« Les Aventures de Télémaque/Quinzième livre » : différence entre les versions

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Sommaire de l’édition dite de Versailles (1824) '' - Télémaque, dans une assemblée des chefs de l’armée, combat la fausse politique qui leur inspirait le dessein de surprendre Venuse, que les deux partis étaient convenus de laisser en dépôt entre les mains des Lucaniens. Il ne montre pas moins de sagesse à l’occasion de deux transfuges, dont l’un, nommé Acanthe, était chargé par Adraste de l’empoisonner ; l’autre, nommé Dioscore, offrait aux alliés la tête d’Adraste. Dans le combat qui s’engage ensuite, Télémaque excite l’admiration universelle par sa valeur et sa prudence : il porte de tous (-ôtés la mort sur son passage, en cherchant Adraste dans la mêlée. Adraste, de son côté, le cherche avec empressement, environné de l’élite de ses troupes, qui fait un horrible carnage des alliés et de leurs plus vaillants capitaines. A cette vue, Télémaque, indigné, s’élance contre Adraste, qu’il terrasse bientôt et qu’il réduit à lui demander la vie. Télémaque l’épargne généreusement ; mais comme Adraste, à peine relevé, cherchait à le surprendre de nouveau, Télémaque le perce de son glaive. Alors les Dauniens tendent les mains aux alliés en signe de réconciliation et demandent, comme l’unique condition de paix, qu’on leur permette de choisir un roi de leur nation.''
 
Cependant les chefs de l’armée s’assemblèrent pour délibérer s’il fallait s’emparer de Venuse. C’était une ville forte, qu’Adraste avait autrefois usurpée sur ses voisins, les Apuliens-Peucètes. Ceux-ci étaient entrés contre lui dans la ligue, pour demander justice sur cette invasion. Adraste, pour les apaiser, avait mis cette ville en dépôt entre les mains des Lucaniens : mais il avait corrompu par argent et la garnison lucanienne et celui qui la commandait, de façon que la nation des Lucaniens avait moins d’autorité effective que lui dans Venuse ; et les Apuliens, qui avaient consenti que la garnison lucanienne gardât Venuse, avaient été trompés dans cette négociation.
 
Un citoyen de Venuse, nommé Démophante, avait offert secrètement aux alliés de leur livrer, la nuit, une des portes de la ville. Cet avantage était d’autant plus grand qu’Adraste avait mis toutes ses provisions de guerre et de bouche dans un château voisin de Venuse, qui ne pouvait se défendre si Venuse était prise. Philoctète et Nestor avaient déjà opiné qu’il fallait profiter d’une si heureuse occasion. Tous les chefs, entraînés par leur autorité et éblouis par l’utilité d’une si facile entreprise, applaudissaient à ce sentiment ; mais Télémaque, à son retour, fit les derniers efforts pour les en détourner.
Un citoyen de Venuse, nommé Démophante, avait offert
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secrètement aux alliés de leur livrer, la nuit, une des portes de la ville. Cet avantage était d’autant plus grand qu’Adraste avait mis toutes ses provisions de guerre et de bouche dans un château voisin de Venuse, qui ne pouvait se défendre si Venuse était prise. Philoctète et Nestor avaient déjà opiné qu’il fallait profiter d’une si heureuse occasion. Tous les chefs, entraînés par leur autorité et éblouis par l’utilité d’une si facile entreprise, applaudissaient à ce sentiment ; mais Télémaque, à son retour, fit les derniers efforts pour les en détourner.
 
"Je n’ignore pas - leur dit-il - que si jamais un homme a mérité d’être surpris et trompé, c’est Adraste, lui qui a si souvent trompé tout le monde. Je vois bien qu’en surprenant Venuse, vous ne feriez que vous mettre en possession d’une ville qui vous appartient, puisqu’elle est aux Apuliens, qui sont un des peuples de votre ligue.
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Enfin je comprends comme vous que, si vous preniez Venuse, vous seriez maîtres, dès le lendemain, du château, où sont tous les préparatifs de guerre qu’Adraste y a assemblés, et qu’ainsi vous finiriez en deux jours cette guerre si formidable.
 
