« La Machine à explorer le temps » : différence entre les versions

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=== Table des matières ===
 
CHAPITRE PREMIER INITIATION
 
INITIATION 4
CHAPITRE II LA MACHINE
 
LA MACHINE 12
CHAPITRE III L’EXPLORATEUR REVIENT
 
L’EXPLORATEUR REVIENT 18
CHAPITRE IV LE VOYAGE
 
LE VOYAGE 26
CHAPITRE V DANS L’ÂGE D’OR
 
DANS L’ÂGE D’OR 33
CHAPITRE VI LE CRÉPUSCULE DE L’HUMANITÉ
 
LE CRÉPUSCULE DE L’HUMANITÉ 38
CHAPITRE VII UN COUP INATTENDU
 
UN COUP INATTENDU 45
CHAPITRE VIII EXPLORATIONS
 
EXPLORATIONS 53
CHAPITRE IX LES MORLOCKS
 
LES MORLOCKS 66
CHAPITRE X QUAND LA NUIT VINT
 
QUAND LA NUIT VINT 73
CHAPITRE XI LE PALAIS DE PORCELAINE VERTE
 
LE PALAIS DE PORCELAINE VERTE 81
CHAPITRE XII DANS LES TENÉBRES
 
DANS LES TENÉBRES 89
CHAPITRE XIII LA TRAPPE DU SPHINX BLANC
 
LA TRAPPE DU SPHINX BLANC 97
CHAPITRE XIV L’ULTIME VISION
 
L’ULTIME VISION 101
CHAPITRE XV LE RETOUR DE L’EXPLORATEUR
 
LE RETOUR DE L’EXPLORATEUR 107
CHAPITRE XVI APRÈS LE RÉCIT
 
APRÈS LE RÉCIT 109
CHAPITRE XVII ÉPILOGUE
 
ÉPILOGUE 115
À propos de cette édition électronique 116
 
== CHAPITRE premier. Initiation ==
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Puis Filby entama l’histoire d’un prestidigitateur qu’il avait vu à Burslem : mais avant même qu’il eût terminé son introduction, l’Explorateur du Temps revint, et l’anecdote en resta là.
 
CHAPITRE== Chapitre II. La Machine ==
 
L’OBJET que l’Explorateur du Temps tenait à la main était une espèce de mécanique en métal brillant, à peine plus grande qu’une petite horloge, et très délicatement faite. Certaines parties étaient en ivoire, d’autres en une substance cristalline et transparente.
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Je rencontrai le regard de Filby par-dessus l’épaule du Docteur ; il eut un solennel clignement de paupières.
 
CHAPITRE== Chapitre III. L’Explorateur revient ==
 
JE crois qu’aucun de nous ne crut alors à la machine. Le fait est que notre ami était un de ces hommes qui sont trop intelligents, trop habiles ou trop adroits pour qu’on les croie ; on avait avec lui l’impression qu’on ne le voyait jamais en entier ; on suspectait toujours quelque subtile réserve, quelque ingénuité en embuscade, derrière sa lucide franchise. Si c’eût été Filby qui nous eût montré le modèle et expliqué la chose, nous eussions été à son égard beaucoup moins sceptiques. Car nous nous serions rendu compte de ses motifs : un charcutier comprendrait Filby. Mais l’Explorateur du Temps avait plus qu’un soupçon de fantaisie parmi ses éléments constitutifs, et nous nous défiions de lui. Des choses qui auraient fait la renommée d’hommes beaucoup moins capables semblaient entre ses mains des supercheries. C’est une erreur de faire les choses trop facilement. Les gens graves qui le prenaient au sérieux ne se sentaient jamais sûrs de sa manière de faire. Ils semblaient en quelque sorte sentir qu’engager leurs réputations de sain jugement avec lui, c’était meubler une école avec des objets de porcelaine coquille d’œuf. Aussi je ne pense pas qu’aucun de nous ait beaucoup parlé de l’Explorateur du Temps dans l’intervalle qui sépara ce jeudi-là du suivant, bien que tout ce qu’il comportait de virtualités bizarres hantât sans aucun doute la plupart de nos esprits : ses éventualités, c’est-à-dire tout ce qu’il y avait de pratiquement incroyable, les curieuses possibilités d’anachronisme et de complète confusion qu’il suggérait. Pour ma part, j’étais particulièrement préoccupé par l’escamotage de la maquette. Je me rappelle en avoir discuté avec le Docteur que je rencontrai le vendredi au Linnoean. Il me dit avoir vu une semblable mystification à Tübingen, et il attachait une grande importance à la bougie soufflée. Mais il ne pouvait expliquer de quelle façon le tour se jouait.
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Alors l’Explorateur du Temps raconta son histoire telle que je la transcris plus loin. Il s’enfonça d’abord dans son fauteuil, et parla du ton d’un homme fatigué ; peu à peu il s’anima. En l’écrivant, je ne sens que trop vivement l’insuffisance de la plume et du papier et surtout ma propre insuffisance pour l’exprimer avec toute sa valeur. Vous lirez, sans doute avec attention ; mais vous ne pourrez voir, dans le cercle brillant de la petite lampe, la face pâle et franche du conteur, et vous n’entendrez pas les inflexions de sa voix. Vous ne saurez pas combien son expression suivait les phases de son récit ! La plupart d’entre nous, qui écoutions, étions dans l’ombre, car les bougies des candélabres du fumoir n’avaient pas été allumées, et seules la face du journaliste et les jambes de l’Homme silencieux étaient éclairées. D’abord, nous nous regardions les uns les autres de temps en temps. Puis au bout d’un moment nous cessâmes de le faire pour rester les regards fixés sur le visage de l’Explorateur du Temps.
 
