« Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
ThomasBot (discussion | contributions)
m Yann : import from http://visualiseur.bnf.fr/Document/StatutConsulter?N=magnard3-92660007&B=1&E=HTML&O=NUMM-89361
Aucun résumé des modifications
Ligne 1 :
 
Avant que j' entre dans la matière qui fait l' objet de ces
Avant que j’entre dans la matière qui fait l’objet de ces
nouveaux mémoires, j' ai besoin de rendre compte d' une hypothèse
nouveaux mémoires, j’ai besoin de rendre compte d’une hypothèse
qui paraîtra sans doute étrange, mais sans laquelle il m' est
qui paraîtra sans doute étrange, mais sans laquelle il m’est
impossible d' aller en avant et d' être compris : je veux parler
impossible d’aller en avant et d’être compris : je veux parler
de l' hypothèse d' un dieu. Supposer Dieu, dira-t-on, c' est le
de l’hypothèse d’un dieu. Supposer Dieu, dira-t-on, c’est le
nier. Pourquoi ne l' affirmez-vous pas ? Est-ce ma faute si la
nier. Pourquoi ne l’affirmez-vous pas ? Est-ce ma faute si la
foi à la divinité est devenue une opinion suspecte ? Si le simple
soupçon d' und’un être suprême est déjà noté comme la marque d' und’un
esprit faible, et si, de toutes les utopies philosophiques, c'
est la seule que le monde ne souffre plus ? Est-ce ma faute si l'
hypocrisie et l' imbécillitél’imbécillité se cachent partout sous cette sainte
étiquette ? Qu' unQu’un docteur suppose dans l' universl’univers une force
inconnue entraînant les soleils et les atomes, et faisant mouvoir
toute la machine, chez lui cette supposition, tout à fait
gratuite, n' an’a rien que de naturel ; elle est accueillie,
encouragée : témoin l' attractionl’attraction, hypothèse qu' onqu’on ne vérifiera
jamais, et qui cependant fait la gloire de l' inventeurl’inventeur. Mais
lorsque, pour expliquer le cours des affaires humaines, je
suppose, avec toute la réserve imaginable, l'l’intervention intervention d' und’un
dieu, je suis sûr de révolter la gravité scientifique et d'
offenser les oreilles sévères : tant notre piété a
merveilleusement discrédité la providence, tant le charlatanisme
de toute robe opère de jongleries au moyen de ce dogme ou de
cette fiction. J' aiJ’ai vu les théistes de mon temps, et le
blasphème a erré sur mes lèvres ; j’ai considéré la foi du peuple, de ce peuple que
Brydaine appelait le meilleur ami de Dieu, et j’ai frémi de la
lèvres ; j' ai considéré la foi du peuple, de ce peuple que
négation qui allait m’échapper. Tourmenté de sentiments
Brydaine appelait le meilleur ami de Dieu, et j' ai frémi de la
contraires, j’ai fait appel à la raison ; et c’est cette raison
négation qui allait m' échapper. Tourmenté de sentiments
qui, parmi tant d’oppositions dogmatiques, me commande aujourd'
contraires, j' ai fait appel à la raison ; et c' est cette raison
hui l’hypothèse. Le dogmatisme '' à priori '', s’appliquant à
qui, parmi tant d' oppositions dogmatiques, me commande aujourd'
Dieu, est demeuré stérile : qui sait où l’hypothèse à son tour
hui l' hypothèse. Le dogmatisme '' à priori ''
, s' appliquant à
Dieu, est demeuré stérile : qui sait où l' hypothèse à son tour
nous conduira ? ... je dirai donc comment, étudiant dans le
silence de mon coeur et loin de toute considération humaine, le
Ligne 37 ⟶ 36 :
devenu pour moi une hypothèse, je veux dire un instrument
dialectique nécessaire. I si je suis, à travers ses
transformations successives, l' idéel’idée de Dieu, je trouve que
cette idée est avant tout sociale ; j' entendsj’entends par là qu' ellequ’elle
est bien plus un acte de foi de la pensée collective qu' unequ’une
conception individuelle. Or, comment et à quelle occasion se
produit cet acte de foi ? Il importe de le déterminer. Au point
de vue moral et intellectuel, la société, ou l' hommel’homme collectif,
se distingue surtout de l' individul’individu par la spontanéité d' actiond’action,
autrement dite, l' instinctl’instinct. Tandis que l' individu n'l’individu obéitn’obéit ou
s's’imagine imaginen’obéir n' obéir qu' àqu’à des motifs dont il a pleine
connaissance et auxquels il est maître de refuser ou d' accorderd’accorder
son adhésion ; tandis, en un mot, qu' ilqu’il se juge libre, et d'
autant plus libre qu' ilqu’il se sait plus raisonneur et mieux
instruit, la société est sujette à des entraînements où rien, au
premier coup d' oeild’oeil, ne laisse apercevoir de délibération et de
projet, mais qui peu à peu semblent dirigés par un conseil
supérieur, existant hors de la société, et la poussant avec une
force irrésistible vers un terme inconnu. L' établissementL’établissement des
monarchies et des républiques, la distinction des castes, les
institutions judiciaires, etc., sont autant de manifestations de
cette spontanéité sociale, dont il est beaucoup plus facile de
noter les effets que d' indiquerd’indiquer le principe ou de donner la
raison. Tout l' effortl’effort même de ceux qui, à la suite de Bossuet,
Vico, Herder, Hegel, se sont appliqués à la philosophie de l'
histoire, a été jusqu’ici de constater la présence du destin providentiel,
histoire, a
qui préside à tous les mouvements de l’homme. Et j’observe, à
été jusqu' ici de constater la présence du destin providentiel,
ce propos, que la société ne manque jamais, avant d’agir, d'
qui préside à tous les mouvements de l' homme. Et j' observe, à
évoquer son génie : comme si elle voulait se faire ordonner d’en
ce propos, que la société ne manque jamais, avant d' agir, d'
évoquer son génie : comme si elle voulait se faire ordonner d' en
haut ce que déjà sa spontanéité a résolu. Les sorts, les oracles,
les sacrifices, les acclamations populaires, les prières
Ligne 70 ⟶ 68 :
après coup de la société. Cette faculté mystérieuse, tout
intuitive, et pour ainsi dire supra-sociale, peu ou point
sensible dans les personnes, mais qui plane sur l' humanitél’humanité comme
un génie inspirateur, est le fait primordial de toute psychologie
. Or, à la différence des autres espèces animales, comme lui
soumises tout à la fois à des appétences individuelles et à des
impulsions collectives, l' hommel’homme a le privilége d' apercevoird’apercevoir et
de signaler à sa propre pensée l' instinctl’instinct ou '' fatum ''
qui le mène ; nous verrons plus tard qu’il a aussi le pouvoir d’en
qui le
pénétrer et même d’en influencer les décrets. Et le premier
mène ; nous verrons plus tard qu' il a aussi le pouvoir d' en
mouvement de l’homme, ravi et pénétré d’enthousiasme / du
pénétrer et même d' en influencer les décrets. Et le premier
souffle divin /, est d’adorer l’invisible providence dont il se
mouvement de l' homme, ravi et pénétré d' enthousiasme / du
sent dépendre et qu’il nomme Dieu, c’est-à-dire vie, être,
souffle divin /, est d' adorer l' invisible providence dont il se
sent dépendre et qu' il nomme Dieu, c' est-à-dire vie, être,
esprit, ou plus simplement encore, moi : car tous ces mots, dans
les langues anciennes, sont synonymes et homophones. Je suis '' moi '', dit Dieu à Abraham, et je traite avec '' toi ''
... et à Moïse : je suis l’être. Tu parleras aux enfants d’Israël : l'
, dit Dieu à Abraham, et je traite avec '' toi ''
être m’envoie vers vous. Ces deux mots, l’être et moi, ont dans
... et à
Moïse : je suis l' être. Tu parleras aux enfants d' Israël : l'
être m' envoie vers vous. Ces deux mots, l' être et moi, ont dans
la langue originale, la plus religieuse que les hommes aient
parlée, la même caractéristique. Ailleurs, quand Ie-Hovah, se
faisant législateur par l' organel’organe de Moïse, atteste son éternité
et jure par son essence, il dit, pour formule de serment : moi ; ou bien avec un
redoublement d’énergie : moi, l’être. Aussi le dieu des hébreux
il dit, pour formule de serment : moi ; ou bien avec un
redoublement d' énergie : moi, l' être. Aussi le dieu des hébreux
est le plus personnel et le plus volontaire de tous les dieux, et
nul mieux que lui n'n’exprime exprime l' intuitionl’intuition de l' humanitél’humanité. Dieu
apparaît donc à l' hommel’homme comme un moi, comme une essence pure et
permanente, qui se pose devant lui ainsi qu' unqu’un monarque devant
son serviteur, et qui s' exprimes’exprime, tantôt par la bouche des poëtes
, des législateurs et des devins, Musa, Nomos, Numen ; tantôt
par l' acclamationl’acclamation populaire, Vox Populi Vox Dei. Ceci peut
servir entre autres à expliquer comment il y a des oracles vrais
et des oracles faux ; pourquoi les individus séquestrés dès leur
naissance n' atteignentn’atteignent pas d' euxd’eux-mêmes à l' idéel’idée de Dieu,
tandis qu' ilsqu’ils la saisissent avidement aussitôt qu' ellequ’elle leur est
présentée par l' âmel’âme collective ; comment enfin les races
stationnaires, telles que les chinois, finissent par la perdre.
D' abordD’abord, quant aux oracles, il est clair que toute leur
certitude vient de la conscience universelle qui les inspire ; et
quant à l' idéel’idée de Dieu, on comprend aisément pourquoi le
séquestre et le '' statu quo '' lui sont également mortels. D' un
lui sont également mortels. D' un
côté, le défaut de communication tient l' âme
absorbée dans l' égoïsme animal ; de l' autre, l' absence de
Ligne 129 ⟶ 122 :
théorie des idées collectives, bien que déduite des concepts
fondamentaux de la raison pure, est cependant tout empirique, et
n' eût jamais été découverte '' à priori '' par voie de déduction,
par voie de déduction,
d' induction ou de synthèse. D' où il suit que la raison
universelle, à laquelle nous rapportons ces lois comme étant son
Ligne 146 ⟶ 138 :
mysticisme, l' analogie. Dieu n' est, pour ainsi dire, encore
qu' un point : tout à l' heure il remplira le monde. De même qu'
en sentant son moi social, l' homme avait salué son '' auteur '' ;
;
de même en découvrant du conseil et de l' intention dans les
animaux, les plantes, les fontaines, les météores, et dans tout
Ligne 154 ⟶ 145 :
cette induction déifiante du sommet le plus élevé de la nature,
qui est la société, aux existences les plus humbles, aux choses
inanimées et inorganiques. De son moi collectif, pris pour pôle supérieur
inanimées
et inorganiques. De son moi collectif, pris pour pôle supérieur
de la création, jusqu' au dernier atome de matière, l' homme '' étend ''
donc l' idée de Dieu, c' est-à-dire l' idée de
personnalité et d' intelligence, comme la genèse nous raconte que
Dieu lui-même '' étendit le ciel '', c' est-à-dire créa l' espace
, c' est-à-dire créa l' espace
et le temps, capacités de toutes choses. Ainsi, sans un dieu,
fabricateur souverain, l' univers et l' homme n' existeraient pas
: telle est la profession de foi sociale. Mais aussi sans l'homme Dieu ne serait pas pensé, - franchissons cet intervalle, - Dieu ne serait rien. Si l' humanité a besoin d' un auteur, Dieu
homme Dieu ne serait pas pensé, -franchissons cet intervalle, -
Dieu ne serait rien. Si l' humanité a besoin d' un auteur, Dieu
, les dieux, n' a pas moins besoin d' un révélateur : la
théogonie, les histoires du ciel, de l' enfer et de leurs
Ligne 171 ⟶ 158 :
de l' univers, que certains philosophes ont nommé en retour le
rêve de Dieu. Et quelle magnificence dans cette création
théologique, oeuvre de la société ! La création du '' dêmiourgos '' fut effacée ; celui que nous nommons le tout-puissant fut vaincu
 
