« Les Historiettes/Tome 3/60 » : différence entre les versions

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 388-403).


BAZINIÈRE,
SES DEUX FILS ET SES DEUX FILLES.


Feu La Bazinière, trésorier de l’épargne, se nommoit Massé Bertrand ; il étoit fils d’un paysan d’Anjou, et, à son avénement à Paris, il fut laquais chez le président Gayan[1] : c’étoit même un fort sot garçon ; mais il falloit qu’il fût né aux finances. Après il fut clerc chez un procureur, ensuite commis, et insensiblement il parvint à être trésorier de l’épargne. Cela ne seroit que louable s’il en eût bien usé ; mais c’étoit le plus rustre et le plus avare de tous les hommes. Une fois, comme il parloit d’affaires à un homme, il le quitte sans dire gare, et s’en va gourmer un garçon couvreur, en lui disant : « Tu as tes poches toutes pleines de mon plomb. » Il se trouva que c’étoit une bribe de pain que ce pauvre diable avoit dans sa poche. On disoit que c’étoit l’homme de France le mieux servi, et qu’il ne changeoit jamais de valets ; c’est qu’il ne les payoit point, et qu’ils y demeuroient en attendant que l’humeur libérale prît à leur maître. Son portier fut contraint, pour être payé, de lui proposer de faire faire une boutique d’une porte cochère inutile qu’il avoit chez lui, et la fit louer à un frère vitrier qu’il avoit ; ainsi il recevoit les loyers au lieu de ses gages.

Sa femme, qui vit encore, n’est pas plus magnifique. Quand il fait vilain temps les vendredis, elle fait enchérir son beurre de Clichy-la-Garenne d’un sou par livre, en disant : « Il n’en sera guère venu aujourd’hui au marché. » Il en eut deux fils et deux filles : ses fils n’étoient pas mal faits. L’aîné, qui est aujourd’hui trésorier de l’épargne, étoit assez agréable, et peut-être, s’il eût été bien élevé, en eût-on fait quelque chose ; mais le père, qui est mort riche de quatre millions, ne voulut jamais faire la dépense d’un gouverneur, ni envoyer voyager ce jeune garçon ; au contraire, regardant à ce qui lui coûteroit le moins et se trouvant en année durant le siége d’Arras, il envoya son fils à Amiens, avec titre de commis de l’épargne, mais qui avoit un homme sous lui qui faisoit tout. Ce jeune fou se fit faire des armes qu’il porta à la cour, et rompit tant de fois la tête à M. de Noyers de le faire mettre dans l’escadron de M. le Grand, quand on mena le convoi dans les lignes, qu’il l’y fit mettre, et le lui recommanda. On n’étoit pas à mi-chemin, et le grand-maître, qui venoit au-devant du convoi, n’avoit point encore paru, quand il prit une si grande épouvante à cet écolier déguisé, que sans avoir vu ni ennemis ni autres gens que ceux avec qui il étoit, il passa sur le corps à toute l’armée, et galopa jusqu’à Amiens, où il s’alla cacher dans un grenier au foin, et après dit que son cheval l’avoit emporté. Sur cela on fit un vaudeville que voici :

Je suis Bazinière farouche[2],
Qui ne puis par monts ni par vaux

Retenir mes vites chevaux,
Tant ils sont forts en bouche.
Je règne[3] caché dans du foin ;
Mais au convoi je n’y vais point.

Le cardinal, pour se divertir, fit pour cela la déclaration que voici :

