaire avec bas-côtés et
chapelle unique dans l’axe; la crypte de cette église, encore existante
aujourd’hui, est, sous ce point de vue, du plus grand intérêt. Nous en
donnons ici le plan (32)<span id="note73"></span>[[#footnote73|<sup>73</sup>]], dépouillé des contreforts extérieurs ajoutés au
XIII<sup>e</sup> siècle. En comparant ce plan de crypte
avec le plan du chœur et du chevet de la
cathédrale de Langres, et surtout avec celui
de la cathédrale de Sens, il est facile de reconnaître
le degré de parenté intime qui lie
ces trois édifices, construits à des époques
fort différentes; et on peut conclure, nous
le croyons, de cet examen, que les diocèses
d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Autun|Autun]], de Langres, d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Auxerre|Auxerre]] et de Sens,
possédaient, depuis le XI<sup>e</sup> siècle, certaines
dispositions de plan qui leur étaient particulières,
et qui furent adoptées dans
la partie orientale de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Canterbury]].
</div>
[[Image:Detail.plan.cathedrale.Auxerre.png|center]]
<div class="text">
Nous retrouvons encore les traces de cette école, au XIII<sup>e</sup> siècle, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Auxerre|Auxerre]]
même. En 1215, l’évêque Guillaume de Seignelay commença la reconstruction
de toute la partie orientale de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Auxerre|Auxerre]]; l’ancienne
crypte fut conservée, et c’est sur son périmètre, augmenté seulement de
la saillie de quelques contreforts, que s’éleva la nouvelle abside. Sur la
petite chapelle absidale de la crypte, on bâtit une seule chapelle carrée
dans l’axe, en renforçant par des piliers, à l’extérieur, le petit hémicycle
du XI<sup>e</sup> siècle (fig. 32).
 
Certes, à cette époque, si l’on n’avait pas regardé cette forme de plan
comme consacrée par l’usage, même en conservant la crypte, on aurait
pu, comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], s’étendre au dehors de son périmètre, soit pour
élever un second bas-côté, soit pour ouvrir un plus grand nombre de
chapelles absidales. Le plan du XI<sup>e</sup> siècle fut conservé, et le chœur de
la cathédrale auxerroise du XIII<sup>e</sup> siècle respecta sa forme traditionnelle.
Cependant la construction du chœur de Saint-Étienne d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Auxerre|Auxerre]] fut assez
longue à terminer.
 
Guillaume de Seignelay, en prenant possession du siège épiscopal de
Paris, en 1220, laissa des sommes assez importantes pour continuer
l’œuvre; son successeur, Henri de Villeneuve, qui mourut en 1234, paraît
avoir achevé l’entreprise; c’est l’opinion de l’abbé Lebeuf<span id="note74"></span>[[#footnote74|<sup>74</sup>]], opinion qui
se trouve d’accord avec le style de cette partie de la cathédrale. Quant
aux transsepts et à la nef de l’église Saint-Étienne d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Auxerre|Auxerre]], commencés
vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, on ne les acheva que pendant les XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles. La façade occidentale resta incomplète; la tour nord seule fut
terminée vers le commencement du XVI<sup>e</sup> siècle.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Chalons.sur.Marne.png|center]]
<div class="text">
<span id=Chalons.sur.Marne>Si les diocèses méridionaux de la Champagne avaient subi l’influence
des arts bourguignons, l’un de ceux du nord avait pris certaines dispositions
aux édifices religieux des bords du Rhin. Au commencement du
XIII<sup>e</sup> siècle, on reconstruisit la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chalons.sur.Marne|Châlons-sur-Marne]], dont le
sanctuaire (33) était dépourvu de bas-côtés, et dont les transsepts allongés
étaient accompagnés, à l’est, de deux chapelles carrées; de deux petits
sacraires et de tours, restes d’un édifice roman. Nous ne pouvons savoir
si, comme dans les églises rhénanes, la nef était terminée, à l’ouest, par
des transsepts et par une seconde abside; nous serions tentés de le croire
en examinant les dispositions rhénanes de ce plan du côté de l’est<span id="note75"></span>[[#footnote75|<sup>75</sup>]].
Toutefois, si la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chalons.sur.Marne|Châlons-sur-Marne]] rappelle, dans le plan de
son chevet, celle de Verdun, par exemple, qui est entièrement rhénane,
les détails, le système de construction et l’ornementation, se rapprochent
de l’école de Reims. C’est là un monument exceptionnel, sorte de lien entre
deux styles fort différents, mais qui se réduit à un seul exemple.
Ne pouvant nous occuper des admirables cathédrales de Cambrai et
d’Arras<span id="note76"></span>[[#footnote76|<sup>76</sup>]], détruites aujourd’hui, et qui auraient pu nous fournir des
renseignements précieux sur la fusion de l’école rhénane avec l’école
française, nous ferons un détour vers les provinces du nord-ouest et de
l’ouest.
 
Dans le Nord, les voûtes avaient paru tardivement; les grandes églises
du centre de la France, des provinces de l’est et de l’ouest, étaient déjà
voûtées au XI<sup>e</sup> siècle, quand on couvrait encore les nefs principales des
églises par des charpentes apparentes dans une partie de la Picardie et de
la Champagne, dans la Normandie, le Maine et la Bretagne.
 
Pendant le XII<sup>e</sup> siècle, la Normandie et le Maine n’étaient pas réunis au
domaine royal; et, quoique les ducs de Normandie tinssent leur province
en fief de la couronne, chacun sait combien ils reconnaissaient peu, de fait,
la suzeraineté des rois de France. Ce qui reste des cathédrales normandes du
XI<sup>e</sup> au XII<sup>e</sup> siècle, en Angleterre et sur le continent, donne lieu de supposer
que ces monuments, dont le plan se rapprochait beaucoup de la basilique
romaine, étaient, en grande partie, couverts par des lambris; les voûtes
n’apparaissaient que sur les bas-côtés et les sanctuaires. L’ancienne cathédrale
du Mans fut construite d’après ce principe au commencement du
XI<sup>e</sup> siècle. Nous en donnons le plan (34)<span id="note77"></span>[[#footnote77|<sup>77</sup>]]. Les bas-côtés A étaient fermés
par des voûtes d’arêtes romaines, les absides par des culs-de-four, les
transsepts B et la nef C par des charpentes lambrissées. Sur les quatre
piles de la croisée, dans les églises normandes, s’élevait toujours une
haute tour portée sur quatre arcs doubleaux. Au Mans, la façade occidentale
existe encore, ainsi que les murs latéraux et la base du pignon du
transsept nord. On aperçoit l’amorce des absidioles E.
</div>
[[Image:Plan.ancienne.cathedrale.Mans.png|center]]
<div class="text">
La cathédrale de Peterborough en Angleterre, d’une date plus récente,
mais qui cependant, sur presque toute son étendue, est antérieure au
XII<sup>e</sup> siècle, présente encore une disposition analogue à celle-ci.
 
Pendant le XII<sup>e</sup> siècle, vers l’époque où l’on construisait les églises de
l’abbaye de Saint-Denis et de Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]], la nef romane de la
cathédrale du Mans fut remaniée; on reprit les piles et les parties supérieures
de la nef, qui fut alors voûtée ainsi que les transsepts. Ces voûtes
se rapprochent, comme construction, non du système adopté dans l’Île-de-France
et le Soissonnais, mais de celui qui dérivait des coupoles des églises
de l’Ouest (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Voûte |Voûte ]]). Une porte, décorée de sculptures et de statues qui
ont avec celles du portail royal de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]] la plus grande
analogie, fut ouverte au milieu de la nef au sud (35). On ne se contenta
pas de ces changements importants. Vers 1220, les anciennes absides furent
démolies, et on construisit l’admirable chœur que nous voyons figuré dans
ce plan. Mais alors le Maine venait d’être réuni au domaine royal. Le
diocèse du Mans payait sa bienvenue en reconstruisant un chœur qui, à lui
seul, couvre une surface de terrain plus grande que tout le reste de
l’ancienne cathédrale.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Mans.png|center]]
<div class="text">
Le chœur de la cathédrale du Mans, si ce n’était la profondeur inusitée
des chapelles absidales, présenterait une disposition absolument pareille à
celle de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]]. C’est-à-dire qu’il possède deux rangs de
galeries; le premier bas-côté, étant beaucoup plus élevé que le second, a
permis de pratiquer des jours et un triforium dans le mur séparant ces
deux bas-côtés au-dessus des archivoltes. Mais la construction, la disposition des chapelles, les détails de l’architecture sont beaucoup plus beaux
au Mans qu’à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]]. Les extérieurs sont traités d’une manière remarquable,
avec luxe, et ne laissent pas voir la pauvreté des moyens comme la
cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]]. Une belle sacristie s’ouvre au sud; elle date également
du XIII<sup>e</sup> siècle. Les deux pignons des transsepts, le seul clocher<span id="note78"></span>[[#footnote78|<sup>78</sup>]] bâti à
l’extrémité du croisillon sud, ne furent terminés qu’au XIV<sup>e</sup> siècle. Il est à
croire que le maître de l’œuvre du chœur de la cathédrale du Mans songeait
à reconstruire la nef dans le même style; les travaux s’arrêtèrent aux
transsepts, et si le monument y perd de l’unité, l’histoire de l’art y gagne
des restes fort précieux de la cathédrale primitive.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Seez.png|center]]
<div class="text">
Au Mans, la chapelle de la Vierge, dans l’axe, est beaucoup plus profonde
que ses voisines et elle s’élève sur une crypte dans laquelle on descend
par un petit escalier particulier. Cette disposition de chapelles absidales
profondes, celle centrale étant accusée par une ou deux travées de plus que
les autres, se retrouve également dans le chœur de la cathédrale de Séez.
Cet édifice, complétement de style normand dans la nef, qui date des
premières années du XIII<sup>e</sup> siècle, se rapproche du style français dans sa
partie orientale; il peut être classé parmi ceux qui, élevés au moyen de
ressources insuffisantes, comme Troyes, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chalons.sur.Marne|Châlons-sur-Marne]], Meaux, ne
furent point fondés, ou le furent mal. La nef (36), bâtie au commencement
du XIII<sup>e</sup> siècle, fut remaniée dans sa partie supérieure cinquante ou soixante
ans après sa construction; le chœur, élevé vers 1230, et presque entièrement
détruit par un incendie, dut être repris, vers 1260, de fond en comble,
sauf la chapelle de la Vierge, que l’on jugea pouvoir être conservée. Le maître
de l’œuvre du chœur, ne se fondant que sur des maçonneries
très-insuffisantes,
avait cherché, par l’extrême légèreté de sa construction, à diminuer
le danger d’une pareille situation; et en ne considérant même le chœur de
la cathédrale de Séez qu’à ce point de vue, il mériterait d’être étudié. Les
chapelles profondes absidales, présentant des murs rayonnants étendus,
se prêtaient d’ailleurs à une construction légère et bien empattée. En effet,
les travées intérieures du sanctuaire sont d’une légèreté qui dépasse tout
ce qui a été tenté en ce genre (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Travée|Travée]]), et la construction en élévation
est des plus savantes; cependant, rien ne peut remplacer de bonnes fondations;
vers la fin du XIV<sup>e</sup> siècle, on crut nécessaire de renforcer les contre-forts
extérieurs du chœur; mais ces adjonctions, mal fondées elles-mêmes,
contribuèrent encore, par leur poids, à entraîner la légère bâtisse du
XIII<sup>e</sup> siècle, qui ne fit, depuis lors, que s’ouvrir de plus en plus. Au
commencement de notre siècle, les grandes voûtes du sanctuaire s’écroulèrent;
il fallut les refaire en bois.
 
La façade de la cathédrale de Séez est couronnée par deux tours avec
flèches élevées au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle et réparées ou reprises
pendant les XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup>. Ces tours, ainsi que toute la nef, ont fait de très-sérieux
mouvements, par suite de l’insuffisance des fondations. C’est
aujourd’hui un monument fort compromis<span id="note79"></span>[[#footnote79|<sup>79</sup>]].
 
Nous ne quitterons pas la Normandie, sans parler des cathédrales de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bayeux|Bayeux]] et de Coutances.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Bayeux.png|center]]
<div class="text">
<span id=Bayeux2>La cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bayeux|Bayeux]], dont nous donnons le plan (37), est un édifice
du XIII<sup>e</sup> siècle enté sur une église du XII<sup>e</sup>; et, de l’église du XII<sup>e</sup> siècle, il
ne reste que les piles, les archivoltes et les tympans du rez-de-chaussée de
la nef. Comme au Mans, comme à Séez, les transsepts sont simples, sans
collatéraux; à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bayeux|Bayeux]], deux chapelles très-peu profondes, dont nous
trouvons également la trace dans le mur oriental du croisillon sud de la
cathédrale de Séez, s’ouvraient, à l’est, sur les deux transsepts nord et
sud. C’est là un dernier souvenir des chapelles romanes des transsepts
normands que l’on voit développées dans le plan primitif de la cathédrale
du Mans (fig. 34). À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bayeux|Bayeux]] encore, dans le plan du chœur du XIII<sup>e</sup> siècle,
on voit les deux tours normandes (sur une petite échelle, puisqu’elles ne
contiennent que des escaliers) qui terminaient la série des chapelles carrées
avant les chapelles absidales<span id="note80"></span>[[#footnote80|<sup>80</sup>]]. Sur la façade, deux grands clochers romans
avec flèches. Sur les quatre piles de la croisée, une tour existait dès le
XII<sup>e</sup> siècle; elle fut rebâtie au XIII<sup>e</sup>, puis continuée pendant les XIV<sup>e</sup> et
XV<sup>e</sup> siècles, pour être terminée, pendant le siècle dernier, par une coupole
avec lanterne. Ces quatre piles de la croisée furent successivement enveloppées
de placages pendant les XIII<sup>e</sup> et XIV<sup>e</sup> siècles<span id="note81"></span>[[#footnote81|<sup>81</sup>]]. On remarquera la
disposition des clochers romans de la façade occidentale; ils sont complétement fermés
à rez-de-chaussée et portent de fond; c’est là une disposition
normande, que nous retrouvons à Rouen, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]] même, encore
indiquée à Béez et à Coutances (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Clocher|Clocher]])<span id="note82"></span>[[#footnote82|<sup>82</sup>]].
 
<span id=Bayeux1>À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bayeux|Bayeux]], il n’y a plus trace, dans le style de l’architecture, de l’influence
française. Le mode normand domine seul; c’est celui que nous retrouvons
à Westminster, à Lincoln, à Salisbury, à Ely, en Angleterre; et cependant,
comme disposition de plan, la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bayeux|Bayeux]] se rapproche
plus des cathédrales françaises du XIII<sup>e</sup> siècle, au moins dans sa partie
orientale, que des cathédrales anglaises. C’est qu’au XIII<sup>e</sup> siècle, si la
Normandie possédait son style d’architecture propre, elle subissait alors
l’influence des édifices du domaine royal.
 
<span id=Dol>La cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes D#Dol|Dol]] seule, en Bretagne, paraît s’être affranchie complétement
de l’empire qu’exerçaient, sur tout le territoire occidental du
continent, les dispositions de plan adoptées, à la fin du règne de Philippe-Auguste,
dans la construction des cathédrales, La cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes D#Dol|Dol]] est
terminée, à l’orient, par un mur carré, dans lequel s’ouvre un immense
fenestrage, comme les cathédrales d’Ely et de Lincoln.
 