Mais ne vaut-il pas mieux périr que de vaincre par de tels moyens ? Faut-il repousser la fraude par la fraude ? Sera-t-il dit que tant de rois, ligués pour punir l’impie Adraste de ses tromperies, seront trompeurs comme lui ? S’il nous est permis de faire comme Adraste, il n’est point coupable, et nous avons tort de vouloir le punir. Quoi ! l’Hespérie entière, soutenue de tant de colonies grecques et de héros revenus du siège de Troie, n’a-t-elle point d’autres armes contre la perfidie et les parjures d’Adraste que la perfidie et le parjure ? Vous avez juré par les choses les plus sacrées que vous laisseriez Venuse en dépôt dans les mains des Lucaniens. La garnison lucanienne, dites-vous, est corrompue par l’argent d’Adraste. Je le crois comme vous : mais cette garnison est toujours à la solde des Lucaniens ; elle n’a point refusé de leur obéir ; elle a gardé, du moins en apparence, la neutralité. Adraste ni les siens ne sont jamais entrés dans Venuse : le traité subsiste ; votre serment n’est point oublié des dieux. Ne gardera-t-on les paroles données que quand on manquera de prétextes plausibles pour les violer ? Ne sera-t-on fidèle et religieux pour les serments que quand on n’aura rien à gagner en violant sa foi ?
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parjures d’Adraste que la perfidie et le parjure ? Vous avez juré par les choses les plus sacrées que vous laisseriez Venuse en dépôt dans les mains des Lucaniens. La garnison lucanienne, dites-vous, est corrompue par l’argent d’Adraste. Je le crois comme vous : mais cette garnison est toujours à la solde des Lucaniens ; elle n’a point refusé de leur obéir ; elle a gardé, du moins en apparence, la neutralité. Adraste ni les siens ne sont jamais entrés dans Venuse : le traité subsiste ; votre serment n’est point oublié des dieux. Ne gardera-t-on les paroles données que quand on manquera de prétextes plausibles pour les violer ? Ne sera-t-on fidèle et religieux pour les serments que quand on n’aura rien à gagner en violant sa foi ?
 
Si l’amour de la vertu et la crainte des dieux ne vous touchent plus, au moins soyez touchés de votre réputation et de votre intérêt. Si vous montrez au monde cet exemple pernicieux de manquer de parole et de violer votre serment pour terminer une guerre, quelles guerres n’exciterez-vous point par cette conduite impie ! Quel voisin ne sera pas contraint de craindre tout de vous et de vous détester ? Qui pourra désormais dans les nécessités les plus pressantes, se fier à vous ? Quelle sûreté pourrez-vous donner quand vous voudrez être sincères et qu’il vous importera de persuader à vos voisins votre sincérité ? Sera-ce un traité solennel ! vous en aurez foulé un aux pieds. Sera-ce un serment ? hé ! ne saura-t-on pas que vous comptez les dieux pour rien quand vous espérez tirer du parjure quelque avantage ? La paix n’aura donc pas plus de sûreté que la guerre à votre égard. Tout ce qui viendra de vous sera reçu comme une guerre ou feinte, ou déclarée : vous serez les ennemis perpétuels de tous ceux qui auront le malheur d’être vos voisins ; toutes les affaires qui demandent de la réputation de probité et de la confiance vous deviendront impossibles ; vous n’aurez plus de ressources pour faire croire ce que vous promettrez.
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qui demandent de la réputation de probité et de la confiance vous deviendront impossibles ; vous n’aurez plus de ressources pour faire croire ce que vous promettrez.
 