CHAPITRE== Chapitre IV. Le Voyage ==
 
« J’AI déjà exposé, jeudi dernier, à quelques-uns d’entre vous, les principes de ma machine pour voyager dans le Temps, et je vous l’ai montrée telle qu’elle était, mais inachevée et sur le métier. Elle y est encore maintenant, quelque peu fatiguée par le voyage, à vrai dire ; l’une des barres d’ivoire est fendue, et une traverse de cuivre est faussée ; mais le reste est encore assez solide. Je pensais l’avoir terminée le vendredi ; mais vendredi, quand le montage fut presque fini, je m’aperçus qu’un des barreaux de nickel était trop court de deux centimètres et demi exactement, et je dus le refaire, de sorte que la machine ne fut entièrement achevée que ce matin. C’est donc aujourd’hui à dix heures que la première de toutes les machines de ce genre commença sa carrière. Je l’examinai une dernière fois, m’assurai de la solidité des écrous, mis encore une goutte d’huile à la tringle de quartz et m’installai sur la selle. Je suppose que celui qui va se suicider et qui tient contre son crâne un pistolet doit éprouver le même sentiment que j’éprouvai alors de curiosité pour ce qui va se passer immédiatement après. Je pris dans une main le levier de mise en marche et dans l’autre le levier d’arrêt – j’appuyai sur le premier et presque immédiatement sur le second. Je crus chanceler, puis j’eus une sensation de chute comme dans un cauchemar. Alors, regardant autour de moi, je vis mon laboratoire tel qu’à l’ordinaire. S’était-il passé quelque chose ? Un moment je soupçonnai mon intellect de m’avoir joué quelque tour. Je remarquai alors la pendule ; le moment d’avant elle marquait, m’avait-il semblé, une minute ou deux après dix heures ; maintenant il était presque trois heures et demie !
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« Je fus frappé par l’aspect de cette créature très belle et gracieuse, mais étonnamment frêle. Ses joues roses me rappelaient ces beaux visages de phtisiques – cette beauté hectique dont ou nous a tant parlé. À sa vue, je repris soudainement confiance, et mes mains abandonnèrent la machine. »
 