La cathédrale de Coutances, fondée en 1030 et terminée en 1083, soit
qu’elle menaçât ruine comme la plupart des grandes églises du Nord de
cette époque, soit qu’elle parût insuffisante, soit enfin que le diocèse de
Coutances, nouvellement réuni à la couronne de France, voulût entrer
dans le grand mouvement qui alors faisait reconstruire toutes les cathédrales
au nord de la Loire; la cathédrale de Coutances, disons-nous, fut
complétement réédifiée dès les premières années du XIII<sup>e</sup> siècle. Le chœur,
avec ses chapelles rayonnantes, qui rappellent celles du chœur de la
cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], paraît avoir été fondé vers la fin du règne de
Philippe-Auguste. Les constructions de la nef durent suivre presque
immédiatement celles du sanctuaire; mais il est probable que les transsepts
furent élevés sur les anciennes fondations romanes du XI<sup>e</sup> siècle, et que
même les énormes piliers de la croisée ne font, comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bayeux|Bayeux]], qu’envelopper
un noyau de construction romane.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Coutances.png|center]]
<div class="text">
En effet, si nous examinons le plan (38) de cette partie de l’édifice, nous
y trouvons une sorte de gêne dans l’ensemble des dispositions, et la trace
encore bien marquée des chapelles normandes des croisillons. Quelle
que fût la charge que le maître de l’œuvre voulait faire porter aux quatre
piliers de la croisée (charge énorme, il est vrai), il nous paraît difficile
d’admettre, qu’en plein XIII<sup>e</sup> siècle, s’il n’eût pas été commandé par des
substructions antérieures, il ne se fût pas tiré avec plus d’adresse de cette
partie importante de son projet. Quoi qu’il en soit, il ne reste plus de traces
visibles de constructions romanes dans la cathédrale de Coutances; c’est
un édifice entièrement de style ogival pur; la chapelle de la Vierge, à
l’extrémité de l’abside, et les chapelles de la nef furent seules ajoutées
après coup, au XIV<sup>e</sup> siècle<span id="note83"></span>[[#footnote83|<sup>83</sup>]]. La façade occidentale est surmontée de deux
clochers avec flèches en pierre, sous lesquels, outre les trois portes principales, s’ouvrent deux porches latéraux au nord et au sud, d’un grand effet.
Sur les quatre piles de la croisée s’élève une énorme tour octogonale, flanquée,
sur les quatre faces diagonales, de quatre tourelles servant d’escaliers.
Cette tour centrale, qui devait certainement être couronnée par une flèche,
est restée inachevée. Aux deux extrémités des croisillons sont adossées, au
sud, une chapelle, au nord, une vaste sacristie. On retrouve encore, à
Coutances, en avant des chapelles rayonnantes, les deux tourelles carrées
normandes, qui, comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bayeux|Bayeux]], contiennent des escaliers et séparent si
heureusement l’abside du chœur proprement dit. Comme style d’architecture,
la cathédrale de Coutances est complétement normande.
 
Le diocèse dans lequel le mélange du style normand et du style français
est le plus complet, ce doit être, et c’est en effet le diocèse de Rouen. La
cathédrale de Rouen occupait déjà, au XII<sup>e</sup> siècle, la surface de terrain
qu’elle occupe encore aujourd’hui. Rebâtie, pour la troisième fois, pendant
le cours du XI<sup>e</sup> siècle, elle fut entièrement réédifiée pendant la seconde
moitié du XII<sup>e</sup> siècle dans le style normand de transition.
 
De ces constructions (39), il ne reste que la tour dite de Saint-Romain,
qui s’élève au nord du portail occidental, les deux chapelles de l’abside,
celles des transsepts et les deux portes de la façade s’ouvrant dans les deux
collatéraux; ces derniers ouvrages même paraissent appartenir aux dernières
années du XII<sup>e</sup> siècle. Ainsi donc, lorsque Richard Cœur-de-Lion
mourut, en 1199, la cathédrale de Rouen avait déjà l’étendue actuelle.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Rouen.png|center]]
<div class="text">
C’est en 1204 que Philippe-Auguste arracha des mains de Jean sans
Terre la Normandie, et qu’il réunit à la couronne de France cette belle
province, ainsi que l’Anjou, le Maine et la Touraine, avec une partie du
Poitou. Peu après, de grands travaux furent entrepris dans la cathédrale
de Rouen. La nef, les transsepts et le sanctuaire durent être reconstruits, à
la suite d’un incendie, qui, probablement, endommagea gravement l’église
du XII<sup>e</sup> siècle. Là, comme dans les autres diocèses français, s’élève une
cathédrale au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, sous l’influence du pouvoir
monarchique, et, chose remarquable, à Rouen, les constructions qui
paraissent avoir été élevées sous le règne de Philippe-Auguste, c’est-à-dire
de 1210 à 1220 environ, appartiennent au style français, tandis que celles
qui datent du milieu du XIII<sup>e</sup> siècle sont empreintes du style ogival
normand. Ce fait curieux, écrit avec plus de netteté encore dans l’église
d’Eu, est d’une grande importance pour l’étude de l’histoire de notre
architecture nationale.
 
La Normandie possède, pendant toute la Période romane et de transition,
c’est-à-dire du XI<sup>e</sup> au XIII<sup>e</sup> siècle, une architecture propre, dont les
caractères sont parfaitement tranchés. Dans les édifices élevés pendant ce
laps de temps, la disposition des plans, la construction, l’ornementation
et les proportions de l’architecture normande, se distinguent entre celles
des provinces voisines, l’Île de France, la Picardie, l’Anjou et le Poitou.
 
Au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, lorsque l’architecture ogivale atteint,
pour ainsi dire, sa puberté, en sortant de son domaine elle étouffe les
écoles provinciales; si elle respecte parfois certaines traditions, certains
usages locaux qui n’ont d’influence que sur la composition générale des
plans, elle impose tout ce qui tient à l’art, savoir: les proportions, la
construction, les dispositions de détails et la décoration. Cette sorte de
tyrannie ne dure pas longtemps, car, de 1220 à 1230, nous voyons
l’architecture normande se réveiller et s’emparer du style ogival pour se
l’approprier, comme un peuple conquis modifie bientôt une langue imposée,
pour en faire un patois. Disons tout de suite, pour ne pas soulever contre
nous, non-seulement la Normandie, mais toute l’Angleterre, que le <i>patois</i>
ogival de ces contrées a des beautés et des qualités originales qui le mettent
au-dessus des autres dérivés, et qui pourraient presque le faire passer pour
une langue. Mais nous aurons l’occasion de développer notre pensée à la
fin de cet article.
 
La cathédrale de Rouen, reconstruite au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle,
adopta cependant certaines dispositions qui indiquent une singulière
hésitation de la part des architectes, probablement français, qui furent
appelés pour exécuter les nouveaux travaux. Dans la nef, le maître de
l’œuvre semble avoir voulu figurer une galerie de premier étage, comme
dans presque toutes les grandes églises de l’Île de France et du Soissonnais,
mais s’être arrêté à moitié chemin, et, au lieu d’une galerie voûtée,
avoir fait un simple passage sur des arcs bandés au-dessous des archivoltes
des bas-côtés, et pourtournant les piles (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Galerie|Galerie]]) au moyen de colonnettes
portées en encorbellement.
 
Dans l’église d’Eu, même étrangeté, mais parfaitement expliquée. Le
chœur, les transsepts et la dernière travée de la nef de cet édifice furent
élevés dès les premières années de la conquête de Philippe-Auguste, c’est-à-dire
de 1205 à 1210, en style français parfaitement pur, avec galerie
voûtée au premier étage, comme à Notre-Dame de Paris. De 1210 à 1220
environ, interruption; de 1220 à 1230, reprise des travaux; la nef est
continuée conformément aux dispositions premières, c’est-à-dire que tout
est préparé pour recevoir une galerie voûtée de premier étage au-dessus
des collatéraux; mais déjà les tailloirs des chapiteaux et les socles des
bases sont circulaires, les ornements et moulures sont devenus normands;
puis, en construisant, on se reprend, on coupe les chapiteaux destinés à
recevoir les voûtes formant galerie, on laisse seulement subsister les
archivoltes dans le sens de la longueur de la nef entre les piles; on ne
construit pas les voûtes devant servir de sol à la galerie de premier étage,
et ce sont les voûtes hautes de cette galerie qui deviennent voûtes des
collatéraux; les fenêtres de cette galerie supprimée et celles du rez-de-chaussée
se réunissent, en formant ainsi des baies démesurément longues.
 
La nef de la cathédrale de Rouen est de quelques années antérieure à
celle de l’église d’Eu. A-t-on voulu, dans ce dernier édifice, imiter la
disposition adoptée à Rouen, seulement quant à l’effet produit (les sous-archivoltes
de la nef de l’église d’Eu étant sans utilité puisqu’on ne peut
communiquer de l’un à l’autre, tandis qu’à Rouen ils forment une galerie)?
C’est probable... Quel que fut le motif qui dirigeât l’architecte de la cathédrale
de Rouen, toujours est-il que la disposition de sa nef ne fut plus
imitée ailleurs en Normandie, et que, dans cette province, dès que l’art
ogival se fut affranchi de l’influence française et eut acquis un caractère
propre, on ne voit plus de galeries voûtées de premier étage, ni rien qui les
rappelle; un simple triforium couronne les archivoltes des bas-côtés.
 
La cathédrale de Rouen, rebâtie presque totalement en style ogival
français, est terminée, à partir du niveau des voûtes des collatéraux, en
style ogival normand. Les quatre tours qui flanquent les transsepts, les
fenêtres, les corniches et les balustrades supérieures sont normandes.
Mais la nef de la cathédrale de Rouen était, comme toutes les nefs des
cathédrales françaises du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, dépourvue de
chapelles. À la fin de ce siècle, on en construisit entre les contreforts (39),
comme à la cathédrale de Paris. En 1302, on commença la reconstruction
de la chapelle de la Vierge, située dans l’axe au chevet, en lui donnant de
grandes dimensions, à la place de la chapelle du XII<sup>e</sup> siècle, qui n’était pas
plus grande que les deux autres chapelles absidales encore existantes.
Vers cette époque, on refit les deux pignons nord et sud des transsepts
(portail de la Calende et portail des Libraires). Ces travaux, du commencement
du XIV<sup>e</sup> siècle, surpassent comme richesse et beauté d’exécution
tout ce que nous connaissons en ce genre de cette époque.
 
Alors, la Normandie possède une école de constructeurs, d’appareilleurs
et de sculpteurs, qui égale l’école de l’Île de France.
Les portails de la Calende et des Libraires, la chapelle de la Vierge de la
cathédrale de Rouen, sont des chefs-d’œuvre<span id="note84"></span>[[#footnote84|<sup>84</sup>]].
 
Mais la cathédrale du XIII<sup>e</sup> siècle, dont les dispositions primitives étaient
déjà altérées au commencement du XIV<sup>e</sup> siècle, subit encore des changements
importants qui, malheureusement, ne furent pas aussi heureux que
ceux dont nous venons de parler. En 1430, les chanoines firent agrandir
les fenêtres du chœur, non par nécessité, mais parce que, comme le dit
Pommeraye<span id="note85"></span>[[#footnote85|<sup>85</sup>]], le chœur paraissait «sombre et ténébreux.» Les fenêtres
de la nef et une grande partie des couronnements extérieurs, des galeries
intérieures, furent également modifiés pendant le XV<sup>e</sup> siècle. En 1485 fut
commencée la construction de la tour qui flanque le portail au sud, connue
sous le nom de tour de Beurre<span id="note86"></span>[[#footnote86|<sup>86</sup>]]. Le cardinal George d’Amboise commença
la reconstruction de la façade occidentale, qui ne fut jamais achevée. Déjà,
au XIII<sup>e</sup> siècle, il existait, sur les quatre piliers de la croisée, une haute tour
carrée, dont deux étages subsistent encore; endommagée par le vent en
1353, puis réparée et brûlée en 1514 par la négligence des plombiers;
l’étage supérieur de cette tour fut reconstruit et surmonté d’une immense
flèche en bois recouvert de plomb, qui ne fut achevée qu’en 1544. La
foudre y mit le feu en 1821, et on l’a voulu remplacer de nos jours par
une flèche en fonte de fer<span id="note87"></span>[[#footnote87|<sup>87</sup>]].
 
Les dépendances de la cathédrale de Rouen étaient considérables, et,
sous son ombre, l’archevêché, un beau cloître, des écoles, des bibliothèques,
des sacristies, salles capitulaires et trésors étaient venus successivement
se grouper du côté du nord et de l’est. Il reste encore de beaux
fragments de ces divers bâtiments (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Cloître|Cloître]]).
 
Jusqu’à présent, nous avons vu l’architecture, née en France à la fin du
XII<sup>e</sup> siècle, se développer avec le pouvoir royal et pénétrer, à la suite de ses
conquêtes ou à l’aide de son influence politique, dans les provinces voisines
de l’Île de France. Cette révolution s’accomplit dans l’espace de peu
d’années, c’est-à-dire pendant la durée du règne de Philippe-Auguste.
Mais, jusqu’à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, elle ne dépasse pas les territoires que
nous venons de parcourir. Dans d’autres provinces, au sud et à l’ouest,
l’architecture romane suit paisiblement son cours naturel; si elle se
modifie, ce n’est pas dans son principe, mais dans les détails de son
ornementation.
 
L’église abbatiale de Saint-Front de Périgueux avait été élevée, vers la
fin du X<sup>e</sup> siècle, à l’imitation de l’église de Saint-Marc de Venise (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]]). <span id=Cahors>Peu après, ou en même temps peut-être, on élevait
l’église cathédrale de Périgueux<span id="note88"></span>[[#footnote88|<sup>88</sup>]] et l’église cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cahors|Cahors]], toutes deux sans transsepts, et présentant seulement une seule nef avec abside.
 
Nous donnons (40) le plan de ce dernier édifice. Il se compose de deux
coupoles portées sur six gros piliers, huit pendentifs et des arcs doubleaux.
L’abside est voûtée en cul-de-four, et trois petites chapelles s’ouvrent dans
le mur du sanctuaire.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Cahors.png|center]]
<div class="text">
L’église abbatiale de Saint-Front était plus étendue et plus riche que les
deux pauvres cathédrales de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cahors|Cahors]] et de la cité de Périgueux.
 
Dans les provinces de l’ouest, comme en Bourgogne, en Champagne, en
Normandie, les églises abbatiales, pendant les X<sup>e</sup> et XI<sup>e</sup> siècles, attiraient
tout à elles; mais si, dans les provinces du centre et de l’ouest, la renaissance
épiscopale fut moins active au XII<sup>e</sup> siècle que dans le nord et l’est,
elle fit cependant de grands efforts, sans trouver une école d’architectes
laïques toute prête à la seconder, et, dans les populations, un désir prononcé
de se constituer en corps de nation. D’ailleurs, l’architecture romane
de ces dernières provinces avait adopté, pour ses monuments religieux, un
mode de construction durable, solide, qui excluait les charpentes et, par
conséquent annulait les causes d’incendie; et nous voyons que, dans le
nord, à la fin du XII<sup>e</sup> siècle, la reconstruction de la plupart des cathédrales
romanes est provoquée par des incendies, comme si ce fléau avait voulu
venir en aide aux tendances de l’épiscopat et des populations urbaines.
 