Voici - ajouta Télémaque - un intérêt encore plus pressant qui doit vous frapper, s’il vous reste quelque sentiment de probité et quelque prévoyance sur vos intérêts : c’est qu’une conduite si trompeuse attaque par le dedans toute votre ligue et va la ruiner, votre parjure va faire triompher Adraste."
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"Comment - leur répondit-il - pourrez-vous vous confier les uns aux autres, si une fois vous rompez l’unique lien de la société et de la confiance, qui est la bonne foi ? Après que vous aurez posé pour maxime qu’on peut violer les règles de la probité et de la fidélité pour un grand intérêt, qui d’entre vous pourra se fier à un autre, quand cet autre pourra trouver un grand avantage à lui manquer de parole et à le tromper ? Où en serez-vous ? Quel est celui d’entre vous qui ne voudra point prévenir les artifices de son voisin par les siennes ? Que devient une ligue de tant de peuples, lorsqu’ils sont convenus entre eux, par une délibération commune, qu’il est permis de surprendre son voisin et de violer la foi donnée ? Quelle sera votre défiance mutuelle, votre division, votre ardeur à vous détruire les uns les autres ? Adraste n’aura plus besoin de vous attaquer : vous vous déchirerez assez vous-mêmes ; vous justifierez ses perfidies.
 
O rois sages et magnanimes, ô vous qui commandez avec tant d’expérience sur des peuples innombrables, ne dédaignez pas d’écouter les conseils d’un jeune homme. Si vous tombiez dans les plus affreuses extrémités où la guerre précipite quelquefois les hommes, il faudrait vous relever par votre vigilance et par les efforts de votre vertu ; car le vrai courage ne se laisse jamais abattre. Mais si vous aviez une fois rompu la barrière de l’honneur et de la bonne foi, cette perte est irréparable : vous ne pourriez plus rétablir ni la confiance nécessaire aux succès de toutes les affaires importantes, ni ramener les hommes aux principes de la vertu, après que vous leur auriez appris à les mépriser. Que craignez-vous ? N’avez-vous pas assez de courage pour vaincre sans tromper ? Votre vertu, jointe aux forces de tant de peuples, ne vous suffit-elle pas ? Combattons, mourons, s’il le faut, plutôt que de vaincre si indignement. Adraste, l’impie Adraste est dans nos mains, pourvu que nous ayons horreur d’imiter sa lâcheté et sa mauvaise foi."
O rois sages et magnanimes, ô vous qui commandez avec tant d’expérience sur des peuples innombrables, ne dédaignez pas d’écouter les conseils d’un jeune homme. Si
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vous tombiez dans les plus affreuses extrémités où la guerre précipite quelquefois les hommes, il faudrait vous relever par votre vigilance et par les efforts de votre vertu ; car le vrai courage ne se laisse jamais abattre. Mais si vous aviez une fois rompu la barrière de l’honneur et de la bonne foi, cette perte est irréparable : vous ne pourriez plus rétablir ni la confiance nécessaire aux succès de toutes les affaires importantes, ni ramener les hommes aux principes de la vertu, après que vous leur auriez appris à les mépriser. Que craignez-vous ? N’avez-vous pas assez de courage pour vaincre sans tromper ? Votre vertu, jointe aux forces de tant de peuples, ne vous suffit-elle pas ? Combattons, mourons, s’il le faut, plutôt que de vaincre si indignement. Adraste, l’impie Adraste est dans nos mains, pourvu que nous ayons horreur d’imiter sa lâcheté et sa mauvaise foi."
 
Lorsque Télémaque acheva ce discours, il sentit que la douce persuasion avait coulé de ses lèvres et avait passé jusqu’au fond des cœurs. Il remarqua un profond silence dans l’assemblée ; chacun pensait, non à lui ni aux grâces de ses paroles, mais à la force de la vérité qui se faisait sentir dans la suite de son raisonnement : l’étonnement était peint sur les visages. Enfin on entendit un murmure sourd, qui se répandait peu à peu dans l’assemblée : les uns regardaient les autres et n’osaient parler les premiers ; on attendait que les chefs de l’armée se déclarassent, et chacun avait de la peine à retenir ses sentiments. Enfin, le grave Nestor prononça ces paroles :
 