CHAPITRE== Chapitre V. Dans l’âge d’or ==
 
« EN un instant nous étions face à face, cet être fragile et moi. Il s’avança sans hésiter et se mit à me rire au nez. L’absence de tout signe de crainte dans sa contenance me frappa tout à coup. Puis il se tourna vers les deux autres qui le suivaient et leur parla dans une langue étrange, harmonieuse et très douce.
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En voilà assez sur ce dîner frugal. Aussitôt que je fus un peu restauré, je me décidai à tenter résolument d’apprendre tout ce que je pourrais du langage de mes nouveaux compagnons. C’était évidemment la première chose à faire. Les fruits même du repas me semblèrent convenir parfaitement pour une entrée en matière, et j’en pris un que j’élevai, en essayant une série de sons et de gestes interrogatifs. J’éprouvai une difficulté considérable à faire comprendre mon intention. Tout d’abord mes efforts ne rencontrèrent que des regards d’ébahissement ou des rires inextinguibles, mais tout à coup une petite créature sembla saisir l’objet de ma mimique et répéta un nom. Ils durent babiller et s’expliquer fort longuement la chose entre eux, et mes premières tentatives d’imiter les sons exquis de leur doux langage parurent les amuser énormément, d’une façon dénuée de toute affectation, encore qu’elle ne fût guère civile. Cependant je me faisais l’effet d’un maître d’école au milieu de jeunes enfants et je persistai si bien que je me trouvai bientôt en possession d’une vingtaine de mots au moins ; puis j’en arrivai aux pronoms démonstratifs et même au verbe manger. Mais ce fut long ; les petits êtres furent bientôt fatigués et éprouvèrent le besoin de fuir mes interrogations ; de sorte que je résolus, par nécessité, de prendre mes leçons par petites doses quand cela leur conviendrait. Je m’aperçus vite que ce serait par très petites doses ; car je n’ai jamais vu de gens plus indolents et plus facilement fatigués.
 
CHAPITRE== Chapitre VI. Le Crépuscule de l’humanité ==
 
« BIENTÔT je fis l’étrange découverte que mes petits hôtes ne s’intéressaient réellement à rien. Comme des enfants, ils s’approchaient de moi pleins d’empressement, avec des cris de surprise, mais, comme des enfants aussi, ils cessaient bien vite de m’examiner et s’éloignaient en quête de quelque autre bagatelle. Après le dîner et mes essais de conversation, je remarquai pour la première fois que tous ceux qui m’avaient entouré à mon arrivée étaient partis. Et de même, étrangement, j’arrivai vite à faire peu de cas de ces petits personnages. Ma faim et ma curiosité étant satisfaites, je retournai, en franchissant le porche, dehors à la clarté du soleil. Sans cesse je rencontrais de nouveaux groupes de ces humains de l’avenir, et ils me suivaient à quelque distance, bavardaient et riaient à mon sujet, puis, après m’avoir souri et fait quelques signaux amicaux, ils m’abandonnaient à mes réflexions.
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« Et je restais là, dans les ténèbres envahissantes, pensant avoir, par cette simple explication, résolu le problème du monde – pénétré le mystère de l’existence de ces délicieux êtres. Il se pouvait que les moyens qu’ils avaient imaginés pour restreindre l’accroissement de la population eussent trop bien réussi, et que leur nombre, au lieu de rester stationnaire, eût plutôt diminué. Cela eût expliqué l’abandon des ruines. Mon explication était très simple, et suffisamment plausible – comme le sont la plupart des théories erronées.
 
CHAPITRE== Chapitre VII. Un coup inattendu ==
 
« TANDIS que je méditais sur ce trop parfait triomphe de l’homme, la pleine lune, jaune et gibbeuse, surgit au nord-est, d’un débordement de lumière argentée. Les brillants petits êtres cessèrent de s’agiter au-dessous de moi, un hibou silencieux voltigea, et je frissonnai à l’air frais de la nuit. Je me décidai à descendre et à trouver un endroit où je pourrais dormir.
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« Comme je traversais le grand palais, il me sembla que les petits êtres m’évitaient. Était-ce simple imagination de ma part ? ou l’effet de mes coups de pierre dans les portes de bronze ? Quoi qu’il en soit, j’étais à peu près sûr qu’ils me fuyaient. Je pris soin néanmoins de ne rien laisser paraître, et de m’abstenir de les poursuivre ; au bout de deux ou trois jours, les choses se remirent sur le même pied qu’auparavant. Je fis tous les progrès que je pus dans leur langage et de plus je poussai des explorations ici et là. À moins que je n’eusse pas aperçu quelque point subtil, leur langue était excessivement simple – presque exclusivement composée de substantifs concrets et de verbes. Il ne paraissait pas y avoir beaucoup – s’il y en avait – de termes abstraits, et ils employaient peu la langue figurée. Leurs phrases étaient habituellement très simples, composées de deux mots, et je ne pouvais leur faire entendre – et comprendre moi-même – que les plus simples propositions. Je me décidai à laisser l’idée de ma Machine et le mystère des portes de bronze autant que possible à l’écart, jusqu’à ce que mes connaissances augmentées pussent m’y ramener d’une façon naturelle. Cependant un certain sentiment, comme vous pouvez le comprendre, me retenait dans un cercle de quelques kilomètres autour du lieu de mon arrivée.
 