<span id=Angouleme>À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Angouleme|Angoulême]], une cathédrale avait été bâtie au commencement du
XII<sup>e</sup> siècle, elle se composait d’une nef à quatre coupoles, avec une abside
et quatre chapelles rayonnantes (41). Vers le milieu de ce siècle, alors que
sur une grande partie du territoire de la France actuelle on élevait ou on
songeait à élever de nouvelles cathédrales plus vastes, on se contenta
d’agrandir la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Angouleme|Angoulême]], par l’adjonction des deux transsepts
surmontés de deux tours<span id="note89"></span>[[#footnote89|<sup>89</sup>]] , et on enrichit l’intérieur de la nef en incrustant
des colonnes engagées, et quelques détails d’architecture. La façade occidentale
fut reconstruite et couverte de sculpture. De la primitive église,
la première travée de la nef demeure seule intacte. À l’extérieur, les
couronnements furent refaits.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Angouleme.png|center]]
<div class="text">
Nous donnons (42), en A, la coupe sur le transsept nord de cette église,
et en B la coupe transversale sur la nef<span id="note90"></span>[[#footnote90|<sup>90</sup>]]. Les adjonctions et les réparations
à l’église primitive de Saint-Pierre d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Angouleme|Angoulême]] ne modifient pas le
système de construction. La tradition romane est conservée pure. En se
rapprochant des provinces du Nord, le style byzantin des églises de l’Ouest
allait, dès le milieu du XII<sup>e</sup> siècle, subir l’influence des écoles de l’Île de France et de Picardie.
</div>
[[Image:Coupe.cathedrale.Angouleme.png|center]]
<div class="text">
De 1145 à 1165, on bâtissait, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Angers|Angers]], la nef de la cathédrale<span id="note91"></span>[[#footnote91|<sup>91</sup>]]. Le
plan de cette nef (43) se rapproche beaucoup de celui de la nef de la cathédrale
d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Angouleme|Angoulême]] (fig. 41). Mais, à Saint-Maurice d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Angers|Angers]], la coupole a
fait place à la voûte d’arêtes. Au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, on élève
les transsepts et le chœur, en suivant encore le système adopté au XII<sup>e</sup>.
L’architecture du Nord n’impose ici ni ses dispositions de plans, ni même
son système de construction; car ces voûtes d’arêtes sont plutôt des
coupoles nervées que des voûtes en arcs d’ogives (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Voûte |Voûte ]]). Les nervures
diagonales sont une décoration plutôt qu’un moyen de construction. Point
de collatéraux, point de chapelles, une nef, des transsepts et un sanctuaire.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Angers.png|center]]
<div class="text">
Saint-Front de Périgueux avait été l’origine de tous les monuments à
coupole bâtis dans les provinces de l’Ouest pendant un siècle<span id="note92"></span>[[#footnote92|<sup>92</sup>]]. Mais, dans
le Poitou et les provinces du centre, il s’était, dès le XI<sup>e</sup> siècle, formé une
école de constructeurs dont le mode différait essentiellement de ceux
adoptés par les architectes romano-byzantins de l’ouest ou par ceux du
Nord. Une grande partie des églises romanes du Poitou, du Limousin, de
la Saintonge, de la Vendée et même du Berry, possèdent une nef avec
bas-côtés, dont les voûtes atteignent à peu près le même niveau; celles
des collatéraux, plus étroites, en berceau ou d’arêtes, servent de buttée aux
voûtes centrales en berceau (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]], fig. 12). C’est
conformément à ce principe que sont construites les églises de Saint-Savin
près Poitiers, de Notre-Dame la Grande, de Melle, de Surgère, de Saint-Euthrope
de Saintes, et même dans des provinces éloignées, de la cité de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Carcassonne|Carcassonne]] au XI<sup>e</sup> siècle, de Brives et de Limoges au XIII<sup>e</sup>. Ces trois nefs,
égales en hauteur, sinon en largeur, ne permettaient de prendre des jours
que dans les murs des collatéraux, la voûte centrale restant dans l’obscurité.
Ce mode de construction fut adopté pour l’édification de la cathédrale
de Poitiers, au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle. Seulement, l’architecte
donna à ses trois nefs une largeur à peu près égale, et les voûtes furent
faites en arcs d’ogives avec nerf portant des clefs centrales aux clefs des
arcs doubleaux.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Poitiers.png|center]]
<div class="text">
Voici (44) le plan de la cathédrale de Poitiers. Là encore, dans les dispositions
comme dans le système de la construction, l’influence du Nord est
nulle, quoique tous les arcs soient en tiers-points, ainsi que dans la cathédrale
d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Angers|Angers]]; elle se fait sentir dans le style des moulures et dans
l’ornementation. Grâce à la largeur et à la hauteur des travées, à la grandeur
des fenêtres jumelles ouvertes au-dessus de l’arcature des bas-côtés,
cet intérieur est fort clair. Les transsepts ne sont, à vrai dire, que des
chapelles latérales orientées, et les absides, tracées suivant une courbe
peu prononcée, ne paraissent pas à l’extérieur.
 
Du dehors, la cathédrale de Poitiers, couverte par un comble à deux
pentes, terminée à l’orient par un énorme mur pignon sans saillies et à
peine percé, paraît être plutôt une salle immense qu’une église avec nef et
collatéraux. Rien, dans le plan, n’indique ni le chœur, ni le sanctuaire.
Nous sommes disposés à croire que, comme à Saint-Pierre d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Angouleme|Angoulême]],
des tours avaient été projetées sur les deux transsepts. Une façade de style
français du Nord fut commencée, vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, à l’ouest, et
flanquée de deux petites tours non achevées. Les constructions supérieures
de cette façade ne datent que des XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles. Malgré sa
grandeur, la beauté de sa construction et de ses détails, c’est là, nous
l’avouons, un monument étrange, une exception qui ne trouve pas d’imitateurs.
</div>
[[Image:Coupe.cathedrale.Poitiers.png|center]]
<div class="text">
Nous donnons (45) la coupe transversale de la cathédrale de Poitiers,
dont les voûtes se rapprochent plutôt, comme à Saint-Maurice d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Angers|Angers]],
de la coupole nervée que de la voûte en arcs d’ogives (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Voûte |Voûte ]]). Dans
la cathédrale de Poitiers viennent se réunir et s’éteindre les anciennes
dispositions de plan et de coupe des églises romanes du Poitou, à trois nefs
égales de hauteur, et les traditions de la construction des coupoles
byzantines.
 
À partir du milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, l’architecture ogivale française s’impose
dans toutes les provinces réunies à la couronne, et même dans quelques-unes
de celles qui ne sont encore que vassales. Excepté en Provence et
dans quelques diocèses du Midi, les styles provinciaux s’effacent, et les
efforts des évêques tendent à élever des cathédrales dans le style de celles
qui faisaient l’orgueil des villes du Nord.
 
C’est de 1260 à 1275 que nous voyons trois villes importantes du Midi
jeter bas leurs cathédrales romanes pour élever des édifices dont la direction
fut évidemment confiée à un même architecte du Nord, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]] en
Auvergne, Limoges et [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]]. Ces trois diocèses commencent leurs,
cathédrales, la première en 1268 et la dernière en 1272, sur des plans
tellement identiques, qu’il est difficile de ne pas voir, dans ces trois monuments,
la main d’un même maître. Peut-être, cependant, la cathédrale de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]], tout en appartenant à la même école que les deux autres, fut-elle
élevée par un autre architecte; mais, quant aux cathédrales de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]]
et de Limoges, non-seulement ce sont les mêmes plans, mais les
mêmes profils, les mêmes détails d’ornementation, le même système de
construction.
 
<span id=Clermont.Ferrant2>Nous représentons ici (46) le plan de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]], la première en date<span id="note93"></span>[[#footnote93|<sup>93</sup>]].
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Clermont.png|center]]
<div class="text">
La construction de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]] fut commencée par le
chœur. L’ancienne église romane avait été laissée debout, son abside ne
venant guère que jusqu’à l’entrée du chœur nouveau<span id="note94"></span>[[#footnote94|<sup>94</sup>]]. Le sanctuaire
achevé vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, l’église romane fut démolie, sauf la
façade occidentale, et on continua l’œuvre pendant les premières années
du XIV<sup>e</sup> siècle. Quatre travées de la nef furent complétées. Le travail, alors
suspendu, ne fut plus repris, et on voit encore les restes de la façade du
XI<sup>e</sup> siècle<span id="note95"></span>[[#footnote95|<sup>95</sup>]]. La partie orientale de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]], entièrement
bâtie en lave de Volvic, est admirablement construite, bien que l’on
s’aperçoive de l’extrême économie imposée au maître de l’œuvre. Absence
d’arcature dans les soubassements des chapelles, sculpture rare, pas de
formerets aux voûtes. Ce qui est surtout remarquable, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]] comme
à Limoges et à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]], c’est la concession faite évidemment aux traditions méridionales par l’architecte du Nord. Ainsi, les bas-cotés et les
chapelles sont couverts en terrasses dallées, quoique le triforium ne soit
point à claire-voie. Les fenêtres hautes ne remplissent pas complétement
l’intervalle entre les piliers, mais laissent entre elles des trumeaux d’une
certaine largeur, ce qui est tout à fait contraire au système adopté dans
toutes les églises du Nord de cette époque. Deux des chapelles carrées du
chœur, au nord, sont consacrées au service de la sacristie, avec trésor
au-dessus.
 
À la cathédrale de Limoges, dont nous donnons le plan (47), c’est au
sud et de la même manière que sont placés les services pris aux dépens
de deux chapelles. Dans les chapelles absidales de ces deux plans, qui
présentent non-seulement des dispositions, mais encore des dimensions
semblables, on remarquera la petite travée d’entrée qui précède le polygone;
c’est là un parti que nous ne trouvons adopté que dans les chapelles
absidales de la cathédrale de Reims. Du reste, comme à Reims, comme à
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], les chapelles rayonnantes sont toutes égales entre elles; il n’y a
pas de chapelle plus profonde dans l’axe, comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], à Troyes, etc.
 
<span id=Clermont.Ferrant1>La nef de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]] appartient au XIV<sup>e</sup> siècle; celle de
la cathédrale de Limoges au XV<sup>e</sup> et même au XVI<sup>e</sup><span id="note96"></span>[[#footnote96|<sup>96</sup>]], ainsi que le pignon du
transsept nord. L’histoire de la construction de ces deux monuments est
donc semblable. Les ressources que les chapitres et les évêques de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]]
et de Limoges avaient pu réunir, vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, pour rebâtir
leurs cathédrales, furent promptement épuisées; et, à Limoges, ce ne fut
qu’à la fin du XV<sup>e</sup> siècle que les travaux purent être repris, pour être de
nouveau abandonnés.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Limoges.png|center]]
<div class="text">
<span id=Narbonne2>À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]], siège archiépiscopal, la cathédrale de Saint-Just, dont nous
admirons aujourd’hui le chœur, ne sortit de terre que vers les dernières
années du XIII<sup>e</sup> siècle; entre cet édifice et ceux de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]] et de Limoges,
on remarque une différence notable dans le style des moulures et des
détails de la construction. La cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]], conçue d’après des
données beaucoup plus vastes que ses deux devancières, ne vit élever, de
1272 à 1330 environ, que son chœur (48)<span id="note97"></span>[[#footnote97|<sup>97</sup>]].
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Narbonne.png|center]]
<div class="text">
Vers cette époque, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]] perdit son antique importance par suite de
l’ensablement de son port. Là cathédrale resta inachevée; les transsepts ne
furent même pas élevés<span id="note98"></span>[[#footnote98|<sup>98</sup>]]. La construction de ce vaste chœur est admirablement
traitée, par un homme savant et connaissant parfaitement toutes
les ressources de son art. <span id=Narbonne1>Il semble même qu’on ait voulu, avant tout, à
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]], faire preuve de savoir. Les chapiteaux des piles sont complétement
dépourvus de sculpture; le triforium est d’une simplicité rare; mais,
en revanche, l’agencement des arcs, les pénétrations des moulures, les profils,
sont exécutés avec une perfection qui ne le cède à aucun de nos édifices
du nord. Les voûtes sont admirablement appareillées et construites.
Celles des chapelles et des bas-côtés qui reçoivent, comme à Limoges et à
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]], un dallage presque horizontal, ont 0<sup>m</sup>,40 d’épaisseur et sont maçonnées
en pierres dures. L’ensemble de la construction, bien pondéré, dont
les poussées et les buttées sont calculées avec une adresse incomparable,
n’a pas fait le moindre mouvement; les piles sont restées parfaitement
verticales. L’architecte, afin de ne pas affaiblir ses points d’appui principaux
par les passages des galeries, a fait tourner le mur extérieur du
triforium autour des piles (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]], fig. 38). Cette
même disposition se retrouve également à la cathédrale de Limoges. Mais
outre la grandeur de son plan, ce qui donne à la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]]
un aspect particulier, c’est la double ceinture de créneaux qui
remplace les balustrades sur les chapelles, et qui réunit les culées des
arcs-boutants terminées en forme de tourelles (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Arc-boutant|Arc-boutant]], fig. 65).
C’est qu’en effet cette abside se reliait aux fortifications de l’archevêché et
contribuait, du côté du nord, à la défense de ce palais (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Évêché|Évêché]]).
C’était, dans les villes du Midi, un usage fréquent de fortifier les cathédrales.
<span id=Beziers>Celle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beziers|Béziers]], outre ses fortifications de la fin du XIII<sup>e</sup> siècle,
laisse voir encore des traces nombreuses de ses fortifications du XII<sup>e</sup>. La
partie de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Carcassonne|Carcassonne]] qui date du XI<sup>e</sup> siècle se reliait aux
fortifications de la cité.
 
<span id="Alby10">Au XIV<sup>e</sup> siècle, nous voyons encore les archevêques d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Alby|Alby]] élever une
cathédrale qui présente tous les caractères d’une forteresse. Ce fait n’a rien
d’extraordinaire, quand on se rappelle les guerres féodales, religieuses et
politiques qui ne cessèrent de bouleverser le Languedoc pendant les XII<sup>e</sup>,
XIII<sup>e</sup> et XIV<sup>e</sup> siècles. Pour en revenir à la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]], on remarquera
la disposition neuve et originale des chapelles nord du chœur,
laissant entre elles et le collatéral un étroit bas-côté qui produit un grand
effet, en donnant à la construction beaucoup de légèreté, sans rien ôter
de la solidité. Il est vraisemblable que cette disposition devait être adoptée
dans la nef, qui, comme celles de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]] et de Limoges, avait été
projetée avec des chapelles latérales.
 
À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]], la sacristie et le trésor sont disposés dans deux des
chapelles du chœur, au sud; c’est encore là un point de ressemblance
avec [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]] et Limoges (voy. fig. 46 et 47). Les fenêtres de ces trois
monuments furent garnies de vitraux; mais ceux de la cathédrale de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]], posés seulement pendant le XIV<sup>e</sup> siècle, ne présentent, dans
toutes les chapelles, excepté dans celle de la Vierge, que des grisailles
avec entrelacs de couleur et écussons armoyés; il semble que l’on ait
tenu à bannir la sculpture et la peinture de cette église; aussi est-elle
d’un aspect passablement froid. C’est plutôt là l’œuvre d’un savant que
d’un artiste. <span id=Narbonne3>Le sanctuaire de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]], comme celui de Limoges, a
conservé sa clôture formée de tombeaux d’évêques (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Tombeau |Tombeau ]]). La
cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]] possède encore son cloître du XV<sup>e</sup> siècle, au flanc
sud du chœur, comme celle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beziers|Béziers]] (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Cloître|Cloître]]), et des dépendances,
entre autres une salle capitulaire d’un fort bon style.
 
Saint-Just de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]] est un édifice unique dans cette contrée du sol
français et par son style et par ses dimensions; car les cathédrales du
Languedoc sont généralement peu étendues, et la plupart ne sont que des
édifices antérieurs aux guerres des Albigeois, réparées ou reconstruites en
partie à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle et pendant le XIV<sup>e</sup> siècle.
 
Toulouse, seule peut-être, possédait, au XII<sup>e</sup> siècle, une grande cathédrale
à nef unique sans collatéraux, autant qu’on peut en juger par le tronçon
qui nous reste de ce vaste et bel édifice<span id="note99"></span>[[#footnote99|<sup>99</sup>]]. Mais Toulouse était, au XII<sup>e</sup> siècle,
une ville riche, très-populeuse, et fort avancée dans la culture des arts.
 