— Digne fils d’Ulysse, les dieux vous ont fait parler, et Minerve, qui a tant de fois inspiré votre père, a mis dans votre cœur le conseil sage et généreux que vous avez donné. Je ne regarde point votre jeunesse ; je ne considère que Minerve dans tout ce que vous venez de dire. Vous avez parlé pour la vertu ; sans elle les plus grands avantages sont de vraies pertes ; sans elle on s’attire bientôt la vengeance de ses ennemis, la défiance de ses alliés, l’horreur de tous les gens de bien et la juste colère des dieux. Laissons donc Venuse entre les mains des Lucaniens et ne songeons plus qu’à vaincre Adraste par notre courage.
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que Minerve dans tout ce que vous venez de dire. Vous avez parlé pour la vertu ; sans elle les plus grands avantages sont de vraies pertes ; sans elle on s’attire bientôt la vengeance de ses ennemis, la défiance de ses alliés, l’horreur de tous les gens de bien et la juste colère des dieux. Laissons donc Venuse entre les mains des Lucaniens et ne songeons plus qu’à vaincre Adraste par notre courage.
 
Toujours attachés sur lui, l’aperçut ; il prit cet anneau.
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— Les dieux - répondit-il - qui nous ont préservés des traîtres, nous défendent de nous en servir. Quand même nous n’aurions pas assez de vertu pour détester la trahison, notre seul intérêt suffirait pour la rejeter. Dès que nous l’aurons autorisée par notre exemple, nous mériterons qu’elle se tourne contre nous : dès ce moment, qui d’entre nous sera en sûreté ? Adraste pourra bien éviter le coup qui le menace et le faire retomber sur les rois alliés. La guerre ne sera plus une guerre ; la sagesse et la vertu ne seront plus d’aucun usage : on ne verra plus que perfidie, trahison et assassinats. Nous en ressentirons nous-mêmes les funestes suites et nous les mériterons, puisque nous aurons autorisé le plus grand des maux. Je conclus donc qu’il faut renvoyer le traître à Adraste. J’avoue que ce roi ne le mérite pas ; mais toute l’Hespérie et toute la Grèce, qui ont les yeux sur nous, méritent que nous tenions cette conduite pour en être estimés. Nous nous devons à nous-mêmes, et plus encore aux justes dieux, cette horreur de la perfidie.
 
Aussitôt on renvoya Dioscore à Adraste, qui frémit du péril où il avait été, et qui ne pouvait assez s’étonner de la générosité de ses ennemis ; car les méchants ne peuvent comprendre la pure vertu. Adraste admirait, malgré lui, ce qu’il venait de voir, et n’osait le louer. Cette action noble des alliés rappelait un honteux souvenir de toutes ses tromperies et de toutes ses cruautés. Il cherchait à rabaisser la générosité de ses ennemis et était honteux de paraître ingrat, pendant qu’il leur devait la vie : mais les hommes corrompus s’endurcissent bientôt contre tout ce qui pourrait les toucher.
=== no match ===
mais les hommes corrompus s’endurcissent bientôt contre tout ce qui pourrait les toucher.
 
Adraste, qui vit que la réputation des alliés augmentait tous les ours, crut qu’il était pressé de faire contre eux quelque action éclatante : comme il n’en pouvait faire aucune de vertu, il voulut du moins tâcher de remporter quelque grand avantage sur eux par les armes, et il se hâta de combattre.
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Ainsi tomba en un moment, sans aucune ressource, cette puissance qui menaçait toutes les autres dans l’Hespérie et qui faisait trembler tant de peuples, semblable à ces terrains qui paraissent fermes et immobiles, mais que l’on sape peu à peu par-dessous : longtemps on se moque du faible travail qui en attaque les fondements ; rien ne paraît affaibli, tout est uni, rien ne s’ébranle ; cependant tous les soutiens souterrains sont détruits peu à peu, jusqu’au moment où tout à coup le terrain s’affaisse et ouvre un abîme. Ainsi une puissance injuste et trompeuse, quelque prospérité qu’elle se procure par ses violences, creuse elle-même un précipice sous ses pieds. La fraude et l’inhumanité sapent peu à peu tous les plus solides fondements de l’autorité légitime : on l’admire, on la craint, on tremble devant elle, jusqu’au moment où elle n’est déjà plus ; elle tombe de son propre poids, et rien ne peut la relever, parce qu’elle a détruit de ses propres mains les vrais soutiens de la bonne foi et de la justice, qui attirent l’amour et la confiance.
 
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