« La Case de l’oncle Tom/Ch XI » : différence entre les versions

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{{Titre|[[La Case de l’oncle Tom]]<br>Chapitre XI|[[Harriet Beecher Stowe]]|[[:Category:1852|1852]]}}
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::<div style="font-size: 90%">Prise de possession.</div>
 
 
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Tom est assis, sa Bible ouverte sur ses genoux, la tête appuyée sur sa main : tous deux se taisent. Il est de bonne heure, et les marmots dorment ensemble dans le coffre à roulettes
 
Tom possédait au plus haut degré la tendresse de cœur., les affections de famille qui, pour le malheur de sa race infortunée, sont un de ses caractères distinctifs. Il se leva, et alla en silence regarder ses enfants.
 
« Pour la dernière fois, » dit-il.
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— Des grâces ! dit tante Chloé, je n’en vois guère. C’est pas juste, non, c’est pas juste ! le maître n’aurait jamais dû en venir à te laisser prendre, toi, pour payer ses dettes. Lui as-tu pas gagné deux fois plus qu’on ne lui donne de toi ? Il te devait ta liberté ; il te la devait depuis des années. Il est peut-être bien empêché, je ne dis pas non ; mais ce qu’il fait là est mal, je le sens. Rien ne me l’ôterait de l’idée. Une créature si fidèle, qui a toujours mis l’intérêt du maître avant le sien, qui comptait plus sur lui que sur femme et enfants ! Ah ! ceux qui vendent l’amour du cœur, le sang du cœur pour se tirer d’embarras, auront à régler un jour avec le bon Dieu !…
 
— Chloé, si tu m’aimes, faut pas parler ainsi, pendant la dernière heure, peut-être, que nous aurons jamais à passer ensemble. Vrai, je peux pas entendre un mot contre le maître. A-t-il pas été mis dans mes bras tout petit ? C’est de ''nature'', vois-tu, que j’en pense toutes sortes de biens ; mais, lui, pourquoi se préoccuperait-il du pauvre Tom ? Les maîtres sont accoutumés à ce que tout se fasse au doigt et à l’œil, et ils n’y attachent pas d’importance. On ne peut pas s’y attendre, vois-tu ! compare seulement notre maître aux autres. — Qu’est-ce qui a été mieux traité, mieux nourri, mieux logé que Tom ? Jamais le maître n’aurait laissé arriver ce mauvais sort s’il avait pu le prévoir, — je le sais ; j’en suis sûr.
 
— C’est égal, — il y a quelque chose de mal ''au fond'', dit la tante Chloé, dont le trait prédominant était un sentiment têtu de justice ; je ne saurais au juste dire où, mais il y a du mal ''quelque part'', c’est certain.
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::::<center>Le pays effrayant, Inconnuinconnu,</center>
:::<center>Dont pas un voyageur n’est jamais revenu.</center>
 
 
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Un missionnaire, qui a vécu parmi les esclaves fugitifs au Canada, nous racontait que beaucoup se confessaient de s’être enfuis de chez d’assez bons maîtres, et d’avoir osé braver tous les périls de l’évasion, uniquement par l’horreur que leur inspirait l’idée d’être vendus dans le Sud, — sentence toujours suspendue sur leurs têtes, sur celles de leurs maris, de leurs femmes, de leurs enfants. L’Africain, naturellement craintif, patient, indécis, puise dans cette terreur un courage héroïque, qui lui fait affronter la faim, le froid, la souffrance, la traversée du désert, et les dangers plus redoutables encore qui l’attendent s’il échoue.
 
Le déjeuner de la famille fumait maintenant sur la table, car madame Shelby avait, pour cette matinée, exempté la tante Chloé de son service à la grande maison. La pauvre âme avait dépensé tout ce qui lui restait d’énergie dans les apprêts de ce repas d’adieu : elle avait tué son poulet de choix, pétri de son mieux ses galettes, juste au goût de son mari ; elle avait tiré de l’armoire, et rangé sur le manteau de la cheminée, certaines bou-teillesbouteilles de conserves qui n’apparaissaient que dans les grandes occasions.
 
« Seigneur bon Dieu ! dit Moïse triomphant, nous, gagner un fameux déjeuner ce matin ! »
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— Oh, Chloé ! reprit Tom avec douceur.
 
— C’est plus fort que moi, dit-elle en se cachant la figure dans son tablier ; je suis si ''émouvêeémouvée'', que je ne peux pas me retenir de mal faire. »
 
Les enfants ne bougeaient plus ; ils regardèrent d’abord leur père, puis leur mère, aux vêtements de laquelle se cramponnait la petite fille, en poussant des cris impérieux et perçanteperçants.
 
Tante Chloé s’essuya les yeux, et prit la petite dans ses bras. « Là, là ! dit-elle. Voilà qui est fini, j’espère. — Allons, mange un morceau, mon vieux ; c’était mon plus fin poulet. — Vous en aurez votre part aussi, pauvres petits ! Votre maman a été brusque avec vous. »
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Moïse et Pierrot n’attendirent pas une seconde invitation, et, se mettant à l’œuvre, ils firent honneur au déjeuner qui, sans eux, eût couru gros risque de rester intact.
 