<span id=Carcassonne1>Avec celle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beziers|Béziers]], la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Carcassonne|Carcassonne]]<span id="note100"></span>[[#footnote100|<sup>100</sup>]] est une de celles
qui nous présente cette invasion du style ogival, du Nord, dans un monument
roman du Midi. Nous donnons (49) le plan de ce curieux monument.
La nef et ses deux collatéraux, jusqu’aux transsepts, appartiennent à une
église de la fin du XI<sup>e</sup> siècle. Immédiatement après que [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Carcassonne|Carcassonne]] eut été
réunie à la couronne de France sous saint Louis, l’évêque Radulphe fit
construire, à l’extrémité du transsept sud (qui alors était roman et devait
avoir l’étendue actuelle), la chapelle teintée en gris sur le plan, en style
ogival quelque peu bâtard, et la salle voisine<span id="note101"></span>[[#footnote101|<sup>101</sup>]]. Au commencement du
XIV<sup>e</sup> siècle, l’évêque Pierre de Roquefort ou Rochefort démolit le chœur,
les transsepts romans, et bâtit la partie orientale de la cathédrale que nous
voyons aujourd’hui, en style ogival pur français. <span id=Carcassonne3>Cependant, soit qu’on ait
voulu se tenir sur les fondations anciennes du chevet et des transsepts
romans, soit qu’on ait voulu conserver une disposition traditionnelle et
que nous ne voyons guère adoptée, en dehors de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Carcassonne|Carcassonne]], que dans
l’église d’Obazine, on donna à la nouvelle construction un plan qui ne
trouve d’analogue nulle part dans le Nord; mieux encore: dans la nef
romane, il existe des piles alternativement carrées, cantonnées de demi-colonnes,
et cylindriques. Cette forme de pilier, qui n’est pas ordinaire dans
les constructions d’églises du XIII<sup>e</sup> et du XIV<sup>e</sup> siècle, fut adoptée pour les six
piliers formant têtes des chapelles et du sanctuaire, c’est-à-dire que les
deux piles de la croisée, à l’entrée de l’abside, rebâties en face des deux
piliers romans laissés en place, prirent la section horizontale en plan de ces
derniers, et que les quatre autres piles séparant les chapelles des transsepts
prirent la forme cylindrique, comme pour se relier avec la vieille église;
partout ailleurs les sections des piliers du XIV<sup>e</sup> siècle adoptent les formes
usitées à cette époque. L’évêque Pierre de Roquefort, en faisant rebâtir la
partie orientale de sa cathédrale, avait donc l’intention de borner là son
entreprise et de respecter la nef romane, puisqu’il cherchait à conserver,
entre les deux constructions, une certaine harmonie, malgré la différence
de style. Ce n’était plus cette confiance des évêques du Nord, qui, au
XIII<sup>e</sup> siècle, lorsqu’ils laissaient subsister, pour le service du culte, une portion
d’église antérieure, ne le faisaient qu’à titre provisoire, et ne songeaient
guère à raccorder leurs nouveaux projets avec ces débris romans destinés
à être jetés bas aussitôt que l’avancement de l’œuvre nouvelle l’aurait
permis. On voit, d’ailleurs, combien les constructions dernières de la
cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Carcassonne|Carcassonne]] sont exiguës; on rebâtissait l’église pour se
conformer au goût du temps, mais on ne pensait pas à l’agrandir<span id="note102"></span>[[#footnote102|<sup>102</sup>]]; tandis
qu’à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]] et à Limoges encore, bien que ces cathédrales ne soient pas
d’une grande dimension, on avait cependant beaucoup augmenté, au
XIII<sup>e</sup> siècle, le périmètre des églises romanes<span id="note103"></span>[[#footnote103|<sup>103</sup>]]. Si, à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle,
dans le Nord, la puissance qui avait fait élever les cathédrales commençait
à s’affaiblir, il est évident que, dans les provinces du Midi, et même dans
celles alors réunies à la couronne de France, il n’y avait plus qu’un reste
de l’impulsion provoquée par le grand mouvement de la fin du XII<sup>e</sup> siècle.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Carcassonne.png|center]]
<div class="text">
L’évêque Pierre de Roquefort sembla vouloir, du moins, faire de sa
petite cathédrale de Saint-Nazaire, si modeste comme étendue, un chef-d’œuvre
d’élégance et de richesse. Contrairement à ce que nous voyons à
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]], où la sculpture fait complétement défaut, l’ornementation fut
prodiguée dans l’église Saint-Nazaire. Les verrières immenses et nombreuses
(car ce chevet et ces transsepts sont une véritable lanterne) sont de la
plus grande magnificence (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Vitrail |Vitrail ]]) comme composition et couleur. Le
sanctuaire, décoré des statues des apôtres, était entièrement peint. Les
deux chapelles latérales de l’extrémité de la nef, au nord et au sud, ne
furent probablement élevées qu’après la mort de Pierre de Rochefort, car
elles ne se relient pas aux transsepts comme construction, et dans l’une
d’elles, celle du nord, est placé, non pas après coup, le tombeau de cet
évêque, l’un des plus gracieux monuments du XIV<sup>e</sup> siècle que nous connaissions
(voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Tombeau |Tombeau ]]).
 
<span id=Carcassonne2>Les grands vents du sud-est et de l’ouest qui règnent à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Carcassonne|Carcassonne]]
avaient fait ouvrir la porte principale au nord de la nef romane; une autre
porte est percée dans le pignon du transsept nord. Le clocher de l’église,
qui datait du XI<sup>e</sup> siècle, s’élevait sur la première travée de la nef et servait
de défense, car il dominait la muraille de la cité, qui, alors, passait au raz
du mur occidental.
 
En A est le cloître; il reliait les bâtiments du chapitre et de l’évêché à
l’église. Des deux côtés du sanctuaire, entre les contreforts, sont réservés
deux petits sacraires qui ne s’élèvent que jusqu’au-dessous de l’appui des
fenêtres. Ces sacraires sont garnis d’armoires doubles fortement ferrées et
prises aux dépens du mur. Ils servaient de trésors, car il était d’usage de
placer, des deux côtés de l’autel principal des églises abbatiales ou des
cathédrales, des armoires destinées à contenir les vases sacrés, les reliquaires
et tous les objets précieux. À Saint-Nazaire, on avait habilement profité des
dispositions de la construction pour établir d’une manière fixe ces sacraires
qui, le plus souvent, n’étaient que des meubles (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Autel|Autel]]).
 
Les cathédrales des diocèses de la France actuelle avaient tous, ou peu
s’en faut, reconstruit leurs cathédrales pendant les XII<sup>e</sup>, XIII<sup>e</sup> et XIV<sup>e</sup> siècles;
ceux dont l’œuvre de reconstruction n’avait été commencée que tardivement
ne purent, la plupart, la terminer. Les guerres qui, pendant la
dernière moitié du XIV<sup>e</sup> siècle et le commencement du XV<sup>e</sup>, ensanglantèrent
le sol français, ne permirent pas de continuer ces monuments tardifs. Ce fut
seulement à la fin du XV<sup>e</sup> siècle et au commencement du XVI<sup>e</sup> que l’on reprit
les travaux. Alors, comme nous l’avons dit en décrivant quelques-uns de
ces grands édifices, on fit de nouveaux efforts; à Troyes, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Auxerre|Auxerre]], à
Tours, à Évreux, à Rouen, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], à Limoges, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]], à Nevers, etc.,
les évêques et les chapitres consacrèrent des sommes considérables à
parfaire des monuments que le refroidissement du zèle des populations et
les guerres avaient laissés incomplets. Quelques cathédrales, en bien petit
nombre, furent commencées à cette époque. Le XV<sup>e</sup> siècle vit fonder la
cathédrale de Nantes, celles d’Auch, de Montpellier, de Rhodez, de Viviers;
les guerres religieuses du XVI<sup>e</sup> siècle firent de nouveau suspendre les
travaux.
 
Nous ne devons pas quitter ce sujet sans parler de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Alby|Alby]];
monument exceptionnel, tant à cause du principe de sa construction et de
ses dispositions particulières, que par la nature des matériaux employés,
la brique.
 
Nous donnons (50) le plan de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Alby|Alby]]<span id="note104"></span>[[#footnote104|<sup>104</sup>]]. Déjà nous avons
parlé de deux cathédrales du midi de la France qui pouvaient, au besoin,
servir de forteresses: [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]] et [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beziers|Béziers]]; ce parti est plus franchement
accusé encore dans l’église Sainte-Cécile d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Alby|Alby]]. La tour occidentale est
un véritable donjon, sans ouvertures extérieures à rez-de-chaussée. Du
côté méridional, une porte fortifiée se reliant à une enceinte défendait
l’entrée qui longeait le flanc de la cathédrale et s’élevait au niveau du sol
intérieur au moyen d’un large emmarchement. Du côté du nord, des
sacristies fortifiées reliaient la cathédrale à l’archevêché, fort bien défendu
par d’épaisses murailles et un magnifique donjon.
 
<span id="Alby6">Sainte-Cécile d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Alby|Alby]], commencée vers le milieu du XIV<sup>e</sup> siècle, n’est
qu’une salle immense terminée par une abside et complétement entourée
de chapelles, polygonales au chevet, carrées dans la nef. Ces chapelles sont
prises entre les contreforts qui contrebuttent la grande voûte; à deux
étages, ces chapelles communiquent toutes entre elles, au premier étage,
par des portes percées dans les contreforts, et forment ainsi une galerie.
Ces chapelles du rez-de-chaussée sont, les unes voûtées en berceau ogival,
les autres en arcs d’ogives, irrégulièrement, ainsi que l’indique le plan.
Les voûtes du premier étage des chapelles sont toutes en arcs d’ogives.
Les contreforts, ou séparation des chapelles, au-dessus du soubassement
continu, se dégagent en tourelles flanquantes dont la section horizontale
donne un arc de cercle dont la flèche est courte. Des fenêtres étroites et
longues, percées seulement au premier étage, dans les murs, entre les
contreforts, éclairent le vaisseau.
</div>
[[Image:Plan.cathedrale.Alby.png|center]]
<div class="text">
<span id="Alby11">La construction de cette église fut interrompue vers le commencement
du XV<sup>e</sup> siècle; les couronnements projetés, et qui certainement ne devaient
être qu’un crénelage, ne furent pas montés. Au commencement du
XVI<sup>e</sup> siècle, on se contenta de placer des balustrades aux différents étages
de la tour, de faire quelques travaux intérieurs, le porche sud, et la clôture
du chœur avec un jubé qui occupe la moitié du vaisseau, et forme ainsi
comme un bas-côté autour du sanctuaire. Ce grand édifice, entièrement
bâti en briques, excepté les meneaux des fenêtres, les balustrades et la
clôture du chœur qui sont en pierre, fut enduit à l’intérieur, et complètement
couvert de peintures de la fin du XV<sup>e</sup> siècle et du XVI<sup>e</sup><span id="note105"></span>[[#footnote105|<sup>105</sup>]].
 
La cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Alby|Alby]] est certainement l’édifice ogival le plus imposant
des provinces du Midi; il est d’ailleurs original, et n’a pas subi, comme
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]], Rhodez, Mende, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beziers|Béziers]], les influences du Nord. Il dérive des
églises de la ville basse de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Carcassonne|Carcassonne]], de l’ancienne cathédrale de Toulouse,
monuments religieux sans bas-côtés, qui n’étaient eux-mêmes
qu’une application des constructions quasi-romaines de Fréjus, de Notre-Dame
des Dons d’Avignon, de la Major de Marseille, églises rappellant le
système de construction adopté dans la basilique de Constantin à Rome.
 
<span id="Alby14">Si la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Alby|Alby]] est un édifice ogival dans les moyens d’exécution,
il faut reconnaître qu’il est, comme disposition de plan, comme structure,
complétement roman et même antique. Le style ogival n’est là qu’une
concession faite au goût du temps, l’application d’une forme étrangère,
nullement une nécessité. La voûte de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Alby|Alby]] pourrait être un
grand berceau plein-cintre, pénétré par les petits berceaux transversaux
fermant les travées entre les contreforts; la stabilité de l’édifice n’eût rien
perdu à l’adoption de ce dernier système roman ou romain; et nous dirons
même que les voûtes en arcs d’ogives qui couvrent les travées entre les
contreforts, à la hauteur de la grande voûte, sont un non-sens; la véritable
construction de ces voûtes eût dû être faite en berceaux, bandés perpendiculairement
à la nef et portant sur ces contreforts. Ce parti eût été plus
solide et surtout plus logique.
 
C’est en étudiant les monuments qui ont admis les formes de l’architecture
ogivale sans en bien comprendre l’esprit, que l’on reconnaît combien
le style adopté, à la fin du XII<sup>e</sup> siècle, dans le nord de la France est impérieux;
combien il se sépare nettement de tous les autres modes d’architecture
antérieurs.
 
L’architecture romane est multiple; dérivée du principe antique romain,
elle a pu pousser des rameaux divers, ayant chacun leur caractère particulier;
il n’en est pas et ne peut en être de même de l’architecture ogivale;
il n’y a qu’une architecture ogivale, il y a dix, vingt architectures romanes.
Nous voyons en Aquitaine, en Auvergne, en Poitou, en Normandie, en
Bourgogne, en Alsace, en Provence, en Picardie, dans l’Île de France, dans
le Maine, en Champagne, des écoles romanes qui se développent chacune
dans leur propre sphère, bien qu’elles soient filles de la même mère,
comme les langues italienne, française, espagnole se sont développées
chacune de leur côté, quoique dérivées du latin. Pourquoi? C’est que dans
l’architecture romane, comme dans l’architecture antique, la forme d’art,
l’enveloppe ne dépend pas absolument de la construction, du besoin à
satisfaire; l’art est libre, il ne dépend que de la tradition et de l’inspiration;
il n’est pas une déduction d’un principe absolu. Veut-on des exemples?
Nous ne répéterons pas ici ce qu’on a dit du temple grec, qui reproduit
en pierre ou en marbre une construction de bois; nous estimons trop
ces maîtres dans tous les arts, pour les accuser d’avoir ainsi manqué aux
règles les plus simples du bon sens, et par conséquent du bon goût; mais
il est certain que, dans l’architecture grecque, les <i>ordres</i> prennent une
importance, comme art, qui domine l’architecte; l’art est le maître de son
imagination, plus fort que son raisonnement; aussi, que fait l’artiste? Il
fait tendre toutes les facultés de son esprit à perfectionner cette forme qui
l’étreint; ne pouvant l’assouplir, il la polit. Les Romains, peu artistes de
leur nature, prennent la forme de l’art grec pour l’appliquer à des monuments
qui n’ont aucun rapport avec les principes de cet art. Ils trouvent
des ordres; entre tous, ils adoptent volontiers le plus riche; confondant,
comme tous les parvenus, la richesse avec la beauté, et ces ordres, dont
l’origine est parfaitement rigoureuse et définie, ils les appliquent au
rebours de cette origine; les Romains veulent des arcs et des voûtes; les
Grecs ne connaissaient que la plate-bande. On devrait conclure de ceci que
les Romains ont trouvé ou cherché une forme nouvelle propre à leur
nouveau système de construction; point. Les Romains prennent la forme
grecque, l’architecture grecque, les ordres grecs, et les plaquent, comme
une dépouille, contre leur construction; peu leur importe que la raison
soit choquée de ce contresens; ils sont les maîtres, mais ce sont des maîtres
qui font passer le besoin, la nécessité avant la satisfaction des yeux; il
leur faut de vastes monuments voûtés; ils les construisent d’abord, puis,
leur programme rempli, trouvant un art tout fait, ils s’en emparent, et
l’accrochent à leurs murailles comme on accroche un tableau. Que ceux
qui voudraient nous taxer d’exagération nous expliquent comment, par
exemple, on trouve, autour du Colysée, des ordres complets avec leurs
plates-bandes (des plates-bandes sur des arcs!); dans l’intérieur des salles
des Thermes, des ordres complets, avec leurs corniches saillantes, sous
des voûtes (des corniches saillantes à l’intérieur, comme s’il pleuvait dans
l’intérieur d’une salle!). Il est évident que les Grecs, amants avant tout de
la forme, ayant trouvé cette admirable combinaison des ordres, étant
parvenus, guidés par un goût parfait, à donner à ces ordres des proportions
inimitables, se sont mis à adorer leur œuvre et à lui sacrifier souvent
la nécessité et la raison; car, pour eux, le premier de tous les besoins
était de plaire aux sens; que les Romains, indifférents au fond en matière
d’art, mais désireux de s’approprier tout ce qui dans le monde avait une
valeur, ont voulu habiller leur architecture à la grecque, croyant que l’art
n’est qu’une parure extérieure qui embellit celui qui la porte, quelle que
soit sa qualité ou son origine.
 
L’habitude prise par les Romains de se vêtir des habits d’autrui a fini par
produire, on le conçoit facilement, les costumes les plus étranges. L’architecture
romane, dérivée de l’architecture romaine, n’ayant plus même
sous les yeux ces principes grecs pillés par les Romains, a interprété les
traditions corrompues de cent façons différentes. La forme n’étant pas
intimement liée à la matière, n’en étant pas la déduction logique, chacun
l’interprétait à sa guise. C’est ainsi que l’art roman a pu, à son tour, s’emparer
des lambeaux du vêtement romain, sans en comprendre l’usage,
puisqu’il n’était qu’une parure empruntée, et arriver, dans les différentes
provinces des Gaules, à former des écoles séparées et qui pouvaient se
diviser à l’infini. Il n’en est pas ainsi de l’architecture qui, naît au XII<sup>e</sup> siècle;
fille du <i>rationalisme</i> moderne, chez elle le calcul précède l’application
de la forme; bien plus, il la commande, il la soumet; si, par ce besoin
naturel à l’homme, il veut qu’elle soit belle, il faut que ce soit suivant la
loi d’unité.
 
