« Fragments du Narcisse » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Phe (discussion | contributions)
mAucun résumé des modifications
Aucun résumé des modifications
Ligne 1 :
{{TextQuality|75%}}
{{PoèmeNav|[[Auteur:Paul Valéry|Paul Valéry]]|''[[Charmes]]''|'''{{PAGENAME}}'''|[[La Dormeuse]]|[[La Pythie]]}}
{{TitrePoeme|[[Charmes]]|Paul Valéry|'''Fragments du Narcisse'''}}
 
{{Centré|'''I'''}}
 
<div class="verse">
<poem>
 
{{ep|''Cur aliquid vidi ?''|marge=50}}
<center>'''I'''</center>
 
 
<small><div style="width:60%; text-align:right; ">''Cur aliquid vidi ?''</div></small>
{{bloc centré|<poem style="margin-left:0em">
Que tu brilles enfin, terme pur de ma course !
 
Ligne 20 :
Même, dans sa faiblesse, aux ombres échappée,
Si la feuille éperdue effleure la napée,
Elle suffit à rompre un univers dormant...dormant…
Votre sommeil importe à mon enchantement,
Il craint jusqu’au frisson d’une plume qui plonge !
Ligne 27 :
Sommeil des nymphes, ciel, ne cessez de me voir !
 
Rêvez, rêvez de moi !... Sans vous, belles fontaines,
Ma beauté, ma douleur, me seraient incertaines.
Je chercherais en vain ce que j’ai de plus cher,
Sa tendresse confuse étonnerait ma chair,
Et mes tristes regards, ignorants de mes charmes,
À d’autres que moi-même. adresseraient leurs larmes...larmes…
 
&nbsp;&nbsp;Vous attendiez, peut-être, un visage sans pleurs,
Vous calmes, vous toujours de feuilles et de fleurs,
Et de l’incorruptible altitude hantées,
Ô Nymphes !... Mais docile aux pentes enchantées
Qui me firent vers vous d’invincibles chemins,
Souffrez ce beau reflet des désordres humains !
 
&nbsp;&nbsp;Heureux vos corps fondus, Eaux planes et profondes !
Je suis seul !... Si les Dieux les échos et les ondes
Et si tant de soupirs permettent qu’on le soit !
Seul !... mais encor celui qui s’approche de soi
Quand il s’approche aux bords que bénit ce feuillage...feuillage…
&nbsp;&nbsp;Des cimes, l’air déjà cesse le pur pillage ;
La voix des sources change, et me parle du soir ;
Un grand calme m’écoute, où j’écoute l’espoir.
J’entends l’herbe des nuits croître dans l’ombre sainte,
Et la lune perfide élève son miroir
Jusque dans les secrets de la fontaine éteinte...éteinte…
Jusque dans les secrets que je crains de savoir,
Jusque dans le repli de l’amour de soi-même,
Rien ne peut échapper au silence du soir...soir…
La nuit vient sur ma chair lui souffler que je l’aime.
Sa voix fraîche à mes vœux tremble de consentir ;
Ligne 61 :
Conspire au spacieux silence d’un tel site.
 
&nbsp;&nbsp;Ô douceur de survivre à la force du jour,
Quand elle se retire enfin rose d’amour,
Encore un peu brûlante, et lasse, mais comblée,
Ligne 69 :
Puis s’étendre, se fondre, et perdre sa vendange,
Et s’éteindre en un songe en qui le soir se change.
&nbsp;&nbsp;Quelle perte en soi-même offre un si calme lieu !
L’âme, jusqu’à périr, s’y penche pour un Dieu
Qu’elle demande à l’onde, onde déserte, et digne
Sur son lustre, du lisse effacement d’un cygne ...
&nbsp;&nbsp;À cette onde jamais ne burent les troupeaux !
D’autres, ici perdus, trouveraient le repos,
Et dans la sombre terre, un clair tombeau qui s’ouvre...s’ouvre…
Mais ce n’est pas le calme, hélas ! que j’y découvre !
Quand l’opaque délice où dort cette clarté,
Ligne 100 :
Ne cherchez pas en vous, n’allez surprendre aux cieux
Le malheur d’être une merveille :
Trouvez dans la fontaine un corps délicieux...délicieux…
 
