« Les Fleurs du mal (1861)/Rêve parisien » : différence entre les versions

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{{TitrePoeme|[[Les Fleurs du mal]]|Charles Baudelaire|Rêve parisien}}
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'''CII. - Rêve parisien'''
 
''A Constantin Guys''
 
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A Constantin Guys
 
I
 
De ce terrible paysage,
 
Tel que jamais mortel n'en vit,
 
Ce matin encore l'image,
 
Vague et lointaine, me ravit.
 
Le sommeil est plein de miracles!
 
Par un caprice singulier,
 
J'avais banni de ces spectacles
 
Le végétal irrégulier,
 
Et, peintre fier de mon génie,
 
Je savourais dans mon tableau
 
L'enivrante monotonie
 
Du métal, du marbre et de l'eau.
 
Babel d'escaliers et d'arcades,
 
C'était un palais infini,
 
Plein de bassins et de cascades
 
Tombant dans l'or mat ou bruni;
 
Et des cataractes pesantes,
 
Comme des rideaux de cristal,
 
Se suspendaient, éblouissantes,
 
A des murailles de métal.
 
Non d'arbres, mais de colonnades
 
Les étangs dormants s'entouraient,
 
Où de gigantesques naïades,
 
Comme des femmes, se miraient.
 
Des nappes d'eau s'épanchaient, bleues,
 
Entre des quais roses et verts,
 
Pendant des millions de lieues,
 
Vers les confins de l'univers;
 
C'étaient des pierres inouïes
 
Et des flots magiques; c'étaient
 
D'immenses glaces éblouies
 
Par tout ce qu'elles reflétaient!
 
Insouciants et taciturnes,
 
Des Ganges, dans le firmament,
 
Versaient le trésor de leurs urnes
 
Dans des gouffres de diamant.
 
Architecte de mes féeries,
 
Je faisais, à ma volonté,
 
Sous un tunnel de pierreries
 
Passer un océan dompté;
 
Et tout, même la couleur noire,
 
Semblait fourbi, clair, irisé;
 
Le liquide enchâssait sa gloire
 
Dans le rayon cristallisé.
 
Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges
 
De soleil, même au bas du ciel,
 
Pour illuminer ces prodiges,
 
Qui brillaient d'un feu personnel!
 
Et sur ces mouvantes merveilles
 
Planait (terrible nouveauté!
Tout pour l'oeilœil, rien pour les oreilles!)
 
Tout pour l'oeil, rien pour les oreilles!)
 
Un silence d'éternité.
 
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En rouvrant mes yeux pleins de flamme
 
J'ai vu l'horreur de mon taudis,
 
Et senti, rentrant dans mon âme,
 
La pointe des soucis maudits;
 
La pendule aux accents funèbres
 
Sonnait brutalement midi,
 
Et le ciel versait des ténèbres
 
Sur le triste monde engourdi.
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