« À présent, dit tante Chloé, s’affairant autour de la table, je vais empaqueter tes hardes. Qui sait s’ils ne te les prendront pas ! ils en sont bien capables ! Je connais leurs façons !… des gens de boue, quoi !… Je mets dans ce coin-là les gilets de flanelle pour tes rhumatismes ; faut en prendre soin, car tu n’auras plus personne pour t’en faire d’autres. Ici, en dessous, sont les vieilles chemises, et en dessus les neuves. Voilà les bas que j’ai remaillés hier soir ; j’ai mis dedans la pelote de laine pour les raccommoder. Mais, seigneur Bon Pieu ! qui le raccommodera ? » Et tante Chloé, de nouveau abattue, la tête penchée sur le bondbord de la caisse, éclata en sanglots. « Pensez un peu ! pas une âme pour avoir soin de toi, bien portant ou malade ! Je crois que je n’aurai plus le cœur d’être bonne après ça. »
 
Les petits garçons, ayant dépêché tout ce qu’il y avait à déjeuner, commencèrent à comprendre ce qui se passait, et, voyant leur mère en larmes, leur père profondément triste, ils se mirent à pleurnicher et à s’essuyer les yeux. L’oncle Tom tenait la petite sur ses genoux, et la laissait se passer toutes ses fantaisies : elle lui égratignait le visage, lui tirait les cheveux, et parfois éclatait en bruyantes explosions de joie, résultats évidents de ses méditations intérieures.
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« Eh ! Chloé, tu en prends ton parti mieux que nous ! dit l’une d’elles qui donnait libre cours à ses larmes, et que scandalisait le sombre et calme maintien de la tante Chloé, debout près du chariot.
 
— J’en ai fini drde pleurer, ''moi'', répliqua-t-elle en regardant d’un air fauve le marchand qui approchait, et, en tout cas, joje none donnerai pas à ce vilain démon le plaisir de m’entendre geindre !
 
— Monte, et vite ! » dit Haley à Tom, comme il traversait la foule des esclaves qui le suivaient d’un œil menaçant.
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— Oui, oui, vos ''merveilles'' sont toujours les plus pressées de s’enfuir ! Parlez-moi des tout à fait bêtes qui ne s’inquiètent pas où ils vont, des ivrognes qui ne se soucient que de boire ! Ceux-là sont faciles à garder ! ils prennent même un certain plaisir à être trimballés à droite, à gauche : ce que vos sujets de première qualité détestent comme le péché. Je ne connais pas de meilleure garantie que de bonnes chaînes. Laissez-leur des jambes, ils s’en serviront : comptez-y.
 
— C’est qu’aussi, reprîtreprit le forgeron, cherchant parmi ses outils, vos plantations du Sud ne sont pas prééminentprécisément l’endroit où un nègre du Kentucky se soucie d’aller. Ils meurent comme mouches là-bas ! pas vrai ?
 
— Oui, il en meurt pas mal, répliqua Haley. La difficulté de s’acclimater, une chose ou l’autre, vous les dépêche assez rondement pour tenir le marché en hausse.
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— Je n’en veux pas dire de mal, oncle Tom.
 
— Voyez-vous, massa Georgie, il vous faut être un brave garçon ! songez à tant de cœurs qui ont mis leur espérance en vous. Serrez-vous toujours contre votre mère. Ne soyez pas comme ces jeunes sots qui se croient trop grands pour écouter celle qui les àa portés et mis au monde. Le Seigneur, qui nous renouvelle ses plus beaux dons, ne nous donne qu’une mère ! vous ne verrez jamais la pareille de la vôtre, massa Georgie, quand vous devriez vivre cent ans ; Ainsi vous vous tiendrez à ses cotéscôtés, et vous grandirez près d’elle, pour être sa consolation et sa joie. N’est-ce pas, mon cher enfant, vous le ferez ?… vous le voulez ?
 
— Oui, je le veux, oncle Tom, dit Georgie d’un ton grave.
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« À présent, Tom, attention, dit Haley en revenant au chariot et y jetant les menottes. Je débuterai par la douceur, comme je le fais d’ordinaire avec mes nègres ; conduis-toi bien avec moi, je me conduirai bien avec toi ; c’est mon principe. Je ne suis pas dur avec mes hommes ; je calcule et fais pour le mieux. Je te conseille donc de prendre ton parti, et de ne pas me jouer de tours. D’abord, je suis fait à toutes vos rubriques, et l’on ne m’attrape pas. Si le nègre est tranquille et n’essaie pas de détaler, il a du bon temps avec moi ; autrement c’est de sa faute, non de la mienne. »
 
Tom affirma qu’il n’avait nulle intention de fuir, assurance superflue de la part d’un homme qui avait les fers aux pieds. Mais M. Haley avait pour habitude d’entamer ses relations avec sa marchandise par quelques avis anodins, de nature à réconforter l’article, à lui inspirer con-fianceconfiance et gaieté, et à prévenir des scènes désagréables.
 
Prenant momentanément congé de Tom, nous suivrons la destinée des autres personnages de notre histoire.