CHAPITRE== Chapitre VIII. Explorations ==
 
Aussi loin que je pouvais voir, le monde étalait la même exubérante richesse que la vallée de la Tamise. De chaque colline que je gravis, je pus voir la même abondance d’édifices splendides, infiniment variés de style et de manière ; les mêmes épais taillis de sapins, les mêmes arbres couverts de fleurs et les mêmes fougères géantes. Ici et là, de l’eau brillait comme de l’argent, et au-delà, la campagne s’étendait en bleues ondulations de collines et disparaissait au loin dans la sérénité du ciel. Un trait particulier, qui attira bientôt mon attention, fut la présence de certains puits circulaires, plusieurs, à ce qu’il me sembla, d’une très grande profondeur. L’un d’eux était situé auprès du sentier qui montait la colline, celui que j’avais suivi lors de ma première excursion. Comme les autres, il avait une margelle de bronze curieusement travaillé, et il était protégé de la pluie par une petite coupole. Assis sur le rebord de ces puits, et scrutant leur obscurité profonde, je ne pouvais voir aucun reflet d’eau, ni produire la moindre réflexion avec la flamme de mes allumettes. Mais dans tous j’entendis un certain son : un bruit sourd, par intervalles, comme les battements d’une énorme machine ; et d’après la direction de la flamme de mes allumettes, je découvris qu’un courant d’air régulier était établi dans les puits. En outre, je jetai dans l’orifice de l’un d’eux une feuille de papier, et au lieu de descendre lentement en voltigeant, elle fut immédiatement aspirée et je la perdis de vue.
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« Alors vinrent des doutes importuns. Pourquoi les Morlocks avaient-ils pris la Machine ? Car j’étais sûr que c’étaient eux qui l’avaient prise. Et pourquoi, si les Éloïs étaient les maîtres, ne pouvaient-ils pas me faire rendre ma Machine ? Pourquoi avaient-ils une telle peur des ténèbres ? J’essayai, comme je l’ai dit, de questionner Weena sur ce monde inférieur, mais là encore je fus désappointé. Tout d’abord elle ne voulut pas comprendre mes questions, puis elle refusa d’y répondre. Elle frissonnait comme si le sujet eût été insupportable. Et lorsque je la pressai peut-être un peu rudement, elle fondit en larmes. Ce furent les seules larmes, avec les miennes, que j’aie vues dans cet âge heureux. Je cessai, en les voyant, de l’ennuyer à propos des Morlocks, et m’occupai seulement à bannir des yeux de Weena ces signes d’un héritage humain. Et bientôt elle sourit et battit des mains tandis que solennellement je craquais une allumette.
 
CHAPITRE== Chapitre IX. Les Morlocks ==
 
« IL peut vous sembler drôle que j’aie laissé passer deux jours avant de poursuivre l’indication nouvelle qui me mettait sur la véritable voie, mais je ressentais une aversion particulière pour ces corps blanchâtres. Ils avaient exactement la couleur livide qu’ont les vers et les animaux conservés dans l’alcool, tels qu’on les voit dans les musées zoologiques. Au toucher, ils étaient d’un froid répugnant. Mon aversion était due probablement à l’influence sympathique des Éloïs, dont je commençais maintenant à comprendre le dégoût pour les Morlocks.
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Cette escalade me semblait interminable. Pendant les derniers sept ou dix mètres, une nausée mortelle me prit. J’eus la plus grande difficulté à ne pas lâcher prise. Aux derniers échelons, ce fut une lutte terrible contre cette défaillance. À plusieurs reprises la tête me tourna et j’anticipai les sensations d’une chute. Enfin, cependant, je parvins du mieux que je pus jusqu’en haut et, enjambant la margelle, je m’échappai en chancelant hors des ruines, jusqu’au soleil aveuglant. Là, je tombai la face contre terre. Le sol me paraissait dégager une odeur douce et propre. Puis je me rappelle Weena baisant mes mains et mes oreilles et les voix d’autres Éloïs. Ensuite, pendant un certain temps, je reperdis connaissance.
 
