« Notice sur les titres et les travaux scientifiques de Louis Lapicque » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Aucun résumé des modifications
Aucun résumé des modifications
Ligne 355 :
 
* '''Chapitre I: Etude anthropologique sur les races noires'''
(25 pages)
 
* Recherches sur l'aire géographique des Négritos
* 1894
** (28). Présentation de photographies relatives aux habitants des îles Mergui, les Sélons. Observations anthropologiques et ethnographiques sur cette population, Société d'Anthropologie de Paris, 15 février;
** (30). Les populations sauvages de la Péninsule Malaise, Congrès des Sociétés savantes, Paris, 29 mars;
** (31). Présentation d'objets ethnographiques provenant des îles Andaman, Société d'Anthropologie, 19 avril;
** (32). Sur les Kjökkenmödding des îles Andaman et la prétendue industrie de la pierre dans ce pays, Société d'Anthropologie, 3 mai;
** (35). Voyage sur la côte du Béloutchistan et dans le golfe persique, Société de Géographie de Paris, 23 novembre.
* 1895
** (41). Notes sur la mission du yacht « Sémiramis », Bulletin du Muséum, mars;
** (47). A la recherche de Négritos, Voyage du yacht « Sémiramis », « Le Tour du Monde », août, septembre et décembre.
* 1896, idem, janvier et février;
** (58) La race Négrito et sa distribution géographique, Annales de Géographie, 15 juillet.
 
 
Crawfurd, en 1848, proposait de distinguer des Mélanésiens ou Papous les populations négroïdes de plus petite taille que l'on avait remarquées aux Philippines et aux îles Andaman, que l'on soupçonnait dans l'intérieur de la Péninsule Malaise; il en faisait, en raison surtout de cette petite taille, une race particulière à laquelle il appliquait le nom de Négritos, donné par les Espagnols aux petits sauvages noirs habitant les montagnes des Philippines. Vers 1860, l'exploration de Mouat dans les îles Andaman rapporta des pièces ostéologiques, provenant des petits nègres qui formaient jusque-là une population pure dans l'archipel; Owen, puis Quatrefages, en firent l'étude, et y reconnurent des brachycéphales; ce caractère crânien séparait nettement les Andamanais des Papous, qui sont très dolichocéphales; au contraire, on notait des rapprochements nombreux avec les Négritos philippins. La conception de Crawfurd ainsi justifiée, prit ensuite, avec les travaux de Quatrefages et de M. Hamy, une grande extension. Ces auteurs relevèrent dans les récits des voyageurs de nombreux indices relatifs à des sauvages, petits et noirs, habitant des points peu accessibles, jungles et montagnes, au milieu de régions considérées comme la patrie de populations différentes; ils signalent de tels indices, en dehors de la Malaisie, vers le nord, parmi les jaunes en Indochine, à Formose, jusqu'aux îles Liou-Kiou voisines du Japon; vers l'est, jusqu'en Nouvelle-Guinée, au milieu des Papous; vers l'ouest, à Ceylan et dans toute la Péninsule Hindoue. Bien plus à l'ouest encore, à Suze, M. Marcel Dieulafoy a montré que les documents anciens témoignent d'un rôle considérable joué dans cette région aux premiers temps de l'histoire par des noirs, et M. Houssay a retrouvé des traces de sang noir dans la population actuelle. Partout ces noirs apparaissent comme une population plus ancienne que tout ce qui l'entoure. Admettant que toutes ces indications se rapportent à des Négritos, on arrive à considérer cette race comme une portion jadis importante de l'humanité, ayant couvert une région étendue.
 