fut effacée ; celui que nous nommons le tout-puissant fut vaincu
; et, pendant des siècles, l' imagination enchantée des mortels
fut détournée du spectacle de la nature par la contemplation des
Ligne 191 ⟶ 176 :
phénomènes qu' il juge inconcevables autrement. Mystère de dieu
et de la raison ! Afin de rendre l' objet de son idolâtrie de
plus en plus '' rationnel '' , le croyant le dépouille
successivement de tout ce qui pourrait le faire '' réel '' ; et
, le croyant le dépouille
successivement de tout ce qui pourrait le faire '' réel ''
; et
après des prodiges de logique et de génie, les attributs de l'
être par excellence se trouvent être les mêmes que ceux du néant.
Ligne 215 ⟶ 198 :
acte du drame théologique ; et ce second acte est donné par le
premier, comme l' effet par la cause. '' les cieux racontent la gloire de ''
l' éternel, '' dit le psalmiste ; ajoutons : et leur témoignage le détrône. En
l' éternel, '' dit le psalmiste ; ajoutons : et leur témoignage le détrône. En effet, à mesure que l' homme observe les phénomènes, il croit apercevoir, entre la nature et Dieu, des intermédiaires : ce sont des rapports de nombre, de figure et de succession ; des lois organiques, des évolutions, des analogies ; c' est un certain enchaînement dans lequel les manifestations se produisent ou s' appellent invariablement les unes les autres. Il observe même que dans le développement de cette société dont il fait partie, les volontés privées et les délibérations en commun entrent pour quelque chose ; et il se dit que le grand esprit n' agit point sur le monde directement et par lui-même, ni arbitrairement et selon une volonté capricieuse ; mais médiatement, par des ressorts ou organes sensibles, et en vertu de règles. Et, remontant par la pensée la chaîne des effets et des causes, il place, tout à l' extrémité, comme à un balancier, Dieu. Par delà tous les cieux, le dieu des cieux réside, a dit un poëte. Ainsi, du premier bond de la théorie, l' être suprême est réduit à la fonction de force motrice, cheville ouvrière, clef de voûte, ou, si l' on me permet une comparaison encore plus triviale, de souverain constitutionnel, régnant, mais ne gouvernant pas, jurant d' obtempérer à la loi et nommant des ministres qui l' exécutent. Mais, sous l' impression du mirage qui le fascine, le théiste ne voit, dans ce système ridicule, qu' une preuve nouvelle de la sublimité de son idole, qui fait, selon lui, servir ses créatures d' instruments à sa puissance, et tourner à sa gloire la sagesse des humains. Bientôt, non content de limiter l' empire de l' éternel, l' homme, par un respect de plus en plus déicide, demande à le partager. Si je suis un esprit, un moi sensible et émettant des idées, continue le théiste, j' ai part aussi à l' existence absolue ; je suis libre, créateur, immortel, égal à Dieu. Cogito, Ergo Sum ; je pense, donc je suis immortel : voilà le corollaire, la traduction de l' Ego Sum Qui Sum : la philosophie est d' accord avec la bible. L' existence de Dieu et l' immortalité de l' âme sont données par la conscience dans le même jugement : là, l' homme parle au nom de l' univers, au sein duquel il transporte son moi ; ici, il parle en son propre nom, sans s' apercevoir que, dans cette allée et cette venue, il ne fait que se répéter. L' immortalité de l' âme, vraie scission de la divinité, et qui, au moment de sa promulgation première, arrivée après un long intervalle, parut une hérésie aux fidèles du dogme antique, n' en fut pas moins considérée comme le complément de la majesté divine, le postulé nécessaire de la bonté et de la justice éternelles. Sans l' immortalité de l' âme, on ne comprend pas Dieu, disent les théistes, semblables aux théoriciens politiques, pour qui une représentation souveraine et des fonctionnaires partout inamovibles sont des conditions essentielles de la monarchie. Mais autant la paité des doctrines est exacte, autant la contradiction des idées est flagrante : aussi le dogme de l' immortalité de l' âme devint-il bientôt la pierre d' achoppement des théologiens philosophes, qui, dès les siècles de Pythagore et d' Orphée, s' efforcent inutilement d' accorder les attributs divins avec la liberté de l' homme, et la raison avec la foi. Sujet de triomphe pour les impies ! ... mais l' illusion ne pouvait céder sitôt : le dogme de l' immortalité de l' âme, précisément parce qu' il était une limitation de l' être incréé, était un progrès. Or, si l' esprit humain s' abuse par l' acquisition partielle du vrai, il ne rétrograde jamais, et cette persévérance dans sa marche est la preuve de son infaillibilité. Nous allons en acquérir une nouvelle preuve. En se faisant semblable à Dieu, l' homme faisait Dieu semblable à lui : cette corrélation, que pendant bien des siècles on eût qualifiée d' exécrable, fut l' invisible ressort qui détermina le nouveau mythe. Au temps des patriarches, Dieu faisait alliance avec l' homme ; maintenant, et pour cimenter le pacte, Dieu va se faire homme. Il prendra notre chair, notre figure, nos passions, nos joies et nos peines, naîtra d' une femme et mourra comme nous. Puis, après cette humiliation de l' infini, l' homme prétendra encore avoir agrandi l' idéal de son dieu, en faisant, par une conversion logique, de celui qu' il avait jusque-là nommé créateur, un conservateur, un rédempteur. L' humanité ne dit pas encore : c' est moi qui suis Dieu ; une telle usurpation ferait horreur à sa piété ; elle dit : Dieu est en moi, Emmanuel, Nobiscum Deus. Et, au moment où la philosophie avec orgueil, et la conscience universelle avec effroi, s' écriaient d' une voix unanime : les dieux s' en vont, /... /, une période de dix-huit siècles d' adoration fervente et de foi surhumaine était inaugurée. Mais le terme fatal approche. Toute royauté qui se laisse circonscrire finira par la démagogie ; toute divinité qui se définit se résout en un pandémonium. La christolâtrie est le dernier terme de cette longue évolution de la pensée humaine. Les anges, les saints, les vierges, règnent au ciel avec Dieu, dit le catéchisme ; les démons et les réprouvés vivent aux enfers d' un supplice éternel. La société ultramondaine a sa gauche et sa droite : il est temps que l' équation s' achève, que cette hiérarchie mystique descende sur la terre, et se montre dans sa réalité. Lorsque Milton représente la première femme se mirant dans une fontaine et tendant avec amour les bras vers sa propre image comme pour l' embrasser, il peint trait pour trait le genre humain. -ce dieu que tu adores, ô homme ! Ce dieu que tu as fait bon, juste, tout-puissant, tout sage, immortel et saint, c' est toi-même : cet idéal de perfections est ton image, épurée au miroir ardent de ta conscience. Dieu, la nature et l' homme, sont le triple aspect de l' être un et identique ; l' homme, c' est Dieu même arrivant à la conscience de soi par mille évolutions ; en Jésus-Christ, l' homme s' est senti Dieu, et le christianisme est vraiment la religion de dieu-homme. Il n' y a pas d' autre dieu que celui qui, dès l' origine, a dit : moi ; il n' y a pas d' autre dieu que toi. Telles sont les dernières conclusions de la philosophie, qui expire en dévoilant le mystère de la religion et le sien. Ii il semble dès lors que tout soit fini ; il semble que, l' humanité cessant de s' adorer et de se mystifier elle-même, le problème théologique soit écarté à jamais. Les dieux sont partis : l' homme n' a plus qu' à s' ennuyer et mourir dans son égoïsme. Quelle effrayante solitude s' étend autour de moi et se creuse au fond de mon âme ! Mon exaltation ressemble à l' anéantissement, et depuis que je me suis fait dieu, je ne me vois plus que comme une ombre. Il est possible que je sois toujours un ''
effet, à mesure que l' homme observe les phénomènes, il croit apercevoir, entre
la nature et Dieu, des intermédiaires : ce sont des rapports de nombre, de
figure et de succession ; des lois organiques, des évolutions, des analogies ;
c' est un certain enchaînement dans lequel les manifestations se produisent ou
s' appellent invariablement les unes les autres. Il observe même que dans le
développement de cette société dont il fait partie, les volontés privées et les
délibérations en commun entrent pour quelque chose ; et il se dit que le grand
esprit n' agit point sur le monde directement et par lui-même, ni arbitrairement
et selon une volonté capricieuse ; mais médiatement, par des ressorts ou organes
sensibles, et en vertu de règles. Et, remontant par la pensée la chaîne des
effets et des causes, il place, tout à l' extrémité, comme à un balancier, Dieu.
Par delà tous les cieux, le dieu des cieux réside, a dit un poëte. Ainsi, du
premier bond de la théorie, l' être suprême est réduit à la fonction de force
motrice, cheville ouvrière, clef de voûte, ou, si l' on me permet une
comparaison encore plus triviale, de souverain constitutionnel, régnant, mais ne
gouvernant pas, jurant d' obtempérer à la loi et nommant des ministres qui l'
exécutent. Mais, sous l' impression du mirage qui le fascine, le théiste ne
voit, dans ce système ridicule, qu' une preuve nouvelle de la sublimité de son
idole, qui fait, selon lui, servir ses créatures d' instruments à sa puissance,
et tourner à sa gloire la sagesse des humains. Bientôt, non content de limiter
l' empire de l' éternel, l' homme, par un respect de plus en plus déicide,
demande à le partager. Si je suis un esprit, un moi sensible et émettant des
idées, continue le théiste, j' ai part aussi à l' existence absolue ; je suis
libre, créateur, immortel, égal à Dieu. Cogito, Ergo Sum ; je pense, donc je
suis immortel : voilà le corollaire, la traduction de l' Ego Sum Qui Sum : la
philosophie est d' accord avec la bible. L' existence de Dieu et l' immortalité
de l' âme sont données par la conscience dans le même jugement : là, l' homme
parle au nom de l' univers, au sein duquel il transporte son moi ; ici, il parle
en son propre nom, sans s' apercevoir que, dans cette allée et cette venue, il
ne fait que se répéter. L' immortalité de l' âme, vraie scission de la divinité,
et qui, au moment de sa promulgation première, arrivée après un long intervalle,
parut une hérésie aux fidèles du dogme antique, n' en fut pas moins considérée
comme le complément de la majesté divine, le postulé nécessaire de la bonté et
de la justice éternelles. Sans l' immortalité de l' âme, on ne comprend pas
Dieu, disent les théistes, semblables aux théoriciens politiques, pour qui une
représentation souveraine et des fonctionnaires partout inamovibles sont des
conditions essentielles de la monarchie. Mais autant la paité des doctrines est
exacte, autant la contradiction des idées est flagrante : aussi le dogme de l'
immortalité de l' âme devint-il bientôt la pierre d' achoppement des théologiens
philosophes, qui, dès les siècles de Pythagore et d' Orphée, s' efforcent
inutilement d' accorder les attributs divins avec la liberté de l' homme, et la
raison avec la foi. Sujet de triomphe pour les impies ! ... mais l' illusion ne
pouvait céder sitôt : le dogme de l' immortalité de l' âme, précisément parce
qu' il était une limitation de l' être incréé, était un progrès. Or, si l'
esprit humain s' abuse par l' acquisition partielle du vrai, il ne rétrograde
jamais, et cette persévérance dans sa marche est la preuve de son
infaillibilité. Nous allons en acquérir une nouvelle preuve.
 
En se faisant semblable à Dieu, l' homme faisait Dieu semblable à lui : cette corrélation, que pendant bien des siècles on eût qualifiée d' exécrable, fut l' invisible ressort qui détermina le nouveau mythe. Au temps des patriarches, Dieu faisait alliance avec l' homme ; maintenant, et pour cimenter le pacte, Dieu va se faire homme. Il prendra notre chair, notre figure, nos passions, nos joies et nos peines, naîtra d' une femme et mourra comme nous. Puis, après cette humiliation de l' infini, l' homme prétendra encore avoir agrandi l' idéal de son dieu, en faisant, par une conversion logique, de celui qu' il avait jusque-là nommé créateur, un conservateur, un rédempteur. L' humanité ne dit pas encore : c' est moi qui suis Dieu ; une telle usurpation ferait horreur à sa piété ; elle dit : Dieu est en moi, Emmanuel, Nobiscum Deus. Et, au moment où la philosophie avec orgueil, et la conscience universelle avec effroi, s' écriaient d' une voix unanime : les dieux s' en vont, /... /, une période de dix-huit siècles d' adoration fervente et de foi surhumaine était inaugurée. Mais le terme fatal approche. Toute royauté qui se laisse circonscrire finira par la démagogie ; toute divinité qui se définit se résout en un pandémonium. La christolâtrie est le dernier terme de cette longue évolution de la pensée humaine. Les anges, les saints, les vierges, règnent au ciel avec Dieu, dit le catéchisme ; les démons et les réprouvés vivent aux enfers d' un supplice éternel. La société ultramondaine a sa gauche et sa droite : il est temps que l' équation s' achève, que cette hiérarchie mystique descende sur la terre, et se montre dans sa réalité. Lorsque Milton représente la première femme se mirant dans une fontaine et tendant avec amour les bras vers sa propre image comme pour l' embrasser, il peint trait pour trait le genre humain. -ce dieu que tu adores, ô homme ! Ce dieu que tu as fait bon, juste, tout-puissant, tout sage, immortel et saint, c' est toi-même : cet idéal de perfections est ton image, épurée au miroir ardent de ta conscience. Dieu, la nature et l' homme, sont le triple aspect de l' être un et identique ; l' homme, c' est Dieu même arrivant à la conscience de soi par mille évolutions ; en Jésus-Christ, l' homme s' est senti Dieu, et le christianisme est vraiment la religion de dieu-homme. Il n' y a pas d' autre dieu que celui qui, dès l' origine, a dit : moi ; il n' y a pas d' autre dieu que toi.
 
Telles sont les dernières conclusions de la philosophie, qui expire en dévoilant le mystère de la religion et le sien. Ii il semble dès lors que tout soit fini ; il semble que, l' humanité cessant de s' adorer et de se mystifier elle-même, le problème théologique soit écarté à jamais. Les dieux sont partis : l' homme n' a plus qu' à s' ennuyer et mourir dans son égoïsme. Quelle effrayante solitude s' étend autour de moi et se creuse au fond de mon âme ! Mon exaltation ressemble à l' anéantissement, et depuis que je me suis fait dieu, je ne me vois plus que comme une ombre. Il est possible que je sois toujours un ''
moi '' , mais il m' est bien difficile de me prendre pour l' absolu ; et si je ne suis pas l' absolu, je ne suis que la moitié d' une idée. Un peu de philosophie éloigne de la religion, a dit je ne sais quel penseur ironique, et beaucoup de philosophie y ramène. -cette observation est d' une vérité humiliante. Toute science se développe en trois époques successives, que l' on peut appeler, en les comparant aux grandes époques de la civilisation, époque religieuse, époque sophistique, époque scientifique. Ainsi, l' alchimie désigne la période religieuse de la science plus tard appelée chimie, et dont le plan définitif n' est pas encore trouvé ; tout comme l' astrologie forme la période religieuse d' une autre construction scientifique, l' astronomie. Or, voici qu' après s' être moqués soixante ans de la pierre philosophale, les chimistes, conduits par l' expérience, n' osent plus nier la transmutabilité des corps ; tandis que les astronomes sont amenés par la mécanique du monde à soupçonner aussi une organique du monde, c' est-à-dire précisément quelque chose comme l' astrologie. N' est-ce pas le cas de dire, à l' instar du philosophe que j' ai cité tout à l' heure, que si un peu de chimie détourne de la pierre philosophale, beaucoup de chimie ramène à la pierre philosophale ; et semblablement, que si un peu d' astronomie fait rire des astrologues, beaucoup d' astronomie ferait croire aux astrologues ? J' ai certes moins d' inclination au merveilleux que bien des athées, mais je ne puis m' empêcher de penser que les histoires de miracles, de prédictions, de charmes, etc., ne sont que des récits défigurés d' effets extraordinaires produits par certaines forces latentes, ou, comme on disait autrefois, par des puissances occultes. Notre science est encore si brutale et si pleine de mauvaise foi ; nos docteurs montrent tant d' impertinence pour si peu de savoir ; ils nient si impudemment les faits qui les gênent, afin de protéger les opinions qu' ils exploitent, que je me méfie de ces esprits forts, à l' égal des superstitieux. Oui, j' en suis convaincu, notre rationalisme grossier est l' inauguration d' une période qui, à force de science, deviendra vraiment ''
prodigieuse '' ; l' univers, à mes yeux, n' est qu' un laboratoire de magie, où il faut s' attendre à tout... cela dit, je rentre dans mon sujet. On se tromperait donc, si l' on allait s' imaginer, après l' exposé rapide que j' ai fait des évolutions religieuses, que la métaphysique a dit son dernier mot sur la double énigme exprimée dans ces quatre mots : existence de Dieu, immortalité de l' âme. Ici, comme ailleurs, les conclusions les plus avancées et les mieux établies de la raison, celles qui paraissent avoir tranché à jamais la question théologique, nous ramènent au mysticisme primordial, et impliquent les données nouvelles d' une inévitable philosophie. La critique des opinions religieuses nous fait sourire aujourd' hui et de nous-mêmes et des religions ; et pourtant le résumé de cette critique n' est qu' une reproduction du problème. Le genre humain, au moment où j' écris, est à la veille de reconnaître et d' affirmer quelque chose qui équivaudra pour lui à l' antique notion de la divinité ; et cela, non plus comme autrefois par un mouvement spontané, mais avec réflexion et en vertu d' une dialectique invincible. Je vais, en peu de mots, tâcher de me faire entendre. S' il est un point sur lequel les philosophes, malgré qu' ils en eussent, aient fini par se mettre d' accord, c' est sans doute la distinction de l' intelligence et de la nécessité, du sujet de la pensée et de son objet, du moi et du non-moi ; en termes vulgaires, de l' esprit et de la matière. Je sais bien que tous ces termes n' expriment rien de réel et de vrai, que chacun d' eux ne désigne qu' une scission de l' absolu, qui seul est vrai et réel, et que, pris séparément, ils impliquent tous également contradiction. Mais il n' est pas moins certain aussi que l' absolu nous est complétement inaccessible, que nous ne le connaissons que par ses termes opposés, qui seuls tombent sous notre empirisme ; et que, si l' unité seule peut obtenir notre foi, la dualité est la première condition de la science. Ainsi, qui pense, et qui est pensé ? Qu' est-ce qu' une âme, qu' est-ce qu' un corps ? Je défie d' échapper à ce dualisme. Il en est des essences comme des idées : les premières se montrent séparées dans la nature, comme les secondes dans l' entendement ; et de même que les idées de Dieu et d' immortalité de l' âme, malgré leur identité, se sont posées successivement et contradictoirement dans la philosophie, tout de même, malgré leur fusion dans l' absolu, le moi et le non -moi se posent séparément et contradictoirement dans la nature, et nous avons des êtres qui pensent, en même temps que d' autres qui ne pensent pas. Or, quiconque a pris la peine d' y réfléchir sait aujourd' hui qu' une semblable distinction, toute réalisée qu' elle soit, est ce que la raison peut rencontrer de plus inintelligible, de plus contradictoire, de plus absurde. L' être ne se conçoit pas plus sans les propriétés de l' esprit que sans les propriétés de la matière : en sorte que si vous niez l' esprit, parce que, ne tombant sous aucune des catégories de temps , d' espace, de mouvement, de solidité, etc., il vous semble dépouillé de tous les attributs qui constituent le réel, je nierai à mon tour la matière, qui, ne m' offrant d' appréciable que sa passivité, d' intelligible que ses formes, ne se manifeste nulle part comme cause / volontaire et libre /, et se dérobe entièrement comme substance : et nous arrivons à l' idéalisme pur , c' est-à-dire au néant. Mais le néant répugne à des je ne sais quoi qui vivent et qui raisonnent, réunissant en eux-mêmes, dans un état / je ne saurais dire lequel / de synthèse commencée ou de scission imminente, tous les attributs antagonistes de l' être. Force nous est donc de débuter par un dualisme dont nous savons parfaitement que les termes sont faux, mais qui, étant pour nous la condition du vrai, nous oblige invinciblement ; force nous est , en un mot, de commencer avec Descartes et avec le genre humain par le moi, c' est-à-dire par l' esprit. Mais depuis que les religions et les philosophies, dissoutes par l' analyse, sont venues se fondre dans la théorie de l' absolu, nous n' en savons pas mieux ce que c' est que l' esprit, et nous ne différons en cela des anciens que par la richesse de langage dont nous décorons l' obscurité qui nous assiége. Seulement, tandis que, pour les hommes d' autrefois, l' ordre accusait une intelligence ''
Ligne 473 ⟶ 507 :
marchant sous la bannière de Mm Lamennais, Quinet, Leroux et
autres, a pris pour devise : '' tel ''
maître tel valet, '' tel Dieu tel peuple ; et, pour régler le salaire d' un ouvrier, commence par restaurer la religion ; -spiritualistes, qui, si je méconnaissais les droits de l' esprit, m' accuseraient de fonder le culte de la matière, contre lequel je proteste de toutes les forces de mon âme ; -sensualistes et matérialistes, pour qui le dogme divin est le symbole de la contrainte et le principe de l' asservissement des passions, hors desquelles, disent-ils, il n' est pour l' homme ni plaisir, ni vertu, ni génie ; -éclectiques et sceptiques, libraires-éditeurs de toutes les vieilles philosophies, mais eux-mêmes ne philosophant pas, coalisés en une vaste confrérie, avec approbation et privilége, contre quiconque pense, croit ou affirme sans leur permission ; -conservateurs enfin, rétrogrades, égoïstes et hypocrites, prêchant l' amour de Dieu par haine du prochain, accusant depuis le déluge la liberté des malheurs du monde, et calomniant la raison par sentiment de leur sottise. Se pourrait-il donc que l' on accusât une hypothèse qui, loin de blasphémer les fantômes vénérés de la foi, n' aspire qu' à les faire paraître au grand jour ; qui, au lieu de rejeter les dogmes traditionnels et les préjugés de la conscience, demande seulement à les vérifier ; qui, tout en se défendant des opinions exclusives, prend pour axiome l' infaillibilité de la raison, et grâce à ce fécond principe, ne conclura sans doute jamais contre aucune des sectes antagonistes ? Se pourrait-il que les conservateurs religieux et politiques me reprochassent de troubler l' ordre des sociétés, lorsque je pars de l' hypothèse d' une intelligence souveraine, source de toute pensée d' ordre ; que les démocrates semi-chrétiens me maudissent comme ennemi de Dieu, par conséquent traître à la république, lorsque je cherche le sens et le contenu de l' idée de Dieu ; et que les marchands universitaires m' imputassent à impiété de démontrer la non- valeur de leurs produits philosophiques, alors que je soutiens précisément que la philosophie doit s' étudier dans son objet, c' est-à-dire dans les manifestations de la société et de la nature ? ... j' ai besoin de l' hypothèse de Dieu pour justifier mon style. Dans l' ignorance où je suis de tout ce qui regarde Dieu, le monde, l' âme, la destinée ; forcé de procéder comme le matérialiste, c' est-à-dire par l' observation et l' expérience, et de conclure dans le langage du croyant, parce qu' il n' en existe pas d' autre ; ne sachant pas si mes formules, malgré moi théologiques, doivent être prises au propre ou au figuré ; dans cette perpétuelle contemplation de Dieu, de l' homme et des choses, obligé de subir la synonymie de tous les termes qu' embrassent les trois catégories de la pensée, de la parole et de l' action, mais ne voulant rien affirmer d' un côté plus que de l' autre : la rigueur de la dialectique exigeait que je supposasse, rien de plus, rien de moins, cette inconnue qu' on appelle Dieu. Nous sommes pleins de la divinité, Jovis Omnia Plena ; nos monuments, nos traditions, nos lois, nos idées, nos langues et nos sciences, tout est infecté de cette indélébile superstition hors de laquelle il ne nous est pas donné de parler ni d' agir, et sans laquelle nous ne pensons seulement pas. Enfin j' ai besoin de l' hypothèse de Dieu pour expliquer la publication de ces nouveaux mémoires. Notre société se sent grosse d' événements et s' inquiète de l' avenir : comment rendre raison de ces pressentiments vagues avec le seul secours d' une raison universelle, immanente si l' on veut, et permanente, mais impersonnelle, et par conséquent muette ; -ou bien avec l' idée de nécessité, s' il implique que la nécessité se connaisse, et partant qu' elle ait des pressentiments ? Reste donc encore une fois l' hypothèse d' un agent ou incube qui presse la société, et lui donne des visions. Or, quand la société prophétise, elle s' interroge par la bouche des uns, et se répond par la bouche des autres. Et sage alors qui sait écouter et comprendre, parce que Dieu même a parlé, Quia Locutus Est Deus. L' académie des sciences morales et politiques a proposé la question suivante : ''
déterminer les faits généraux qui
règlent les '' rapports des profits avec les salaires, et en ''
 
