« Mémoire sur la matière du son » : différence entre les versions

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Coquilles
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LE choc des corps, opéré à certaine distance de nous, produit sur l’organe de notre ouïe une sensation connue de tout le monde, sous le nom de ''bruit'' ou de ''son'' {{refl|1}}. Il n’est pas douteux que cette sensation ne soit le résultat de l’ébranlement ou de la vibration d’une matière fluide, interposée entre le corps choqué et notre organe ; matière que son extrême transparence ne nous permet pas d’apercevoir.
 
Quelque familière que nous soit cette sensation du son ou du bruit, il me semble que la matière qui la cause, en affectant notre organe auditif, ne nous est pas encore bien connue.

Peut-être paroîtra-t-il d’abord assez indifférent à quelques personnes, de savoir quelle est réellement cette matière ; car il y a peu d’apparence, diront-elles, que plus de connoissances à cet égard nous soient de grande utilité. Pour moi, je pense, au contraire, qu’il importe beaucoup pour l’avancement de nos connoissances en physique, de déterminer positivement quelle est la matière invisible qui occasionne en nous la sensation du bruit ou du son, parce que des recherches à cet égard peuvent nous mettre dans le cas de découvrir quelque fluide particulier, qui, quoiqu’échappant à plusieurs de nos sens par sa ténuité et son extrême transparence, peut être néanmoins assez actif et assez puissant pour influer considérablement sur la plupart des faits physiques que nous observons, et peut-être encore sur des faits relatifs à l’organisation des êtres vivans, qu’il nous est si important de bien connoître.
 
Le fluide invisible qui est pour nous la matière propre du son et du bruit, se trouvant nécessairement interposé entre les corps choqués et notre organe auditif, doit être un fluide qui nous environne partout, dans lequel, par conséquent, nous nous trouvons sans cesse plongés ; en un mot, il doit constituer le milieu invisible dans lequel nous vivons, ou au moins en faire partie.
 
Quoique l’air commun, que je nomme ''gaz atmosphérique'' {{refl|2}}, soit un fluide absolument nuisible, ce fluide, dans lequel nous sommes continuellement plongés, est sans doute de tout tems parvenu à notre connoissance, parce que dans ses déplacement il se rend sensible à nous en affectant l’organe du toucher, en nous poussant même avec force, et ensuite parce qu’étant d’une certaine grossièreté dans ses parties, nous avons la facilité de l’enfermer dans des vaisseaux, de l’y retenir à notre gré, d’en faire l’examen, etc. etc.
 
Il étoit donc naturel de penser qu’un fluide dans lequel nous sommes sans cesse plongés, qui se trouve par conséquent interposé entre tous les corps et nous, que nous connoissons en quelque sorte de tout tems, qui nous semble d’ailleurs jouir d’un ressort considérable, devoit être la matière même qui nous affecte dans la sensation du son ou du bruit. Il étoit raisonnable de croire que c’étoit ce même fluide qui, dans le choc des corps, recevoit un ébranlement ou des vibrations dans un degré de force proportionné, et propageoit cet ébranlement ou ces vibrations jusqu’à notre ouïe.
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Nous allons voir que la matière fluide qui forme le bruit ou le son, a la faculté de propager à travers différens milieux, et surtout à travers des milieux solides, les ébranlemens ou les vibrations qu’elle peut recevoir du choc des corps, et qu’en conséquence il est nécessaire que sa ténuité ou son extrême rarité la mette dans le cas de traverser facilement ces différens milieux. Or, on sait que l’air commun ne sauroit traverser une vessie de porc lorsqu’on l’y enferme, et qu’on peut le retenir à son gré dans toutes sortes de vaisseaux ; il n’a donc point les propriétés dont jouit évidemment la matière propre du son.
 
Lorsqu’arriva l’affreux accident qu’éprouva la poudrerie établie dans la plaine de Grenelle, prés Paris (le 14 fructidor an 2), je distinguai très-bien la commotion qui ébranloit tout, et qui causa tant de dommages dans les matières fragiles, du bruit ou craquement remarquable qui lui succéda, et qui parvint à mon oreille à travers l’air commun. Je m’aperçus clairement que le fluide qui causa la commotion que je ressentis dans le lieu où je me trouvois, arrivoit à moi à travers la masse du sol, me pénétroit, et occasionnoit en moi une sensation sourde et particulière très-distincte de celle que le bruit qui se progageoit à travers l’air, vint opérer sur mon ouïe. Je suis convaincu que l’air commun étoit incapable de produire de semblables effets ; car quelles que soient les ondulations ou les vibrations qu’on pourroit supposer s’être alors formées dans sa masse, elles ne pourroient s’être propagées à travers le sol à la distance d’environ cinq kilomètres (plus d’une lieue), où je me trouvois, avec la célérité et la force que je remarquai dans cette circonstance. J’eus donc occasion de me convaincre que la commotion {{refl|3}} que j’éprouvai à cette grande distance, étoit due singuliérement à l’agitation violente d’un fluide subtil et élastique qui avoit la faculté de traverser la masse du sol sans résistance, ou plutôt qui, s’y trouvant répandu, y propageoit les ébranlemens violens qui venoient de lui être communiqués.
 
