« Le Préjugé du déshonneur » : différence entre les versions

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|'''LeLes Préjugé du déshonneurChroniques''' <small><small>([[:Catégorie:Chroniques de Maupassant|alpha]]-[[Chroniques de Maupassant|chrono]])</small></small><br>''[[Le Gaulois]]'', 26 mai 1881
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{{t3|LE PRÉJUGÉ DU DÉSHONNEUR}}
 
 
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Je suis pour la femme qui tombe contre le mari qui tue.
 
Prenons un exemple tout récent. Un homme vient d’être acquitté après avoir occis sa moitié. AÀ bout de patience, trompé, retrompé et encore retrompé, il finit par céder à la colère, et brûle la cervelle de la coupable.
 
Je choisis exprès un cas où le mari semble entièrement excusable, où l’indulgence du jury a soulevé des acclamations enthousiastes, où toutes les circonstances paraissent absoudre l’homme désespéré qui frappe.
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Qu’on n’aille pas croire que je veux absoudre l’adultère. Je ne veux que prêcher l’indulgence dans la situation si difficile que crée le mariage.
 
Le mariage est institué par la loi tel qu’il existe ; nous devons donc nous y soumettre. Il est cependant permis de le discuter. Constatons d’abord que beaucoup de philosophes, parmi les plus éminents affirment que nous sommes des polygames et non des monogames. Dans tous les cas, la chose est douteuse, et j’aime mieux croire, pour ma part, que nous ressemblons à ces animaux, ni herbivores, ni carnivores, mais omnivores. Nous nous accommodons, en Orient, de la polygamie ; et en Occident de la monogamie, et encore de la monogamie avec accommodements. Je voudrais bien qu’on me citât un seul homme - un seul homme, entendez-vous - resté tout sa vie absolument monogame.
 
Donc le mariage crée peut-être une situation anormale, antinaturelle, et à laquelle on ne peut se résigner que grâce à des abnégations infinies, à une vertu supérieure, à des mérites absolument religieux ; une situation à laquelle le mari ne se résigne jamais, une situation qui mettrait éternellement la conscience en lutte avec l’instinct, avec l’amour.
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Nous touchons ici à un de ces préjugés prodigieux qui servent généralement de bases à toutes nos croyances.
 
Êtes-vous déshonoré parce que votre bonne vous a volé ? - Non. - Et vous l’êtes parce que votre femme vous a trompé ? - Vous, le volé ! le trompé ! le lésé ! le filouté enfin ! vous vous considérez comme déshonoré tant que vous n’aurez pas lardé de coups de couteau l’amant que tout le monde considère comme honorable, comme accomplissant, légitimement ses fonctions d’homme séducteur, et la femme qui s’est abandonnée, séduite, entraînée. Que la logique est une belle chose ! Mais, sacrebleu ! le déshonneur ne peut résulter que d’un acte essentiellement personnel, et ne peut provenir en aucun cas du fait d’un autre. Je n’admets pas que je puisse être souillé par une action à laquelle je ne suis pour rien (bien au contraire), une action à laquelle ma volonté est entièrement étrangère et que tout mon désir est d’empêcher !

!

! Non, vraiment, c’est fabuleux de stupidité. Mais voilà : cette sensation de déshonneur du mari trompé ne provient que de la crainte du ridicule. L’adultère, pour la galerie, a toujours été une chose comique, et George Dandin reste un grotesque. Il faut donc à tout prix empêcher les spectateurs de rire. Pour cela, on tue quelqu’un, et le public cesse de plaisanter.
 
Combien je préfère la solution indiquée par l’écrivain naturaliste J.-K. Huysmans dans son très spirituel roman ''En ménage''. Un jeune mari, rentrant chez lui, découvre inopinément qu’il ''l’est''. En une seconde, il pèse toutes les conséquences de ses actes et se résout immédiatement à adopter le système de la dignité. Il reconduit gravement son rival ; puis s’en va, sans davantage s’occuper de sa femme. Elle retourne chez ses parents ; lui, reprend sa vie de garçon, et des deux côtés, ils réfléchissent.
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Je ferai pourtant un reproche à la situation tracée par Huysmans. Le mari me semble trop calme en découvrant subitement son...son… malheur. Il faudrait qu’il eût au moins un mot, et voilà la solution que j’opposerai à celle de l’assassinat.
 
L’homme qui frappe est une brute. Assommer ne prouve rien. Mais l’homme qui, dans un moment pareil, aurait la force, le sang-froid et l’esprit nécessaires pour trouver un mot, un mot sanglant ou drôle, un mot célèbre le lendemain, affirmerait ainsi une vraie et indiscutable supériorité sur ses semblables, et se vengerait d’une façon plus certaine et plus terrible qu’avec le poignard ou le pistolet.
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Deux ou trois me reviennent en mémoire, et je les déclare admirables, en admettant qu’ils soient authentiques.
 
Tout le monde les connaît, du reste. Un mari trouve...trouve… dans son alcôve, son ami, son meilleur ami, et lui tend la main. L’autre, effaré, se cache derrière sa complice, se blottit contre le mur. « Eh quoi ! demande l’époux, railleur et tranquille, tu refuses maintenant de me donner la main sur la place publique ? »
 
Et cet autre : « Ah ! mon pauvre ami, et dire que rien ne vous...vous… y forçait ! »
 
On en cite une douzaine, au plus.
 
Et quel concours d’esprit cela ouvrirait ! quelle émulation ! quels triomphes ! On s’aborderait au cercle de cette façon : - « Vous ne savez pas le mot que je viens de dire à X...X… que j’ai trouvé chez moi...moi… » Ou bien ainsi :
 
— « Cet imbécile de C...C… qui vient de tuer sa femme ! L’idiot, il n’a rien pu trouver à dire...dire… » Les hommes vraiment spirituels feraient naître les occasions et prépareraient de loin leurs effets ! Et nous verrions dans les journaux quotidiens, au lieu de l’éternelle rubrique : « Les Drames de l’adultère », cette variante moins sombre et plus française : « Les bons mots des maris trompés ».
 
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