Se pourrait-il donc que l' on accusât une hypothèse qui, loin de blasphémer les fantômes vénérés de la foi, n' aspire qu' à les faire paraître au grand jour ; qui, au lieu de rejeter les dogmes traditionnels et les préjugés de la conscience, demande seulement à les vérifier ; qui, tout en se défendant des opinions exclusives, prend pour axiome l' infaillibilité de la raison, et grâce à ce fécond principe, ne conclura sans doute jamais contre aucune des sectes antagonistes ? Se pourrait-il que les conservateurs religieux et politiques me reprochassent de troubler l' ordre des sociétés, lorsque je pars de l' hypothèse d' une intelligence souveraine, source de toute pensée d' ordre ; que les démocrates semi-chrétiens me maudissent comme ennemi de Dieu, par conséquent traître à la république, lorsque je cherche le sens et le contenu de l' idée de Dieu ; et que les marchands universitaires m' imputassent à impiété de démontrer la non- valeur de leurs produits philosophiques, alors que je soutiens précisément que la philosophie doit s' étudier dans son objet, c' est-à-dire dans les manifestations de la société et de la nature ? ... j' ai besoin de l' hypothèse de Dieu pour justifier mon style. Dans l' ignorance où je suis de tout ce qui regarde Dieu, le monde, l' âme, la destinée ; forcé de procéder comme le matérialiste, c' est-à-dire par l' observation et l' expérience, et de conclure dans le langage du croyant, parce qu' il n' en existe pas d' autre ; ne sachant pas si mes formules, malgré moi théologiques, doivent être prises au propre ou au figuré ; dans cette perpétuelle contemplation de Dieu, de l' homme et des choses, obligé de subir la synonymie de tous les termes qu' embrassent les trois catégories de la pensée, de la parole et de l' action, mais ne voulant rien affirmer d' un côté plus que de l' autre : la rigueur de la dialectique exigeait que je supposasse, rien de plus, rien de moins, cette inconnue qu' on appelle Dieu. Nous sommes pleins de la divinité, Jovis Omnia Plena ; nos monuments, nos traditions, nos lois, nos idées, nos langues et nos sciences, tout est infecté de cette indélébile superstition hors de laquelle il ne nous est pas donné de parler ni d' agir, et sans laquelle nous ne pensons seulement pas. Enfin j' ai besoin de l' hypothèse de Dieu pour expliquer la publication de ces nouveaux mémoires. Notre société se sent grosse d' événements et s' inquiète de l' avenir : comment rendre raison de ces pressentiments vagues avec le seul secours d' une raison universelle, immanente si l' on veut, et permanente, mais impersonnelle, et par conséquent muette ; -ou bien avec l' idée de nécessité, s' il implique que la nécessité se connaisse, et partant qu' elle ait des pressentiments ? Reste donc encore une fois l' hypothèse d' un agent ou incube qui presse la société, et lui donne des visions. Or, quand la société prophétise, elle s' interroge par la bouche des uns, et se répond par la bouche des autres. Et sage alors qui sait écouter et comprendre, parce que Dieu même a parlé, Quia Locutus Est Deus. L' académie des sciences morales et politiques a proposé la question suivante : ''
déterminer les faits généraux qui
règlent les '' rapports des profits avec les salaires, et en ''
expliquer les oscillations respectives '' . Il y a quelques années, la même académie demandait : ''
quelles sont les causes de la '' misère ? ''
Ligne 502 ⟶ 537 :
voilà ce qu' il faut apprendre au monde, en dépit des sarcasmes
de l' incrédulité.
 
Je sais bien que les vues de l' académie ne sont pas si profondes
, et qu' elle a horreur des nouveautés à l' égal d' un concile ;
Ligne 568 ⟶ 604 :
quelque remords. En place d' une théorie de l' association à
laquelle par réflexion elle ne croit plus, elle demande un '' examen critique du système ''
d' instruction et d' éducation de Pestalozzi, '' considéré principalement dans ses rapports ''
avec le bien-être et la moralité des classes '' pauvres ''.
Pestalozzi, '' considéré principalement dans ses rapports ''
Qui sait ?
avec
le bien-être et la moralité des classes '' pauvres ''
. Qui sait ?
Peut-être que le rapport des profits et des salaires, l'
association, l' organisation du travail, enfin, se trouvent au
Ligne 581 ⟶ 615 :
et faire la théorie de la société : l' académie, dans ses moments
lucides, en revient toujours là. '' quelle influence, ''
c' est encore l' académie qui parle, '' les progrès et le goût du bien- être ''
c' est
matériel exercent-ils sur la moralité d' un '' peuple ? ''
encore l' académie qui parle, '' les progrès et le goût du bien- être ''
matériel exercent-ils sur la moralité d' un '' peuple ? ''
 
prise dans le sens le plus apparent, cette nouvelle question de
l' académie est banale et propre tout au plus à exercer un
rhéteur.
 
Mais l' académie, qui doit jusqu' à la fin ignorer le sens
révolutionnaire de ses oracles, a levé le rideau dans sa glose.
Ligne 625 ⟶ 658 :
immorales ? L' académie, complétant sa pensée, va nous répondre.
'' démontrez comment les progrès de la justice ''
criminelle, dans la poursuite et la punition des '' attentats contre les personnes et les propriétés, ''
criminelle, dans
la poursuite et la punition des '' attentats contre les personnes et les propriétés, ''
suivent et marquent les âges de la
civilisation '' depuis l' état sauvage jusqu' à l' état des peuples ''
Ligne 634 ⟶ 666 :
retracez les
phases diverses de l' organisation '' de la famille sur le sol de la France, depuis ''
les temps anciens jusqu' à nos jours '' . Ce qui signifie : déterminez, par les progrès antérieurs de l' organisation familiale, les conditions d' existence de la famille dans un état d' égalité des fortunes, d' association volontaire et libre, de solidarité universelle, de bien-être matériel et de luxe, d' ordre public sans prisons, cours d' assises, police ni bourreaux.

On s' étonnera peut-être qu' après avoir, à l' instar des plus audacieux novateurs, mis en question tous les principes de l' ordre social, la religion, la famille, la propriété, la justice, l' académie des sciences morales et politiques n' ait pas aussi proposé ce problème : ''
quelle est la meilleure '' forme de gouvernement ? ''
en effet, le gouvernement est pour la société la
Ligne 779 ⟶ 813 :
incline à la consécration de l' égoïsme ; le socialisme penche
vers l' exaltation de la communauté.
 
Les économistes, sauf quelques infractions à leurs principes,
dont ils croient devoir accuser les gouvernements, sont
Ligne 935 ⟶ 970 :
entendre par quelques exemples, avant d' entrer à fond dans l'
examen de l' économie politique.
 
Ii-insuffisance des théories et des critiques. Consignons d'
== II - Insuffisance des théories et des critiques ==
abord une observation importante : les contendants sont d' accord
 
Consignons d'abord une observation importante : les contendants sont d' accord
de s' en référer à une autorité commune, que chacun compte avoir
pour soi, la science. Platon, utopiste, organisait sa république
Ligne 1 059 ⟶ 1 096 :
revanche, l' économie politique n' est plus qu' une impertinente
rapsodie, dès qu' elle affirme comme absolument valables les
faits collectionnés par Adam Smith et J-B Say. Iii-
 
application de la loi de proportionnalité des valeurs. Tout
== III - Application de la loi de proportionnalité des valeurs ==
produit est un signe représentatif du travail. Tout produit peut
 
Tout produit est un signe représentatif du travail. Tout produit peut
en conséquence être échangé pour un autre, et la pratique
universelle est là qui en témoigne. Mais supprimez le travail :
Ligne 1 296 ⟶ 1 335 :
produit de la veille, laisse un excédant de produit à la journée
du lendemain.
 
Mais remarquons aussi, remarquons surtout ce fait capital, c' est
que le bien-être de l' homme est en raison directe de l'
Ligne 1 582 ⟶ 1 622 :
sortis '' de la société, c' est expliquer comment il sera possible de les y faire ''
 
rentrer '' ; montrer la genèse des problèmes de production et de répartition, c' est en préparer la solution. Toutes ces propositions sont identiques, et d' une égale évidence.

== I -effets Effets antagonistes du principe de division. ==

Tous les hommes sont égaux dans la communauté primitive, égaux par leur nudité et leur ignorance, égaux par la puissance indéfinie de leurs facultés. Les économistes ne considèrent d' habitude que le premier de ces aspects : ils négligent ou méconnaissent totalement le second. Cependant, d' après les philosophes les plus profonds des temps modernes, La Rochefoucault, Helvétius, Kant, Fichte, Hégel, Jacotot, l' intelligence ne diffère dans les individus que par la détermination ''
qualitative '' , laquelle constitue la spécialité ou aptitude propre de chacun ; tandis que, dans ce qu' elle a d' essentiel, savoir le jugement, elle est chez tous ''
 
Ligne 1 660 ⟶ 1 704 :
Ce jugement de la nature et de la nécessité, la société l'
exécutera.
 
Le premier effet du travail parcellaire, après la dépravation de
l' âme, est la prolongation des séances qui croissent en raison
Ligne 1 689 ⟶ 1 734 :
 
particularisé '' , se synthétisera. Tel est l' argument ordinaire de tous ceux qui cherchent des justifications à la providence, et qui ne réussissent le plus souvent qu' à prêter de nouvelles armes à l' athéisme. C' est donc à dire que Dieu nous aurait envié pendant six mille ans une idée qui pouvait épargner des millions de victimes, la distribution à la fois spéciale et synthétique du travail ! En revanche, il nous aurait donné par ses serviteurs Moïse, Bouddha, Zoroastre, Mahomet, etc., ces insipides rituels, opprobres de notre raison, et qui ont fait égorger plus d' hommes qu' ils ne contiennent de lettres ! Bien plus, s' il faut en croire la révélation primitive, l' économie sociale serait cette science maudite, ce fruit de l' arbre réservé à Dieu, et auquel il était défendu à l' homme de toucher ! Pourquoi cette réprobation religieuse du travail, s' il est vrai, comme déjà la science économique le découvre, que le travail soit le père de l' amour et l' organe du bonheur ? Pourquoi cette jalousie de notre avancement ? Mais si, comme il paraît assez maintenant, notre progrès dépend de nous seuls, à quoi sert d' adorer ce fantôme de divinité, et que nous veut-il encore par cette cohue d' inspirés qui nous poursuivent de leurs sermons ? Vous tous, chrétiens, protestants et orthodoxes, néo- révélateurs, charlatans et dupes, écoutez le premier verset de l' hymne humanitaire sur la miséricorde de Dieu : " à mesure que le principe de la division du travail reçoit une application complète, l' ouvrier devient plus faible, plus borné et plus dépendant ! L' art fait des progrès, l' artisan rétrograde ! " / Tocqueville, ''
de la démocratie en Amérique '' . / gardons-nous donc d' anticiper sur nos conclusions, et de préjuger la dernière révélation de l' expérience. Dieu, quant à présent, nous apparaît moins favorable qu' adverse : bornons-nous à constater le fait.

De même donc que l' économie politique, à son point de départ, nous a fait entendre cette parole mystérieuse et sombre : ''
à mesure que la production '' d' utilité augmente, la vénalité diminue ; ''
à
mesure que la production '' d' utilité augmente, la vénalité diminue ; ''
de même, arrivée à sa première station, elle nous
avertit d' une voix terrible : '' à mesure que l' art ''
Ligne 1 701 ⟶ 1 747 :
lettrés '' , que la masse des ouvriers attachés aux diverses branches de l' industrie typographique, compositeurs, pressiers, fondeurs, relieurs et papetiers. Le typographe, que l' on rencontrait encore au temps des Estienne, est devenu presque une abstraction. L' emploi des femmes pour la composition des caractères a frappé au coeur cette noble industrie, et en a consommé l' avilissement. J' ai vu une ''
compositrice '' , et c' était une des meilleures, qui ne savait pas lire, et ne connaissait des lettres que la figure. Tout l' art s' est retiré dans la spécialité des protes et correcteurs, savants modestes, que l' impertinence des auteurs et patrons humilie encore, et dans quelques ouvriers véritablement artistes. La presse, en un mot, tombée dans le mécanisme, n' est plus, par son personnel, au niveau de la civilisation : il ne restera bientôt d' elle que des monuments. J' entends dire que les ouvriers imprimeurs, à Paris, travaillent par l' association à se relever de leur déchéance : puissent leurs efforts ne se point épuiser en un vain empirisme, ou s' égarer dans de stériles utopies ! Après l' industrie privée, voyons l' administration. Dans les services publics, les effets du travail parcellaire se produisent non moins effrayants, non moins intenses : partout, dans l' administration, à mesure que l' art se développe, le gros des employés voit réduire son traitement. -un facteur de la poste reçoit depuis 4 oo jusqu' à 6 oo francs de traitement annuel, sur quoi l' administration retient environ le dixième pour la retraite. Après trente ans d' exercice, la pension, ou plutôt la restitution, est de 3 oo francs par an, lesquels, cédés à un hospice par le titulaire, lui donnent droit au lit, à la soupe et au blanchissage. Le coeur me saigne à le dire, mais je trouve que l' administration est encore généreuse : quelle voulez-vous que soit la rétribution d' un homme dont toute la fonction consiste à marcher ? La légende ne donne que ''
cinq sous '' au juif-errant ; les facteurs de la poste en reçoivent vingt ou trente ; il est vrai que la plupart ont une famille. Pour la partie du service qui demande l' usage des facultés intellectuelles, elle est réservée aux directeurs et commis : ceux-ci sont mieux payés, ils font travail d' hommes. Partout donc, dans les services publics comme dans l' industrie libre, les choses sont arrangées de telle sorte que les neuf dixièmes des travailleurs servent de bêtes de somme à l' autre dixième : tel est l' effet inévitable du progrès industriel, et la condition indispensable de toute richesse. Il importe de se bien rendre compte de cette vérité élémentaire, avant de parler au peuple d' égalité, de liberté, d' institutions démocratiques, et autres utopies, dont la réalisation suppose préalablement une révolution complète dans les rapports des travailleurs.