En entrant dans le domaine d’un autre art, nous pourrons peut-être
nous faire mieux comprendre... L’architecture antique, c’est la mélodie;
l’architecture du moyen âge, c’est l’harmonie. L’harmonie, dans le sens
que nous attachons à ce mot, c’est-à-dire l’arrangement et la disposition
des sons simultanés, était inconnue chez les anciens Grecs; l’antiphonie,
au temps d’Aristote, était seule pratiquée, c’est-à-dire les octaves produits
par des voix d’hommes et de femmes ou d’enfants chantant la même
mélodie. Ce ne fut que pendant les premiers siècles de notre ère que
l’usage des quartes et des quintes fut admis dans la musique grecque, et
encore l’échelle tonale de ses modes se prêtait si peu aux sons simultanés,
que la pratique de l’harmonie était hérissée de difficultés et son emploi
fort restreint. M. Vincent<span id="note106"></span>[[#footnote106|<sup>106</sup>]], malgré des efforts persévérants pour découvrir
les traces de l’harmonie chez les Grecs, n’a encore pu arriver à aucun
résultat concluant.
 
Dans l’Église latine, au contraire, l’harmonie n’a cessé de prendre des
développements rapides, et c’est principalement au moyen âge qu’il faut
rapporter l’invention et l’établissement des règles qui ont élevé cet art à
la plus merveilleuse puissance.
 
Dès l’époque de Charlemagne, on trouve des traces de l’art de combiner
les sons simultanés, et cet art s’appelle <i>organum</i>, <i>ars organandi</i>. Il était
réservé à Hucbald, moine de Saint-Amand au X<sup>e</sup> siècle, de donner une
grande impulsion à l’harmonie, en établissant des règles fixes et fécondes.
Aux diaphonies à mouvements semblables succéda, au XI<sup>e</sup> siècle, la diaphonie
à mouvements contraires et à intervalles variés, comme le prouvent
les ouvrages de Jean Cotton et d’autres auteurs. Enfin, pendant les XII<sup>e</sup> et
XIII<sup>e</sup> siècles, l’harmonie s’enrichit successivement de tous les accords qui
forment la base de la composition musicale moderne; et les traités de
Jean de Garlande, de Pierre Picard, de Jérôme de Moravie, etc., prouvent
surabondamment l’emploi, dans la symphonie, des tierces, des quartes,
des quintes, des sixtes, des septièmes même, la résolution des intervalles
dissonants sur des consonnances par mouvement contraire; et bien plus
encore, l’existence des notes de passage, du contrepoint double et des
imitations<span id="note107"></span>[[#footnote107|<sup>107</sup>]].
 
Or, s’il est deux arts qui peuvent être comparés, ce sont certainement la
musique et l’architecture; ils s’expliquent l’un par l’autre; ils ne procèdent
ni l’un ni l’autre de l’imitation de la nature; ils créent. Pour créer, il faut
calculer, prévoir, construire. Le musicien qui seul, sans instruments, sans
articuler un son, entend, la plume à la main et le papier réglé devant lui,
la composition harmonique la plus compliquée, qui calcule et combine
l’effet des sons simultanés; l’architecte qui, à l’aide d’un compas et d’un
crayon, trace des projections sur sa planchette, et voit, dans ces tracés
géométriques et dans des chiffres, tout un monument, les effets des pleins
et des vides, de la lumière et des ombres; qui prévoit, sans avoir besoin
de les peindre, les mille moyens d’élever ce qu’il conçoit; tous deux,
musicien et architecte, sont bien forcés de soumettre l’inspiration au
calcul. Les peuples primitifs trouvent tous des mélodies; c’est la création
d’instinct, l’épanchement extérieur par les sons d’un sentiment; mais à
notre civilisation moderne seule appartient l’harmonie; c’est la création
voulue, préméditée, calculée, raisonnée de l’homme qui est tourmenté par
l’éternel «Pourquoi?» qui cherche, travaille, et veut, en produisant un
effet, en obtenant un résultat, que son labeur paraisse, qu’on apprécie les
efforts de sa raison et la science qu’il lui a fallu déployer pour créer...
Vanité!... soit; mais plus l’homme mordra au fruit de l’arbre de la science,
plus sa vanité croîtra; peut-être (Dieu veuille que nous nous trompions!)
le jour n’est-il pas éloigné où l’amour de l’art sera remplacé par la vanité
de l’art.
 
L’architecture grecque est une mélodie rhythmée; mais ce n’est qu’une
mélodie, admirable, nous en tombons d’accord. Enlevez d’une mélodie
un membre, ce qui restera n’en sera pas moins un fragment de mélodie;
enlevez un ordre d’un temple grec, ce sera toujours un ordre que vous
pourrez appliquer à un palais, à une maison, à un tombeau. D’un morceau
d’harmonie, d’une symphonie, retirez une partie, il ne reste rien, puisque
l’harmonie n’est telle que par la simultanéité des sons.
 
De même, dans un édifice ogival, toutes les parties se tiennent; elles
n’ont adopté certaines formes que par suite d’un accord d’ensemble. La
lecture de ce <i>Dictionnaire</i> le prouverait; nous ne pouvons nous occuper
d’un détail de l’architecture ogivale, et expliquer sa fonction, qu’en indiquant
sa place, les circonstances qui ont imposé sa forme, sa raison d’être,
indépendamment du goût de l’artiste ou du style dominant. Le même
souffle moderne qui faisait substituer l’harmonie à la mélodie dans la
musique, faisait, au XII<sup>e</sup> siècle, remplacer, dans l’architecture, les traditions
plus ou moins corrompues de l’art antique, par une succession de combinaisons
soumises à un principe absolu. Les cathédrales sont le premier et
le plus grand effort du génie moderne appliqué à l’architecture, elles
s’élèvent au centre d’un ordre d’idées opposé à l’ordre antique. Et, pendant
qu’on les construisait, les études de la philosophie grecque, du droit
romain, de l’administration romaine, étaient en grande faveur.
 
Au XII<sup>e</sup> siècle, l’esprit moderne prit à l’antiquité certains principes de
vérité éternelle pour se les approprier et les transformer. Au XVI<sup>e</sup> siècle, on
s’empara de la forme antique, sans trop se soucier du fond. C’est donc une
erreur, nous le croyons, de présenter, comme quelques écrivains de notre
temps ont voulu le faire, l’architecture née au XII<sup>e</sup> siècle comme une sorte
de déviation de l’esprit humain; déviation brusque, sans relations avec ce
qui a précédé et ce qui doit suivre. Si l’on prend la peine d’étudier sérieusement
cet art, en mettant de côté ces reproches banals engendrés par la
prévention, répétés par tous les esprits paresseux, on y trouvera, au
contraire, développés avec une grande énergie, les éléments de ce que
nous appelons nos conquêtes modernes, l’ordre général avec l’indépendance
individuelle, l’unité dans la variété; l’harmonie, le concours de tous les
membres vers un centre commun; la science qui s’impose à la forme; la
raison qui domine la matière; la critique enfin, pour nous servir d’un mot
de notre temps, qui veut que la tradition et l’inspiration soient soumises à
certaines lois logiques. Et ce n’est pas seulement dans la combinaison
géométrique des lignes de l’architecture ogivale que nous trouvons l’expression
de ces principes, c’est encore dans la sculpture, dans la statuaire.
 
L’ornementation et l’iconographie de nos grandes cathédrales du Nord
se soumettent à ces idées d’ordre, d’harmonie universelle. Ces myriades de
figures, de bas-reliefs qui décorent <i>la cathédrale</i> composent un cycle
encyclopédique, qui renferme non-seulement toute la nature créée, mais
encore les passions, les vertus, les vices et l’histoire de l’humanité, ses connaissances
intellectuelles et physiques, ses arts et même ses aspirations vers
le bien absolu. Le temple grec est dédié au culte de Minerve, ou de Neptune,
ou de Diane; et, considérant ces divinités au point de vue mythologique le
plus élevé, on ne peut disconvenir qu’il y a là comme un morcellement de
la Divinité. Le temple de Minerve est à Minerve seule; son culte ne satisfait
qu’à un ordre d’idées. Le Grec qui désire se rendre propices <i>les divinités</i>,
c’est-à-dire la puissance surnaturelle maîtresse de l’univers et de sa propre
existence, doit aller successivement sacrifier à la porte des douze dieux de
l’Olympe; il ne peut, à son point de vue, croire qu’un sacrifice fait à Cérès
pour obtenir de bonnes récoltes, lui rendra Neptune favorable, s’il doit
faire un voyage sur mer.
 
Nous admettons volontiers que les grands esprits du paganisme voyaient,
dans les différents mythes qu’ils adoraient, les qualités diverses et personnifiées
d’une puissance divine; mais, enfin, il fallait une mélodie pour
chacun de ces mythes. L’harmonie moderne ne pouvait entrer dans le
cerveau d’un Grec; elle n’avait pas de raisons d’exister; au contraire, tout
la repoussait. Avec le christianisme, l’idée du morcellement des qualités de
la divinité disparaît; en priant, le chrétien implore la protection de Dieu
pour lui, pour les siens, pour ce qu’il possède, pour l’humanité tout
entière; son Dieu embrasse l’univers sous son regard. Or cette idée chrétienne,
chose singulière, nous ne la voyons matériellement développée
qu’au XII<sup>e</sup> siècle. Il semble que, jusqu’à ce réveil de l’esprit moderne, la
tradition païenne laissait encore des traces dans les esprits, comme elle en
laissait dans les formes de l’architecture. Jusqu’au XII<sup>e</sup> siècle, les églises,
même monastiques, conservent quelque chose du morcellement de la
Divinité antique. En voyant les nombreuses sculptures romanes qui décorent
nos monuments occidentaux, on ne sait trop comment rattacher ces imageries
à une idée commune. Les traditions locales, le saint vénéré, les
tendances ou l’histoire des populations, dirigent le sculpteur. L’Ancien et
le Nouveau Testament se mêlent aux légendes. Si nous nous trouvons dans
une église clunisienne, saint Antoine, saint Benoît, l’archange saint Michel
jouent un rôle important dans l’iconographie; on retrouve ces personnages
partout, en dedans et en dehors, sans qu’il soit possible d’assigner un
ordre hiérarchique à ces représentations. Tout cela est entremêlé de figures
d’animaux bizarres, et nous ne croyons pas que la symbolique romane
puisse jamais être claire pour nous, puisque saint Bernard lui-même
traitait la plupart de ces sculptures de monstruosités païennes. Admettant,
si l’on veut, que la fantaisie de l’imagier n’ait pas été pour beaucoup dans
le choix des sujets, toujours est-il que chaque église, sauf certaines représentations
invariables, possède son iconographie propre.
 
Avec la cathédrale de la fin du XII<sup>e</sup> siècle, surgit l’iconographie méthodique;
et, pour en revenir à notre comparaison musicale, chaque sculpteur,
en faisant sa partie, concourt à l’ensemble harmonique; il est astreint à
certaines lois dont il ne s’écarte pas, comme pour laisser à la symphonie sa
parfaite unité.
 
Beaucoup d’églises cathédrales, avant cette grande époque de l’art
français, se composaient de plusieurs églises et oratoires. Comme premier
pas vers l’unité, les évêques qui reconstruisent ces monuments, aux XII<sup>e</sup>
et
XIII<sup>e</sup>
siècles, englobent ces églises et ces chapelles dans la grande construction;
puis ils adoptent une iconographie dont nous allons essayer de
présenter sommairement le vaste et magnifique tableau. Disons d’abord
que les cathédrales qui nous donnent un ensemble de sculptures à peu
près complet sont les cathédrales de Paris, de Reims, d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] et de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], toutes les quatre dédiées à la sainte Vierge.
 
Trois portes s’ouvrent à la base de la façade occidentale. Sur le trumeau
de la porte centrale est placé, debout, et bénissant de la droite, tenant
l’Évangile de la main gauche, le Christ homme<span id="note108"></span>[[#footnote108|<sup>108</sup>]]; ses pieds reposent
sur le dragon. Les douze apôtres sont rangés des deux côtés contre les
ébrasements<span id="note109"></span>[[#footnote109|<sup>109</sup>]]. Sur le socle du Christ est la figure de David<span id="note110"></span>[[#footnote110|<sup>110</sup>]], ou les
prophètes qui ont annoncé sa naissance, et les arts libéraux<span id="note111"></span>[[#footnote111|<sup>111</sup>]] en bas-relief.
Sous les apôtres sont sculptés, en bas-relief, les vertus et les vices, chaque
vertu placée au-dessus du vice contraire<span id="note112"></span>[[#footnote112|<sup>112</sup>]]. Les quatre signes des évangélistes occupent les angles des ébrasements<span id="note113"></span>[[#footnote113|<sup>113</sup>]]. On voit s’élever, sur les deux
pieds-droits, à la droite du Christ, les vierges sages; à la gauche, les
vierges folles<span id="note114"></span>[[#footnote114|<sup>114</sup>]]; au-dessous d’elles, un arbre feuillu, auquel sont suspendues
des lampes, du côté des vierges sages; du côté des folles, un arbre
mort frappé d’une cognée<span id="note115"></span>[[#footnote115|<sup>115</sup>]]. Le linteau, qui ferme la porte au-dessus du
trumeau, représente la résurrection, le pèsement des âmes et la séparation
des élus des damnés. Au-dessus, dans le tympan, le Christ au jour du
jugement, nu, montrant ses plaies; des anges tiennent les instruments de
la Passion; la Vierge et saint Jean à genoux implorent le divin Juge<span id="note116"></span>[[#footnote116|<sup>116</sup>]]. Dans
les voussures, des anges<span id="note117"></span>[[#footnote117|<sup>117</sup>]]; à la gauche du Christ, les supplices des damnés;
à la droite, les élus; puis les martyrs, les confesseurs, les vierges martyres,
les rois, les patriarches, ou des prophètes, quelquefois un arbre de Jessé<span id="note118"></span>[[#footnote118|<sup>118</sup>]].
Des deux côtés de la porte, l’Église et la Synagogue<span id="note119"></span>[[#footnote119|<sup>119</sup>]]. Le trumeau de l’une
des deux portes latérales est occupé par la statue de la Vierge tenant
l’enfant Jésus<span id="note120"></span>[[#footnote120|<sup>120</sup>]]; ses pieds portent sur le serpent à tête de femme. Sur le
socle est sculptée la création de l’homme et de la femme, et l’histoire de
la tentation<span id="note121"></span>[[#footnote121|<sup>121</sup>]]. Sur la tête de la Vierge, et lui servant de dais, l’arche
d’alliance, soutenue par des anges<span id="note122"></span>[[#footnote122|<sup>122</sup>]]. Des deux côtés, dans les ébrasements,
les rois Mages, l’Annonciation, la Visitation, la Circoncision, David<span id="note123"></span>[[#footnote123|<sup>123</sup>]]. Sur
le linteau de la porte, on voit les rois et les prophètes<span id="note124"></span>[[#footnote124|<sup>124</sup>]], ou Moïse et
Aaron et des prophètes<span id="note125"></span>[[#footnote125|<sup>125</sup>]]. Au-dessus, la mort de la Vierge<span id="note126"></span>[[#footnote126|<sup>126</sup>]] ou son
ensevelissement par les apôtres et l’enlèvement de son corps par les
anges<span id="note127"></span>[[#footnote127|<sup>127</sup>]]. Dans le tympan, son couronnement<span id="note128"></span>[[#footnote128|<sup>128</sup>]]. Les voussures contiennent
des anges, les rois ancêtres de la Vierge, et les prophètes qui ont annoncé
sa venue<span id="note129"></span>[[#footnote129|<sup>129</sup>]]. La troisième porte est ordinairement réservée au saint patron
du diocèse; à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], c’est saint Firmin qui occupe le trumeau; des deux
côtés, dans les ébrasements, viennent les représentants de l’ordre religieux
dans l’ancienne et la nouvelle loi; Aaron, Melchisedech et l’Ange; les
premiers prêtres martyrs, saint Étienne, saint Denis, etc.; quelquefois des
saints vénérés dans la localité, comme sainte Ulphe, saint Honoré et
saint Salve à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]]. Les linteaux et tympans de ces portes, consacrées au
saint patron du diocèse, contiennent sa légende et l’histoire de la translation
de ses reliques<span id="note130"></span>[[#footnote130|<sup>130</sup>]]. Sur les soubassements ou les pieds-droits de l’une de ces
portes latérales sont sculptés, en bas-relief, un zodiaque et les travaux de
l’année<span id="note131"></span>[[#footnote131|<sup>131</sup>]]. À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], sur les faces des contreforts, en avant des trois portes,
sont posées les statues des prophètes, et, au-dessous, les prophéties dans
des médaillons; c’est comme une sorte de prologue aux scènes sculptées
autour des portes et qui tiennent à la nouvelle loi. Sur les façades des
grandes cathédrales du titre de sainte Marie, mère de Dieu, au-dessus des
portes, on voit une série de statues colossales de rois ancêtres de la
Vierge<span id="note132"></span>[[#footnote132|<sup>132</sup>]]. Ils assistent à sa glorification. Une galerie supérieure reçoit la
statue de la sainte Vierge entourée d’anges<span id="note133"></span>[[#footnote133|<sup>133</sup>]]. C’était de ce balcon élevé
qu’au Dimanche des Rameaux le clergé entonnait, en plein air, le <i>Gloria</i>
devant le peuple assemblé sur le parvis. Le sommet du pignon de la nef
reçoit une statue du Christ bénissant, ou un ange sonnant de la trompette,
comme pour rappeler la scène du Jugement dernier tracée sur le tympan
de la porte centrale. Les sculptures des portes nord et sud des transsepts
sont ordinairement réservées aux saints particulièrement vénérés dans le
diocèse, ou, comme à Paris, du côté sud, consacrent le souvenir de l’une
des églises annexées à la cathédrale avant sa reconstruction<span id="note134"></span>[[#footnote134|<sup>134</sup>]]. Autour de la
cathédrale, sur les contreforts, contre les parois des chapelles<span id="note135"></span>[[#footnote135|<sup>135</sup>]], des
statues d’anges tiennent les ustensiles nécessaires au service religieux, des
instruments de musique<span id="note136"></span>[[#footnote136|<sup>136</sup>]], comme pour indiquer que l’Église est un concert
éternel à la gloire de Dieu.
 
