« Notice sur un texte concernant l’histoire de la Gaule au Ve siècle de notre ère » : différence entre les versions

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NOTICE SUR UN TEXTE
CONCERNANT
L’HISTOIRE DE LA GAULE
AU Ve SIÈCLE DE NOTRE ÈRE.


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Dans la compilation indigeste et pourtant fort intéressante qui constitue le commentaire de Lucain publié par M. Usener, d’après le ms. de Berne 370[1], il y a un passage qui, suivant nous, peut être daté ; c’est une glose sur le livre I, vers 435 :

Gens habitat canas pendenti rupe Cebennas.

La glose sur Cebennas, écrit Gebennas, est : Burgundionum clausurae sunt quas inter se et Gallos habent[2]. Elle a été écrite à une date où les Cévennes séparaient les Burgundes des Galli ou, en d’autres termes, des Gallo-Romains, sujets de l’empereur qui trônait à Ravenne, c’est-à-dire entre les années 461 et 475. Sous l’empereur Majorien, 457-461, Lyon n’était pas encore occupé par les Burgundes, qui, par conséquent, n’atteignaient pas les Cévennes ; et, à partir de l’occupation de Clermont, capitale des Arverni, par les Visigoths en 475, les Cévennes séparèrent les Burgundes non plus des Galli, c’est-à-dire des Gaulois soumis à l’autorité de l’empire romain, mais des Visigoths. Les Burgundes, à cette date, étaient maîtres de Lyon et des rives droites du Rhône et de la Saône.

Précédemment et encore au temps de l’empereur Majorien, 457-461, Lyon, comme Clermont-Ferrand, n’avait pas cessé d’appartenir à l’empire romain d’Occident. On le voit par les vers de Sidoine Apollinaire, lyonnais d’origine et plus tard évêque de Clermont[3], quand, s’adressant à Majorien, vers l’an 458, il lui dit :

… Nostris petimus succurre ruinis
Lugdunumque tuam, dum præteris, aspice victor[4].
… Fuimus vestri quia causa triumphi,
Ipsa ruina placet[5]
Ut reddas patriam simulque vitam,
Lugdunum exonerans suis ruinis,
Hoc te Sidonius tuus precatur[6].

Majorien, mécontent des Lyonnais, qui probablement, au début de son règne, avaient refusé de le reconnaître[7], avait triplé leur impôt direct, c’est-à-dire le nombre de leurs capita, Sidoine voulait obtenir décharge de cette aggravation :

Geryonem nos esse puta, monstrumque tributum ;
Hinc capita, ut vivam, tu mihi tolle tria[8].

Il paraît donc évident que l’agrandissement du territoire burgunde, en 456[9] ou 457[10], n’atteignit pas d’abord Lyon et ne dépassa pas alors la rive gauche du Rhône et de la Saône. Les Burgundes, établis en Savoie en 443[11], ne sont parvenus que par des développements successifs à s’emparer du vaste territoire où nous les trouvons établis au vie siècle et même dès la fin du ve.

À quelle date les Burgundes devinrent-ils maîtres de Lyon ? C’est ce que l’on ne peut déterminer avec rigueur. C’est en 461 au plus tôt, c’est-à-dire à la mort de Majorien. Mais à quelle date peut-on reculer cette conquête ? C’est douteux. Ce qui paraît le plus vraisemblable, c’est qu’en 473, Lyon est devenu la capitale du roi Hilpéric II, un des quatre fils du roi Gundioc[12], qui, se partageant le royaume burgunde, en firent une tétrarchie. Dans deux lettres, écrites en 474 et insérées sous les numéros 6 et 7 au livre V de ses Épîtres, Sidoine Apollinaire parle de Hilpéric ; il le fait dans la première en termes exprès, il informe son correspondant d’une dénonciation secrète adressée magistro militum Chilperico, victoriosissimo viro, contre un certain Thaumastus, frère du destinataire[13]. Dans l’autre lettre, adressée à ce même Thaumastus, et où Sidoine expose les plaintes de la Gaule opprimée même par les barbares les plus doux, inter clementiores barbaros Gallia gemit[14], il revient sur le sujet, traité dans la lettre précédente, c’est-à-dire sur les dénonciations faites à Hilpéric, qu’il désigne alors par deux expressions différentes : 1o « notre tétrarque, » tetrarcham nostrum[15], allusion à la division de l’état brugunde en quatre royaumes ; 2o « puissance qui présentement régit la Lyonnaise germanique, » quandiu præsens potestas Lugdunensem Germaniam regit[16]. C’est en qualité de Lyonnais que Sidoine appelle Hilpéric notre tétrarque ; c’est comme roi barbare résidant à Lyon que Hilpéric est désigné par cette formule emphatique, « pouvoir qui présentement régit la Lyonnaise germanique. » Hilpéric et sa femme Caretena, enterrée plus tard à Lyon, sont l’un le roi qui, présent aux dîners de l’évêque de Lyon Patiens, ne cesse de louer ces bons repas, et l’autre, la reine qui ne cesse de louer les jeûnes du même prélat, comme on lit dans une lettre de Sidoine Apollinaire à cet évêque[17].

Il faut bien admettre que les évêques, comme les prêtres, causant entre eux, aient quelques moments de gaîté, et que le sujet en soit quelquefois fourni par les meilleures paroissiennes. Patiens faisait de bons repas quand les lois de l’Église le permettaient ; il jeûnait aux dates prescrites.

