« Les Historiettes/Tome 3/63 » : différence entre les versions

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 415-418).


M. DE MONTBAZON[1].


M. de Montbazon, Hercule de Rohan, étoit un grand homme bien fait, et qui, en sa jeunesse, avoit été fort dispos. Il avoit fait un bâtiment à Rochefort (à deux lieues de Paris), le plus extravagant qui fut jamais ; c’est un château de cartes, tout plein de petites tourelles, de lanternes, d’échauguettes[2] et de petites plate-formes ; il n’y a rien d’à-propos que les cornes qu’on y voit partout, et qui lui conviennent par plus d’un titre, car il étoit grand veneur de France. Quand il montroit cette maison aux gens : « Voilà, disoit-il, se touchant du bout du doigt le front, voilà qui l’a faite. » Il y a un portrait dans la galerie, où son père, qui étoit aveugle, lui montroit le ciel avec le doigt avec ce demi-vers de Virgile : Disce puer, virtutem ; or, ce puer avoit la plus grosse barbe que j’aie guère vue ; il paroissoit richement quarante-cinq ans. Comme c’étoit un homme tout simple, et qui a dit bien des sottises, on lui a attribué, et au duc d’Usez aussi, tout ce qui se disoit mal à propos ; il y a même, dans M. Gaulard[3], quelques-unes des naïvetés qu’on leur donne. On lui fait dire à M. d’Usez, en voyant mourir un cheval : « Qu’est-ce que de nous ? » Pour l’autre (le duc d’Usez), il est constant qu’il dit à la Reine, qui lui demandoit quand sa femme accoucheroit : « Que ce seroit quand il plairoit à Sa Majesté. » Et il fut si sot que d’aller dire au feu Roi, que la Reine et madame de Chevreuse lisoient le Cabinet satirique.

« Madame, disoit-il à la Reine, laissez-moi aller trouver ma femme, elle m’attend ; et dès qu’elle entend un cheval, elle croit que c’est moi. »

À cause qu’il avoit ouï qu’en parlant de saint Paul, on ajoutoit ce grand vaisseau d’élection, il crut que c’étoit un grand vaisseau appelé Élection, dans lequel cet apôtre voyageoit, et disoit : « Je crois que c’étoit un beau navire que ce grand vaiseau d’élection de saint Paul. »

Ce vieux fou de son mari, à l’âge de quatre-vingts ans, devint amoureux d’une fille qui jouoit fort bien du luth. Elle en fit confidence à madame de Montbazon. Le bon homme pria mademoiselle de Clisson, sœur de sa femme, de donner à dîner à la demoiselle et à lui ; mais que, comme elle n’avoit qu’une cuisinière, il lui enverroit son cuisinier avec tout ce qu’il faudroit. Il ne lui envoya qu’un petit lapin et lui amena onze personnes. Elle le connoissoit bien, et ne s’étoit point laissé surprendre. On coucha madame de Montbazon, et, exprès, la demoiselle passa dans le lieu où elle étoit, faisant semblant d’aller chercher son lit ; il la suivit et s’assit ; puis il lui dit : « Venez me baiser. — Venez-y vous-même. » Il répète ; elle répond : « Je vaux bien la peine qu’on me vienne chercher. — Je vous souffletterai. » Elle s’obstine. Il se mit en une telle colère qu’il l’eût jetée par la fenêtre s’il en eût eu la force. À quelques années de là, il s’éprit de la fille de son concierge de Rochefort, et il fallut absolument la mettre coucher avec lui ; c’étoit un tendron. La voilà couchée : il la fait relever en lui reprochant qu’elle n’avoit pas prié Dieu. Le maréchal d’Ornano n’eût pas voulu avoir affaire à une vierge ni à une personne qui eût eu nom Marie, par le respect qu’il portoit à la vierge. On dit qu’il disoit à quelqu’un : « Je ne sais plus que faire pour gagner madame de Montbazon ; si je la battois un peu ? »

Jamais le bonhomme de Montbazon n’entroit au Louvre qu’il ne demandât : « Quelle heure est-il ? » Une fois on lui dit : « Onze heures. » Il se mit à rire. M. de Candale dit : « Il auroit donc bien ri si on lui eût dit qu’il étoit midi. »

Le feu Roi demandoit une fois : « De quel ordre est ce portrait (c’étoit aux Feuillants) ? — C’est de l’ordre des Feuillants, » dit M. de Montbazon.

Il disoit : « Nous voilà à l’année qui vient. »

M. de Montbazon a fait mettre sur la porte d’une écurie à Rochefort, le 25 octobre l’an 1637 : « J’ai fait faire cette porte-ci pour entrer dans mon écurie. »

Il mourut cinq ou six ans devant sa femme.

  1. Hercule de Rohan, né en 1567, mort le 16 octobre 1654.
  2. Échauguette, lieu couvert et élevé pour placer une sentinelle. (Dict. de Trévoux.) Guérite bâtie.
  3. Tallemant indique ici les Contes facétieux du sieur Gaulard, gentilhomme de la Franche-Comté bourguignotte, ouvrage singulier d’Étienne Tabouret, plus connu sous le nom de sieur Des Accords. Ce Recueil fait partie de ses Bigarrures, dont il existe plusieurs éditions.