Nous ne pouvons ici entrer dans tous les détails de la statuaire de nos
grandes cathédrales du Nord; ce serait sortir du cadre déjà très-large que
nous nous sommes tracé. Nous avons seulement voulu faire comprendre
le principe d’unité qui avait dû diriger les sculpteurs. On a pu le voir, par
cet exposé sommaire, non contents de tracer l’histoire de la naissance du
Sauveur, les évêques voulaient, aux yeux de tous, établir la généalogie de
la Vierge, sa victoire sur le démon, sa glorification, les rapports qui
existent entre l’ancienne et la nouvelle loi par les prophéties, et surtout
frapper les imaginations par la représentation du jugement dernier; de la
récompense des bons et de la punition des méchants. Comme épisodes de
ce grand poëme, la parabole des vierges sages, celle de l’enfant prodigue,
quelquefois des scènes tirées de l’Ancien Testament, la tentation et la
chute d’Adam, la mort d’Abel, le déluge, l’histoire de Joseph, de Job,
celle de David, les principaux exemples de la faiblesse, de la résignation ou
du courage humain, de la vengeance divine. Puis ces figures énergiques
des vertus et des vices personnifiés; puis, enfin, l’ordre naturel, les
saisons, les éléments, les travaux de l’agriculture, les sciences et les arts.
L’iconographie de la cathédrale, à l’extérieur, embrassait donc toute la
création.
 
Dans l’église, la statuaire était remplacée par les peintures des verrières;
sur ces splendides tapisseries, on retrouvait, dans le chœur, la passion de
Jésus-Christ, les apôtres, les évangélistes et les prophètes, les rois de Juda;
dans la nef, les saints évêques. Les fenêtres basses retraçaient aux yeux
les légendes des saints, des paraboles, l’Apocalypse, des scènes du jugement
dernier. Celles de la chapelle du chevet consacrée à la Vierge, son
histoire, ses légendes, l’arbre de Jessé, les prophéties, les sibylles. Le
pavage venait à son tour ajouter à la décoration en entrant dans le
concert universel; au centre de la nef était incrusté un [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Labyrinthe|Labyrinthe]] (voyez ce
mot), figure symbolique, probablement, des obstacles que rencontre le
chrétien et de la patience dont il doit être armé; c’était au centre de ce
labyrinthe que les noms et les portraits des maîtres des œuvres étaient
tracés, comme pour indiquer qu’ils avaient eu, les premiers, à traverser
de longues épreuves avant d’achever leur ouvrage. Sur les dallages des
cathédrales, on voyait aussi, gravés, des zodiaques<span id="note137"></span>[[#footnote137|<sup>137</sup>]], des scènes de l’Ancien
Testament<span id="note138"></span>[[#footnote138|<sup>138</sup>]], des bestiaires<span id="note139"></span>[[#footnote139|<sup>139</sup>]]. Si nous ajoutons, à ces décorations tenant
aux monuments, les tapisseries et les voiles qui entouraient les sanctuaires,
les jubés enrichis de fines sculptures, les peintures légendaires des chapelles,
les autels de marbre, de bronze ou de vermeil, les stalles, les
châsses, les grilles admirablement travaillées, les lampes d’argent et les
couronnes de lumière suspendues aux voûtes, les armoires peintes ou
revêtues de lames d’or renfermant les trésors, les statues en métal ou en
cire, les tombeaux, les clôtures de chœur couvertes de bas-reliefs, les
figures votives adossées aux piliers, nous pourrons avoir une idée de ce
qu’était la cathédrale, au XIII<sup>e</sup> siècle, un jour de grande cérémonie, lorsque
les cloches de ses sept tours étaient en branle, lorsqu’un roi y était reçu
par l’évêque et le chapitre, suivant l’usage, aussitôt son arrivée dans une
ville.
 
Dépouillées aujourd’hui, mutilées par le temps et la main des hommes,
méconnues pendant plusieurs siècles par les successeurs de ceux qui les
avaient élevées, nos cathédrales apparaissent, au milieu de nos villes
populeuses, comme de grands cercueils; cependant elles inspirent toujours
aux populations un sentiment de respect inaltérable; à certains jours de
solennités publiques, elles reprennent leur voix, une nouvelle jeunesse,
et ceux mêmes qui répétaient, la veille, sous leurs voûtes, que ce sont
là des monuments d’un autre âge sans signification aujourd’hui, sans
raison d’exister, les trouvent belles encore dans leur vieillesse et leur
pauvreté<span id="note140"></span>[[#footnote140|<sup>140</sup>]].
 
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<br><br>
<span id="footnote1">[[#note1|1]] : Cathedra, proprie est sedes, seu sessio honestior et augustior episcoporum in Ecclesia,
cæteris aliorum presbyterorum sedilibus excelsior: <i>Ut in mentem revocarent</i>,
inquit S. August. in <i>Psalm.</i> 126, <i>altiore se in loco, tanquam in specula constitutos, quo
oculorum acie pervigili, atque indefessa, in tutelam gregis incumbant, tanto cæteris
virtute et probitate clariores, quanto magis essent sedis honore ac sublimitate conspicui.</i>
(Ducange, Gloss.)
 
<span id="footnote2">[[#note2|2]] : Il existe encore quelques-uns de ces sièges épiscopaux. En Provence, à Avignon,
on en voit un dans l’église cathédrale; il est en marbre, et fut enlevé de sa
place primitive pour être rangé à la droite de l’autel. Dans la cathédrale d’Augsbourg,
le siége épiscopal est resté à sa place, au fond de l’abside, comme ceux que l’on
voit encore dans les basiliques de Saint-Clément et de Saint-Laurent (extra muros)
à Rome (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Chaire à prêcher|Chaire]]).
 
<span id="footnote3">[[#note3|3]] : À Lyon, le trône épiscopal occupait encore, il y a un siècle, le fond de l’abside
de la cathédrale, et l’autel était dépourvu de tout ornement au-dessus de la table; une
croix et deux flambeaux devaient seuls y être placés.
 
<span id="footnote4">[[#note4|4]] : Lettre 78.
 
<span id="footnote5">[[#note5|5]] : <i>Instit. de saint Louis</i>, p. 172. Le comte Beugnot.
 
<span id="footnote6">[[#note6|6]] : <i>Instit. de saint Louis</i>. Le comte Beugnot.
 
<span id="footnote7">[[#note7|7]] : Voir, pour de plus amples détails, l’<i>Itinér. archéol. de Paris</i>, par M. le baron de Guilhermy.--Paris, 1855.
 
<span id="footnote8">[[#note8|8]] : L’échelle de ce plan, ainsi que de tous ceux qui vont suivre, est de 0,001<sup>m</sup> pour mètre.
 
<span id="footnote9">[[#note9|9]] : La surface couverte de l’église de Notre-Dame de Paris était de 4,370 mèt.; déduisant les pleins et le sanctuaire, restait environ 3,800 mèt. à rez-de-chaussée, pouvant contenir, en supposant les espaces laissés libres pour les passages, 7,500 personnes.
 
<span id="footnote10">[[#note10|10]] : Ces galeries peuvent contenir 1500 personnes, en supposant qu’elles soient placées seulement sur quatre rangs.
 
<span id="footnote11">[[#note11|11]] : C’est en réparant les fenêtres hautes de la nef de la cathédrale, pendant le cours
de la campagne de 1854, que nous avons découvert les roses s’ouvrant dans la nef
au-dessus de la galerie du premier étage, et éclairant le comble de cette galerie. Des
fragments de ces roses ont pu être replacés dans la dernière travée de la nef et les
deux travées ouest du croisillon sud.
 
<span id="footnote12">[[#note12|12]] : Nous n’avons, pour donner ces dates, que le caractère architectonique des constructions; mais, dans l’Île de France, les progrès sont si rapides, que l’on aperçoit, dans un espace de dix ans, des changements assez sensibles pour pouvoir, à coup sûr, fixer la date d’une construction.
 
<span id="footnote13">[[#note13|13]] : Époque de la construction de la Sainte-Chapelle. Ces chapelles présentent des détails et des profils identiques avec ceux de ce monument.
 
<span id="footnote14">[[#note14|14]] : Cette claire-voie est restée du côté nord, derrière les couvertures de ces chapelles.
 
<span id="footnote15">[[#note15|15]] : Ce plan est le plan actuel, avec la sacristie bâtie depuis 1845 à la place de l’ancien archevêché au sud.
 
<span id="footnote16">[[#note16|16]] : En 1160, on jette les fondements de la cathédrale actuelle de Paris; en 1172, on projette la reconstruction de celle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]]. L’évêque Étienne donne à Odon, clerc, cette année 1172, une place située devant la porte de l’église, pour y bâtir une maison, à la condition de rendre l’emplacement «aussitôt que la construction de l’église projetée l’exigera.» <i>La Cathédrale de Bourge</i>, par A. de Girardot et Hip. Durand. Moulins, 1849.
 
<span id="footnote17">[[#note17|17]] : Nous avons enlevé de ce plan quelques chapelles ajoutées le long du bas-côté de la nef pendant les XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles.
 
<span id="footnote18">[[#note18|18]] : Nous avons entendu exprimer l’opinion que ces portes étaient les restes, demeurés en place, d’une église du XII<sup>e</sup> siècle; il n’est pas besoin d’être très-familier avec les détails de sculpture et les moulures des XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles, pour reconnaître qu’à la porte B du sud, par exemple, le trumeau portant la figure du Christ est du XIII<sup>e</sup> siècle, que les moulures de soubassements et quelques colonnes servant de supports aux statues sont du XIII<sup>e</sup> siècle, tandis que les figures des ébrasements, les linteaux et tympans sont du XII<sup>e</sup>. C’est encore là, comme à Paris, une collection de fragments précieux, un souvenir d’un édifice antérieur qu’on a voulu conserver et enchâsser dans la construction même. Du reste, comme à Paris, ces sculptures méritaient bien cet honneur; elles sont de la plus grande beauté.
 
<span id="footnote19">[[#note19|19]] : On a reproché, et on reproche chaque jour aux architectes de cette époque,
d’avoir conçu des édifices qui n’étaient pas possibles; et, confondant les styles, les
époques, ne tenant pas compte de l’épuisement des sources financières qui se tarirent
au milieu du XIII<sup>e</sup>
siècle, on les accuse de n’avoir pas su achever ce qu’ils avaient
commencé. Mais les architectes qui, en 1490, élevaient une cathédrale, ne pouvaient
supposer alors (tel était l’entraînement général) que les moyens dont ils disposaient
viendraient à s’amoindrir. Lorsqu’ils ont pu, par hasard, terminer l’œuvre qu’ils
avaient conçue, nous verrons avec quelle puissance de moyens et avec quelle science
soutenue ils l’ont fait. Déjà l’exemple de la cathédrale de Paris que nous avons donné
le prouve; nous allons voir qu’il n’est pas le seul. Un fait curieux fait comprendre ce
que c’était que la construction dune cathédrale au commencement du XIII<sup>e</sup>
siècle. Ce
fait étant plus rapproché de nous, bien connu, convaincra, nous le croyons, les esprits
les plus enclins au doute. La cathédrale d’Orléans fut détruite de fond en comble par
les protestants, à la fin du XVI<sup>e</sup>
siècle. Les Orléanais <i>voulurent</i> avoir non-seulement
une cathédrale, mais <i>leur</i> cathédrale, celle qui avait été démolie, et pendant deux
siècles ils poursuivirent cette idée, malgré que le goût des constructions ogivales ne
fût guère de mode alors. La cathédrale d’Orléans fut rebâtie, et ce n’est pas la faute
des populations si les architectes ne surent leur élever qu’un monument bâtard.
Certes, nous n’avons pas l’intention de donner cet édifice comme un modèle d’architecture
ogivale; mais sa reconstruction est un fait moral d’une grande portée. Orléans,
la ville centrale de la France, avait seule peut-être conservé, en plein XVII<sup>e</sup>
siècle,
le vieil esprit national; seule elle était restée attachée à <i>son monument</i>, qui lui rappelait
une grande époque, de grands souvenirs, les premiers efforts de la société
française pour se constituer. Nous l’avons dit déjà, si les châteaux, si les abbayes
furent brûlés et dévastés en 1793, toutes nos grandes cathédrales restèrent debout,
et beaucoup même ne subirent pas de mutilations.
 
<span id="footnote20">[[#note20|20]] : Ces usages ne furent guère abolis qu’à la fin du XIII<sup>e</sup>
siècle. Jean de Courtenai,
archevêque de Reims, donna, en 1260, des lettres de réformation pour la cathédrale
de Laon, dans lesquelles on lit ce passage: «Ecclesiam quoque, quæ domus orationis
esse debet, locum negociationis fieri prohibemus, nec in eadem rerum quarumlibet
merces vendi, causas audiri vel decidi volumus, seu mundana celebrari: imo
mundanis exclusis negotiis, solum ibidem divinum negotium fiat.» <i>Cartul. Laudun.,
Essai sur l’égl. de N.-D. de Laon</i>, par J. Marion, 1843.
 
<span id="footnote21">[[#note21|21]] : Tels sont, par exemple, les faits relatifs aux fondations, que Suger dit avoir fait
exécuter avec le plus grand soin; or ces fondations sont aussi négligées que possible:
aux colonnes du chœur, qui auraient été rapportées d’Italie, elles proviennent des
carrières de l’Oise; aux vitraux, dans la fabrication desquels il entra une quantité
considérable de pierres précieuses, saphirs, émeraudes, rubis, topazes: or ces vitraux,
dont nous possédons heureusement de nombreux fragments, quoique fort beaux, sont,
bien entendu, en verre coloré par des oxydes métalliques. On objectera peut-être
que les fabricants chargés de faire ces vitraux firent croire à Suger que, pour obtenir
des verrières d’une belle couleur, il fallait y jeter des pierres précieuses; mais alors
ces vitraux auraient donc été faits en dehors de l’abbaye, et Suger se servait donc
d’artistes laïques? Nous sommes plus disposé à croire que ce récit est une exagération.
Suger, tel que nous le représente l’histoire, ne parait pas être homme à se laisser
tromper d’une façon aussi grossière. On devait savoir, dans son abbaye, comment se
fabriquaient les vitraux.
 
<span id="footnote22">[[#note22|22]] : Ces plans sont tous à la même échelle, 0,001<sup>m</sup> pour mètre. Il est entendu que
lorsque nous parlons du côté sud, c’est la droite que nous prétendons indiquer; du
nord, c’est la gauche pour celui qui regarde la planche, toutes les cathédrales étant
orientées de la même manière, sauf de très-rares exceptions.
 
<span id="footnote23">[[#note23|23]] : <i>Monog. de l’égl. N.-D. de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]]</i>, par M. L. Vitet, 1845.
 
<span id="footnote24">[[#note24|24]] : La réunion des deux évêchés de Tournay et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]] fut maintenue jusque vers 1135; à cette époque, les chanoines de Tournay obtinrent une bulle qui prononçait la séparation des deux diocèses et donnait à Tournay un évêque propre.
 
