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Henri VII et Henri VIII d'Angleterre.
 
Henri VII.
 
Hé bien ! Mon fils, comment avez-vous régné après
moi ?
 
Henri VIII.
 
Heureusement et avec gloire pendant trente-huit
ans.
 
Henri VII.
 
Cela est beau ! Mais encore, les autres ont-ils
été aussi contents de vous que vous le paroissez
de vous-même ?
 
Henri VIII.
 
Je ne dis que la vérité. Il est vrai que c'est
vous qui êtes monté sur le trône par votre
courage et par votre adresse ; vous me l'avez
laissé paisible : mais aussi que n'ai-je point
fait ! J'ai tenu l'équilibre entre les deux plus
grandes puissances de l' Europe, François I et
Charles-Quint. Voilà mon ouvrage au-dehors.
 
Pour le dedans, j'ai délivré l'Angleterre de la
tyrannie papale, et j'ai changé la religion,
sans que personne ait osé résister. Après avoir
fait un tel renversement, mourir en paix dans
son lit, c'est une belle et glorieuse fin.
 
Henri VII.
 
Mais j'avois ouï dire que le pape vous avoit
donné le titre de défenseur de l'église, à cause
d' un livre que vous aviez fait contre les
sentiments de Luther. D'où vient que vous avez
ensuite changé ?
 
Henri VIII.
 
J'ai reconnu combien l'église romaine étoit
injuste et superstitieuse.
 
Henri VII.
 
Vous a-t-elle traversé dans quelque dessein ?
 
Henri VIII.
 
Oui. Je voulois me démarier. Cette aragonoise me
déplaisoit : je voulois épouser Anne De Boulen. Le
pape Clément VII commit le cardinal Campegge pour
cette affaire. Mais de peur de fâcher l'empereur,
neveu de Catherine, il ne vouloit que m'amuser :
Campegge demeura près d'un an à aller d'Italie en
France.
 
Henri VII.
 
Hé bien ! Que fîtes-vous ?
 
Henri VIII.
 
Je rompis avec Rome, je me moquai de ses
censures, j'épousai Anne De Boulen, et je me
fis chef de l'église anglicane.
 
Henri Vii.
 
Je ne m'étonne plus si j'ai vu tant de gens
qui étoient sortis du monde fort mécontents
de vous.
 
Henri VIII.
 
On ne peut faire de si grands changements
sans quelque rigueur.
 
Henri VII.
 
J'entends dire de tout côté que vous avez
été léger, inconstant, lascif, cruel, et sanguinaire.
 
Henri VIII.
 
Ce sont les papistes qui m' ont décrié.
 
Henri VII.
 
Laissons là les papistes ; mais venons au fait.
 
N'avez-vous pas eu six femmes, dont vous
avez répudié la première sans fondement, fait
mourir la seconde, fait ouvrir le ventre à la
troisième pour sauver son enfant, fait mourir
la quatrième, répudié la cinquième, et choisi
si mal la dernière, qu'elle se remaria avec
l'amiral peu de jours après votre mort.
 
Henri VIII.
 
Tout cela est vrai ; mais si vous saviez quelles
étoient ces femmes, vous me plaindriez au lieu
de me condamner : l'aragonoise étoit laide, et
ennuyeuse dans sa vertu ; Anne De Boulen
étoit une coquette scandaleuse ; Jeanne Seymour ne
valoit guère mieux ; N. Howard étoit
très corrompue ; la princesse De Clèves étoit
une statue sans agrément ; la dernière m'avoit
paru sage, mais elle a montré après ma mort
que je m'étois trompé. J'avoue que j'ai été la
dupe de ces femmes.
 
Henri VII.
 
Si vous aviez gardé la vôtre, tous ces malheurs ne
vous seroient jamais arrivés : il est visible que
Dieu vous a puni. Mais combien de sang avez-vous
répandu ! On parle de plusieurs milliers de
personnes que vous avez fait mourir pour la religion,
parmi lesquelles on compte beaucoup de nobles
prélats et de religieux.
 
Henri VIII.
 
Il l' a bien fallu, pour secouer le joug de Rome.
 
Henri VII.
 
Quoi ! Pour soutenir la gageure, pour maintenir
votre mariage avec cette Anne De Boulen, que vous
avez jugée vous-même digne du supplice !
 
Henri VIII.
 
Mais j'avois pris le bien des églises, que je
ne pouvois rendre.
 