L' effet le plus remarquable de la division du travail est la déchéance de la littérature. Au moyen âge et dans l' antiquité, le lettré, sorte de docteur encyclopédique, successeur du troubadour et du poëte, sachant tout, pouvait tout. La littérature, la main haute, régentait la société ; les rois recherchaient la faveur des écrivains, ou se vengeaient de leurs mépris en les brûlant, eux et leurs livres. C' était encore une manière de reconnaître la souveraineté littéraire. Aujourd' hui, l' on est industriel, avocat, médecin, banquier, commerçant, professeur, ingénieur, bibliothécaire, etc. ; on n' est plus homme de lettres. Ou plutôt quiconque s' est élevé à un degré quelque peu remarquable dans sa profession, est par cela seul et nécessairement lettré : la littérature, comme le baccalauréat, est devenue partie élémentaire de toute profession. L' homme de lettres réduit à son expression pure est ''
l' écrivain '' public ''
 
Ligne 1 772 ⟶ 1 820 :
l' irritant ; et tout ce que l' on a écrit à cet égard n' a fait
que mettre en évidence le cercle vicieux de l' économie politique
. C' est ce que nous allons démontrer en peu de mots. Ii-
 
impuissance des palliatifs. -Mm Blanqui, Chevalier, Dunoyer,
== II - Impuissance des palliatifs. Mm Blanqui, Chevalier, Dunoyer, Rossi et Passy. ==
Rossi et Passy. Tous les remèdes proposés contre les funestes
 
Tous les remèdes proposés contre les funestes
effets de la division parcellaire se réduisent à deux, lesquels
même n' en font qu' un, le premier étant l' inverse du second :
Ligne 1 883 ⟶ 1 933 :
division du travail étant désormais établie partout, le
raisonnement se généralise, et nous avons pour conclusion que '' la misère est un ''
effet du travail '' , aussi bien que de la paresse. On dit à cela, et cet argument est en grande faveur parmi le peuple : augmentez le prix des services, doublez, triplez le salaire. J' avoue que si cette augmentation était possible, elle obtiendrait un plein succès, quoi qu' en ait dit M Chevalier, à qui je dois sur ce point un petit redressement. D' après M Chevalier, si l' on augmentait le prix d' une marchandise quelconque, les autres marchandises s' augmenteraient dans la même proportion, et il n' en résulterait aucun avantage pour personne. Ce raisonnement, que les économistes se repassent depuis plus d' un siècle, est aussi faux qu' il est vieux, et il appartenait à M Chevalier, en sa qualité d' ingénieur, de redresser la tradition économique. Les appointements d' un chef de bureau étant par jour de Io francs, et le salaire d' un ouvrier de 4 : si le revenu est augmenté pour chacun de 5 francs, le rapport des fortunes qui, dans le premier cas, était comme Ioo est à 4 o, ne sera plus dans le second que comme Ioo est à 6 o. L' augmentation des salaires, s' effectuant nécessairement par addition et non par quotient, serait donc un excellent moyen de nivellement ; et les économistes mériteraient que les socialistes leur renvoyassent le reproche d' ignorance, dont ils sont par eux gratifiés à tort et à travers. Mais je dis qu' une pareille augmentation est impossible, et que la supposition en est absurde : car, comme l' a très-bien vu d' ailleurs M Chevalier, le chiffre qui indique le prix de la journée du travail n' est qu' un exposant algébrique sans influence sur la réalité : et ce qu' il faut avant tout songer à accroître, tout en rectifiant les inégalités de distribution, ce n' est pas l' expression monétaire, c' est la quantité des produits. Jusque-là, tout mouvement de hausse dans les salaires ne peut avoir d' autre effet que celui d' une hausse sur le blé, le vin, la viande, le sucre, le savon, la houille, etc., c' est-à-dire l' effet d' une disette. Car qu' est-ce que le salaire ? C' est le prix de revient du blé, du vin, de la viande, de la houille ; c' est le prix intégrant de toutes choses. Allons plus avant encore : le salaire est la proportionnalité des éléments qui composent la richesse, et qui sont consommés chaque jour reproductivement par la masse des travailleurs. Or, doubler le salaire, au sens où le peuple l' entend, c' est attribuer à chacun des producteurs une part plus grande que son produit, ce qui est contradictoire ; et si la hausse ne porte que sur un petit nombre d' industries, c' est provoquer une perturbation générale dans les échanges, en un mot, une disette. Dieu me garde des prédictions ! Mais malgré toute ma sympathie pour l' amélioration du sort de la classe ouvrière, il est impossible, je le déclare, que les grèves suivies d' augmentation de salaire n' aboutissent pas à un renchérissement général : cela est aussi certain que deux et deux font quatre. Ce n' est point par de semblables recettes que les ouvriers arriveront à la richesse, et, ce qui est mille fois plus précieux encore que la richesse, à la liberté. Les ouvriers, appuyés par la faveur d' une presse imprudente, en exigeant une augmentation de salaire, ont servi le monopole bien plus que leur véritable intérêt : puissent-ils reconnaître, quand le malaise reviendra pour eux plus cuisant, le fruit amer de leur inexpérience ! Convaincu de l' inutilité, ou, pour mieux dire, des funestes effets de l' augmentation des salaires, et sentant bien que la question est tout organique et nullement commerciale, M Chevalier prend le problème à rebours. Il demande pour la classe ouvrière, avant tout, l' instruction, et il propose dans ce sens de larges réformes. L' instruction ! C' est aussi le mot de M Arago aux ouvriers, c' est le principe de tout progrès. L' instruction ! ... il faut savoir une fois pour toutes ce que nous pouvons en attendre pour la solution du problème qui nous occupe ; il faut savoir, dis-je, non s' il est désirable que tous la reçoivent, chose que personne ne met en doute, mais si elle est possible.

Pour bien saisir toute la portée des vues de M Chevalier, il est indispensable de connaître sa tactique. M Chevalier, façonné de longue main à la discipline, d' abord par ses études polytechniques, plus tard par ses relations saint-simoniennes, et finalement par sa position universitaire, ne paraît point admettre qu' un élève puisse avoir d' autre volonté que celle du règlement, un sectaire d' autre pensée que celle du chef, un fonctionnaire public d' autre opinion que celle du pouvoir. Ce peut être une manière de concevoir l' ordre aussi respectable qu' aucun autre, et je n' entends exprimer à ce sujet ni approbation ni blâme. M Chevalier a-t-il à émettre un jugement qui lui soit personnel ? En vertu du principe que tout ce qui n' est pas défendu par la loi est permis, il se hâte de prendre le devant et de dire son avis, quitte à se rallier ensuite, s' il y a lieu, à l' opinion de l' autorité. C' est ainsi que ''
m '' chevalier, avant de se fixer au giron constitutionnel, s' était donné à M Enfantin ; c' est ainsi qu' il s' était expliqué sur les canaux, les chemins de fer, la finance, la propriété, longtemps avant que le ministère eût adopté aucun système sur la construction des railways, sur la conversion des rentes, les brevets d' invention, la propriété littéraire, etc. M Chevalier n' est donc pas, tant s' en faut, admirateur aveugle de l' enseignement universitaire ; et jusqu' à nouvel ordre, il ne se gêne pas pour dire ce qu' il en pense. Ses opinions sont des plus radicales. M Villemain avait dit dans son rapport : " le but de l' instruction secondaire est de préparer de loin un choix d' hommes... etc. " et comme le propre d' une idée lumineuse est d' éclairer toutes les questions qui s' y rattachent, l' enseignement professionnel fournit à M Chevalier un moyen très-expéditif de trancher, chemin faisant, la querelle du clergé et de l' université sur la liberté de l' enseignement. " il faut convenir qu' on fait la part très-belle au clergé... etc. " la conclusion vient toute seule : changez la matière de l' enseignement, et vous décatholicisez le royaume ; et comme le clergé ne sait que le latin et la bible, qu' il ne compte dans son sein ni maîtres ès arts, ni agriculteurs, ni comptables ; que parmi ses quarante mille prêtres, il n' en est peut-être pas vingt en état de lever un plan ou de forger un clou, on verra bientôt à qui les pères de famille donneront la préférence, de l' industrie ou du bréviaire, et s' ils n' estiment pas que le travail est la plus belle des langues pour prier Dieu. Ainsi finirait cette opposition ridicule d' éducation religieuse et de science profane, de spirituel et de temporel, de raison et de foi, d' autel et de trône, vieilles rubriques désormais vides de sens, mais dont on amuse encore la bonhomie du public, en attendant qu' il se fâche. M Chevalier n' insiste pas, du reste, sur cette solution : il sait que religion et monarchie sont deux partenaires qui, bien que toujours en brouille, ne peuvent exister l' une sans l' autre ; et pour ne point éveiller de soupçon, il se lance à travers une autre idée révolutionnaire, l' égalité. " la France est en état de fournir à l' école polytechnique vingt fois autant d' élèves qu' il y en entre aujourd' hui... etc. " si l' enseignement secondaire, réformé selon les vues de M Chevalier, était suivi par tous les jeunes français, tandis qu' il ne l' est communément que par 9 o, Ooo, il n' y aurait aucune exagération à élever le chiffre des spécialités mathématiques de 3, 52 oà Io, Ooo ; mais, par la même raison, nous aurions Io, Ooo artistes, philologues et philosophes ; -Io, Ooo médecins, physiciens, chimistes et naturalistes ; -Io, Ooo économistes, jurisconsultes, administrateurs ; - 2 o, Ooo industriels, contre-maîtres, négociants et comptables ; - 4 o, Ooo agriculteurs, vignerons, mineurs, etc. ; total, Ioo, Ooo capacités par an, soit environ le tiers de la jeunesse. Le reste, au lieu d' aptitudes spéciales , n' ayant que des aptitudes mêlées, se classerait indifféremment partout. Il est sûr qu' un si puissant essor donné aux intelligences accélérerait la marche de l' égalité, et je ne doute pas que tel ne soit le voeu secret de M Chevalier. Mais voilà précisément ce qui m' inquiète : les capacités ne font jamais défaut, pas plus que la population, et la question est de trouver de l' emploi aux unes et du pain à l' autre. En vain M Chevalier nous dit-il : " l' instruction secondaire donnerait moins de prise à la plainte qu' elle lance dans la société des flots d' ambitieux dénués de tous moyens de satisfaire leurs désirs, et intéressés à bouleverser l' état ; gens inappliqués et inapplicables, bons à rien et se croyant propres à tout, particulièrement à diriger les affaires publiques. Les études scientifiques exaltent moins l' esprit. Elles l' éclairent et le règlent en même temps ; elles approprient l' homme à la vie pratique... " -ce langage, lui répliquerai-je, est bon à tenir à des patriarches : un professeur d' économie politique doit avoir plus de respect pour sa chaire et pour son auditoire. Le gouvernement n' a pas plus de cent vingt places disponibles chaque année pour cent soixante-seize polytechniciens admis à l' école : quel serait donc l' embarras si le nombre des admissions était de dix mille, ou seulement, en prenant le chiffre de M Chevalier, de trois mille cinq cents ? Et généralisez : le total des positions civiles est de soixante mille, soit trois mille vacances annuelles ; quel effroi pour le pouvoir, si, adoptant tout à coup les idées réformistes de M Chevalier, il se voyait assiégé de cinquante mille solliciteurs ! On a souvent fait l' objection suivante aux républicains sans qu' ils y aient répondu : quand tout le monde aura son brevet d' électeur, les députés en vaudront-ils mieux, et le prolétariat en sera-t-il plus avancé ? Je fais la même demande à M Chevalier : quand chaque année scholaire vous apportera cent mille capacités, qu' en ferez-vous ? Pour établir cette intéressante jeunesse, vous descendrez jusqu' au dernier échelon de la hiérarchie. Vous ferez débuter le jeune homme, après quinze ans de sublimes études, non plus comme aujourd' hui par les grades d' aspirant ingénieur, de sous-lieutenant d' artillerie, d' enseigne de vaisseau, de substitut, de contrôleur, de garde général, etc. ; mais par les ignobles emplois de pionnier, de soldat du train, de dragueur, de mousse, de fagoteur et de rat de cave. Là il lui faudra attendre que la mort, éclaircissant les rangs, le fasse avancer d' une semelle. Il se pourra donc qu' un homme, sorti de l' école polytechnique et capable de faire un Vauban, meure cantonnier sur une route de deuxième classe, ou caporal dans un régiment. Oh ! Combien le catholicisme s' est montré plus prudent, et comme il vous a surpassés tous, saints-simoniens, républicains, universitaires, économistes, dans la connaissance de l' homme et de la société ! Le prêtre sait que notre vie n' est qu' un voyage , et que notre perfection ne se peut réaliser ici-bas ; et il se contente d' ébaucher sur la terre une éducation qui doit trouver son complément dans le ciel. L' homme que la religion a formé, content de savoir, de faire et d' obtenir ce qui suffit à sa destinée terrestre, ne peut jamais devenir un embarras pour le gouvernement : il en serait plutôt le martyr. ô religion bien- aimée ! Faut-il qu' une bourgeoisie qui a tant besoin de toi te méconnaisse ! ... dans quels épouvantables combats de l' orgueil et de la misère cette manie d' enseignement universel nous précipite ! à quoi servira l' éducation professionnelle, à quoi bon des écoles d' agriculture et de commerce, si vos étudiants ne possèdent ni établissements ni capitaux ? Et quel besoin de se bourrer jusqu' à l' âge de vingt ans de toutes sortes de sciences , pour aller après rattacher des fils à la mule-jenny, ou piquer la houille au fond d' un puits ? Quoi ! Vous n' avez de votre aveu que 3, Ooo emplois à donner chaque année pour 5 o, Ooo capacités possibles, et vous parlez encore de créer des écoles ! Restez plutôt dans votre système d' exclusion et de privilége, système vieux comme le monde, appui des dynasties et des patriciats, véritable machine à hongrer les hommes, afin d' assurer les plaisirs d' une caste de sultans. Faites payer cher vos leçons, multipliez les entraves, écartez, par la longueur des épreuves, le fils du prolétaire à qui la faim ne permet pas d' attendre, et protégez de tout votre pouvoir les écoles ecclésiastiques, où l' on apprend à travailler pour l' autre vie, à se résigner, jeûner, respecter les grands, aimer le roi et prier Dieu. Car toute étude inutile devient tôt ou tard une étude abandonnée : la science est un poison pour les esclaves . Certes, M Chevalier a trop de sagacité pour n' avoir pas aperçu les conséquences de son idée. Mais il s' est dit au fond du coeur, et l' on ne peut qu' applaudir à sa bonne intention : il faut avant tout que les hommes soient hommes : après, qui vivra verra. Ainsi nous marchons à l' aventure, conduits par la providence, qui ne nous avertit jamais qu' en frappant : ceci est le commencement et la fin de l' économie politique. à l' inverse de M Chevalier, professeur d' économie politique au collége de France, M Dunoyer, économiste de l' institut, ne veut pas qu' on organise l' enseignement. L' organisation de l' enseignement est une variété de l' organisation du travail ; donc, pas d' organisation. L' enseignement, observe M Dunoyer, est une profession, non une magistrature : comme toutes les professions, il doit être et rester libre. C' est la communauté, c' est le socialisme, c' est la tendance révolutionnaire, dont les principaux agents ont été Robespierre, Napoléon, Louis Xviii et M Guizot, qui ont jeté parmi nous ces idées funestes de centralisation et d' absorption de toute activité dans l' état. La presse est bien libre, et la plume des journalistes une marchandise ; la religion est bien libre aussi, et tout porteur de soutane, courte ou longue, qui sait à propos exciter la curiosité publique, peut rassembler autour de soi un auditoire. M Lacordaire a ses dévots, M Leroux ses apôtres, M Buchez son couvent. Pourquoi donc l' enseignement aussi ne serait-il pas libre ? Si le droit de l' enseigné, comme celui de l' acheteur, est indubitable ; celui de l' enseignant, qui n' est qu' une variété du vendeur, en est le corrélatif : il est impossible de toucher à la liberté de l' enseignement sans faire violence à la plus précieuse des libertés, celle de la conscience. Et puis, ajoute M Dunoyer, si l' état doit l' enseignement à tout le monde, on prétendra bientôt qu' il doit le travail, puis le logement, puis le couvert ... où cela mène-t-il ? L' argumentation de M Dunoyer est irréfutable : organiser l' enseignement, c' est donner à chaque citoyen la promesse d' un emploi libéral et d' un salaire confortable ; ces deux termes sont aussi intimement liés que la circulation artérielle et la circulation veineuse. Mais la théorie de M Dunoyer implique aussi que le progrès n' est vrai que d' une certaine élite de l' humanité, et que pour les neuf dixièmes du genre humain, la barbarie est la condition perpétuelle. C' est même ce qui constitue, selon M Dunoyer, l' essence des sociétés, laquelle se manifeste en trois temps, religion, hiérarchie et mendicité. En sorte que, dans ce système, qui est celui de Destutt De Tracy, de Montesquieu et de Platon, l' antinomie de la division, comme celle de la valeur, est insoluble. Ce m' est un plaisir inexprimable, je l' avoue, de voir M Chevalier, partisan de la centralisation de l' enseignement, combattu par M Dunoyer, partisan de la liberté ; M Dunoyer à son tour en opposition avec M Guizot ; M Guizot , le représentant des centralisateurs, en contradiction avec la charte, laquelle pose en principe la liberté ; la charte foulée aux pieds par les universitaires, qui réclament pour eux seuls le privilége de l' enseignement, malgré l' ordre formel de l' évangile qui dit aux prêtres : ''
allez et enseignez '' . Et par- dessus tout ce fracas d' économistes, de législateurs, de ministres, d' académiciens, de professeurs et de prêtres, la providence économique donnant le démenti à l' évangile, et s' écriant : que voulez-vous, pédagogues, que je fasse de votre enseignement ? Qui nous tirera de cette angoisse ? M Rossi penche pour un éclectisme : trop peu divisé, dit-il, le travail reste improductif ; trop divisé, il abrutit l' homme. La sagesse est entre ces extrêmes : In Medio Virtus. -malheureusement cette sagesse mitoyenne n' est qu' une médiocrité de misère ajoutée à une médiocrité de richesse, en sorte que la condition n' est pas le moins du monde modifiée. La proportion du bien et du mal, au lieu d' être comme Ioo est à Ioo, n' est plus que comme 5 o est à 5 o : ceci peut donner une fois pour toutes la mesure de l' éclectisme. Du reste, le juste-milieu de M Rossi est en opposition directe avec la grande loi économique : ''
produire aux moindres frais '' possibles la plus grande quantité possible de ''
valeurs... '' or, comment le travail peut- il remplir sa destinée, sans une extrême division ? Cherchons plus loin, s' il vous plaît. " tous les systèmes, dit M Rossi, toutes les hypothèses économiques appartiennent à l' économiste ; mais l' homme intelligent, libre, responsable, est sous l' empire de la loi morale... l' économie politique n' est qu' une science qui examine les rapports des choses, et en tire des conséquences. Elle examine quels sont les effets du travail : vous devez, dans l' application, appliquer le travail selon l' importance du but. Quand l' application du travail est contraire à un but plus élevé que la production de la richesse, il ne faut pas l' appliquer... supposons que ce fût un moyen de richesse nationale que de faire travailler les enfants quinze heures par jour : la morale dirait que cela n' est pas permis. Cela prouve-t-il que l' économie politique est fausse ? Non : cela prouve que vous confondez ce qui doit être séparé. " si M Rossi avait un peu plus de cette naïveté gauloise, si difficile à acquérir aux étrangers, il aurait tout simplement ''
jeté sa langue aux chiens '' , comme dit Madame De Sévigné. Mais il faut qu' un professeur parle, parle , parle, non pas pour dire quelque chose, mais afin de ne pas rester muet. M Rossi tourne trois fois autour de la question, puis il se couche : cela suffit à certaines gens pour croire qu' il a répondu. Certes, c' est déjà un fâcheux symptôme pour une science, lorsqu' en se développant selon les principes qui lui sont propres, elle arrive à point nommé à être démentie par une autre ; comme, par exemple, lorsque les postulés de l' économie politique se trouvent contraires à ceux de la morale, je suppose que la morale, aussi bien que l' économie politique, soit une science. Qu' est-ce donc que la connaissance humaine, si toutes ses affirmations s' entre-détruisent, et à quoi faudra-t-il se fier ? Le travail parcellaire est une occupation d' esclave, mais c' est le seul véritablement fécond ; le travail non divisé n' appartient qu' à l' homme libre ; mais il ne rend pas ses frais. D' un côté l' économie politique nous dit : soyez riches ; de l' autre la morale : soyez libres ; et M Rossi, parlant au nom des deux, nous avise en même temps que nous ne pouvons être ni libres ni riches, puisque ne l' être qu' à moitié, c' est ne l' être pas . La ''
 