<span id="footnote25">[[#note25|25]] : Voyez la <i>Monog. de l’égl. N.-D. de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]]</i>, par M. L. Vitet, et l’atlas de planches, par M. D. Ramée; 1845.
 
<span id="footnote26">[[#note26|26]] : <i>Lettres sur l’hist. de France</i>, Aug. Thierry (Lettre XVIII).
 
<span id="footnote27">[[#note27|27]] : <i>Essai hist. et archéol. sur l’égl. cathéd. de N.-D. de Laon</i>, par J. Marion, 1843.
 
<span id="footnote28">[[#note28|28]] : Dom Bugnâtre.
 
<span id="footnote29">[[#note29|29]] : Dom Bugnâtre.
 
<span id="footnote30">[[#note30|30]] : <i>Regist. capit.</i>
 
<span id="footnote31">[[#note31|31]] : <i>Idem.</i>
 
<span id="footnote32">[[#note32|32]] :<i>Lettres sur l’Hist. de France</i>, par Aug. Thierry (Lettre XV).
 
<span id="footnote33">[[#note33|33]] : <i>Monog. de la cathéd. de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Noyon|Noyon]].</i>
 
<span id="footnote34">[[#note34|34]] : Cette partie de la cathédrale de Laon est aujourd’hui en pleine restauration, sous la direction de M. Bœswiswald, architecte des monuments historiques. La cathédrale de Laon n’est plus siége épiscopal depuis la révolution; elle dépend du siége de Soissons.
 
<span id="footnote35">[[#note35|35]] : Nous comprenons la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]] dans cette période, parce qu’il y a
lieu de présumer, en examinant son plan, que les architectes du XIII<sup>e</sup>
siècle qui la
construisirent exécutèrent un projet antérieur, peut-être celui qui avait été conçu
dans la seconde moitié du XII<sup>e</sup>
siècle.
 
<span id="footnote36">[[#note36|36]] : <i>Descript. de la cathéd. de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]]</i>, par l’abbé Bulteau, 1850.
 
<span id="footnote37">[[#note37|37]] : <i>Poëme des Miracles</i>, p. 27. (Jehan le Marchant.)
 
<span id="footnote38">[[#note38|38]] : Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]] fut dédiée seulement le 17 octobre 1260.
 
<span id="footnote39">[[#note39|39]] : Des fragments de ce jubé ont été découverts en grand nombre sous le dallage;
ils sont de la plus grande beauté, et déposés aujourd’hui dans la crypte et sous la
chapelle Saint-Piat (voy. JUBÉ).
 
<span id="footnote40">[[#note40|40]] : La cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]] est bâtie en pierre de Berchère; c’est un calcaire dur, grossier d’aspect, mais d’une solidité à toute épreuve. Les blocs employés sont d’une grandeur extraordinaire. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces détails (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Arc-boutant|Arc-boutant]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Base|Base]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Porche |Porche ]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Pilier |Pilier ]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Soubassement|Soubassement]]).
 
<span id="footnote41">[[#note41|41]] : Il est entendu que, pour le pignon nord, nous ne parlons pas des deux portes percées vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote42">[[#note42|42]] : Seule, la porte centrale est ouverte aujourd’hui.
 
<span id="footnote43">[[#note43|43]] : Jean et Remi Legoix.
 
<span id="footnote44">[[#note44|44]] : Anquetil.
 
<span id="footnote45">[[#note45|45]] : «Le nécrologe du chapitre en la fondation de l’obit de cet évesque le faict
origenaire de la ville d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], fort débonnaire et de grande estude, et croyrois
que c’est luy qui gist en marbre noir, tout au plus haut, s’il faut ainsi dire, de
l’église, vis-à-vis de la chapelle paroissiale (la chapelle de la Vierge dans l’axe)
justement derrière le chœur, en mémoire qu’il acheva la summité d’icelle...»
<i>Antiquitez de la ville d’Amiens</i>. Adrian de la Morlière, chan., 1627.
 
<span id="footnote46">[[#note46|46]] : L’inscription qui constate ce fait existe encore sur la verrière haute située dans l’axe du chœur.
 
<span id="footnote47">[[#note47|47]] : De ces dépendances, il ne reste aujourd’hui que la chapelle qui sert de grande sacristie; elle est décorée par une belle tribune en bois sculpté de la fin du XV<sup>e</sup> siècle. Une portion du cloître a été reconstruite depuis 1848, ainsi que le petit bâtiment placé en D. Les restes anciens étaient en ruine.
 
<span id="footnote48">[[#note48|48]] : Le plan de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]] terminée couvre une surface de 8,900 m, environ; celui de la cathédrale de Reims une surface de 6,650 mètres; celui de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]] une surface de 6200 mètres; celui de la cathédrale de Paris une surface de 5500 mètres.
 
<span id="footnote49">[[#note49|49]] : Voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]], fig. 35, un ensemble perspectif de cette coupe.
 
<span id="footnote50">[[#note50|50]] : Il est entendu que nous parlons ici de la nef de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] telle
qu’elle existait avant la construction des chapelles du XIV<sup>e</sup> siècle. Cette adjonction
laisse d’ailleurs voir foute la disposition ancienne, et à l’intérieur, dans le transsept,
les fenêtres des bas-côtés sont restées en place.
 
<span id="footnote51">[[#note51|51]] : L’architecture des chapelles absidales de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] a la plus grande
ressemblance avec celle de la Sainte-Chapelle de Paris. Ce sont les mêmes profils,
les mêmes meneaux de fenêtres, le même système de construction. L’arcature de la
Sainte-Chapelle basse reproduit celle des chapelles du tour du chœur d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]].
 
<span id="footnote52">[[#note52|52]] : Il faut se rappeler que la nef était entièrement élevée lorsque le chœur était à peine commencé.
 
<span id="footnote53">[[#note53|53]] : À l’échelle de 0,001m pour mètre, comme tous les autres plans contenus dans
cet article.
 
<span id="footnote54">[[#note54|54]] : La nef centrale, d’axe en axe des piles, porte, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], 14m,60; à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]],
15m,60.
 
<span id="footnote55">[[#note55|55]] : Voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Arc-boutant|Arc-boutant]], fig. 61.
 
<span id="footnote56">[[#note56|56]] : Dans notre plan fig. 22, la teinte grise indique les constructions du XVI<sup>e</sup> siècle,
et le trait le projet de la nef qui ne fut jamais mis à exécution.
 
<span id="footnote57">[[#note57|57]] : Voyez l’excellente <i>Notice</i> de M. Félix de Verneilh sur la <i>cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]]</i>,
dans les <i>Annales archéologiques</i> de M. Didron, tirée à part; 1848. (Librairie archeol.
de M. V. Didron.)
 
<span id="footnote58">[[#note58|58]] : Comme tous les autres, ce plan est à l’échelle de 0,004<sup>m</sup> pour mètre.
 
<span id="footnote59">[[#note59|59]] : Dans le temps où l’on croyait très-sérieusement faire en France de l’architecture
romaine, on portait des perruques colossales et des souliers à talons, des canons
couverts de rubans, des aiguillettes et des baudriers larges de six pouces, nous n’y
voyons pas de mal; mais on nous dit, très-sérieusement aussi, lorsque nous croyons qu’on peut tirer quelque chose de l’architecture française du XIII<sup>e</sup> siècle, et lorsque
nous engageons les jeunes architectes à l’étudier, pour combattre cette opinion et ce
désir, que nous ne nous habillons plus comme du temps de Philippe-Auguste. Est-ce
que nos habits se rapprochent davantage du costume romain que de celui de Louis XIV.
 
<span id="footnote60">[[#note60|60]] : En 1845, il fallut rebâtir le pignon du transsept sud qui s’était écroulé en partie;
déjà, au XV<sup>e</sup>
siècle, on avait consolidé celui du nord. En 1849, il fallut étayer les
voûtes du chœur, et, depuis cette époque, des travaux de reprise en sous-œuvre des
fondations ont été exécutés avec une grande adresse; les chapelles furent restaurées,
et on reconstruit aujourd’hui toute la partie supérieure du sanctuaire.
 
<span id="footnote61">[[#note61|61]] : Le haut chœur de l’église abbatiale de Saint-Denis a la plus grande analogie
avec le chœur de la cathédrale de Troyes.
 
<span id="footnote62">[[#note62|62]] : Le chœur seul de cet édifice date du XIII<sup>e</sup> siècle (première moitié). La nef appartient,
ainsi que les chapelles, aux siècles suivants; la façade ne fut élevée qu’au
commencement du XVI<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote63">[[#note63|63]] : Ce plan est à 0,001<sup>m</sup> pour mètre. La cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Autun|Autun]] est mal orientée;
l’abside est tournée vers le sud-sud-est.
 
<span id="footnote64">[[#note64|64]] : Voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]], fig. 20.
 
<span id="footnote65">[[#note65|65]] : Ce collatéral circulaire a été entouré, au XIV<sup>e</sup> siècle, de chapelles informes; mais
on retrouve facilement, au-dessus des voûtes de ces chapelles, fort légèrement
construites, les dispositions primitives du bas-côté.
 
<span id="footnote66">[[#note66|66]] : Quoique la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Autun|Autun]] ait été bâtie en excellents matériaux, bien appareillés,
d’un fort volume, et posés avec soin, le grand berceau ogival fit déverser les
murs latéraux immédiatement après le décintrage; on dut soutenir ces murs par des
arcs-boutants, qui furent refaits ou rhabillés au XV<sup>e</sup>
siècle. Il y a dix ans, il fallut
reconstruire les grandes voûtes en poterie et fer; elles menaçaient ruine.
 
<span id="footnote67">[[#note67|67]] : À l’échelle de 0,001<sup>m</sup> pour mètre.
 
<span id="footnote68">[[#note68|68]] : Nous ne parlons pas des voûtes hautes du chœur et de la nef qui, dans la cathédrale
de Sens, furent refaites, vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, à la suite d’un incendie.
 
<span id="footnote69">[[#note69|69]] : Il ne faut pas oublier que la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Canterbury]] avait conservé avec la
France des relations suivies. Lanfranc, Saint-Anselme, tous deux Lombards, tous
deux sortis de l’abbaye du Bec en Normandie, devinrent successivement archevêques
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Canterbury]], primats d’Angleterre. Saint Thomas Becket demeura longtemps à
Pontigny et à Sens; le trésor de cette cathédrale conserve encore ses vêtements
épiscopaux.
 
<span id="footnote70">[[#note70|70]] : La cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Canterbury]] est à doubles croisillons; les croisillons de l’ouest
dépendent de la Basilique primitive; ceux de l’est appartiennent à la construction
commencée par Guillaume de Sens (voy. <i>The architectural history of [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Canterbury]]
cathedral</i>, par le professeur Willis, auquel nous empruntons ce curieux passage, que
l’auteur a lui-même extrait de la chronique de Gervase).
 
<span id="footnote71">[[#note71|71]] : La seule partie contestable de cette restitution serait la chapelle circulaire dans
l’axe, remplacée par une chapelle plus profonde élevée, après l’incendie, à la fin du
XIII<sup>e</sup> siècle. Mais il y a tant d’analogie entre le chevet de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Canterbury]] et celui de Sens,
que nous sommes fort disposés à croire que la couronne de Becket n’est qu’une
imitation d’une chapelle semblable bâtie à Sens par le maître Guillaume, avant son
départ pour l’Angleterre. N’oublions pas que c’est en 1168 que la cathédrale de Sens
est terminée, et que c’est en 1175 que Guillaume commence les constructions du
chœur de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Canterbury]]. Nous renvoyons nos lecteurs, pour de plus amples renseignements
sur ce sujet, à l’excellent ouvrage déjà cité du Prof<sup>r</sup> Willis.
 
<span id="footnote72">[[#note72|72]] : Ce beffroi n’existe plus; il fut descendu, pour cause de vétusté, il y a une dizaine d’années.
 
<span id="footnote73">[[#note73|73]] : À l’échelle de 0,001<sup>m</sup> pour mètre.
 
<span id="footnote74">[[#note74|74]] : <i>Mém. concern. l’hist. civ. et eccl. d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Auxerre|Auxerre]]</i>, par l’abbé Lebeuf, 1848, t. I, p. 402
et suiv. Pour les dispositions intérieures de l’édifice du XIII<sup>e</sup> siècle, voyez au mot
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]]. Ces dispositions appartiennent franchement à l’école bourguignonne.
 
<span id="footnote75">[[#note75|75]] : Au XIV<sup>e</sup> siècle, un collatéral circulaire et des chapelles furent levées autour du
sanctuaire de la cathédrale de Châlons, et la nef fut presque entièrement reconstruite.
La partie occidentale de cette cathédrale date du dernier siècle. Après un incendie
qui causa les plus graves dommages à cet édifice et qui détruisit la voûte du sanctuaire,
une restauration, entreprise sous le règne de Louis XIV, acheva de dénaturer
ce qui restait du monument du XIII<sup>e</sup> siècle. Cependant on peut encore facilement
reconnaître le plan primitif enté sur un édifice roman.
 
<span id="footnote76">[[#note76|76]] : La belle cathédrale d’Arras ne fut détruite que depuis la révolution de 1792;
elle existait encore au commencement du siècle. Celle de Cambrai était l’œuvre de
Villart de Honnecourt, ce maître dont nous avons parlé plusieurs fois, l’ami de Robert
de Coucy. Vienne possède un modèle de cette cathédrale dépendant d’un plan en
relief enlevé, en 1815, du musée des Invalides, par les généraux autrichiens.
 
<span id="footnote77">[[#note77|77]] : Ce plan est à l’échelle de 0,001<sup>m</sup> pour mètre. Il est entendu que nous n’avons eu,
pour le tracé de l’abside principale, que des données fort vagues. Mais nous présentons
ce plan comme un type plutôt que comme un édifice particulier.
 
<span id="footnote78">[[#note78|78]] : La position inusitée de ce clocher ne peut être expliquée que par la détermination,
prise à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, de ne pas étendre plus loin que les transsepts les
nouvelles constructions, et de conserver la nef romane restaurée au XII<sup>e</sup> siècle. Dans
l’église primitive, dont nous avons donné le plan fig. 34, le clocher unique devait être
posé sur les quatre piles de la croisée, suivant la méthode normande. Démoli lorsqu’on
refit le chœur, en renonçant à la reconstruction totale, on ne trouva pas d’autre
place pour recevoir les cloches que l’extrémité du croisillon sud.
 
<span id="footnote79">[[#note79|79]] : De funestes restaurations furent entreprises sur la façade et autour de la nef de
la cathédrale de Séez, de 1818 à 1849; elles n’ont fait qu’empirer un état de choses
déjà fort dangereux. Des travaux, exécutés avec intelligence et soin depuis cette
époque, permettent d’espérer que ce remarquable édifice pourra être sauvé de la
ruine dont il est menacé depuis longtemps.
 
<span id="footnote80">[[#note80|80]] : Voir le plan du premier étage de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], où ce parti est largement développé.
 
<span id="footnote81">[[#note81|81]] : Par suite de ces constructions successives, faites d’ailleurs en matériaux peu
résistants, des écrasements si graves se sont manifestés dans les quatre points
d’appui, sous l’énorme charge qu’ils ont à porter, qu’il a fallu cintrer les quatre arcs
doubleaux, étayer les piliers, et procéder à la démolition des parties supérieures.
 
<span id="footnote82">[[#note82|82]] : La cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bayeux|Bayeux]] possède encore, des deux côtés du chœur, ses sacristies
et salle de trésor, et, au nord de la façade occidentale, une belle salle capitulaire
du XIII<sup>e</sup> siècle (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Salle |Salle ]] capitulaire).
 
<span id="footnote83">[[#note83|83]] : Les chapelles de la nef présentent une disposition si belle et si rare, que nous
avons cru devoir les donner sur ce plan, bien qu’elles dénaturent les dispositions
primitives. Ces chapelles sont mises en communication les unes avec les autres à une
hauteur de trois mètres environ, par des claires-voies ou meneaux sans vitraux; c’est
comme un collatéral qui serait divisé par des cloisons transversales peu élevées.
 
<span id="footnote84">[[#note84|84]] : Le portail des Libraires (nord) vient d’être restauré par MM. Desmarets et
Barthélemy, avec un soin et une perfection qui font le plus grand honneur à ces deux
architectes.
 