Prenant à vos regards cette parfaite proie,
Ligne 113 :
 
PIRE.
{{caché|PIRE.}} Pire?…
{{caché|PIRE. Pire?…}} Quelqu’un redit ''Pire''… Ô moqueur !
Écho lointaine est prompte à rendre son oracle !
De son rire enchanté, le roc brise mon cœur,
Et le silence, par miracle,
Cesse !... parle, renaît, sur la face des eaux…
Pire?...
{{caché|Pire?…}} Pire destin !... Vous le dites, roseaux,
Qui reprîtes des vents ma plainte vagabonde !
Antres, qui me rendez mon âme plus profonde,
Vous renflez de votre ombre une voix qui se meurt…
Vous me le murmurez, ramures !... Ô rumeur
Déchirante, et docile aux souffles sans figure,
Votre or léger s’agite , et joue avec l’augure…
Ligne 145 :
Mon cœur jette aux échos l’éclat des noms divins !
 
&nbsp;&nbsp;Mais que ta bouche est belle en ce muet blasphème !
 
Ô semblable !… Et pourtant plus parfait que moi-même,
Ligne 154 :
Et glisse entre nous deux le fer qui coupe un fruit !
Qu’as-tu ?
{{caché|Qu’as-tu ?}} Ma plainte même est funeste ?…
{{caché|Qu’as-tu ? Ma plainte même est funeste ?…}} Le bruit
Le bruit
Du souffle que j’enseigne à tes lèvres, mon double,
Sur la limpide lame a fait courir un trouble !…
Tu trembles !... Mais ces mots que j’expire à genoux
Ne sont pourtant qu’une âme hésitante entre nous,
Entre ce front si pur et ma lourde mémoire...mémoire…
Je suis si près de toi que je pourrais te boire,
Ô visage !... Ma soif est un esclave nu...nu…
&nbsp;&nbsp;Jusqu’à ce temps charmant je m’étais inconnu,
Et je ne savais pas me chérir et me joindre !
Mais te voir, cher esclave, obéir à la moindre
Ligne 169 :
Voir sur mon front l’orage et les feux d’un secret,
Voir, ô merveille, voir ! ma bouche nuancée
Trahir...Trahir… peindre sur l’onde une fleur de pensée,
Et quels événements étinceler dans l’œil !
J’y trouve un tel trésor d’impuissance et d’orgueil,
Ligne 175 :
Nulle ! aux fuites habiles, aux chutes sans émoi,
Nulle des nymphes, nulle amie, ne m’attire
Comme tu fais sur l’onde, inépuisable Moi !...
 
:::::::'''II'''
 