En 1892, sur les conseils de M. Marcel Dieulafoy, j'ai entrepris de contrôler directement et de relier entre elles, si possible, les observations assez disparates que l'on possédait sur la question Négrito. Les moyens matériels étaient assurés dans des conditions exceptionnelles par la générosité de Mme Jules Lebaudy, qui prêtait pour cette recherche un yacht à vapeur de 500 tonnes, la Sémiramis, et prenait tous les frais à sa charge (1). La Sémiramis quitta la France à la fin de novembre 1892, se dirigeant sur le golfe persique ; mais les vents violents qui règnent en hiver dans le sud de la Mer rouge arrêtèrent le capitaine; il relâcha à Massouah jusqu'au changement de mousson; pendant les deux mois de cette relâche, j'étudiai l'anthropologie physique des Abyssins (voir plus loin) et leur régime alimentaire (voir Chapitre IV). Quand je pus repartir, étant donnée la saison, je fis faire cap directement sur les îles Andaman, pour y prendre connaissance personnelle du Négrito dans son échantillon le plus typique et le plus pur. Je passai trois semaines dans l'archipel, dont je visitai une grande partie avec un inspecteur anglais en tournée; j'examinai successivement les diverses tribus entre lesquelles se partage la petite population andamanaise.
(1) Le yacht avait été armé, sous le commandement du capitaine Viel, pour procurer un voyage instructif à Max Lebaudy, que je devais accompagner et tâcher d'intéresser à la science. Nous attendions ce jeune homme depuis deux mois à Port-Vendres, quand il renonça définitivement au voyage. Mme Jules Lebaudy, sa mère, envoya alors au capitaine l'ordre de partir immédiatement en considérant comme seul but de la croisière la recherche scientifique. Dans ces conditions, je regrettai vivement d'être le seul naturaliste à profiter de cette croisière, dont on aurait pu rapporter une riche moisson de documents dans les différentes branches de l'histoire naturelle; mais étant seul, je jugeai que le mieux était de concentrer mes forces sur un programme limité. Le champ Négrito était encore trop vaste en dehors de la Péninsule Malaise, d'un intérêt capital, je me suis efforcé de décider le capitaine à me conduire dans les contrées où l'on va difficilement par les paquebots.
 
Je recueillis tous les objets typiques de son industrie, qui avaient été correctement décrits, mais dont il n'existait pas un seul spécimen en France; finalement, je fouillai un
Kjökkenmödding, pour comparer l'ethnographie ancienne avec l'actuelle; je pus me convaincre qu'il n'y avait eu, au cours de plusieurs siècles, pas de variation sensible. En particulier, l'emploi des instruments de pierre, quoi qu'en aient dit certains auteurs, n'était pas plus développé autrefois qu'aujourd'hui (32). Quant au type physique, je constatai aussi qu'il avait été correctement décrit. Mes mesures relatives aux grandeurs somatiques principales, notamment la taille (150 centimètres pour les hommes, 140 pour les femmes), et l'indice céphalométrique (83), concordèrent avec les chiffres publiés, en particulier, avec ceux de M. Man. On avait seulement exagéré l'uniformité de la race, en tenant un compte trop exclusif de la petite tribu voisine de
l'établissement anglais.
 
* Les îles Mergui.
 
Sous la même latitude, à la rive orientale du golfe du Bengale, se trouve l'archipel de Mergui, dont la population était « à peu près inconnue » (Hamy). Un voyageur italien disait y
avoir trouvé des Négritos. Cette population (les Sélons) est nomade sur ses barques, et très farouche. Après en avoir aperçu quelques spécimens au port de Mergui (Birmanie), j'allai à sa recherche dans l'archipel, et je réussis à en bloquer dans une baie une tribu que je pus examiner et photographier. Mes observations m'amènent à la conclusion suivante : la race est mélangée ; elle comprend au moins deux éléments, l'un de haute taille, dolichocéphale, blanc; et un élément de plus petite taille mongolique. Ses caractères physiques, comme son ethnographie, la rattachent aux populations ordinaires de la côte voisine, quelques indices laissent à peine soupçonner une légère immixtion de sang noir. Les Sélons n'ont de remarquable comme industrie que leurs barques; ils se livrent sur les bancs de corail à la pêche des holothuries, qu'ils font sécher et vendent aux marchands chinois.
 
 
* La Péninsule Malaise.
 
Dans le milieu d'avril 1873, la Sémiramis arrivait à Poulo-Pinang et j'entrepris une exploration systématique de la Péninsule Malaise. Il s'agissait de combler une lacune essentielle dans la théorie du Négrito. Crawfurd, lors du travail qui a ouvert cette question en 1848, avait vu à la côte un petit nègre amené de l'intérieur et avait entendu parler d'un autre; dans le demi-siècle écoulé depuis lors, je ne connais que deux observations analogues, tout aussi sommaires. Au contraire, les études de Logan sur les aborigènes de l'intérieur de la Péninsule montraient toute autre chose que des nègres; et, d'autre part, Miklukho-Maklay, en 1873, avait étudié des tribus à caractère de mulâtres, mais son étude le conduisait à considérer l'élément noir de ce métissage comme dolichocéphale. Or, nous sommes ici au coeur du domaine hypothétique des Négritos, entre les deux seules stations incontestées, les Philippines au Nord-Est, les Andaman à l'Ouest. C'est la notion même du petit nègre brachycéphale qui est en cause.
 