CHAPITRE== Chapitre X. Quand la nuit vint ==
 
« JE me trouvai, après cet exploit, dans une situation réellement pire qu’auparavant. Jusque-là, sauf pendant la nuit d’angoisse qui suivit la perte de la Machine, j’avais eu l’espoir réconfortant d’une ultime délivrance, mais cet espoir était ébranlé par mes récentes découvertes. Jusque-là, je m’étais simplement cru retardé par la puérile simplicité des Éloïs et par quelque force inconnue qu’il me fallait comprendre pour la surmonter ; mais un élément entièrement nouveau intervenait avec l’écœurante espèce des Morlocks – quelque chose d’inhumain et de méchant. J’éprouvais pour eux une haine instinctive. Auparavant, j’avais ressenti ce que ressentirait un homme qui serait tombé dans un gouffre : ma seule affaire était le gouffre et le moyen d’en sortir. Maintenant je me sentais comme une bête dans une trappe, appréhendant un ennemi qui doit survenir bientôt.
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« J’avais à ce moment des idées très vagues sur ce que j’allais faire. Ma première idée était de m’assurer quelque retraite certaine et de me fabriquer des armes de métal ou de pierre. Cette nécessité était immédiate. Ensuite, j’espérais me procurer quelque moyen de faire du feu, afin d’avoir l’arme redoutable qu’était une torche, car rien, je le savais, ne serait plus efficace contre ces Morlocks. Puis il me faudrait imaginer quelque expédient pour rompre les portes de bronze du piédestal du Sphinx Blanc. J’avais l’idée d’une sorte de bélier. J’étais persuadé que, si je pouvais ouvrir ces portes et tenir devant moi quelque flamme, je découvrirais la Machine et pourrais m’échapper. Je ne pouvais croire que les Morlocks fussent assez forts pour la transporter bien loin. J’étais résolu à ramener Weena avec moi dans notre époque actuelle. En retournant tous ces projets dans ma tête, je poursuivis mon chemin vers l’édifice que ma fantaisie avait choisi pour être notre demeure.
 
CHAPITRE== Chapitre XI. Le Palais de porcelaine verte ==
 
« Nous arrivâmes vers midi au Palais de Porcelaine Verte, que je trouvai désert et tombant en ruine. Il ne restait aux fenêtres que des fragments de vitres, et de grandes plaques de l’enduit vert de la façade s’étaient détachées des châssis métalliques corrodés. Le palais était situé au haut d’une pente gazonnée et, tournant, avant d’entrer, mes yeux vers le nord-est, je fus surpris de voir un large estuaire et même un véritable bras de mer là où je croyais qu’avaient été autrefois Wandsworth et Battersea. Je pensai alors – sans suivre plus loin cette idée – à ce qui devait être arrivé ou peut-être arrivait aux êtres vivant dans la mer.
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Jusqu’à ce moment je m’étais abstenu de les forcer, à cause du mystère qu’elles recelaient. Elles ne m’avaient jamais fait l’impression d’être bien solides, et j’espérais que ma barre de fer ne serait pas trop disproportionnée à l’ouvrage.
 