<span id="footnote85">[[#note85|85]] : <i>Hist. de l’égl. cathéd. de Rouen</i>, 1696, Rouen.
 
<span id="footnote86">[[#note86|86]] : «Chacun sçait (dit Pommeraye dans son <i>Hist. de l’égl. cathéd. de Rouen</i>, p. 35)
qu’elle a eü ce nom à cause de la permission que le cardinal Guillaume d’Estouteville
obtint pour les fidelles du diocèse de Roüen et d’Évreux d’user de beurre et
de laict pendant le carême... Robert de Croismare (archevêque de Rouen) destina
au bâtiment de cette tour les deniers qui furent offerts par les fidelles pour
reconnoissance de cette faveur... La tour ne fut achevée qu’en 1507...»
 
<span id="footnote87">[[#note87|87]] : À la suite de l’incendie de 1821, une partie de la toiture des grands combles et les voûtes de la nef furent refaites à neuf.
 
<span id="footnote88">[[#note88|88]] : Nous désignons ici l’ancienne cathédrale de Périgueux et non la cathédrale
actuelle, rétablie dans l’église abbatiale de Saint-Front.
 
<span id="footnote89">[[#note89|89]] : Seule la tour du nord existe aujourd’hui.
 
<span id="footnote90">[[#note90|90]] : Nous devons ces dessins à notre ami, M. Abadie, architecte de la cathédrale
d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Angouleme|Angoulême]], qui vient de terminer avec autant de bonheur que de talent le démontage
et la reconstruction pièce par pièce de la belle tour dont nous donnons la coupe.
 
<span id="footnote91">[[#note91|91]] : Voyez <i>L’Archit. byzantine en France</i>, par M. Félix de Verneilh. Paris, 1851, p. 283 et suiv.
 
<span id="footnote92">[[#note92|92]] : Voyez le même ouvrage, et l’article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]].
 
<span id="footnote93">[[#note93|93]] : Comme tous les autres plans, celui-ci est à l’échelle de 0,001<sup>m</sup> pour mètre.
 
<span id="footnote94">[[#note94|94]] : En faisant quelques fouilles, M. Mallay, architecte, a retrouvé exactement le plan de la cathédrale du X<sup>e</sup> au XI<sup>e</sup> siècle, dont les dispositions se rapportaient à celles de toutes les églises romanes d’Auvergne.
 
<span id="footnote95">[[#note95|95]] : Deux tours qui subsistaient encore sur cette façade, mais qui avaient été dénaturées depuis longtemps, ont dû être démolies parce qu’elles menaçaient de s’écrouler.
 
<span id="footnote96">[[#note96|96]] : La nef de la cathédrale de Limoges resta inachevée comme celle de la cathédrale
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]]. À l’ouest (voy. fig. 47), on a laissé subsister un débris de l’ancienne
nef romane et les soubassements de la tour du XI<sup>e</sup> siècle, renforcés et surélevés au
XIII<sup>e</sup> et au XIV<sup>e</sup> siècle (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Clocher|Clocher]]).
 
<span id="footnote97">[[#note97|97]] : Ce chœur est à peu près aussi élevé que celui des cathédrales de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]] et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]].
 
<span id="footnote98">[[#note98|98]] : L’un des archevêques de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]], pendant le dernier siècle, voulut reprendre
cette construction et élever l’église au moins jusqu’à la première travée en avant des
transsepts; l’entreprise fut bientôt suspendue; les constructions, reprises de nouveau
il y a quinze ans, n’ont fait qu’ajouter quelques assises à celles laissées en attente à
la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle. Dans notre plan, la teinte grise indique les constructions
dernières, et le trait le projet probable.
 
<span id="footnote99">[[#note99|99]] : Cette nef dans œuvre n’a pas moins de 24 mètres; les voûtes sont en arcs d’ogives,
portées sur des piles et contrebuttées par des contreforts formant des travées intérieures
profondes ou des chapelles entre eux. Il est probable que cette disposition
était une de celles adoptées dans ces provinces avant l’invasion du style français,
après les guerres des Albigeois.
 
<span id="footnote100">[[#note100|100]] : Aujourd’hui l’église de la Cité, le siége épiscopal ayant, depuis le concordat, été transféré dans la ville basse.
 
<span id="footnote101">[[#note101|101]] : Cette salle a été modifiée au XV<sup>e</sup> siècle. Le tombeau de l’évêque Radulphe est
placé dans la chapelle (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Tombeau |Tombeau ]]).
 
<span id="footnote102">[[#note102|102]] : Ce plan est à la même échelle que les autres, 0,001<sup>m</sup> pour mètre.
 
<span id="footnote103">[[#note103|103]] : La crypte romane de l’église cathédrale de Limoges, qui existe encore et était
placée sous le chevet, n’arrive guère qu’au milieu du sanctuaire actuel. Les fondations
de la cathédrale romane de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]] ne dépassent pas la première travée du
chœur.
 
<span id="footnote104">[[#note104|104]] : À l’échelle de 0,001<sup>m</sup> pour mètre.
 
<span id="footnote105">[[#note105|105]] : Voir la coupe de la cathédrale d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Alby|Alby]], à l’article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]], fig. 51.
 
<span id="footnote106">[[#note106|106]] : Membre de l’Institut.
 
<span id="footnote107">[[#note107|107]] : Si l’on doute de nos assertions, on peut consulter l’excellent ouvrage de M. de
Coussemaker sur cette matière, et les travaux de M. Félix Clément, qui a bien
voulu nous fournir tous ces renseignements scientifiques (voy. les <i>Annales archéol.</i>
de M. Didron).
 
<span id="footnote108">[[#note108|108]] : Paris, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], portail méridional; Reims, portail septentrional.
 
<span id="footnote109">[[#note109|109]] : <i>Idem.</i>
 
<span id="footnote110">[[#note110|110]] : [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]].
 
<span id="footnote111">[[#note111|111]] : Paris.
 
<span id="footnote112">[[#note112|112]] : Paris, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]]. À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]], les vertus et les vices sont sculptés sur les piles du
porche méridional.
 
<span id="footnote113">[[#note113|113]] : Paris.
 
<span id="footnote114">[[#note114|114]] : Paris, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], Sens.
 
<span id="footnote115">[[#note115|115]] : [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]].
 
<span id="footnote116">[[#note116|116]] : Paris, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], Reims, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]].
 
<span id="footnote117">[[#note117|117]] : Paris, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], Reims, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]].
 
<span id="footnote118">[[#note118|118]] : [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]].
 
<span id="footnote119">[[#note119|119]] : Paris.
 
<span id="footnote120">[[#note120|120]] : À Paris, la Vierge est à la porte de gauche, en regardant le portail; à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], à la porte de droite.
 
<span id="footnote121">[[#note121|121]] : Paris, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]].
 
<span id="footnote122">[[#note122|122]] : <i>Idem</i>.
 
<span id="footnote123">[[#note123|123]] : [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], Reims.
 
<span id="footnote124">[[#note124|124]] : Paris.
 
<span id="footnote125">[[#note125|125]] : [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]].
 
<span id="footnote126">[[#note126|126]] : Paris.
 
<span id="footnote127">[[#note127|127]] : [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], Senlis.
 
<span id="footnote128">[[#note128|128]] : Paris, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], Senlis, Reims.
 
<span id="footnote129">[[#note129|129]] : [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]].
 
<span id="footnote130">[[#note130|130]] : Reims, portail septentrional; [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]]; Paris, Meaux, portail méridional.
 
<span id="footnote131">[[#note131|131]] : Paris, Reims, [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]].
 
<span id="footnote132">[[#note132|132]] : À Paris, à Reims, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], on a voulu voir, dans ces statues de rois, la série
des rois de France; et cette idée populaire date de fort loin, puisqu’elle est déjà
exprimée au XIII<sup>e</sup> siècle. L’une de ces statues, invariablement posée sur un lion, est
alors prise pour Pépin. Dans <i>les XXIII manières de vilains</i>, manuscrit qui date de la
fin du XIII<sup>e</sup> siècle, on lit ce passage: «Li vilains Babuins est cil ki va devant Notre-Dame
à Paris, et regarde les rois et dist: "Vés-la Pépin, vés-la Charlemainne."
Et on li coupe sa borse par derière.» Nous ne voyons pas cependant que les
évêques qui, à la fin du XII<sup>e</sup> siècle fixèrent les règles générales de l’iconographie
des cathédrales, aient voulu représenter les rois de France sur les portails des églises
du titre de Sainte-Marie, mais bien plutôt les rois de Juda; car rien ne rappelle
l’histoire contemporaine dans ces grands monuments, ou, quand par hasard, elle s’y
montre, ce n’est que d’une manière très-accessoire; le manuscrit cité ici est une
satyre et son auteur a bien pu d’ailleurs, en faisant ainsi parler le badaud parisien
devant le portail de Notre-Dame de Paris, vouloir rappeler une erreur populaire.
Il nous parait bien plus conforme à l’esprit de l’époque d’admettre que les statues
des rois sont des rois de Juda, puisqu’ils complètent, par leur présence, les
représentations des personnages qui participent à la venue du Christ. Le roi
toujours posé sur un lion, et tenant une croix et une épée, ne peut être que
David; l’autre roi, tenant également une croix et un anneau, Salomon. D’ailleurs,
avant le règne de Philippe-Auguste, et même jusqu’à celui de saint Louis, les
évêques ne pouvaient avoir, de la puissance royale, les idées admises à la fin
du XIII<sup>e</sup> siècle. Il nous suffira, pour faire comprendre ce qu’était, au XII<sup>e</sup> siècle,
un roi de France aux yeux de l’évêque et du chapitre de Paris, de citer un
fait rapporté par un écrivain contemporain, Étienne de Paris. «J’ai vu, dit-il,
que le roi Louis (VII), qui voulait arriver un jour à Paris, étant surpris par
la nuit, se retira dans un village des chanoines de la cathédrale appelé Creteil
(<i>Cristolium</i>). Il y coucha; et les habitants fournirent la dépense. Dès le grand
matin, on le vint rapporter aux chanoines; ils en furent fort affligés et se dirent
l’un à l’autre: «C’en est fait de l’Église, les priviléges sont perdus: il faut ou que
le roi rende la dépense, ou que l’office cesse dans notre église.» Le roi vint à la
cathédrale dès le même jour, suivant la coutume où il étoit d’aller à la grande
église, quelque temps qu’il fit. Trouvant la porte fermée, il en demanda la raison,
disant que si quelqu’un avoit offensé cette église, il vouloit la dédommager. On lui
répondit: «Vraiment, sire, c’est vous-même qui, contre les coutumes et libertés
sacrées de cette sainte église, avez soupé hier à Creteil; non à vos frais, mais à
ceux des hommes de cette église: c’est pour cela que l’office est cessé ici, et que la
porte est fermée, les chanoines étant résolus de plutôt souffrir toutes sortes de
tourments que de laisser de leur temps enfreindre leurs libertés.» Ce roi très-chrétien
fut frappé de ces paroles. «Ce qui est arrivé, dit-il, n’a point été fait de
dessein prémédité. La nuit m’a retenu en ce lieu, et je n’ai pu arriver à Paris
comme je me l’étois proposé. C’est sans force ni contrainte que les habitants de
Creteil ont fait de la dépense pour moi; je suis fâché maintenant d’avoir accepté
leurs offres. Que l’évêque Thibaud vienne, avec le doyen Clément, que tous les
chanoines approchent, et surtout le chanoine qui est prévôt de ce village: si je suis
en tort, je veux donner satisfaction; si je n’y suis pas, je veux m’en tenir à leur
avis.» Le roi resta en prière devant la porte en attendant l’évêque et les chanoines.
On fit l’ouverture des portes; il entra en l’église, y donna pour caution du dédommagement
la personne de l’évêque même. Le prélat remit en gage aux chanoines ses
deux chandeliers d’argent; et le roi, pour marquer par un acte extérieur qu’il
vouloit sincèrement payer la dépense qu’il avait causée, mit de sa propre main une
baguette sur l’autel, laquelle toutes les parties convinrent de faire conserver soigneusement,
à cause que l’on avoit écrit dessus, qu’elle étoit en mémoire de la
conservation des libertés de l’Église.» (<i>Hist. des Dioc. de Paris</i>, l’abbé Lebeuf,
t. XII.) Nous le demandons, est-il possible d’admettre que, quarante ou cinquante
ans après une scène de ce genre, l’évêque et le chapitre de Paris eussent fait placer,
sur le portail de la cathédrale neuve, au-dessus des trois portes, au-dessus du Christ,
des statues colossales des rois de France, quand on commençait à peine à se faire une
idée du pouvoir monarchique?
 
<span id="footnote133">[[#note133|133]] : A Paris. Autrefois à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]].
 
<span id="footnote134">[[#note134|134]] : On n’a pas oublié qu’à Paris l’une des deux églises cathédrales était placée sous
le titre de saint Étienne. Le tympan de la porte sud retrace la prédication et le martyre
de ce saint, dont la statue était posée sur le trumeau; dans les ébrasements
étaient rangées les statues de saint Denis, de ses deux compagnons, et de quelques
autres saints évêques du diocèse. La statue de saint Étienne se voyait encore dans
l’une des niches latérales de la façade. Ce fut, en effet, pour bâtir cette façade que
l’on détruisit les restes de la vieille église de Saint-Étienne; et lors de la construction
de cette façade, le portail sud actuel n’était point élevé.
 
<span id="footnote135">[[#note135|135]] : Reims.
 
<span id="footnote136">[[#note136|136]] : Paris, sur les pignons des fenêtres des chapelles du chœur; Reims.
 
<span id="footnote137">[[#note137|137]] : [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Canterbury]].
 
<span id="footnote138">[[#note138|138]] : Saint-Omer.
 
<span id="footnote139">[[#note139|139]] : Genève; [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cantorbery|Canterbury]].
 
<span id="footnote140">[[#note140|140]] : Un jour quelqu’un nous dit, en parcourant l’intérieur de Notre-Dame d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]]:
«Oui, c’est fort beau: mais c’est folie de vouloir conserver, quand même, ces
monuments d’un autre âge qui ne disent plus rien aujourd’hui; vous pourrez galvaniser
ces grands corps; la manie de l’archéologie et du <i>gothique</i> leur donnera quelques
années d’existence de plus; mais, cette mode passée, ils tomberont dans l’oubli,
au milieu de populations qui ont besoin de chemins de fer, d’écoles, de marchés,
d’abattoirs, de tout, enfin, ce qui est nécessaire à la vie journalière.» A quelques
jours de là, une grande solennité publique appelait dans la cathédrale un immense
concours de monde; elle était parée de quelques maigres tentures, son chœur
étincelait de lumières. Notre interlocuteur ne se souvenait plus de son discours
précédent; il s’écriait alors: «Vraiment, c’est bien là le monument de la cité; tout
ce qu’on peut faire pour donner de l’éclat à une cérémonie publique n’a jamais cet
aspect imposant du vieux monument qui appelle toute la population de la ville
sous ses voûtes. Voyez comme cette foule donne la vie à ce grand vaisseau si bien
disposé pour la contenir! Combien d’illustres personnages ont abrités ces arceaux!
Quelle idée merveilleuse d’avoir voulu et su élever la cathédrale comme un témoin
éternel de tous les grands événements d’une cité, d’un pays; d’avoir fait que ce témoin
vit, parle, en présentant au peuple ces exemples tirés de l’histoire de l’humanité, ou
plutôt du cœur humain!» Pour un peu, notre interlocuteur, entraîné par la grandeur
du sujet, nous eût accusé de froideur. Telle est aujourd’hui la cathédrale française:
aimée au fond du cœur par les populations; tour à tour flattée et honnie par ceux
qui sont charmés de s’en servir, mais qui ne songent guère à la conserver; occupée
par un clergé sans ressources, et souvent insouciant; énigme pour la plupart,
dernier vestige des temps d’ignorance, de superstition et de barbarie pour quelques-uns,
texte de phrases creuses pour ces rêveurs, amateurs de poésie nébuleuse, qui
ne voient qu’ogives élancées vers le ciel, dentelles de pierre, sculpture mystérieuse
ou fantastique, dans des monuments où tout est méthodique, raisonné, clair,
ordonné et précis; où tout a sa place marquée d’avance, et retrace l’histoire morale
de l’homme, les efforts persévérants de son intelligence contre la force matérielle
et la barbarie, ses épreuves et son dernier refuge dans un monde meilleur.