La matière qui occasiona la commotion dont il s’agit, produisit les plus grands effets sur les corps denses, et ne fit point osciller le feuillage des arbres ; ce que j’observai étant à ma fenêtre, et faisant face au lieu où s’opéroit cette terrible détonnation. Une porte de communication de ma chambre à une pièce voisine s’ouvrit, et les plus légers ébranlemens ne se firent point remarquer dans les rideaux. Le piton d’un crochet de fer qui tenoit une autre porte fermée, s’arracha, pendant que dans le même lieu le calme de l’air se faisoit ressentir par le repos des corps légers. J’appris le lendemain que, dans une maison fort élevée qu’occupoit alors le citoyen Crapelet, imprimeur (rue des Carmes), la commotion s’étoit si fortement fait ressentir dans le bas, au rez-de-chaussée de cette maison, que les ouvriers y avoient été effrayés de l’ébranlement qu’ils remarquoient dans les meubles de leur atelier ; tandis que le citoyen Crapelet, qui se trouvoit alors au quatrième étage de la même maison, n’avoit point ressenti de commotion, mais avoit seulement entendu par la fenêtre le bruit que l’explosion avoit occasionné.
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Le bruit ou le son se transmet dans l’air commun d’une manière connue de tout le monde, et avec cette seule variation qu’il s’étend plus au loin, et s’entend plus fortement dans un air dense que dans un air raréfié. Aussi le bruit ou le son s’entend mieux le soir ou la nuit, que dans le jour ; dans un bois que dans une plaine nue ; dans l’air qui domine les eaux, que dans celui qui couvre des terrains arides. Mais dans tous ces cas, la propagation du bruit on du son à travers l’air, est toujours plus lente et moins forte qu’à travers les autres milieux plus denses.
 
Diverses observations attestent que le son ou le bruit se propage sous l’eau, c’est-à-dire, dans la masse de ce liquide, bien plus fortement qu’à travers l’air {{refl|4}}: on y entend même, quoique plus foiblement, les sons qui y arrivent à travers l’air qui la domine {{refl|5}}.
 
La Nature a donné aux animaux qui vivent dans l’air, un conduit auditif externe, pour augmenter en eux les moyens d’entendre le bruit ou le son qui ne se propage qu’avec une certaine foiblesse, à travers un milieu si mou et qui a si peu de densité ; mais elle a privé de conduit auditif externe presque tous les animaux qui vivent continuellement dans l’eau, parce que se trouvant dans un milieu beaucoup plus favorable à la propagation du bruit ou du son, ils n’en avoient pas besoin.
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L’''écho'' n’est pas seulement le résultat d’une réflexion parfaite du son, comme Buffon l’a pensé (vol. 3, p. 342), mais il est dû à une réunion, dans un point central, de réflexions ou répercussions diverses de la matière ébranlée qui le forme. Aussi l''’écho'' se trouve-t-il en un point qui peut être regardé comme le foyer où se réunissent les réflexions ou les répercussions diverses de la matière du son. En deçà et au-delà de ce point, l’''écho'' n’a plus lieu.
 
Si vous êtes placé en face d’une muraille en ligne droite, à une distance quelconque, le bruit que vous ferez, ne se répétera pas en ''écho'' à vos oreilles, parce que les répercussions de la matière du son, ébranlée par vous, ne se réuniront pas en un foyer. Mais si la muraille étoit disposée en ligne courbsecourbe, il se trouveroit un point d’où le bruit formé pourroit se répéter en ''écho''.
 
On sait qu’au milieu d’une caverne, que sous la voûte d’un bâtiment, qu’entre les rochers d’une montagne, et qu’entre les arbres d’une forêt, le bruit ou le son y forme ordinairement des ''échos'' remarquables : or, la disposition de ces corps durs, c’est-à-dire, celle des parois de la caverne et de la voûte, celle des rochers et des arbres que je viens de citer, les met dans le cas de réfléchir diversement la matière ébranlée qui produit le son ou le bruit ; et c’est dans les points où un certain nombre de ces réflexions se réunissent et se croisent, que se rencontrent les ''échos'' que l’on y observe.
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Cette réunion de faits prouve ensuite que, outre l’air commun qui nous environne, il existe dans sa masse et dans celle de tous les corps un autre fluide invisible, singuliérement élastique, très-subtil, d’une rarité extrême, présent dans toutes les parties de notre globe, et par conséquent dans son atmosphère, jusqu’à une hauteur que je crois limitée. Elle prouve enfin que ce fluide subtil, qui sans doute est ''la cause de la force du ressort'' que nous observons dans l’air commun, est susceptible d’être mu par le choc et les vibrations des corps, et qu’il propage ses ébranlemens à travers différens milieux, avec une facilité et une intensité d’autant plus grandes, que ces milieux ont plus de densité.
 