CHAPITRE== Chapitre XII. Dans les ténèbres ==
 
« Nous sortîmes du palais alors que le soleil était encore en partie au-dessus de l’horizon. J’avais décidé d’atteindre le Sphinx Blanc le lendemain matin de bonne heure et je me proposais de traverser avant la nuit la forêt qui m’avait arrêté en venant. Mon plan était d’aller aussi loin que possible ce soir-là, et ensuite de préparer un feu à la lueur duquel nous pourrions dormir. En conséquence, au long du chemin, je ramassai des herbes sèches et des branches dont j’eus bientôt les bras remplis ; ainsi chargé, nous avancions plus lentement que je ne l’avais prévu, et de plus Weena était très fatiguée. Je commençai aussi à sentir un assoupissement me gagner ; si bien qu’il faisait tout à fait nuit lorsque nous atteignîmes l’orée de la forêt. Weena, redoutant l’obscurité, aurait voulu s’arrêter à la lisière ; mais la singulière sensation d’une calamité imminente qui aurait dû, en fait, me servir d’avertissement, m’entraîna en avant. Je n’avais pas dormi depuis deux jours et une nuit, et j’étais fiévreux et irritable ; je sentais le sommeil me vaincre, et avec lui venir les Morlocks.
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« Mais, en avançant sur les cendres fumantes, sous le ciel brillant du matin, je fis une découverte. Dans la poche de mon pantalon, il y avait encore quelques allumettes qui avaient dû s’échapper de la boîte avant que les Morlocks ne la prissent.
 
CHAPITRE== Chapitre XIII. La Trappe du sphinx blanc ==
 
« LE matin, vers huit ou neuf heures, j’arrivai à ce même siège de métal jaune d’où, le soir de mon arrivée, j’avais jeté mes premiers regards sur ce monde. Je pensai aux conclusions hâtives que j’avais formées ce soir-là et ne pus m’empêcher de rire amèrement de ma présomption. C’était encore le même beau paysage, les mêmes feuillages abondants, les mêmes splendides palais, les mêmes ruines magnifiques et la même rivière argentée coulant entre ses rives fertiles. Les robes gaies des Éloïs passaient ici et là entre des arbres. Quelques-uns se baignaient à la place exacte où j’avais sauvé Weena, et cette vue raviva ma peine. Comme des taches qui défiguraient le paysage, s’élevaient les coupoles au-dessus du puits menant au monde souterrain. Je savais maintenant ce que recouvrait toute cette beauté du monde extérieur. Très agréablement s’écoulaient les journées pour ses habitants, aussi agréablement que les journées que passe le bétail dans les champs. Comme le bétail, ils ne se connaissaient aucun ennemi, ils ne se mettaient en peine d’aucune nécessité. Et leur fin était la même.
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« Mais enfin le levier fut fixé et mis au cran de marche. Les mains qui m’avaient saisi se détachèrent de moi. Les ténèbres se dissipèrent et je me retrouvai dans la même lumière grise et le même tumulte que j’ai déjà écrits.
 
CHAPITRE== Chapitre XIV. L’Ultime Vision ==
 
« JE vous ai déjà dit quelles sensations nauséeuses et confuses donne un voyage dans le Temps ; et cette fois j’étais mal assis sur la selle, tout de côté et d’une façon peu stable. Pendant un temps indéfini, je me cramponnai à la Machine qui oscillait et vibrait, sans me soucier de savoir où j’allais, et, quand je me décidai à regarder les cadrans, je fus stupéfait de voir où j’étais arrivé. L’un des cadrans marque les jours, un autre les milliers de jours, un troisième les millions de jours, et le dernier les centaines de millions de jours. Au lieu d’avoir placé les leviers sur la marche arrière, je les avais mis sur la marche avant, et quand je jetai les yeux sur les indicateurs, je vis que l’aiguille des mille tournait – vers le futur – aussi vite que l’aiguille des secondes d’une montre.
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« Une horreur me prit de ces grandes ténèbres. Le froid qui me pénétrait jusqu’aux moelles et la souffrance que me causait chacune de mes respirations eurent raison de moi. Je frissonnai et une nausée mortelle m’envahit. Alors, comme un grand fer rouge, réapparut au ciel le contour du disque solaire. Je descendis de la Machine pour reprendre mes sens, car je me sentais engourdi et incapable d’affronter le retour. Tandis que j’étais là, mal à l’aise et étourdi, je vis de nouveau, contre le fond rougeâtre de la mer, l’objet qui remuait sur le banc de sable : il n’y avait plus maintenant de méprise possible, c’était bien quelque chose d’animé, une chose ronde de la grosseur d’un ballon de football à peu près, ou peut-être un peu plus gros, avec des tentacules traînant par-derrière, qui paraissait noire contre le bouillonnement rouge-sang de la mer, et sautillait gauchement de-ci, de-là. À ce moment, je me sentis presque défaillir. Mais la peur terrible de rester privé de secours dans ce crépuscule reculé et épouvantable me donna des forces suffisantes pour regrimper sur la selle.
 