{{Centré|'''II'''}}
&nbsp;&nbsp;Fontaine, ma fontaine, eau froidement présente,
 
&nbsp;&nbsp;Fontaine, ma fontaine, eau froidement présente,
Douce aux purs animaux, aux humains complaisante
Qui d’eux-mêmes tentés suivent au fond la mort,
Ligne 190 ⟶ 191 :
Que de choses pourtant doivent t’être connues,
Astres, roses, saisons, les corps et leurs amours !
&nbsp;&nbsp;Claire, mais si profonde, une nymphe toujours
Effleurée, et vivant de tout ce qui l’approche,
Nourrit quelque sagesse à l’abri de sa roche,
À l’ombre de ce jour qu’elle peint sous les bois.
Elle sait à jamais les choses d’une fois ...
&nbsp;&nbsp;Ô présence pensive, eau calme qui recueilles
Tout un sombre trésor de fables et de feuilles,
L’oiseau mort, le fruit mûr, lentement descendus,
Ligne 201 ⟶ 202 :
Tu consommes en toi leur perte solennelle ;
Mais, sur la pureté de ta face éternelle,
L’amour passe et périt...périt…
{{caché|L’amour passe et périt…}} Quand le feuillage épars
Tremble, commence à fuir, pleure de toutes parts,
Tu vois du sombre amour s’y mêler la tourmente,
L’amant brûlant et dur ceindre la blanche amante,
Vaincre l’âme...l’âme… Et tu sais selon quelle douceur
Sa main puissante passe à travers l’épaisseur
Des tresses que répand la nuque précieuse,
S’y repose, et se sent forte et mystérieuse ;
Elle parle à l’épaule et règne sur la chair.
&nbsp;&nbsp;Alors les yeux fermés à l’éternel éther
Ne voient plus que le sang qui dore leurs paupières ;
Sa pourpre redoutable obscurcit les lumières
D’un couple aux pieds confus qui se mêle, et se ment.
Ils gémissent ... La Terre appelle doucement
Ces grands corps chancelants, qui luttent bouche à bouche,
Et qui, du vierge sable osant battre la couche,
Composeront d’amour un monstre qui se meurt ...
Leurs souffles ne font plus qu’une heureuse rumeur,
L’âme croit respirer l’âme toute prochaine,
Mais tu sais mieux que moi, vénérable fontaine,
Quels fruits forment toujours ces moments enchantés !
&nbsp;&nbsp;Car, à peine les cœurs calmes et contentés
D’une ardente alliance expirée en délices,
Des amants détachés tu mires les malices,
Tu vois poindre des jours de mensonges tissus,
Et naître mille maux trop tendrement conçus !
&nbsp;&nbsp;Bientôt, mon onde sage, infidèle et la même,
Le Temps mène ces fous qui crurent que l’on aime
Redire à tes roseaux de plus profonds soupirs !
Vers toi, leurs tristes pas suivent leurs souvenirs ...
&nbsp;&nbsp;Sur tes bords, accablés d’ombres et de faiblesse,
Tout éblouis d’un ciel dont la beauté les blesse
Tant il garde l’éclat de leurs jours les plus beaux,
Ils vont des biens perdus trouver tous les tombeaux ...
« Cette place dans l’ombre était tranquille et nôtre ! »
« L’autre aimait ce cyprès, se dit le cœur de l’autre,
« Et d’ici, nous goûtions le souffle de la mer ! »
Hélas ! la rose même est amère dans l’air...l’air…
Moins amers les parfums des suprêmes fumées
Qu’abandonnent au vent les feuilles consumées !...
&nbsp;&nbsp;Ils respirent ce vent, marchent sans le savoir,
Foulent aux pieds le temps d’un jour de désespoir...désespoir…
Ô marche lente, prompte, et pareille aux pensées
Qui parlent tour à tour aux têtes insensées !
Ligne 261 ⟶ 262 :
Et dans ce corps caché tout marqué de l’amour
Que porte amèrement l’âme qui fut heureuse,
Brûle un secret baiser qui la rend furieuse...furieuse…
 