« À tous ceux, etc. — Avons déclaré et déclarons le cheval du sieur de La Bazinière atteint et convaincu du crime de fort-en-bouche, etc. ; et, quant audit sieur de La Bazinière, nous le remettons et rétablissons en sa pristine fame et renommée, et lui permettons d’aspirer aux charges et dignités auxquelles la grandeur de son courage et sa naissance le peuvent faire prétendre. Fait à Amiens, etc. » Bazinière devint malade de la peur qu’il avoit eue, et on le ramena dans un brancard à Paris. Le jeune Guenaut, médecin, qui le conduisoit, rencontra de jeunes gens qui alloient à la cour ; il leur dit qu’il accompagnoit un blessé. « Et qui ? — Bazinière. » Ils se mirent à rire. L’hiver suivant, un frère de madame de Champré l’ayant raillé, Bazinière l’attendit au passage et le fit attaquer par quatre hommes de chez son père, et lui cependant se tenoit les bras croisés. Mes frères et moi, car c’étoit auprès du logis, allâmes au secours de ce garçon qui, à la foire, donna après sur les oreilles à Bazinière. Le lendemain de cet assassinat une dame du quartier, chez qui il alla, lui dit en riant : «  Vraiment, monsieur, je ne vous conçois point, vous qui avez tant de sujet d’aimer la vie, vous exposer sans cesse comme cela. » Bazinière, le printemps venu, fit un voyage au Maine, où il devint amoureux de madame de Pezé, fille de madame de Lansac et sœur de madame de Toussy. Cette dame n’étoit plus jeune, et vivoit dans un abandonnement effroyable. Il demeura quelque temps avec elle ; mais à la fin il lui arriva une aventure qui le fit revenir à Paris. Le maître-d’hôtel, qui, peut-être, servoit aussi d’autre chose à la dame, las de ce petit bourgeois qui faisoit fort l’entendu, un soir se mit en embuscade en un endroit où il falloit qu’il passât pour aller coucher avec madame ; il étoit minuit ; il n’y avoit point de lumière ; de sorte que ce galant homme, faisant semblant que c’étoit un laquais, et lui disant : « Petit fripon, que ne vous allez-vous coucher, au lieu de faire ici du bruit à madame ? » donna maint horion à notre badaud de Paris. Durant cette amourette, le père fut assez impertinent pour se plaindre que madame de Pezé débauchoit son fils ; notez qu’elle étoit parente du cardinal de Richelieu. Enfin le bonhomme mourut.

En ce temps la Chémerault, après la mort du cardinal, étoit revenue à Paris. On l’appeloit, comme j’ai dit ailleurs, la Belle Gueuse, et on disoit qu’elle n’avoit pour tout bien qu’un âne de Mirebalais[4]. Elle avoit fait représenter à la Reine qu’elle ne pouvoit faire fortune que par sa beauté, et que ces occasions se rencontreroient bien plutôt à Paris qu’à la province. La Reine y consentit donc ; mais elle ne voulut point que cette fille, qui avoit été un temps l’espionne du cardinal, et qui après s’étoit mise du parti de M. le Grand, allât au Louvre. Benserade la fut voir. Elle lui conta sa misère. Il lui dit en riant : « Il faut que je vous amène un épouseur. » Quelques jours après il y mena Bazinière. À quelque temps de là la belle lui dit : « Vous avez peut-être dit plus vrai que vous ne pensez ; je pense que Bazinière m’épousera. » Bazinière effectivement en étoit épris ; mais comme il vouloit par ce mariage avoir entrée à la cour, il souhaitoit qu’auparavant sa maîtresse fît sa paix avec la Reine. Les parents de la fille firent si bien que la Reine lui permit de se trouver au cercle, mais non pas de lui faire la révérence. Après cela Bazinière l’épousa sans le consentement de sa mère, qui fit terriblement la méchante. La belle-fille, qui étoit adroite et fourbe, se vêtit simplement et se tint chez elle, faisant la mélancolique. Elle envoya un jour la nourrice de son mari trouver madame de La Bazinière. Cette nourrice, bien instruite, ne joua pas mal son personnage ; elle applaudit d’abord à cette mère irritée, puis insensiblement elle lui dit : « Madame, si vous saviez en quel état est cette jeune femme, vous ne seriez peut-être pas si en colère contre elle ; elle n’a point de joie d’être si avantageusement mariée, puisqu’elle n’est point aux bonnes grâces d’une personne qu’elle estime tant ; elle est quasi comme si elle portoit le deuil, et quand on lui dit que ce n’est pas l’habit d’une nouvelle mariée, elle répond que cet habit convient à la tristesse qu’elle a dans l’âme. Au reste, madame, c’est bien la plus belle amitié que celle qui est entre eux que vous sauriez vous imaginer, et je ne m’en étonne point, car c’est bien la plus belle créature qu’on puisse voir de deux yeux. » Bref, cette femme sut si bien dire, qu’elle fit pleurer la mère, et la fit résoudre à voir son fils ; et ensuite tout fut accommodé, et ils vinrent loger avec elle.