Les Burgundes étaient alors alliés de l’empire romain contre les Visigoths qui voulaient s’emparer de Clermont-en-Auvergne, ville épiscopale de Sidoine Apollinaire, voisine à l’est des Burgundes, à l’ouest des Visigoths.

« Notre ville, » écrivait en 473 ou environ Sidoine Apollinaire, « est une sorte de barrière qui marque la limite entre les nations voisines, et leurs armes nous terrifient ; placés au milieu d’elles, nous sommes une proie lamentable qu’elles s’envient ; suspects aux Burgundes, voisins des Goths, nous inspirons la colère aux Goths qui nous attaquent, la jalousie aux Burgundes qui nous défendent[18]. »

La glose sur Gebennas : Burgundionum clausuræ sunt quas inter se et Gallos habent, peut être contemporaine de cette lettre. À partir de l’an 475, où les Visigoths s’emparent de Clermont, les Cévennes séparent les Burgundes des Visigoths, non plus des Galli. Dans la langue de l’empire romain, l’expression Galli désigne la population sujette de cet empire entre les Alpes, la Méditerranée, les Pyrénées, l’océan et le Rhin ; à partir de la conquête barbare la même population prend le nom de Romani. On peut comparer au passage de Marius d’Avenche précité, racontant le partage du sol entre les Burgundes et les Galli senatores[19], en 456, les quelques mots par lesquels Grégoire de Tours, dans son récit des événements de l’année 500, expose que le roi Gondebaud donna aux Burgundes des lois plus douces pour les empêcher d’opprimer les Romains : ne Romanos obpræmerent[20].


H. d’Arbois de Jubainville.


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  1. Scholia in Lucani bellum civile, pars prior, commenta Bernensia. Leipzig, Teubner, 1869, in-8o.
  2. Usener, p. 31-32.
  3. Il devint prêtre en 468, évêque de Clermont vers l’année 472.
  4. Panégyrique de l’empereur Majorien, vers 575-576 ; édition donnée par Krusch dans les Monumenta Germaniæ historica, in-4o, p. 201.
  5. Panégyrique de l’empereur Majorien, vers 585-586, éd. Krusch, p. 202.
  6. Carmina, XIII, 23-25 ; éd. Krusch, p. 232.
  7. Binding, Das burgundisch-romanische Kœnigreich, p. 62.
  8. Carmina, XIII, vers 19-20 ; éd. Krusch, p. 232.
  9. « 456. Eo anno Burgundiones partem Galliæ occupaverunt et terras cum Gallis senatoribus diviserunt. » Marii Chronicon, chez Mommsen, Chronica minora, t. II, p. 232.
  10. « 457. Theodoricus, rex Gothorum, Suevos prœlio devicit, interfecto rege ipsorum Reciario, ad infimum usque perdomuit. Post cujus cædem Gundiocus, rex Burgundionum, cum gente et omni præsidio, annuente sibi Theudorico ac Gothis, intra Galliam ad habitandum ingressus, societate et amicitia Gothorum functus. » Prosperi continuatio Havniensis, chez Mommsen, Chronica minora, t. I, p. 305. Cf. Grégoire de Tours, II, 9 : « Burgundiones… habitabant trans Rhodanum, » éd. Arndt, p. 77, l. 12-13.
  11. « XX. Sapaudia Burgundionum reliquiis datur, cura indigenis dividenda. » Chronica gallica anni 451, Mommsen, Chronica minora, I, 663 ; D. Bouquet, I, 639 c ; Migne, Patrologia latina, LI, 865 c. Les mots Burgundionum reliquiis datur s’expliquent par un passage de la même chronique, où quelques lignes plus haut, sous la date de 436, on lit : Bellum contra Burgundionum gentem memorabile exarsit, quo universa pæne gens cum rege per Aetium deleta. Sur la chronique dont ces passages sont extraits, voir Potthast, Bibliotheca historica medii ævi, 2e éd., t. I, p. 271. Cf. Prosper, A. D. 435, Mommsen, Chronica minora, I, 475.
  12. M. Binding, Das burgundish-romanische Kœnigreich, p. 58, a émis l’hypothèse que la capitale de Gundioc aurait été Ambérieux, qui resta théoriquement capitale au vie siècle, puisque deux lois burgundes en sont datées. La capitale du roi Hilpéric Ier, frère de Gundioc, était Genève.
  13. Éd. Krusch, p. 81, l. 19, 20. Thaumastus et son frère étaient accusés de reconnaître empereur d’Occident Nepos, qui venait de détrôner Glycerius, pour lequel les Burgundes tenaient toujours.
  14. Éd. Krusch, p. 82, l. 5.
  15. Ibid., p. 82, l. 2.
  16. Éd. Krusch, p. 83, l. 16-17.
  17. Epist. VIII, 12, éd. Krusch, p. 101, l. 20-21 : Ut constat indesinenter regem præsentem prandia tua, reginam laudare jejunia.
  18. Epist., l. III, 4, éd. Krusch, p. 43, l. 6-9.
  19. De cette expression rapprocher celle de Gallus civis employée dans la chronique d’Idace pour qualifier Avitus, quand elle raconte l’élévation de ce personnage à la dignité impériale en 455. Mommsen, Chronica minora, II, 27.
  20. Historia Francorum, l. II, c. 33 ; éd. Arndt, p. 96, l. 13, à rapprocher l’expression Lex romana dans le c. 1 du concile d’Orléans en 511, et l’emploi du mot romanus dans la loi salique et dans celle des Burgundes.