doctrine '' de M Rossi, loin de satisfaire à cette double tendance de l' humanité, a donc l' inconvénient, pour n' être pas exclusive, de nous ôter tout : c' est, sous une autre forme, l' histoire du système représentatif. Mais l' antagonisme est bien autrement profond encore que ne l' a vu M Rossi. Car puisque, d' après l' expérience universelle, d' accord sur ce point avec la théorie, le salaire se réduit en raison de la division du travail, il est clair qu' en nous soumettant à l' esclavage parcellaire, nous n' obtiendrons pas pour cela la richesse ; nous n' aurons fait que changer des hommes en machines : voyez la population ouvrière des deux mondes. Et puisque, d' autre part, hors de la division du travail, la société retombe en barbarie, il est évident encore qu' en sacrifiant la richesse, on n' arriverait pas à la liberté : voyez en Asie et en Afrique toutes les races nomades. Donc il y a nécessité, commandement absolu, de par la science économique et de par la morale, de résoudre le problème de la division : or, où en sont les économistes ? Depuis plus de trente ans que Lemontey, développant une observation de Smith, a fait ressortir l' influence démoralisante et homicide de la division du travail ; qu' a-t-on répondu ? Quelles recherches ont été faites ? Quelles combinaisons proposées ? La question a-t-elle été seulement comprise ? Tous les ans les économistes rendent compte, avec une exactitude que je louerais davantage si je ne la voyais rester toujours stérile, du mouvement commercial des états de l' Europe . Ils savent combien de mètres de drap, de pièces de soie, de kilogrammes de fer, ont été fabriqués ; quelle a été la consommation par tête du blé, du vin, du sucre, de la viande : on dirait que pour eux le ''
La doctrine de M Rossi, loin de satisfaire à cette double tendance de l' humanité, a donc l' inconvénient, pour n' être pas exclusive, de nous ôter tout : c' est, sous une autre forme, l' histoire du système représentatif. Mais l' antagonisme est bien autrement profond encore que ne l' a vu M Rossi. Car puisque, d' après l' expérience universelle, d' accord sur ce point avec la théorie, le salaire se réduit en raison de la division du travail, il est clair qu' en nous soumettant à l' esclavage parcellaire, nous n' obtiendrons pas pour cela la richesse ; nous n' aurons fait que changer des hommes en machines : voyez la population ouvrière des deux mondes. Et puisque, d' autre part, hors de la division du travail, la société retombe en barbarie, il est évident encore qu' en sacrifiant la richesse, on n' arriverait pas à la liberté : voyez en Asie et en Afrique toutes les races nomades. Donc il y a nécessité, commandement absolu, de par la science économique et de par la morale, de résoudre le problème de la division : or, où en sont les économistes ? Depuis plus de trente ans que Lemontey, développant une observation de Smith, a fait ressortir l' influence démoralisante et homicide de la division du travail ; qu' a-t-on répondu ? Quelles recherches ont été faites ? Quelles combinaisons proposées ? La question a-t-elle été seulement comprise ? Tous les ans les économistes rendent compte, avec une exactitude que je louerais davantage si je ne la voyais rester toujours stérile, du mouvement commercial des états de l' Europe . Ils savent combien de mètres de drap, de pièces de soie, de kilogrammes de fer, ont été fabriqués ; quelle a été la consommation par tête du blé, du vin, du sucre, de la viande : on dirait que pour eux le ''
nec plus '' ultrà ''
de la science soit de
Ligne 2 037 ⟶ 2 090 :
du salaire '' , elle demande par là même qu' on ''
 
détermine la valeur '' . Or, c' est justement ce que repoussent messieurs de l' académie : ils ne veulent point entendre que si la valeur est variable, elle est par cela même déterminable ; que la variabilité est indice et condition de déterminabilité. Ils prétendent que la valeur, variant toujours, ne peut jamais être déterminée. C' est comme si l' on soutenait qu' étant donné le nombre des oscillations par seconde d' un pendule, l' amplitude des oscillations, la latitude et l' élévation du lieu où se fait l' expérience, la longueur du pendule ne peut être déterminée, parce que ce pendule est en mouvement. Tel est le premier article de foi de l' économie politique.

Quant au socialisme, il ne paraît pas davantage avoir compris la question ni s' en soucier. Parmi la multitude de ses organes, les uns écartent purement et simplement le problème, en substituant à la répartition le rationnement, c' est-à-dire en bannissant de l' organisme social le nombre et la mesure ; les autres se tirent d' embarras en appliquant au salaire le suffrage universel. Il va sans dire que ces pauvretés trouvent des dupes par mille et centaines de mille. La condamnation de l' économie politique a été formulée par Malthus dans ce passage fameux : " un homme qui naît dans un monde déjà occupé... etc. " voici donc quelle est la concluion nécessaire, fatale, de l' économie politique, conclusion que je démontrerai avec une évidence jusqu' à présent inconnue dans cet ordre de recherches : la mort à qui ne possède pas. Afin de mieux saisir la pensée de Malthus, traduisons-la en propositions philosophiques, en la dépouillant de son vernis oratoire : " la liberté individuelle, et la propriété qui en est l' expression, sont données dans l' économie politique ; l' égalité et la solidarité ne le sont pas. " sous ce régime, chacun chez soi, chacun pour soi : le travail, comme toute marchandise, est sujet à la hausse et à la baisse : de là les risques du prolétariat. Quiconque n' a ni revenu ni salaire, n' a pas droit de rien exiger des autres : son malheur retombe sur lui seul ; au jeu de la fortune, la chance a tourné contre lui. " au point de vue de l' économie politique, ces propositions sont irréfragables ; et Malthus, qui les a formulées avec une si alarmante précision, est à l' abri de tout reproche. Au point de vue des conditions de la science sociale, ces mêmes propositions sont radicalement fausses, et même contradictoires. L' erreur de Malthus, ou pour mieux dire de l' économie politique, ne consiste point à dire qu' un homme qui n' a pas de quoi manger doit périr, ni à prétendre que sous le régime d' appropriation individuelle, celui qui n' a ni travail ni revenu n' a plus qu' à sortir de la vie par le suicide, s' il ne préfère s' en voir chassé par la famine : telle est, d' une part, la loi de notre existence ; telle est, de l' autre, la conséquence de la propriété ; et M Rossi s' est donné beaucoup trop de peine pour justifier sur ce point le bon sens de Malthus. Je soupçonne, il est vrai, M Rossi, faisant si longuement et avec tant d' amour l' apologie de Malthus, d' avoir voulu recommander l' économie politique de la même manière que son compatriote Machiavel, dans le livre du ''
prince '' , recommandait à l' admiration du monde le despotisme. En nous faisant voir la misère comme la condition ''
 
sine quâ non '' de l' arbitraire industriel et commercial, M Rossi semble nous crier : voilà votre droit, votre justice, votre économie politique ; voilà la propriété. Mais la naïveté gauloise n' entend rien à ces finesses ; et mieux eût valu dire à la France, dans sa langue immaculée : l' erreur de Malthus, le vice radical de l' économie politique, consiste, en thèse générale, à affirmer comme état définitif une condition transitoire, savoir la distinction de la société en patriciat et prolétariat ; -spécialement, à dire que dans une société organisée, et par conséquent solidaire, il se peut que les uns possèdent, travaillent et consomment, tandis que les autres n' auraient ni possession, ni travail, ni pain. Enfin Malthus, ou l' économie politique, s' égare dans ses conclusions, lorsqu' il voit dans la faculté de reproduction indéfinie dont jouit l' espèce humaine, ni plus ni moins que toutes les espèces animales et végétales, une menace permanente de disette ; tandis qu' il fallait seulement en déduire la nécessité, et par conséquent l' existence d' une loi d' équilibre entre la population et la production. En deux mots, la théorie de Malthus, et c' est là le grand mérite de cet écrivain, mérite dont aucun de ses confrères n' a songé à lui tenir compte, est une réduction à l' absurde de toute l' économie politique.

Quant au socialisme, il a été jugé dès longtemps par Platon et Thomas Morus en un seul mot, utopie, c' est-à-dire ''
non-lieu '' , chimère. Toutefois, il faut le dire pour l' honneur de l' esprit humain, et afin que justice soit rendue à tous : ni la science économique et législative ne pouvait être dans ses commencements autre que ce que nous l' avons vue, ni la société ne peut s' arrêter à cette première position. Toute science doit d' abord circonscrire son domaine, produire et rassembler ses matériaux : avant le système, les faits ; avant le siècle de l' art, le siècle de l' érudition. Soumise comme toute autre à la loi du temps et aux conditions de l' expérience, la science économique, avant de chercher comment les choses ''
doivent se
Ligne 2 080 ⟶ 2 137 :
inconvenance architectonique de la science, ou, comme ils disent,
les '' inconvénients ''
de ses principes ; en un mot, ils ont nié la science.
 
la science.
Ainsi la division du travail, sans laquelle la production serait
à peu près nulle, est sujette à mille inconvénients, dont le pire
Ligne 2 161 ⟶ 2 218 :
organique de l' humanité, et donnerait la conception positive de
l' ordre.
 
De la valeur. I-opposition de la valeur '' d' utilité ''
et== deDe la valeur ==
 
valeur '' d' échange ''
I - Opposition de la valeur d' utilité et de la valeur d' échange
. La valeur est la pierre angulaire de l'
 
édifice économique. Le divin artiste qui nous a commis à la
La valeur est la pierre angulaire de l'édifice économique. Le divin artiste qui nous a commis à la
continuation de son oeuvre ne s' en est expliqué à personne ;
mais, sur quelques indices, on le conjecture. La valeur, en effet
Ligne 2 317 ⟶ 2 375 :
conjure le lecteur, avant de courir au devant de l' explication,
d' arrêter son attention sur le fait.
 
Un paysan qui a récolté vingt sacs de blé, qu' il se propose de
manger avec sa famille, se juge deux fois plus riche que s' il n'
Ligne 2 434 ⟶ 2 493 :
. -veut-on, afin de parer à la stagnation du commerce, limiter la
production au juste nécessaire ?
 
C' est violer la liberté : car, en m' ôtant la faculté de choisir
C'est violer la liberté : car, en m' ôtant la faculté de choisir
, vous me condamnez à payer un maximum ; vous détruisez la
concurrence, seule garantie du bon marché, et provoquez à la
Ligne 2 473 ⟶ 2 533 :
baisse et la hausse sont plus connues qu' à la bourse de Paris
et de Londres ?
 
De l' oscillation de la valeur et des effets irréguliers qui en
découlent, les socialistes et les économistes, chacun de leur
Ligne 2 516 ⟶ 2 577 :
ne fait qu' exprimer un fait, et s' impose impérieusement à l'
esprit : la contradiction proprement dite est une absurdité.
 
Cette distinction entre l' antinomie / Contra-Lex / et la
contradiction / Contra-Dictio / montre en quel sens on a pu
Ligne 2 557 ⟶ 2 619 :
combinaison de ces deux zéros jaillit l' unité, ou l' idée,
laquelle fait disparaître l' antinomie.
 
Ainsi, dans la valeur, rien d' utile qui ne se puisse échanger,
rien d' échangeable s' il n' est utile : la valeur d' usage et la
Ligne 2 734 ⟶ 2 797 :
de la fraternité et la base de l' association : or, sans une
détermination de la valeur, la justice est boiteuse, est
impossible.
impossible. Ii-constitution de la valeur : définition de la
 
richesse. Nous connaissons la valeur sous ses deux aspects
== II - Constitution de la valeur : définition de la richesse ==
 
Nous connaissons la valeur sous ses deux aspects
contraires : nous ne la connaissons pas dans son tout. Si nous
pouvions acquérir cette nouvelle idée, nous aurions la valeur
Ligne 2 777 ⟶ 2 843 :
réconcilier les esprits que leur timidité rend peu favorables aux
idées nouvelles.
 
Les économistes semblent n' avoir jamais entendu, par la mesure
de la valeur, qu' un étalon, une sorte d' unité primordiale,
Ligne 3 193 ⟶ 3 260 :
brèche aux tarifs, des sentiments plus sociables ont commencé de
s' éveiller chez ces natures massives : encore quelques
réductions assaisonnées d' un peu de misère, et les '' rigues ''
 
lyonnaises formeront le corps d' élite quand il faudra monter à
l' assaut des bastilles. En résumé, il est impossible,
Ligne 3 212 ⟶ 3 278 :
de radicalisme, a été fait à rebours des données économiqueset au
préjudice de l' ordre établi.
 
Le progrès, pour la masse des travailleurs, est toujours le livre
fermé de sept sceaux ; et ce n' est pas par des contre-sens
Ligne 3 263 ⟶ 3 330 :
Suivons donc nos indices, hors desquels nous ne pourrions que
nous égarer et nous perdre... etc.
 
Deuxième époque. -les machines. " j' ai vu avec un profond regret
== Deuxième époque. Les machines. ==
 
« J' ai vu avec un profond regret
la continuation de la détresse dans les districts manufacturiers
du pays. "» paroles de la reine Victoria à la rentrée du
parlement. Si quelque chose est propre à faire réfléchir les
souverains, c' est que, spectateurs plus ou moins impassibles des
Ligne 3 484 ⟶ 3 554 :
iront jamais au delà : Prométhée, comme Neptune, atteint en
trois pas aux bornes du monde.
 
De ces principes, aussi simples, aussi lumineux que des axiomes,
se déduisent des conséquences immenses. Comme dans l' opération
Ligne 3 532 ⟶ 3 603 :
l' intelligence '' ; et aux volitions, sentiments, etc., la ''
conscience '' . Toutes ces abstractions ont été pendant longtemps prises pour des réalités par les philosophes, dont aucun ne s' apercevait que toute distribution des facultés de l' âme est nécessairement oeuvre de fantaisie, et que leur psychologie n' était qu' un mirage. Quoi qu' il en soit, si nous concevons maintenant ces deux ordres de déterminations, la raison et la liberté, comme réunis et fondus par l' organisation en une ''
personne '' vivante, raisonnable et libre, nous comprendrons aussitôt qu' elles doivent se prêter un secours mutuel et s' influencer réciproquement. Si, par erreur ou inadvertance de la raison, la liberté, aveugle de sa nature, prend une fausse et funeste habitude, la raison ne tardera pas elle-même à s' en ressentir ; au lieu d' idées vraies, conformes aux rapports naturels des choses, elle ne retiendra que des préjugés, d' autant plus difficiles à extirper ensuite de l' intelligence, qu' ils seront devenus par l' âge plus chers à la conscience. Dans cet état, la raison et la liberté sont amoindries ; la première est troublée dans son développement, la seconde comprimée dans son essor, et l' homme est dévoyé, c' est- à-dire tout à la fois méchant et malheureux. Ainsi, lorsqu' à la suite d' une aperception contradictoire et d' une expérience incomplète, la raison eut prononcé par la bouche des économistes qu' il n' y avait point de règle de la valeur, et que la loi du commerce était l' offre et la demande, la liberté s' est livrée à la fougue de l' ambition, de l' égoïsme et du jeu ; le commerce n' a plus été qu' un pari, soumis à certaines règles de police ; la misère est sortie des sources de la richesse ; le socialisme, esclave lui-même de la routine, n' a su que protester contre les effets, au lieu de s' élever contre les causes ; et la raison a dû reconnaître, par le spectacle de tant de maux, qu' elle avait fait fausse route. L' homme ne peut arriver au bien-être qu' autant que sa raison et sa liberté non-seulement marchent d' accord, mais ne s' arrêtent jamais dans leur développement. Or, comme le progrès de la liberté, de même que celui de la raison, est indéfini, et comme d' ailleurs ces deux puissances sont intimement liées et solidaires, il faut conclure que la liberté est d' autant plus parfaite qu' elle se détermine plus conformément aux lois de la raison, qui sont celles des choses ; et que si cette raison était infinie, la liberté elle-même deviendrait infinie. En d' autres termes, la plénitude de la liberté est dans la plénitude de la raison : Summa Lex, Summa Libertas. Ces préliminaires étaient indispensables pour bien apprécier le rôle des machines, et faire ressortir l' enchaînement des évolutions économiques. à ce propos , je rappellerai au lecteur que nous ne faisons point une histoire selon l' ordre des temps, mais selon la succession des idées. Les phases ou catégories économiques sont dans leur manifestation tantôt contemporaines, tantôt interverties ; et de là vient l' extrême difficulté qu' ont éprouvée de tout temps les économistes à systématiser leurs idées ; de là le chaos de leurs ouvrages, même les plus recommandables sous tout autre rapport, tels que ceux d' Ad Smith, Ricardo et J B Say. Mais les théories économiques n' en ont pas moins leur succession logique et leur série dans l' entendement : c' est cet ordre que nous nous sommes flatté de découvrir, et qui fera de cet ouvrage tout à la fois une philosophie et une histoire.