L’air commun n’est donc à la matière du son, qui propage à travers sa masse les ébranlemens ou les frémissemens qu’elle reçoit du corps sonore vibrant, qu’un milieu qui facilite le maintien des frémissemens de cette matière subtile. Peut-être que l’air lui-même, qui est partout pénétré ou rempli du fluide subtil dont il est question, et qui en reçoit ''la très-grande partie de son ressort'', participe aussi du même frémissement. Cela est très-possible. Mais le composé gazeux qu’on nomme air commun, est trop grossier, trop mou, et surtout trop peu pénétrant pour propager ses propres frémissemens à travers des milieux plus denses que lui. C’est, je crois, ce qu’on ne sauroit contester, tandis que les faits déjà cités suffisent pour nous coincreconvaincre que la matière qui propage le son jouit pleinement de cette faculté.
 
Ainsi l’air n’a point par lui-même le ressort dont il paroît jouir ; ce fluide composé, grossier malgré son extrême transparence, est incapable d’avoir, par sa propre nature, un pareil ressort. Il doit donc celui qu’on lui observe au fluide subtil dont il se trouve pénétré, fluide qui paroit être aussi la source du ressort de tous les autres fluides élastiques, et qui met l’air lui-même dans le cas d’étendre, avec une vitesse égale à celle de la propagation du son, les vibrations ou frémissemens qu’il en peut recevoir.
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L’air ressemble en cela aux autres matières composées gazeuses, qui ne doivent leur état de gaz et la totalité de leur ressort qu’à un fluide subtil et éminemment élastique qui les pénètre, c’est-à-dire, qui se trouve répandu dans leur masse sans y être combiné (le ''calorique'').
 
L’effet du ressort que l’air reçoit du fluide élastique continuellement répandu dans sa masse, a pu être observé, calculé et très-bien déterminé par les géomètres, et ensuite le résultat du calcul de cet effet a pu s’accorder parfaitement avec la vitesse bien connue {{refl|6}} de la propagation du son ; ce dont je ne doute nullement : mais je dis que cette considération n’intéresse aucunement la proposition que j’entreprends d’établir dans ce Mémoire.
 
En effet, la proposition dont il s’agit se réduit à avancer que ''l’air commun n’est point la matière propre du son, mais que c’est uniquement le fluide subtil et essentiellement élastique, répandu dans la masse de ce composé gazeux qui constitue cette matière, puisque ce même fluide subtil a la faculté de propager sans obstacle, à travers des milieux plus denses que lui, les frémissemens que lui causent les vibrations des corps sonores, et de pénétrer, dans cet état d’agitation, jusqu’à l’expansion pulpeuse de notre nerf auditif ; ce qui produit en nous la sensation du son''.
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3°. Que ce même fluide subtil qui est répandu dans toute la masse de l’air atmosphérique, est la cause essentielle du ressort dont cet air paroît jouir par lui-même ; et que c’est aux vibrations communiquées au fluide subtil dont il s’agit ; vibrations qui se transmettent avec célérité à travers différens milieux, même à travers des milieux solides, qu’il faut rapporter la cause immédiate du son et du bruit par rapport à nous ;
 
4°. Que le fluide subtil qui constitue la matière propagatrice du son, est parfaitement le même que le feu éthéré dont j’ai démontré l’existence dans mes différens écrits ; et qu’on peut aussi le regarder comme le même que le milieu éthéré dont a parlé Newton, si, à toutes les facultés bien reconnues de ce fluide, l’on n’y joint pas la supposition par laquelle Newton attribue à ses vibrations une vitesse plus grande que celle du mouvement de la lumière {{refl|7}} ;
 
5°. Que puisque parmi les matières invisibles, il en existe au moins une que son extrême rarité met dans le cas de traverser facilement les corps mêmes les plus denses, en sorte que nous ne pouvons jamais la retenir ou en isoler des portions dans aucun vaisseau ; il est possible que cette matière, dans certaines circonstances, soit susceptible d’être modifée et fixée dans les corps, comme un de leurs principes constituants, et que dans d’autres circonstances elle en soit dégagée ; elle peut donc jouer un rôle important dans les combinaisons qui se forment, comme dans celles qui se détruisent. Qui est-ce qui raisonnablement osera nier l’importance de cette considération ?