Cette femme, qui avoit tant d’obligation à son mari, ne laissa pas, au bout d’un an et demi, de le mettre de la confrérie, et cela par intérêt. D’Émery, pour changer, voulut tâter d’une maigre, et laissant Marion, en conta à madame de La Bazinière. Par son moyen, elle obtint de la Reine la permission de la voir. Ce petit fat, à table chez d’Émery, contoit les obligations qu’il lui avoit, que c’étoit son protecteur, etc. Tout le monde rougissoit pour lui. On en fit ce couplet :

D’Émery n’a jamais fait
Un cocu plus satisfait
Que le petit Bazinière,
Lere la, lere lanlère.


Je ne sais si d’Émery et lui avoient bigné[5], mais notre trésorier fit alors quelques galanteries avec Marion. Un jour il avoit fait préparer la collation en quelque maison autour de Paris, et déjà il étoit parti en carrosse avec elle pour y aller, quand le duc de Brissac, qui alors étoit le patron de la demoiselle, ne la trouvant point chez elle, apprit où elle étoit allée. Il court après et les attrape. D’abord il crie : « Laquais ! un bâton. Mademoiselle, où allez-vous ? Monsieur, changez de place, dit-il à La Bazinière, je me veux mettre auprès d’elle. » Ils font collation ; au retour, il la fait monter dans son carrosse, et sur ce que Bazinière disoit qu’il en auroit la raison, il le fit environner de laquais qui le menacèrent du bâton. Le chevalier de Chémerault, aujourd’hui Chémerault, qui est gendre de Tabouret, car d’Émery lui fit donner la fille de ce partisan, fit appeler le duc de Brissac ; mais ils furent accommodés. Roquelaure se moqua des façons qu’avoit faites Brissac pour embrasser un gentilhomme, car en ce temps-là ils étoient encore infatués de Cocceius Nerva. Brissac l’envoie appeler par L’Aigle ; Roquelaure s’excusa sur la fièvre-quarte qu’il avoit depuis quelques mois. L’Aigle lui répondit que puisque, malgré sa fièvre, il jouoit, faisoit sa cour et soupoit en ville, on auroit sujet de prendre cela pour une méchante échappatoire. « Bien, dit Roquelaure, ne dites point que je vous ai dit cela ; dès que je me porterai tant soit peu mieux, car je n’ai point de force, je vous ferai savoir de mes nouvelles. » En effet, au bout de dix jours il envoya un brave nommé Champfleury[6] dire à L’Aigle qu’il se battroit devant les Feuillants. L’Aigle dit qu’on seroit trop tôt séparé ; qu’il valoit mieux aller au Cours. Comme ils y alloient, ils furent arrêtés. On disoit que madame de Mirepoix, sœur de Roquelaure, en avoit averti. Ce furent des gentilshommes de M. le Prince qui les arrêtèrent : ne les ayant pas trouvés au Cours, ils s’en retournoient quand ils virent passer un carrosse qui avoit les rideaux tirés ; le vent fit lever un des rideaux tirés, et on aperçut des chaussons de jeu de paume : cela leur donna du soupçon ; ils tirèrent les rideaux et trouvèrent ce qu’ils cherchoient. Ils devoient se battre à l’épée et au poignard. Le marquis étoit faible, et craignoit qu’on ne passât sur lui. Champfleury dit à L’Aigle : « Pour nous, nous nous battrons à l’épée seule. » L’Aigle répondit : « Pour moi, je rougirois de me battre autrement que ceux que je sers. » Ce M. de Brissac étoit si jaloux de Marion, qu’il avoit loué une maison tout contre la sienne pour l’épier mieux.

Pour revenir à madame de La Bazinière, elle eut envie de la maison de Monnerot, à Sèvres. D’Émery dit à cet homme qu’il lui apportât une déclaration. Il y va. « M. d’Émery ne vous a-t-il dit que cela ? lui dit-elle. — Non, madame. » elle croyoit qu’il la lui achèteroit, et que ce seroit un contrat et non une déclaration qu’il lui enverroit.