== II Ii-contradiction Contradiction des machines. -origineOrigine du capital et du salariat. ==

Par cela même que les machines diminuent la peine de l' ouvrier, elles abrégent et diminuent le travail, qui e la sorte devient de jour en jour plus offert et moins demandé. Peu à peu, il est vrai, la réduction des prix faisant augmenter la consommation, la proportion se rétablit , et le travailleur est rappelé : mais comme les perfectionnements industriels se succèdent sans relâche, et tendent continuellement à substituer l' opération mécanique au travail de l' homme, il s' ensuit qu' il y a tendance constante à retrancher une partie du service, partant à éliminer de la production les travailleurs. Or, il en est de l' ordre économique comme de l' ordre spirituel : hors de l' église point de salut, hors du travail, point de subsistance. La société et la nature, également impitoyables, sont d' accord pour exécuter ce nouvel arrêt. " lorsqu' une nouvelle machine, ou en général un procédé expéditif quelconque, dit J B Say, remplace un travail humain déjà en activité, une partie des bras industrieux, dont le service est utilement suppléé, demeure sans ouvrage. -une machine nouvelle remplace donc le travail d' une partie des travailleurs, mais ne diminue pas la quantité des choses produites ; car alors on se garderait de l' adopter ; ''
elle déplace le revenu '' . Mais l' effet ultérieur est tout à l' avantage des machines : car si l' abondance du produit et la modicité du prix de revient font baisser la valeur vénale, le consommateur, c' est-à-dire tout le monde, en profitera. " l' optimisme de Say est une infidélité à la logique et aux faits. Il ne s' agit pas seulement ici d' un petit nombre d' accidents, arrivés pendant un laps de trente siècles par l' introduction d' une, deux ou trois machines ; il s' agit d' un phénomène régulier, constant et général. Après que le revenu a été ''
déplacé '' , comme dit Say, par une machine, il l' est par une autre, puis encore par une autre, et toujours par une autre, tant qu' il reste du travail à faire et des échanges à effectuer. Voilà comme le phénomène doit être présenté et envisagé : mais alors convenons qu' il change singulièrement d' aspect. Le déplacement du revenu, la suppression du travail et du salaire est un fléau chronique, permanent, indélébile, une sorte de choléra qui tantôt apparaît sous la figure de Guttemberg, puis qui revêt celle d' Arkwright ; ici on le nomme Jacquard, plus loin James Watt ou marquis de Jouffroy. Après avoir sévi plus ou moins longtemps sous une forme, le monstre en prend une autre ; et les économistes, qui le croient parti, de s' écrier : ce n' était rien ! Tranquilles et satisfaits, pourvu qu' ils appuient de tout le poids de leur dialectique sur le côté positif de la question, ils ferment les yeux sur le côté subversif, sauf cependant, lorsqu' on leur reparlera de misère, à recommencer leurs sermons sur l' imprévoyance et l' ivrognerie des travailleurs. En I 75 o, -cette observation est de M Dunoyer ; elle donne la mesure de toutes les élucubrations de même espèce : -" en I 75 o donc, la population du duché de Lancaster était de 3 oo, Oo âmes. " en I 8 oi, grâce au développement des machines à filer, cette population était de 672, Ooo âmes. " en I 83 i, elle était de I, 336, Ooo âmes. " au lieu de 4 o, Ooo ouvriers qu' occupait anciennement l' industrie cotonnière, elle en occupe, depuis l' invention des machines, I, 5 oo, Ooo. " M Dunoyer ajoute que dans le temps où le nombre des ouvriers employés à ce travail prit cette extension singulière, le prix du travail devint une fois et demie plus considérable. Donc la population n' ayant fait que suivre le mouvement industriel, son accroissement a été un fait normal et irréprochable ; que dis-je ? Un fait heureux, puisqu' on le cite à l' honneur et gloire du développement mécanique. Mais tout à coup M Dunoyer fait volte-face : le travail ayant bientôt manqué à cette multitude d' engins filateurs, le salaire dut nécessairement décroître ; la population qu' avaient appelée les machines, se trouva délaissée par les machines, et M Dunoyer de dire alors : c' est l' abus du mariage qui est cause de la misère . Le commerce anglais, sollicité par son immense clientèle, appelle de tous côtés des ouvriers, et provoque au mariage ; tant que le travail abonde, le mariage est chose excellente, dont on aime à citer les effets dans l' intérêt des machines ; mais, comme la clientèle est flottante, dès que le travail et le salaire manquent, on crie à l' abus du mariage, on accuse l' imprévoyance des ouvriers. L' économie politique, c' est-à-dire le despotisme propriétaire, ne peut jamais avoir tort : il faut que ce soit le prolétariat. L' exemple de l' imprimerie a été maintes fois cité, toujours dans une pensée d' optimisme. Le nombre de personnes que fait vivre aujourd' hui la fabrication des livres est peut-être mille fois plus considérable que ne l' était celui des copistes et enlumineurs avant Guttemberg ; donc, conclut-on d' un air satisfait, l' imprimerie n' a fait tort à personne. Des faits analogues pourraient être cités à l' infini, sans qu' un seul fût à récuser, mais aussi sans que la question fît un pas. Encore une fois, personne ne disconvient que les machines aient contribué au bien-être général : mais j' affirme, en regard de ce fait irréfragable, que les économistes manquent à la vérité lorsqu' ils avancent d' une manière absolue que ''
Ligne 3 657 ⟶ 3 732 :
d' omnibus '' et de voitures, que cet établissement, contre toute prévision, a augmenté l' emploi des chevaux dans une proportion considérable. " ''
contre toute
prévision ! '' il n' est qu' un économiste pour ne pas prévoir ces choses-là. Multipliez les machines, vous augmentez le travail pénible et répugnant : cet apophthegme est aussi sûr qu' aucun de ceux qui datent du déluge. Qu' on m' accuse, si l' on veut, de malveillance envers la plus belle invention de notre siècle : rien ne m' empêchera de dire que le principal résultat des chemins de fer, après l' asservissement de la petite industrie, sera de créer une population de travailleurs dégradés, cantonniers, balayeurs, chargeurs, débardeurs, camionneurs, gardiens, portiers, peseurs, graisseurs, nettoyeurs, chauffeurs, pompiers, etc., etc. Quatre mille kilomètres de chemins de fer donneront à la France un supplément de cinquante mille serfs : ce n' est pas pour ce monde-là, sans doute, que M Chevalier demande des écoles professionnelles. On dira peut-être que la masse des transports s' étant proportionnellement accrue beaucoup plus que le nombre des journaliers, la différence est à l' avantage du chemin de fer, et que, somme toute, il y a progrès. On peut même généraliser l' observation et appliquer le même raisonnement à toutes les industries. Mais c' est précisément cette généralité du phénomène qui fait ressortir l' asservissement des travailleurs. Le premier rôle dans l' industrie est aux machines, le second à l' homme : tout le génie déployé par le travail tourne à l' abrutissement du prolétariat. Quelle glorieuse nation que la nôtre, quand, sur quarante millions d' habitants, elle en comptera trente-cinq d' hommes de peine, gratteurs de papier et valets ! Avec la machine et l' atelier, le droit divin, c' est-à-dire le principe d' autorité, fait son entrée dans l' économie politique. Le capital, la maîtrise, le privilége, le monopole, la commandite, le crédit, la propriété, etc., tels sont, dans le langage économique, les noms divers de ce je ne sais quoi qu' ailleurs on a nommé pouvoir, autorité, souveraineté, loi écrite, révélation, religion, Dieu enfin, cause et principe de toutes nos misères et de tous nos crimes, et qui, plus nous cherchons à le définir, plus il nous échappe. Est-il donc impossible que, dans l' état présent de la société, l' atelier, avec son organisation hiérarchique, et les machines, au lieu de servir exclusivement les intérêts de la classe la moins nombreuse, la moins travailleuse et la plus riche , soient employés au bien de tous ? C' est ce que nous allons examiner.

== III Iii-des Des préservatifs contre l' influence désastreuse des machines. ==

Réduction de main-d' oeuvre est synonyme de baisse de prix, par conséquent d' accroissement d' échanges ; puisque si le consommateur paie moins, il achètera davantage. Mais réduction de main-d' oeuvre est synonyme aussi de restriction du marché ; puisque si le producteur gagne moins, il achètera moins. Et c' est ainsi en effet que les choses se passent. La concentration des forces dans l' atelier et l' intervention du capital dans la production, sous le nom de machines, engendrent tout à la fois la surproduction et le dénûment ; et tout le monde a vu ces deux fléaux, plus redoutables que l' incendie et la peste, se développer de nos jours sur la plus vaste échelle et avec une dévorante intensité. Cependant il est impossible que nous reculions : il faut produire, produire toujours, produire à bon marché ; sans cela l' existence de la société est compromise. Le travailleur, qui, pour échapper à l' abrutissement dont le menaçait le principe de division, avait créé tant de machines merveilleuses, se retrouve par ses propres oeuvres ou frappé d' interdiction, ou subjugué. Contre cette alternative, quels moyens se proposent ? M De Sismondi, avec tous les hommes à idées patriarcales, voudrait que la division du travail, avec les machines et manufactures, fût abandonnée, et que chaque famille retournât au système d' indivision primitive, c' est-à-dire au ''
 
chacun chez soi, chacun '' pour soi ''
Ligne 3 917 ⟶ 3 996 :
nations bien organisées, a
toujours du temps et de '' l' argent à donner pour amortir ces souffrances ''
partielles '' . J' en suis fâché pour les intentions généreuses de M Faucher,
partielles '' . J' en suis fâché pour les intentions généreuses de M Faucher, mais elles me paraissent radicalement impraticables. Le pouvoir n' a de temps et d' argent que ce qu' il enlève aux contribuables. Indemniser avec l' impôt les industriels déclassés, ce serait frapper d' ostracisme les inventions nouvelles et faire du communisme au moyen des baïonnettes ; ce n' est pas résoudre la difficulté. Il est inutile d' insister davantage sur l' indemnité par l' état. L' indemnité, appliquée selon les vues de M Faucher, ou bien aboutirait au despotisme industriel, à quelque chose comme le gouvernement de Méhémet-Ali, ou bien dégénérerait en une taxe des pauvres, c' est-à-dire en une vaine hypocrisie. Pour le bien de l' humanité, mieux vaut n' indemniser pas, et laisser le travail chercher de lui-même sa constitution éternelle. Il y en a qui disent : que le gouvernement reporte les travailleurs déclassés sur les points où l' industrie privée ne s' est pas établie, où les entreprises individuelles ne sauraient atteindre. Nous avons des montagnes à reboiser, cinq ou six millions d' hectares de terre à défricher, des canaux à creuser, mille choses enfin d' utilité immédiate et générale à entreprendre. " nous en demandons bien pardon aux lecteurs, répond M Fix ; mais là encore nous sommes obligés de faire intervenir le capital. Ces surfaces, certains terrains communaux exceptés, sont en friche, parce qu' exploitées, elles ne rendraient aucun produit net, et trèsprobablement pas les frais de culture. Ces terrains sont possédés par des propriétaires qui ont ou qui n' ont pas le capital nécessaire pour les exploiter. Dans le premier cas, le propriétaire se contenterait très-probablement, s' il exploitait ces terrains, d' un profit minime, et il renoncerait peut-être à ce qu' on appelle la rente de la terre : mais il a trouvé qu' en entreprenant ces cultures, il perdrait son capital de fondation, et ses autres calculs lui ont démontré que la vente des produits ne couvrirait pas les frais de culture... tout bien examiné, cette terre restera donc en friche, parce que le capital qu' on y mettrait ne rendrait aucun profit et se perdrait. S' il en était autrement, tous ces terrains seraient aussitôt mis en culture ; les épargnes, qui prennent aujourd' hui une autre direction, se porteraient nécessairement dans une certaine mesure vers les exploitations territoriales ; car les capitaux n' ont pas d' affections : ils ont des intérêts, et cherchent toujours l' emploi à la fois le plus sûr et le plus lucratif. " ce raisonnement, très-bien motivé, revient à dire que le moment d' exploiter ses friches n' est pas encore arrivé pour la France, de même que le moment d' avoir des chemins de fer n' est pas venu pour les caffres et les hottentots. Car, ainsi qu' il a été dit au chapitre Ii, la société débute par les exploitations les plus faciles, les plus sûres, les plus nécessaires et les moins dispendieuses : ce n' est que peu à peu qu' elle vient à bout d' utiliser les choses relativement moins productives. Depuis que le genre humain se tourmente sur la face de son globe, il n' a pas fait autre besogne ; et pour lui le même soin revient toujours : assurer sa subsistance tout en allant à la découverte. Pour que le défrichement dont on parle ne devienne pas une spéculation ruineuse, une cause de misère, en d' autres termes, pour qu' il soit possible, il faut donc multiplier encore nos capitaux et nos machines, découvrir de nouveaux procédés, diviser mieux le travail. Or, solliciter le gouvernement de prendre une telle initiative, c' est faire comme les paysans qui, voyant approcher l' orage, se mettent à prier Dieu et invoquer leur saint. Les gouvernements, on ne saurait trop le répéter aujourd' hui, sont les représentants de la divinité, j' ai presque dit les exécuteurs des vengeances célestes : ils ne peuvent rien pour nous. Est-ce que le gouvernement anglais, par exemple, sait donner du travail aux malheureux qui se réfugient dans les workhaus ? Et quand il le saurait, l' oserait-il ? ''
mais elles me paraissent radicalement impraticables. Le pouvoir n' a de temps et
d' argent que ce qu' il enlève aux contribuables. Indemniser avec l' impôt les
industriels déclassés, ce serait frapper d' ostracisme les inventions nouvelles
et faire du communisme au moyen des baïonnettes ; ce n' est pas résoudre la
difficulté. Il est inutile d' insister davantage sur l' indemnité par l' état.
L' indemnité, appliquée selon les vues de M Faucher, ou bien aboutirait au
despotisme industriel, à quelque chose comme le gouvernement de Méhémet-Ali, ou
bien dégénérerait en une taxe des pauvres, c' est-à-dire en une vaine
hypocrisie. Pour le bien de l' humanité, mieux vaut n' indemniser pas, et
laisser le travail chercher de lui-même sa constitution éternelle. Il y en a qui
disent : que le gouvernement reporte les travailleurs déclassés sur les points
où l' industrie privée ne s' est pas établie, où les entreprises individuelles
ne sauraient atteindre. Nous avons des montagnes à reboiser, cinq ou six
millions d' hectares de terre à défricher, des canaux à creuser, mille choses
enfin d' utilité immédiate et générale à entreprendre. " nous en demandons bien
pardon aux lecteurs, répond M Fix ; mais là encore nous sommes obligés de faire
intervenir le capital. Ces surfaces, certains terrains communaux exceptés, sont
en friche, parce qu' exploitées, elles ne rendraient aucun produit net, et
trèsprobablement pas les frais de culture. Ces terrains sont possédés par des
propriétaires qui ont ou qui n' ont pas le capital nécessaire pour les
exploiter. Dans le premier cas, le propriétaire se contenterait
très-probablement, s' il exploitait ces terrains, d' un profit minime, et il
renoncerait peut-être à ce qu' on appelle la rente de la terre : mais il a
trouvé qu' en entreprenant ces cultures, il perdrait son capital de fondation,
et ses autres calculs lui ont démontré que la vente des produits ne couvrirait
pas les frais de culture... tout bien examiné, cette terre restera donc en
friche, parce que le capital qu' on y mettrait ne rendrait aucun profit et se
perdrait. S' il en était autrement, tous ces terrains seraient aussitôt mis en
culture ; les épargnes, qui prennent aujourd' hui une autre direction, se
porteraient nécessairement dans une certaine mesure vers les exploitations
territoriales ; car les capitaux n' ont pas d' affections : ils ont des
intérêts, et cherchent toujours l' emploi à la fois le plus sûr et le plus
lucratif. " ce raisonnement, très-bien motivé, revient à dire que le moment d'
exploiter ses friches n' est pas encore arrivé pour la France, de même que le
moment d' avoir des chemins de fer n' est pas venu pour les caffres et les
hottentots. Car, ainsi qu' il a été dit au chapitre II, la société débute par les exploitations les plus faciles, les plus sûres, les plus nécessaires et les moins dispendieuses : ce n' est que peu à peu qu' elle vient à bout d' utiliser les choses relativement moins productives. Depuis que le genre humain se tourmente sur la face de son globe, il n' a pas fait autre besogne ; et pour lui le même soin revient toujours : assurer sa subsistance tout en allant à la découverte. Pour que le défrichement dont on parle ne devienne pas une spéculation ruineuse, une cause de misère, en d' autres termes, pour qu' il soit possible, il faut donc multiplier encore nos capitaux et nos machines, découvrir de nouveaux procédés, diviser mieux le travail. Or, solliciter le gouvernement de prendre une telle initiative, c' est faire comme les paysans qui, voyant approcher l' orage, se mettent à prier Dieu et invoquer leur saint. Les gouvernements, on ne saurait trop le répéter aujourd' hui, sont les représentants de la divinité, j' ai presque dit les exécuteurs des vengeances célestes : ils ne peuvent rien pour nous. Est-ce que le gouvernement anglais, par exemple, sait donner du travail aux malheureux qui se réfugient dans les workhaus ? Et quand il le saurait, l' oserait-il ? ''
aide-toi, le ciel '' t' aidera ! ''
cet
Ligne 4 256 ⟶ 4 371 :
sous silence, depuis le jeu d' échecs inventé, dit-on, au siége
de Troie par Palamède, jusqu' aux cartes illustrées pour
Charles ViVI par Gringonneur, sont des exemples de ce que
devient le travail, dès qu' on en écarte le motif sérieux d'
utilité. Le travail, le vrai travail, celui qui produit la
Ligne 4 454 ⟶ 4 569 :
résulte, en créant autour de lui '' la paix partout, ''
la paix
toujours '' , et transportant à l' état la responsabilité de son inertie. Oui, il faut le dire en dépit du quiétisme moderne : la vie de l' homme est une guerre permanente, guerre avec le besoin, guerre avec la nature, guerre avec ses semblables, par conséquent guerre avec lui-même. La théorie d' une égalité pacifique, fondée sur la fraternité et le dévouement, n' est qu' une contrefaçon de la doctrine catholique du renoncement aux biens et aux plaisirs de ce monde, le principe de la gueuserie, le panégyrique de la misère. L' homme peut aimer son semblable jusqu' à mourir ; il ne l' aime pas jusqu' à travailler pour lui. à la théorie du dévouement, que nous venons de réfuter en fait et en droit, les adversaires de la concurrence en joignent une autre, qui est juste l' opposé de la première : car c' est une loi de l' esprit que lorsqu' il méconnaît la vérité, qui est son point d' équilibre, il oscille entre deux contradictions. Cette nouvelle théorie du socialisme anti-concurrent est celle des encouragements. Quoi de plus social, de plus progressif en apparence, que l' encouragement au travail et à l' industrie ? Pas de démocrate qui n' en fasse l' un des plus beaux attributs du pouvoir ; pas d' utopiste qui ne le compte en première ligne parmi les moyens d' organiser le bonheur. Or, le gouvernement est de sa nature si incapable de diriger le travail, que toute récompense décernée par lui est un véritable larcin fait à la caisse commune. M Reybaud va nous fournir le texte de cette induction. " les primes accordées pour encourager l' exportation, observe quelque part M Reybaud, équivalent aux droits payés pour l' importation de la matière première ; l' avantage reste absolument nul, et ne sert que d' encouragement à un vaste système de contrebande. " ce résultat est inévitable. Supprimez la taxe à l' entrée, l' industrie nationale pâtit, ainsi qu' on l' a vu précédemment à propos du sésame ; maintenez la taxe en n' accordant aucune prime pour l' exportation, le commerce national sera vaincu sur les marchés étrangers. Pour obvier à cet inconvénient, revenez-vous à la prime ? Vous ne faites que rendre d' une main ce que vous avez reçu de l' autre, et vous provoquez la fraude, dernier résultat, Caput Mortuum de tous les encouragements à l' industrie. Il suit de là que tout encouragement au travail, toute récompense décernée à l' industrie, autre que le prix naturel du produit, est un don gratuit, un pot-de-vin prélevé sur le consommateur, et offert en son nom à un favori du pouvoir, en échange de zéro, de rien. Encourager l' industrie est donc synonyme au fond d' encourager la paresse : c' est une des formes de l' escroquerie. Dans l' intérêt de notre marine de guerre, le gouvernement avait cru devoir accorder aux entrepreneurs de transports maritimes une prime par homme employé sur leurs bâtiments. Or, je continue à citer M Reybaud : " chaque bâtiment qui part pour Terre-Neuve , embarque de 6 oà 7 o hommes. Sur ce nombre I 2 matelots : le reste se compose de villageois arrachés aux travaux de la campagne, et qui, engagés comme journaliers pour la préparation du poisson, demeurent étrangers à la manoeuvre, et n' ont du marin que les pieds et l' estomac. Cependant ces hommes figurent sur les rôles de l' inscription navale, et y perpétuent une déception. Quand il s' agit de défendre l' institution des primes , on les met en ligne de compte ; ils font nombre et contribuent au succès. " c' est une ignoble jonglerie ! S' écriera sans doute quelque réformateur naïf. Soit : analysons le fait, et tâchons d' en dégager l' idée générale qui s' y trouve. En principe, le seul encouragement au travail que la science puisse admettre est le profit. Car, si le travail ne peut trouver dans son propre produit sa récompense, bien loin qu' on l' encourage, il doit être au plus tôt abandonné, et si ce même travail est suivi d' un produit net, il est absurde d' ajouter à ce produit net un don gratuit, et de surcharger ainsi la valeur du service. Appliquant ce principe, je dis donc : si le service de la marine marchande ne réclame que Ioooo matelots, il ne faut pas la prier d' en entretenir I 5 ooo ; le plus court pour le gouvernement est d' embarquer 5 ooo conscrits sur des bâtiments de l' état, et de leur faire faire, comme à des princes, leurs caravanes. Tout encouragement offert à la marine marchande est une invitation directe à la fraude, que dis-je ? Une proposition de salaire pour un service impossible. Est-ce que la manoeuvre, la discipline, toutes les conditions du commerce maritime s' accommodent de ces adjonctions d' un personnel inutile ? Que peut donc faire l' armateur, en face d' un gouvernement qui lui offre une aubaine pour embarquer sur son navire des gens dont il n' a pas besoin ? Si le ministre jette l' argent du trésor dans la rue, suis-je coupable de le ramasser ? ... ainsi, chose digne de remarque, la théorie des encouragements émane en droite ligne de la théorie du sacrifice ; et pour ne pas vouloir que l' homme soit responsable, les adversaires de la concurrence, par la contradiction fatale de leurs idées, sont contraints de faire de l' homme tantôt un dieu, tantôt une brute. Et puis ils s' étonnent qu' à leur appel la société ne se dérange pas ! Pauvres enfants ! Les hommes ne seront jamais ni meilleurs ni pires que vous les voyez et qu' ils furent toujours. Dès que leur bien particulier les sollicite, ils désertent le bien général : en quoi je les trouve, sinon honorables, au moins dignes d' excuse. C' est votre faute si tantôt vous exigez d' eux plus qu' ils ne vous doivent, tantôt vous agacez leur cupidité par des récompenses qu' ils ne méritent point. L' homme n' a rien de plus précieux que lui-même, et par conséquent point d' autre loi que sa responsabilité. La théorie du dévouement, de même que celle des récompenses, est une théorie de fripons, éversive de la société et de la morale ; et par cela seul que vous attendez, soit du sacrifice, soit du privilége, le maintien de l' ordre, vous créez dans la société un nouvel antagonisme. Au lieu de faire naître l' harmonie de la libre activité des personnes, vous rendez l' individu et l' état étrangers l' un à l' autre ; en commandant l' union, vous soufflez la discorde. En résumé, hors de la concurrence, il ne reste que cette alternative : l' encouragement, une mystification ; ou le sacrifice, une hypocrisie. Donc la concurrence, analysée dans son principe, est une inspiration de la justice ; et cependant nous allons voir que la concurrence, dans ses résultats , est injuste.