Je pris comme premier objectif de trouver les tribus vraiment négroïdes signalées par les rares échantillons venus de la côte. Partant des renseignements notés par les auteurs sur les provenances de ces échantillons, je les cherchai dans les montagnes de l'axe de la Péninsule, vers la frontière entre le Siam et les colonies anglaises, et je réussis, après quelque temps, à les
trouver sur les flancs d'un petit massif montagneux, le Gounong-Inas, qui sépare le bassin de la rivière Krian de la haute vallée du Perak. Là, à peu de distance, dans la forêt vierge au delà des derniers villages malais, je visitai deux tribus, comprenant ensemble environ 150 individus, qui étaient, sinon des nègres tout à fait purs, du moins des mulâtres à élément noir nettement prédominant. La couleur de la peau est chocolat ; les cheveux sont franchement crépus chez presque tous les individus. Les traits rappellent beaucoup ceux des Andamanais (surtout des indigènes de l'Andaman du Nord), avec une tête arrondie et un visage camard sans prognathisme. La taille (moyenne des deux sexes) est de 149 centimètres, supérieure de 4 centimètres à la moyenne des Andamanais; l'indice céphalométrique moyen s'élève à 79,5, inférieur de trois unités et demie à l'indice moyen des Andamanais. Ces petits nègres sont restés au stade sauvage, sans cultures, demi-nomades en pleine jungle, n'ayant que des abris rudimentaires, et vivant de chasse. Ils sont eux-mêmes considérés comme des singes par les Malais qui leur donnent la chasse par sport; en malais le même mot, Orang-outan, hommes des bois, sert à désigner indifféremment ces sauvages et les singes anthropoïdes. Depuis on a retrouvé et étudié des tribus semblables en des points voisins du point où j'avais opéré moi-même; les photographies, les mesures et les observations diverses n'ont guère fait que confirmer les miennes, qui restent les premières. Les désignations multiples et contradictoires des tribus sauvages n'ont aucune valeur ethnologique; j'ai proposé pour le type noir le nom que se donne à elle-même la première tribu observée: Méniks. L'existence de nègres dans l'intérieur de la Péninsule Malaise étant reconnue, il faut classer ces nègres, et, à défaut de spécimens tout à fait purs, discuter l'ensemble des éléments ethniques combinés dans les diverses tribus de montagne qui représentent les populations anciennes de la contrée.
 
Ces éléments ethniques sont complexes; j'ai étudié, en diverses excursions réparties sur un total de cinq mois, une série de tribus échelonnées du Nord au Sud depuis le Gounong-Inas jusqu'au détroit de Johor, près de Singapour. Voici les conclusions que j'en ai tirées et qui me paraissent confirmées par les observations ultérieures quand même leurs auteurs en ont tiré des conclusions différentes. Toutes ces tribus résultent d'un métissage entre trois races très distantes:
 
* 1° des nègres, de petite taille, sous-brachycéphales et non prognathes;
* 2° des jaunes brachycéphales qu'on pourrait appeler des protomalais;
* 3° des dolichocéphales, Indonésiens (de Hamy) ou blancs allophylles de Quatrefages (type dayak).
 
L'un ou l'autre de ces éléments prédomine dans certaines tribus, le type Négrito chez les Méniks (pages 5 et 6); le type jaune chez les Jakouns, tout au sud de la Péninsule (page 7), le type indonésien, que je suis aussi le premier à avoir signalé dans cette région, chez les Sakaies du Datong-Padang, entre les deux. Le mélange avec Indonésiens dolichocéphales explique l'abaissement de l'indice céphalique observé chez les Méniks, et on peut faire rentrer l'élément noir primitif dans le cadre du Négrito classique.
 
 
* La Malaisie orientale.
 