Mais moi, Narcisse aimé, je ne suis curieux
Ligne 268 ⟶ 269 :
:::::Tout autre n’est qu’absence.
Ô mon bien souverain, cher corps, je n’ai que toi !
Le plus beau des mortels ne peut chérir que soi...soi…
&nbsp;&nbsp;Douce et dorée, est-il une idole plus sainte,
De toute une forêt qui se consume, ceinte,
Et sise dans l’azur vivant par tant d’oiseaux ?
Ligne 277 ⟶ 278 :
Naisse donc entre nous que la lumière unit
De grâce et de silence un échange infini !
&nbsp;&nbsp;Je vous salue, enfant de mon âme et de l’onde,
Cher trésor d’un miroir qui partage le monde !
Ma tendresse y vient boire, et s’enivre de voir
Un désir sur soi-même essayer son pouvoir !
&nbsp;&nbsp;Ô qu’à tous mes souhaits, que vous êtes semblable !
Mais la fragilité vous fait inviolable,
Vous n’êtes que lumière, adorable moitié
D’une amour trop pareille à la faible amitié !
&nbsp;&nbsp;Hélas ! la nymphe même a séparé nos charmes !
Puis-je espérer de toi que de vaines alarmes ?
Qu’ils sont doux les périls que nous pourrions choisir !
Ligne 293 ⟶ 294 :
La même nuit en pleurs confondre nos yeux clos,
Et nos bras refermés sur les mêmes sanglots
Étreindre un même cœur, d’amour prêt à se fondre...fondre…
&nbsp;&nbsp;Quitte enfin le silence, ose enfin me répondre,
Bel et cruel Narcisse, inaccessible enfant,
Tout orné de mes biens que la nymphe défend...défend…
 
 
:::::::{{Centré|'''III'''}}
 
... Ce corps si pur, sait-il qu’il me puisse séduire?
De quelle profondeur songes-tu de m’instruire,
Habitant de l’abîme, hôte si précieux
Ligne 308 ⟶ 310 :
Et qui prête à ma lèvre une ombre de danger
Jusqu’à me faire craindre un désir étranger !
Quel souffle vient à l’onde offrir ta froide rose !...
« J’aime ... J’aime !... » Et qui donc peut aimer autre chose
Que soi-même ?...
{{caché|Que soi-même ?…}} Toi seul, ô mon corps, mon cher corps,
Je t’aime, unique objet qui me défends des morts.
{{...|25}}
…………………………………………………………….
 
Formons, toi sur ma lèvre, et moi, dans mon silence,
Une prière aux dieux qu’émus de tant d’amour
Sur sa pente de pourpre ils arrêtent le jour !...
Faites, Maîtres heureux, Pères des justes fraudes,
Dites qu’une lueur de rose ou d’émeraudes
Ligne 326 ⟶ 328 :
Sortir tremblant du flanc de la nymphe au cœur froid,
Et sans quitter mes yeux, sans cesser d’être moi,
Tendre ta forme fraîche, et cette claire écorce...écorce…
Oh ! te saisir enfin !... Prendre ce calme torse
Plus pur que d’une femme et non formé de fruits...fruits…
Mais, d’une pierre simple est le temple où je suis,
Où je vis… Car je vis sur tes lèvres avares !...
Ô mon corps, mon cher corps, temple qui me sépares
De ma divinité, je voudrais apaiser
Votre bouche...bouche… Et bientôt, je briserais, baiser,
Ce peu qui nous défend de l’extrême existence,
Cette tremblante, frêle, et pieuse distance
Entre moi-même et l’onde, et mon âme, et les dieux !
Adieu...Adieu… Sens-tu frémir mille flottants adieux?
Bientôt va frissonner le désordre des ombres!
L’arbre aveugle vers l’arbre étend ses membres sombres,
Et cherche affreusement l’arbre qui disparaît...disparaît…
Mon âme ainsi se perd dans sa propre forêt,
Où la puissance échappe à ses formes suprêmes...suprêmes…
L’âme, l’âme aux yeux noirs, touche aux ténèbres mêmes,
Elle se fait immense et ne rencontre rien...rien…
Entre la mort et soi, quel regard est le sien !
 
Ligne 350 ⟶ 352 :
Va des jours consumés joindre le sort funeste ;
Il s’abîme aux enfers du profond souvenir !
Hélas ! corps misérable, il est temps de s’unir...s’unir…
Penche-toi...toi… Baise-toi. Tremble de tout ton être !
L’insaisissable amour que tu me vins promettre
Passe, et dans un frisson, brise Narcisse, et fuit...fuit…
</poem>}}
</div>
 
[[Category:Paul Valéry]]