== II Ii-effets Effets subversifs de la concurrence, et destruction par elle de la liberté. ''==
 
le royaume des cieux se
« Le royaume des cieux se gagne par la force, '' » dit l' évangile, ''« et les
violents seuls le ravissent ». Ces paroles sont l' allégorie de la société. Dans la société réglée par le travail, la dignité, la richesse et la gloire sont mises au concours ; elles sont la récompense des forts, et l' on peut définir la concurrence, le régime de la force. Les anciens économistes n' avaient pas d' abord aperçu cette contradiction : les modernes ont été forcés de la reconnaître. " pour élever un état du dernier degré de barbarie au plus haut degré d' opulence, écrivait A Smith, il ne faut que trois choses : la paix, des taxes modérées et une administration tolérable de la justice. Tout le reste est amené par le ''
et les violents seuls le
ravissent '' . Ces paroles sont l' allégorie de la société. Dans la société réglée par le travail, la dignité, la richesse et la gloire sont mises au concours ; elles sont la récompense des forts, et l' on peut définir la concurrence, le régime de la force. Les anciens économistes n' avaient pas d' abord aperçu cette contradiction : les modernes ont été forcés de la reconnaître. " pour élever un état du dernier degré de barbarie au plus haut degré d' opulence, écrivait A Smith, il ne faut que trois choses : la paix, des taxes modérées et une administration tolérable de la justice. Tout le reste est amené par le ''
cours '' naturel des choses ''
. " sur quoi le dernier
Ligne 4 750 ⟶ 4 866 :
, leurs propriétés, de se faire concurrence. Pour le surplus de
la nation, soit dix-neuf millions d' âmes, la concurrence est,
comme la poule au pot de Henri IvIV, un mets qu' ils produisent
pour la classe qui peut le payer, mais auquel ils ne touchent pas
. Autre difficulté. Ces dix-neuf millions d' hommes, à qui la
Ligne 4 791 ⟶ 4 907 :
 
inévitable '' . Le concubinage est leur état habituel ; elles sont entièrement subventionnées par les patrons, commis, étudiants. Bien qu' en général le mariage ait plus d' attrait pour le peuple que pour la bourgeoisie, nombre de prolétaires, malthusiens sans le savoir, craignent la famille, et suivent le torrent. Ainsi, comme les ouvriers sont chair à canon, les ouvrières sont chair à prostitution : cela explique l' élégante tenue du dimanche. Après tout, pourquoi ces demoiselles seraient-elles obligées à vertu plutôt que leurs bourgeoises ? M Buret, couronné par l' académie : " j' affirme que la classe ouvrière est abandonnée... etc. " remarquez en passant que le très-regrettable Buret regardait comme un préjugé populaire l' existence des accapareurs . Eh ! Sophiste : accapareur ou spéculateur, qu' importe le nom, si vous reconnaissez la chose ? De telles citations rempliraient des volumes. Mais le but de cet écrit n' est point de raconter les contradictions des économistes, et de faire aux personnes une guerre sans résultat. Notre but est plus élevé et plus digne : c' est de dérouler le ''
système des contradictions économiques '' , ce qui est tout différent. Nous terminerons donc ici cette triste revue ; et nous jetterons, avant de finir, un coup d' oeil sur les divers moyens proposés pour remédier aux inconvénients de la concurrence.

== III Iii-des Des remèdes contre la concurrence. ==

La concurrence dans le travail peut-elle être abolie ? Autant vaudrait demander si la personnalité, la liberté, la responsabilité individuelle peut être supprimée. La concurrence, en effet, est l' expression de l' activité collective ; de même que le salaire, considéré dans son acception la plus haute, est l' expression du mérite et du démérite, en un mot de la responsabilité du travailleur. En vain l' on déclame et l' on se révolte contre ces deux formes essentielles de la liberté et de la discipline dans le travail. Sans une théorie du salaire, point de répartition, point de justice ; sans une organisation de la concurrence, point de garantie sociale, partant point de solidarité. Les socialistes ont confondu deux choses essentiellement distinctes, lorsque opposant l' union du foyer domestique à la concurrence industrielle, ils se sont demandé si la société ne pouvait pas être constituée précisément comme une grande famille dont tous les membres seraient liés par l' affection du sang, et non comme une espèce de coalition où chacun est retenu par la loi de ses intérêts. La famille n' est pas, si j' ose ainsi dire, le type, la molécule organique de la société. Dans la famille, comme l' avait très-bien observé M De Bonald, il n' existe qu' un seul être moral, un seul esprit, une seule âme, je dirais presque, avec la bible, une seule chair. La famille est le type et le berceau de la monarchie et du patriciat : en elle réside et se conserve l' idée d' autorité et de souveraineté, qui s' efface de plus en plus dans l' état. C' est sur le modèle de la famille que toutes les sociétés antiques et féodales s' étaient organisées : et c' est précisément contre cette vieille constitution patriarcale que proteste et se révolte la démocratie moderne. L' unité constitutive de la société est l' atelier. Or, l' atelier implique nécessairement un intérêt de corps et des intérêts privés ; une personne collective et des individus. De là, un système e rapports inconnus dans la famille, et parmi lesquels l' opposition de la volonté collective, représentée par le ''
maître
'' , et des volontés individuelles, représentées par les ''
Ligne 5 538 ⟶ 5 658 :
conservateurs nantis, le monopole ? Je le veux bien, pourvu que,
comme je leur ai fait raison dans ce qui précède, ils me fassent
raison à leur tour sur ce qui va suivre. Ii-désastres dans le
 
travail et perversion des idées causés par le monopole. De même
== II - Désastres dans le travail et perversion des idées causés par le monopole. ==
que la concurrence, le monopole implique contradiction dans le
 
De même que la concurrence, le monopole implique contradiction dans le
terme et dans la définition. En effet, puisque consommation et
production sont choses identiques dans la société, et que vendre
Ligne 5 913 ⟶ 6 035 :
tribut '' payé par le détenteur au propriétaire ou commanditaire universel, le roi. Lorsque plus tard, par le développement du droit public, la royauté, forme patriarcale de la souveraineté, commence à s' imprégner d' esprit démocratique, l' impôt devient une ''
cotisation '' que tout censitaire doit à la chose publique, et qui, au lieu de tomber dans la main du prince, est reçue dans le trésor de l' état. Dans cette évolution, le principe de l' impôt reste intact : ce n' est pas encore l' institution qui se transforme ; c' est le souverain réel qui succède au souverain figuratif. Que l' impôt entre dans le pécule du prince, ou qu' il serve à acquitter une dette commune, ce n' est toujours qu' une revendication de la société contre le privilége : sans cela, il est impossible de dire pourquoi l' impôt est établi en raison proportionnelle des fortunes... etc. Ces observations sont d' autant plus justes, que le principe qu' elles ont pour but d' opposer à celui de la répartition proportionnelle a eu sa période d' application. L' impôt proportionnel est de beaucoup postérieur dans l' histoire à l' hommage-lige, qui consistait en une simple démonstration officieuse, sans redevance réelle. La deuxième sorte d' impôts comprend en général tous ceux que l' on désigne, par une espèce d' antiphrase, sous le nom de contributions ''
indirectes '' , boissons, sels, tabacs, douane, en un mot toutes les taxes qui affectent directement la seule chose qui doive être taxée, le produit. Le principe de cet impôt, dont le nom est un vrai contre -sens, est incontestablement mieux fondé en théorie, et d' une tendance plus équitable que le précédent : aussi, malgré l' opinion de la masse, toujours trompée sur ce qui lui sert autant que sur ce qui lui porte préjudice, je n' hésite point à dire que cet impôt est le seul normal, sauf la répartition et la perception, dont je n' ai point ici à m' occuper. Car s' il est vrai, comme nous l' avons expliqué tout à l' heure, que la vraie nature de l' impôt soit d' acquitter, d' après un mode particulier de salaire, certains services qui se dérobent à la forme habituelle de l' échange, il s' ensuit que tous les producteurs, quant à l' usage personnel, jouissant également de ces services, doivent contribuer au solde par portions égales. La quotité pour chacun sera donc une fraction de son produit échangeable, ou, en d' autres termes, une retenue sur les valeurs livrées par lui à la consommation. Mais, sous le régime du monopole, et avec la perception foncière, le fisc atteint le produit avant qu' il soit entré dans l' échange, avant même qu' il soit produit : circonstance qui a pour effet de rejeter le montant de la taxe dans les frais de production, par conséquent de la faire supporter par le consommateur et d' affranchir le monopole. Quoi qu' il en soit de la signification de l' impôt de répartition et de l' impôt de quotité, une chose demeure positive, et c' est celle qu' il nous importe surtout de savoir : c' est que, par la proportionnalité de l' impôt, l' intention du souverain a été de faire contribuer les citoyens aux charges publiques, non plus, d' après le vieux principe féodal, au moyen d' une capitation, ce qui impliquerait l' idée d' une cotisation calculée en raison du nombre des imposés, non en raison de leurs biens ; -mais au marc le franc des capitaux, ce qui suppose que les capitaux relèvent d' une autorité supérieure aux capitalistes. Tout le monde, spontanément et d' un accord unanime, trouve une semblable répartition juste ; tout le monde juge donc, spontanément et d' un accord unanime, que l' impôt est une reprise de la société, une sorte de rédemption du monopole. Cela est surtout frappant en Angleterre où, par une loi spéciale , les propriétaires du sol et les manufacturiers acquittent, au prorata de leurs revenus, un impôt de deux cents millions, qu' on appelle la taxe des pauvres. En deux mots, le but pratique et avoué de l' impôt est d' exercer sur les riches, au profit du peuple, une reprise proportionnelle au capital. Or, l' analyse et les faits démontrent : que l' impôt de répartition, l' impôt du monopole, au lieu d' être payé par ceux qui possèdent, l' est presque tout entier par ceux qui ne possèdent pas ; que l' impôt de quotité, séparant le producteur du consommateur, frappe uniquement sur ce dernier, ce qui ne laisse au capitaliste que la part qu' il aurait à payer, si les fortunes étaient absolument égales ; enfin que l' armée, les tribunaux, la police, les écoles , les hôpitaux, hospices, maisons de refuge et de correction, les emplois publics, la religion elle-même, tout ce que la société crée pour la défense, l' émancipation et le soulagement du prolétaire, payé d' abord et entretenu par le prolétaire, est dirigé ensuite contre le prolétaire ou perdu pour lui ; en sorte que le prolétariat, qui d' abord ne travaillait que pour la caste qui le dévore, celle des capitalistes, doit travailler encore pour la caste qui le flagelle, celle des improductifs. Ces faits sont désormais si connus, et les économistes, je leur dois cette justice, les ont exposés avec une telle évidence, que je m' abstiendrai de reprendre en sous-oeuvre leurs démonstrations, qui, du reste, ne trouvent plus de contradicteurs. Ce que je me propose de mettre en lumière, et que les économistes ne me semblent pas suffisamment avoir compris, c' est que la condition faite au travailleur par cette nouvelle phase de l' économie sociale n' est susceptible d' aucune amélioration ; que, hormis le cas où l' organisation industrielle, et par suite la réforme politique, amènerait l' égalité des fortunes, le mal est inhérent aux institutions de police comme la pensée de charité qui leur a donné naissance ; enfin que l' état, quelque forme qu' il affecte , aristocratique ou théocratique, monarchique ou républicaine, aussi longtemps qu' il ne sera pas devenu l' organe obéissant et soumis d' une société d' égaux, sera pour le peuple un inévitable enfer, j' ai presque dit une damnation légitime.