Ce point éclairci, j'allais chercher à l'extrémité de la Sonde orientale, aux îles de Florès, Solar, et Timor, la limite orientale des Négritos, leur contact avec les Papous, suivant la conception de Quatrefages et Hamy. Il me fut impossible de relever dans cette région autre chose qu'un mélange inextricable entre négroïdes, Indonésiens et Malais. On ne trouve pas, en effet, dans ces îles, les conditions favorables pour l'ethnologie que présentent les tribus de jungle de la Péninsule; la grande forêt équatoriale qui rend les communications extrêmement difficiles, même entre deux vallées voisines, entretient, en effet, une ségrégation relative et fait subsister longtemps des témoins des populations anciennes; tout au moins, en ralentissant la diffusion, elle maintient dans le métissage une gradation régulière qui permet de reconnaître par l'analyse les caractères des types constituants. Dans la Sonde orientale, les forêts sont peu importantes; les diverses tribus font continuellement des incursions guerrières les unes chez les autres, et vont parfois fort loin sur leurs prahos, embarcations d'assez grande taille conduites par des marins hardis. Tout ce que je puis préciser, c'est qu'en allant vers l'Est, en passant de Florès à Timor, le caractère nègre s'accentue en même temps que la taille s'accroit. Comme, d'autre part, les brachycéphales que j'ai pu observer paraissent déformés ou sont attribuables à l'élément mongolique, on ne voit pas d'indices de petits nègres brachycéphales, c'est-à-dire de Négritos; l'élément noir doit être étiqueté Papou. Outre les mensurations et les photographies, j'ai recueilli divers objets d'une ethnographie curieuse et dont nous n'avions pas de spécimens en France; j'ai recueilli aussi six crânes; jusque-là, il n'existait dans tous les musées d'Europe réunis qu'un seul crâne de cette région (1).
(1) Voir E. T. Hamy : Note sur l'anthropologie des îles Florès et Adonara, in Bulletin du Muséum, 29 mars 1895, travail basé sur les crânes en question, que j'ai donnés au Muséum. Les collections d'ethnographie sont au Musée du Trocadéro.
 
 
* Béloutchistan et golfe Persique.
 
Quand revint l'hiver boréal, je repris mon programme sur le point que je n'avais pu réaliser l'hiver précédent: chercher dans le golfe persique la limite ouest de l'aire des Négritos. Je visitai tous les points habités de l'aride côte du Béloutchistan, où l'on retrouve toujours les Ichthyophages d'Hérodote; j'allai à quelques journées de chameau dans l'intérieur examiner la population des oasis. A la frontière du Béloutchistan et de la Perse, je trouvai les ruines d'une assez grande ville abandonnée, dont je fouillai les cimetières; je visitai trois ports persans, et, partant de l'un d'eux, une série de villages jusqu'au pied du haut plateau. Partout j'ai observé du nègre africain importé comme esclave, mais point de signe d'un élément noir autochtone. Comme le pays est nu, que les lieux habitables sont rares, je crois pouvoir penser que de la zone de l'Indus au Chott-el-Arab, au moins sur une bande de vingt lieues de largeur bordant la mer, il n'existe pas de population montrant l'existence d'un tel élément. Le cimetière de la ville ruinée était musulman, d'après la disposition des tombes, mais relativement ancien, puisque certaines tombes, creusées dans une butte gréseuse, avaient subi une érosion atmosphérique d'environ un mètre. Les quelques crânes, d'ailleurs incomplets, que j'ai pu y recueillir, ne montrent pas une différence sensible avec la population actuelle de la région.
 
Je rentrai en Europe au mois de janvier 1895, et je me mis à l'étude de mes documents. Outre les notes et mémoires ci-dessus, j'ai commencé une publication plus complète et plus systématique; grâce à la générosité encore de Mme J. Lebaudy, j'ai pu faire tirer 60 planches en phototypie. Mais en avançant dans mon travail, je me suis trouvé, entre les doctrines classiques dont j'étais imbu et les faits que j'avais observés, dans l'impossibilité de comprendre. Je ne pouvais publier dans ces conditions. Il a fallu, pour m'éclairer, un voyage ultérieur et le travail qui l'a suivi. J'espère maintenant pouvoir rapidement mettre au jour cette publication.
 
 
* Ethnologie de L'Indoustan
(25 pages)
 
* '''Chapitre II: Recherches sur l'évolution quantitative du système nerveux'''