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La NuitLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 141-144).
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ET ERITIS SICUT DII



Artiste maladif, que l’idéal torture,
Et qu’irrite le goût craintif d’un affreux ciel,
Dédaigne la banale et stupide Nature,
La stupide, féconde et puante Nature,
Et consacre ton cœur à l’artificiel.

Malgré les mirlitons et les épithalames,
Toi, hautain déserteur de la Réalité,
Méprise dans leur chair et dans leur sang les femmes,
Méprise la honteuse et flasque chair des femmes,
Et nie en souriant leur grossière beauté.

Ont-ils soif, ton esprit las et morne et ta bouche
Fumante, de baisers charnellement pensifs ?
Seul, sous l’œil caressant de ta lampe, débouche
Les bouteilles, pâmé sous ta lampe, débouche
Les cachots odorants des vertiges lascifs.

Bois le rhum, où, brûlés du soleil des tropiques,
Le sucre, la cannelle et la muscade en fleur
Parfument la chair brune et les yeux prophétiques,
Les yeux voluptueux, ivres et prophétiques
Et les reins enfantins des femmes de couleur.

Bois le kirsch, turbulent comme l’eau des cascades
Baignant de jeunes pieds sous les fraîcheurs des bois ;
— Le marasquin musqué de fards et de pommades
Que sucent, d’une bouche où luisent les pommades,
Celles qui trônent dans l’or des lupanars. Bois

L’hypocrite kummel, glace et flamme, équivoque
Hékla, rose volcan moqueur, masqué de gel,
Dont le feu boréal comme une aurore évoque
Des roses sous la neige, ô des roses… évoque
Des femmes d’Orient sous un ciel d’Arkhangel.

Pour son ivresse verte aux lacis de liane
Bois l’absinthe éployant des forêts et des mers,
— Les sauvages forêts où danse Viviane,
Où Merlin dort aux pieds charmeurs de Viviane,
Sous la verdure rauque au bord des flots amers.

Alors, les yeux troublés de visions naissantes,
Couché sur le lit calme où tu vas t’assoupir,
Regarde se dissoudre en ombres pâlissantes,
Plus fluides toujours, toujours plus pâlissantes,
Toute chose ambiante — et les songes surgir.

Regarde : parmi les vapeurs mauves s’élève
Aux rayons parfumés d’un beau ciel musical
Un cirque de glaciers, dont les cimes de rêve
Autour d’un lac d’azur, où leur image rêve,
Enclosent de leur neige un vallon tropical.

Des palmiers, des figuiers, des manguiers, en girandes,
Abritent fraîchement des herbages fleuris ;
Dans les flots d’herbe en fleurs, des femmes, par guirlandes,
Baignent leurs chairs de lys en vivantes guirlandes
Sous les joyaux furtifs d’un vol de colibris.

Et, cascade de chair, du haut des pics de glace
Tombe un fleuve ébloui de blanches nudités ;
Chaque corps suit un corps qui l’embrasse et l’enlace :
À l’ondine qui passe une ondine s’enlace
Et roule en un torrent de rieuses beautés.

Les bras ceignent des bras, et des reins, et des cuisses.
Écume vaporeuse où glissent des éclairs,
Les cheveux lumineux flottent sur les chairs lisses.
Et, du haut des sommets brillants des glaces lisses
Tombent, tombent sans fin de nouveaux flots de chair.

Presse en tes bras ces corps de rêve ! Goutte à goutte
Savoure chaque ardeur de ce vin boréal.
Dans la paix de ton lit neigeux et vierge, goûte
L’ivresse de la chair en ta chair seule, goûte
Le monstrueux plaisir de souiller l’Idéal.