== II Ii-antinomie Antinomie de l' impôt. ==

J' entends quelquefois les partisans du ''
statu quo '' prétendre que, quant au présent, nous jouissons d' assez de liberté, et que même, en dépit des déclamations contre l' ordre de choses, nous sommes au-dessous de nos institutions. Je suis, du moins en ce qui regarde l' impôt, tout à ait de l' avis de ces optimistes. D' après la théorie que nous venons de voir, l' impôt est la réaction de la société contre le monopole. Les opinions à cet égard sont unanimes : peuple et législateur, économistes, journalistes et vaudevillistes, traduisant, chacun dans sa langue , la pensée sociale, publient à l' envi que l' impôt doit tomber sur les riches, frapper le superflu et les objets de luxe, et laisser francs ceux de première nécessité. Bref, on a fait de l' impôt une sorte de privilége pour les privilégiés : pensée mauvaise, puisque c' était par le fait reconnaître la légitimité du privilége, qui, dans aucun cas, et sous quelque forme qu' il se montre, ne vaut rien. Le peuple devait être puni de cette inconséquence égoïste : la providence n' a pas manqué à sa mission. Dès l' instant donc que l' impôt eût été conçu comme une revendication, il dut s' établir proportionnellement aux facultés , soit qu' il frappât le capital, soit qu' il affectât plus spécialement le revenu. Or, je ferai observer que la répartition au marc le franc de l' impôt étant précisément celle que l' on adopterait dans un pays où toutes les fortunes seraient égales, sauf les différences d' assiette et de recouvrement, le fisc est ce qu' il y a de plus libéral dans notre société, et que sur ce point nos moeurs sont effectivement en arrière de nos institutions. Mais comme avec les méchants les meilleures choses ne peuvent manquer d' être détestables, nous allons voir l' impôt égalitaire écraser le peuple, précisément parce que le peuple n' est point à sa hauteur. Je suppose que le revenu brut de la France, pour chaque famille composée de quatre personnes, soit de Iooo francs : c' est un peu plus que le chiffre de M Chevalier, qui n' a trouvé que 63 centimes par jour et par tête, soit 9 i 9 francs 8 o centimes par ménage. L' impôt étant aujourd' hui de plus d' un milliard, soit environ du huitième du revenu total, chaque famille, gagnant Iooo francs par année, est imposée de I 25 francs. D' après cela, un revenu de 2 ooo francs paye 25 o francs ; un revenu de 3 ooo francs, 375 ; un revenu de 4 ooo francs, 5 oofr, etc. La proportion est rigoureuse, et mathématiquement irréprochable ; le fisc est sûr, de par l' arithmétique, de ne rien perdre. Mais du côté des contribuables, l' affaire change totalement d' aspect. L' impôt qui, dans la pensée du législateur, devait se proportionner à la fortune, est au contraire progressif dans le sens de la misère, en sorte que, plus le citoyen est pauvre, plus il paye. C' est ce que je vais m' efforcer de rendre sensible par quelques chiffres. D' après l' impôt proportionnel, il est dû au fisc : <i> (..)''
. L' impôt semble donc croître, d' après cette série,
Ligne 6 037 ⟶ 6 163 :
revenus '' , tombe devant le fisc, et que les mêmes impossibilités que nous avons signalées reparaissent ici avec leur caractère fatal ? Un industriel découvre un procédé au moyen duquel, économisant 2 opioo sur ses frais de production, il se fait 25 ooofr de revenu. Le fisc lui en demande I 5. L' entrepreneur est donc obligé de relever ses prix, puisque, par le fait de l' impôt, son procédé, au lieu d' économiser 2 opioo, n' économise plus que 8. N' est-ce pas comme si le fisc empêchait le bon marché ? Ainsi , en croyant atteindre le riche, l' impôt progressif atteint toujours le consommateur ; et il lui est impossible de ne pas l' atteindre, à moins de supprimer tout à fait la production : quel mécompte ! C' est une loi d' économie sociale que tout capital engagé doit rentrer incessamment à l' entrepreneur sous forme d' intérêts. Avec l' impôt progressif, cette loi est radicalement violée, puisque, par l' effet de la progression, l' intérêt du capital s' atténue au point de constituer l' industrie en perte d' une partie ou même de la totalité dudit capital. Pour qu' il en fût autrement, il faudrait que l' intéêt des capitaux s' accrût progressivement comme l' impôt lui-même, ce qui est absurde. Donc, l' impôt progressif arrête la formation des capitaux ; de plus, il s' oppose à leur circulation. Quiconque, en effet, voudra acquérir un matériel d' exploitation ou un fonds de terre, devra, sous le régime de la progression contributive, considérer non plus la valeur réelle de ce matériel ou de ce fonds, mais bien l' impôt qu' il lui occasionnera ; de manière que si le revenu réel est de 4 pioo, et que, par l' effet de l' impôt ou la condition de l' acquéreur, ce revenu doive se réduire à 3, l' acquisition ne pourra avoir lieu. Après avoir froissé tous les intérêts et jeté la perturbation sur le marché par ses catégories, l' impôt progressif arrête le développement de la richesse, et réduit la valeur vénale au-dessous de la valeur réelle ; il rapetisse, il pétrifie la société. Quelle tyrannie ! Quelle dérision ! L' impôt progressif se résout donc, quoi qu' on fasse, en un déni de justice, une défense de produire, une confiscation. C' est l' arbitraire sans limite et sans frein, donné au pouvoir sur tout ce qui, par le travail, par l' épargne, par le perfectionnement des moyens, contribue à la richesse publique. Mais à quoi bon nous égarer dans les hypothèses chimériques, lorsque nous touchons le vrai ? Ce n' est pas la faute du principe proportionnel, si l' impôt frappe avec une inégalité si choquante les diverses classes de la société ; la faute en est à nos préjugés et à nos moeurs. L' impôt, autant que cela est donné aux opérations humaines, procède avec équité, précision. L' économie sociale lui commande de s' adresser au produit ; il s' adresse au produit. Si le produit se dérobe, il frappe le capital : quoi de plus naturel ? L' impôt, devançant la civilisation, suppose l' égalité des travailleurs et des capitalistes : expression inflexible de la nécessité, il semble nous inviter à nous rendre égaux par l' éducation et le travail, et, par l' équilibre de nos fonctions et l' association de nos intérêts, à nous mettre d' accord avec lui. L' impôt se refuse à distinguer entre un homme et un homme : et nous accusons sa rigueur mathématique de la discordance de nos fortunes ! Nous demandons à l' égalité même de se plier à notre injustice ! ... n' avais-je pas raison de dire en commençant que, relativement à l' impôt, nous étions en arrière de nos institutions ? Aussi, voyons-nous toujours le législateur s' arrêter, dans les lois fiscales, devant les conséquences subversives de l' impôt progressif, et consacrer la nécessité, l' immutabilité de l' impôt proportionnel. Car l' égalité du bien- être ne peut sortir de la violation du capital : l' antinomie doit être méthodiquement résolue, sous peine, pour la société, de retomber dans le chaos. L' éternelle justice ne s' accommode point à toutes les fantaisies des hommes : comme une femme que l' on peut outrager, mais que l' on n' épouse pas sans une solennelle aliénation de soi-même, elle exige de notre part, avec l' abandon de notre égoïsme, la reconnaissance de tous ses droits , qui sont ceux de la science. L' impôt, dont le but final, ainsi que nous l' avons fait voir, est la rétribution des ''
 
improductifs '' , mais dont la pensée originaire fut une restauration du travailleur, l' impôt, sous le régime du monopole , se réduit donc à une pure et simple protestation, à une sorte d' acte extra-judiciaire dont tout l' effet est d' aggraver la position du salarié, en troublant le monopoleur dans sa possession. Quant à l' idée de changer l' impôt proportionnel en impôt progressif, ou, pour mieux dire, de retourner la progression de l' impôt, c' est une bévue dont la responsabilité tout entière appartient aux économistes. Mais la menace plane, dorénavant, sur le privilége. Avec la faculté de modifier la proportionnalité de l' impôt, le gouvernement a sous la main un moyen expéditif et sûr de déposséder, quand il voudra, les détenteurs de capitaux ; et c' est chose effrayante que de voir partout cette grande institution, base de la société, objet de tant de controverses, de tant de lois, de tant de cajoleries et de tant de crimes, la propriété, suspendue à l' extrémité d' un fil sur la gueule béante du prolétariat.

== III Iii- conséquencesConséquences désastreuses et inévitables de l' impôt. / subsistances==

Subsistances, lois somptuaires, police rurale et industrielle, brevets d' invention, marques de fabrique, etc. /

M Chevalier s' adressait, en juillet I 843, au sujet de l' impôt, les questions suivantes : " I demande-t-on à tous ou de préférence à une partie de la nation ? ... etc. " à ces diverses questions, M Chevalier fait la réponse que je vais rapporter, et qui résume tout ce que j' ai rencontré de plus philosophique sur la matière : " a / l' impôt affecte l' universalité, s' adresse à la masse, prend la nation en bloc ; toutefois, comme le pauvre est le plus nombreux, il le taxe volontiers, certain de recueillir davantage. -b / par la nature des choses, l' impôt affecte quelquefois la forme de capitation, témoin l' impôt du sel. -c, d, e / le fisc s' adresse au travail autant qu' à la consommation, parce qu' en France tout le monde travaille ; à la propriété foncière plus qu' à la mobilière, et à l' agriculture plus qu' à l' industrie. -f / par la même raison, nos lois ont peu le caractère de lois somptuaires. " quoi ! Professeur, voilà tout ce que la science vous a indiqué ! -''
l' impôt s' adresse à la masse, '' dites-vous ; ''
il prend la nation en bloc '' . Hélas ! Nous ne le savons que trop ; mais c' est cela même qui est inique, et dont on vous demande l' explication. Le gouvernement, lorsqu' il s' est occupé de l' assiette et de la répartition de l' impôt, n' a pu croire, n' a pas cru que toutes les fortunes fussent égales ; conséquemment il n' a pu vouloir, il n' a pas voulu que les cotes contributives le fussent. Pourquoi donc la pratique du gouvernement est-elle toujours l' inverse de sa théorie ? Votre avis, s' il vous plaît, sur ce cas difficile ? Expliquez, justifiez ou condamnez le fisc ; prenez le parti que vous voudrez, pourvu que vous en preniez un , et que vous disiez quelque chose. Souvenez-vous que ce sont des hommes qui vous lisent, et qu' ils ne sauraient passer à un docteur, parlant ''
Ligne 6 620 ⟶ 6 752 :
volontairement, mais nécessairement. Mais la contradiction la
plus flagrante est celle qui résulte du dispositif de la loi.
Titre IvIV, '' (..)''
, il est dit : " si le brevet porte sur des
principes, méthodes, systèmes, découvertes, conceptions
Ligne 7 989 ⟶ 8 121 :
grâce '' , enfin, comme son opposé, la ''
tentation '' , indique le fait même de la détermination de la liberté. En résumé, toutes les idées modernes sur l' éducation de l' humanité ne sont qu' une interprétation, une philosophie de la doctrine catholique de la grâce, doctrine qui ne parut obscure à ses auteurs que par suite de leurs idées sur le libre arbitre, qu' ils croyaient menacé dès qu' on parlait de la grâce ou de la source de ses déterminations. Nous affirmons au contraire que la liberté, indifférente par elle-même à toute modalité, mais destinée à agir et à se façonner selon un ordre préétabli, reçoit sa première impulsion du créateur qui lui inspire l' amour, l' intelligence, le courage, la résolution et tous les dons du saint -esprit, puis la livre au travail de l' expérience. Il suit de là que la grâce est nécessairement ''
prémouvante '' , que sans elle l' homme n' est capable d' aucune espèce de bien, et que néanmoins le libre arbitre accomplit spontanément, avec réflexion et choix, sa propre destinée. Il n' existe dans tout cela ni contradiction ni mystère. L' homme, en tant qu' homme, est bon ; mais, ainsi que le tyran dépeint par Platon, qui fut, lui aussi, un docteur de la grâce, l' homme porte en son sein mille monstres, que le culte de la justice et de la science, la musique et la gymnastique, toutes les grâces d' occasion et d' état, doivent lui faire vaincre. Corrigez une définition dans saint Augustin, et toute cette doctrine de la grâce, fameuse par les disputes qu' elle suscita et qui déroutèrent la réforme, vous apparaîtra brillante de clarté et d' harmonie. Et maintenant l' homme est-il Dieu ? Dieu, d' après l' hypothèse théologique, étant l' être souverain, absolu, hautement synthétique, le moi infiniment sage et libre, par conséquent indéfectible et saint ; il est sensible que l' homme, syncrétisme de la création, point d' union de toutes les virtualités physiques, organiques, intellectuelles et morales manifestées par la création ; l' homme , perfectible et faillible, ne satisfait point aux conditions de divinité qu' il est de la nature de son esprit de concevoir. Ni il n' est Dieu, ni il ne saurait, vivant, devenir Dieu. à plus forte raison le chêne, le lion, le soleil, l' univers lui-même, scissions de l' absolu, ne sont dieu. Du même coup, l' anthropolâtrie et la physiolâtrie sont renversées. Il s' agit à présent de faire la contre-épreuve de cette théorie. Du point de vue des contradictions sociales, nous avons apprécié la moralité de l' homme. Nous allons apprécier à son tour, et du même point de vue, la moralité de la providence. En d' autres termes, Dieu, tel que la spéculation et la foi le livrent à l' adoration des mortels, est-il possible ?

== II Ii-exposition Exposition du mythe de la providence. -rétrogradationRétrogradation de Dieu. ==

Les théologiens et les philosophes, parmi les preuves, au nombre de trois, qu' ils ont coutume d' apporter de l' existence de Dieu, mettent en première ligne le consentement universel. J' ai tenu compte de cet argument lorsque, sans le rejeter ni l' admettre, je me suis tout aussitôt demandé : qu' affirme le consentement universel en affirmant un dieu ? Et, à ce propos, je dois rappeler que la différence des religions n' est point un témoignage de l' erreur dans laquelle le genre humain serait tombé en affirmant hors de lui un moi suprême, pas plus que la diversité des langues n' est un témoignage de la non-réalité de la raison. L' hypothèse de Dieu, loin de s' affaiblir, se fortifie et s' établit par la divergence même et l' opposition des cultes. Un argument d' un autre genre est celui qui se tire de l' ordre du monde. J' ai observé à cet égard que la nature affirmant spontanément, par la voix de l' homme, sa propre distinction en esprit et matière, il restait à savoir si un esprit infini, une âme du monde, gouvernait et agitait l' univers , comme la conscience, dans son intuition obscure, nous dit qu' un esprit anime l' homme. Si donc, ai-je ajouté, l' ordre était un indice infaillible de la présence de l' esprit, on ne pourrait méconnaître dans l' univers la présence d' un dieu. Malheureusement ce ''
si '' n' est point démontré, et ne saurait l' être. Car, d' une part, l' esprit pur, conçu par opposition à la matière, est une entité contradictoire, dont rien par conséquent ne peut attester la réalité. D' un autre côté, certains êtres ordonnés en eux-mêmes, tels que les cristaux, les plantes, le système planétaire, qui, dans les sensations qu' ils nous font éprouver, ne nous rendent pas comme les animaux, sentiment pour sentiment, nous paraissant tout à fait dépourvus de conscience, il n' y a pas plus de raison de supposer un esprit au centre du monde que de le placer dans un bâton de soufre ; et il se peut faire que si l' esprit, la conscience, existe quelque part, ce soit uniquement dans l' homme. Toutefois, si l' ordre du monde ne peut rien apprendre sur l' existence de Dieu, il révèle une chose non moins précieuse peut-être, et qui nous servira de jalon dans nos recherches : c' est que tous les êtres, toutes les essences, tous les phénomènes sont enchaînés les uns aux autres par un ensemble de lois résultant de leurs propriétés, ensemble que j' ai nommé / Chapiii / ''
fatalité ou nécessité '' . Qu' il existe donc une intelligence infinie, qui embrasse tout le système de ces lois, tout le champ de la fatalité ; qu' à cette intelligence infinie s' unisse dans une pénétration intime une volonté suprême, éternellement déterminée par l' ensemble des lois cosmiques, et par conséquent infiniment puissante et libre ; qu' enfin ces trois choses, fatalité, intelligence, volonté, soient contemporaines dans l' univers, adéquates l' une à l' autre et identiques : il est clair que jusqu' ici nous ne trouvons rien qui répugne ; mais c' est là précisément l' hypothèse, c' est cet anthropomorphisme qui reste à démontrer. Ainsi, tandis que le témoignage du genre humain nous révèle un dieu, sans dire ce que peut être ce dieu ; l' ordre du monde nous révèle une fatalité, c' est-à-dire un ensemble absolu et préremptoire de causes et d' effets, en un mot un système de lois, qui serait, si Dieu existe , comme le vu et le su de ce dieu. La troisième et dernière preuve de l' existence de Dieu proposée par les théistes, et nommée par eux preuve métaphysique, n' est autre chose qu' une construction tautologique des catégories, laquelle ne prouve absolument rien. ''