CHAPITRE== Chapitre XV. Le Retour de l’explorateur ==
 
« ET c’est ainsi que je revins. Je dus rester pendant longtemps insensible sur la Machine. La succession clignotante des jours et des nuits reprit, le soleil resplendit à nouveau et le ciel redevint bleu. Je respirai plus aisément. Les contours flottants de la contrée crûrent et décrûrent. Les aiguilles sur les cadrans tournaient à rebours. Enfin je vis à nouveau de vagues ombres de maisons, des traces de l’humanité décadente qui elles aussi changèrent et passèrent pendant que d’autres leur succédaient.
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« Pendant un temps, j’eus le cerveau engourdi ; puis je me levai et par le passage je vins jusqu’ici, boitant, mon talon étant toujours douloureux, et me sentant désagréablement crasseux. Sur la table près de la porte, je vis la Pall Mall Gazette, qui était bien datée d’aujourd’hui, et pendant que je levais les yeux vers la pendule qui marquait presque huit heures, j’entendis vos voix et le bruit des couverts. J’hésitai – me sentant si faible et si souffrant. Alors je reniflai une bonne et saine odeur de viande et j’ouvris la porte. Vous savez le reste. Je fis ma toilette, dînai, et maintenant je vous ai conté mon histoire. »
 
CHAPITRE== Chapitre XVI. Après le récit ==
 
« JE sais, dit-il après une pause, que tout ceci est pour vous absolument incroyable ; mais pour moi, la seule chose incroyable est que je sois ici ce soir, dans ce vieux fumoir intime, heureux de voir vos figures amicales et vous racontant toutes ces étranges aventures. »
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Alors je compris. Au risque de désappointer Richardson, j’attendis le retour de mon ami, j’attendis le second récit, peut-être plus étrange encore, et les spécimens et les photographies qu’il rapporterait sûrement. Mais je commence à craindre maintenant qu’il ne me faille attendre toute la vie. L’Explorateur du temps disparut il y a trois ans, et, comme tout le monde le sait maintenant, il n’est jamais revenu.
 
CHAPITRE== Chapitre XVII. Épilogue ==
 
ON ne peut s’empêcher de faire des conjectures. Reviendra-t-il jamais ? Il se peut qu’il se soit aventuré dans le passé et soit tombé parmi les sauvages chevelus et buveurs de sang de l’âge de pierre ; dans les abîmes de la mer crétacée ; ou parmi les sauriens gigantesques, les immenses reptiles de l’époque jurassique. Il est peut-être maintenant – si-je puis employer cette phrase – en train d’errer sur quelque écueil oolithique peuplé de plésiosaures, ou aux bords désolés des mers salines de l’âge triasique. Ou bien, alla-t-il vers l’avenir, vers des âges prochains, dans lesquels les hommes sont encore des hommes, mais où les énigmes de notre époque et ses problèmes pénibles sont résolus ? Dans la maturité de la race : car, pour ma propre part, je ne puis croire que ces récentes périodes de timides expérimentations, de théories fragmentaires et de discorde mutuelle soient le point culminant où doive atteindre l’homme. Je dis : pour ma propre part. Lui, je le sais – car la question avait été débattue entre nous longtemps avant qu’il inventât sa Machine –, avait des idées décourageantes sur le Progrès de l’Humanité, et il ne voyait dans les successives transformations de la civilisation qu’un entassement absurde destiné, à la fin, à retomber et à détruire ceux qui l’avaient construite. S’il en est ainsi, il nous reste de vivre comme s’il en était autrement. Mais pour moi, l’avenir est encore obscur et vide ; il est une vaste ignorance, éclairée, à quelques endroits accidentels, par le souvenir de son récit. Et j’ai conservé, pour mon réconfort, deux étranges fleurs blanches – recroquevillées maintenant, brunies, sèches et fragiles –, pour témoigner que lorsque l’intelligence et la force eurent disparu, la gratitude et une tendresse mutuelle survécurent encore dans le cœur de l’homme et de la femme.