Henri VII.
 
Bon ! Vous voilà bien justifié de votre schisme
par vos mariages ridicules et par le pillage des
églises !
 
Henri VIII.
 
Puisque vous me pressez tant, je vous dirai
tout. J'étois passionné pour les femmes ; et,
volage dans mes amours, j'étois aussi prompt
à me dégoûter qu'à prendre une inclination.
 
D'ailleurs j'étois né jaloux, soupçonneux,
inconstant, âpre sur l' intérêt. Je trouvai que les
chefs de l'église anglicane flattoient mes
passions et autorisoient ce que je voulois faire :
le cardinal Wolsey, archevêque d' Yorck,
m' encouragea à répudier Catherine D' Aragon ;
Cranmer, archevêque de Cantorbery, me fit
faire tout ce que j'ai fait pour Anne De Boulen
et contre l'église romaine. Mettez-vous en
la place d' un pauvre prince violemment tenté
par les passions et flatté par les prélats.
 
Henri VII.
 
Hé bien ! Ne savez-vous pas qu'il n' y a rien
de si lâche ni de si prostitué que les prélats
ambitieux qui s'attachent à la cour ? Il falloit
les renvoyer dans leurs diocèses, et consulter
des gens de bien. Les laïques sages et bons
politiques ne vous auroient jamais conseillé,
pour la sûreté même de votre royaume, de
changer l'ancienne religion, et de diviser vos
sujets en plusieurs communions opposées.
 
N'est-il pas ridicule que vous vous plaigniez
de la tyrannie du pape, et que vous vous fassiez
pape en sa place ; que vous vouliez réformer
l'église anglicane, et que cette réforme
aboutisse à autoriser tous vos mariages monstrueux,
et à piller tous les biens consacrés ?
Vous n'avez achevé cet horrible ouvrage qu' en
trempant vos mains dans le sang des personnes
les plus vertueuses. Vous avez rendu votre
mémoire à jamais odieuse, et vous avez laissé
dans l'état une source de division éternelle.
 
Voilà ce que c'est que d' écouter ses passions et
de méchants prêtres. Je ne dis point ceci par
dévotion ; vous savez que ce n'est pas là mon
caractère : je ne parle qu'en politique, comme
si la religion étoit à compter pour rien. Mais,
à ce que je vois, vous n' vez jamais fait que du
mal.
 
Henri VIII.
 
Je n'ai pu éviter d' en faire. Le cardinal Renaud
De La Poule fit contre moi avec les
papistes une conspiration. Il fallut bien punir
les conjurés pour la sûreté de ma vie.
 
Henri VII.
 
Hé ! Voilà le malheur qu'il y a à entreprendre
des choses injustes. Quand on les a commencées,
on les veut soutenir. On passe pour tyran, on est
exposé aux conjurations. On soupçonne des
innocents qu'on fait périr. On trouve des
coupables, et on les a faits tels ; car le
prince qui gouverne mal met ses sujets
en tentation de lui manquer de fidélité. En
cet état un roi est malheureux et digne de
l'être ; il a tout à craindre ; il n'a pas un
moment de libre ni d'assuré : il faut qu'il répande
du sang ; plus il en répand, plus il est odieux
et exposé aux conjurations. Mais enfin, voyons
ce que vous avez fait de louable.
 
Henri VIII.
 
J'ai tenu la balance égale entre François I
et Charles-Quint.
 
Henri Vii.
 
Chose bien difficile ! Encore n'avez-vous
pas su faire ce personnage. Wolsey vous jouoit
pour plaire à Charles-Quint, dont il étoit la
dupe, et qui lui promettoit de le faire pape.
 
Vous avez entrepris de faire des descentes en
France, et n'avez eu aucune application pour
y réussir. Vous n'avez suivi aucune négociation.
 
Vous n'avez su faire ni la paix ni la guerre. Il ne
tenoit qu'à vous d' être l'arbitre de l'Europe, et de
vous faire donner des places des deux côtés ; mais
vous n'étiez capable ni de fatigue, ni de patience,
ni de modération, ni de fermeté. Il ne vous falloit
que vos maîtresses, des favoris, des divertissements ;
vous n'avez montré de vigueur que contre la
religion, et en exerçant votre cruauté pour
contenter vos passions honteuses. Hélas ! Mon fils,
vous êtes une étrange leçon pour tous les rois qui
viendront après vous.
 
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