Il y a environ un an qu’il arriva à madame de La Bazinière une chose un peu fâcheuse : Une fille, qui lui servoit de demoiselle, étant mal satisfaite, lui vola une cassette où il y avoit des lettres de M. de Metz, de M. d’Émery et de M. de Beaufort : pour les rendre elle demandoit deux mille écus. On parle à elle ; on lui donne rendez-vous à Bonneuil, maison de Chabenas[7], commis et maquereau de d’Émery. Elle n’y vouloit point aller ; enfin, on la persuada. Elle y va ; mais elle n’y porte que les lettres qui ne disoient rien : on la vole sur le chemin ; et avec ses lettres on lui prend de l’argent pour faire croire que ç’avoit été des voleurs. Elle en reconnut un qui étoit procureur-fiscal du faubourg Saint-Germain, nommé Plessis ; c’étoit le factotum de Chabenas : elle obtint prise de corps contre lui. Je pense que tout s’accommoda pour quelque argent.

Bazinière fit mettre des couronnes à son carrosse du temps qu’elles étoient moins communes qu’elles ne sont ; ce fut en se mariant. Depuis, quelqu’un, en parlant de la multitude des manteaux de ducs qu’on voyoit, dit devant Mademoiselle : « Je ne désespère pas que Bazinière n’en mette un. — Non, dit-elle, il ne mettra qu’une mandille. »


COURCELLES, CADET DE BAZINIÈRE.


Le cadet de Bazinière, nommé Courcelles, étoit fort étourdi, et faisoit la plus folle dépense du monde : il achetoit à crédit des chevaux et des chiens à de grands seigneurs, et les revendoit à vil prix après pour avoir de l’argent. De cette façon ou autrement il devoit quelque somme au marquis de Pienne, aujourd’hui gouverneur de Pignerol. Courcelles se moqua de lui au lieu de le satisfaire. L’autre, l’ayant trouvé un jour au Cours tout seul, l’appela. Courcelles, en jeune homme, va dans son carrosse ; Pienne, qui étoit accompagné, fit toucher à toute bride, sans faire autre bruit, et le mène au logis d’un de ses amis. En entrant il cria, pour lui faire peur : « Çà, çà, des étrivières. » Ce garçon fut si outré de ce mot d’étrivières, que, seul, comme il étoit, et sans armes, il se jette au cou de Pienne pour l’étrangler. On l’emmena dans une chambre en le menaçant toujours. Cela lui émut tellement la bile qu’encore qu’on l’eût bientôt relâché sans lui avoir donné le moindre coup, et rien fait de pis que le menacer, il en mourut pourtant au bout de trois jours. Il y a apparence qu’il avoit plus de cœur que son aîné. La mère voulut poursuivre ; mais on l’apaisa. Ce fut après le mariage de son frère que cette aventure arriva.


MADAME DE SERRAN.


La fille aînée de La Bazinière, qui n’étoit nullement jolie, avoit été accordée, du vivant du cardinal de Richelieu, à Plessis-Chivray[8], frère de la maréchale de Gramont : on attendoit qu’elle eût douze ans pour la marier. Le cardinal mort, la mère, en donnant soixante mille livres au cavalier, demeura en liberté de marier sa fille à qui il lui plairoit. Bautru, qui, avec cinq cent mille écus de bien, ne cherchoit encore que de grands partis, ayant manqué mademoiselle de Noailles, maria son fils, qu’on appelle M. de Serran, avec cette fille qui n’avoit guère que douze ans, et à qui on donna quatre cent mille livres en mariage. La voilà donc chez son mari. Bautru, qui est homme d’esprit, lui souffrit bien de petites choses ; mais il eut tort de lui laisser mettre des couronnes, et de lui donner un écuyer qui avoit l’épée au côté. Il y eut bientôt noise entre lui et madame de La Bazinière, car l’année de feu son mari étant venue, on ne voulut pas laisser exercer la charge à son fils qui étoit trop jeune. Bautru s’y opposa, craignant que cela ne préjudiciât à sa belle-fille. Cependant la mère ayant répondu, Bazinière exerçoit ; la jeune Bazinière en vouloit à la mort à Bautru, et mit dans la tête de cette jeune femme que son mari, qui à la vérité n’est qu’un sot, étoit indigne d’elle ; que sa sœur épouseroit un duc et pair, et que c’étoit une chose bien cruelle de n’être la femme que d’un homme de robe, quand on pouvoit avoir le tabouret chez la Reine. Cela alla si avant que, comme elle n’avoit point eu encore d’enfants, on lui parloit de se faire démarier. Bautru, voyant cela, feint une promenade à Issy, où l’on fit trouver encore quatre chevaux. Serran, qui y étoit avec sa femme, dit : « Allons pour cinq ou six jours aux champs chez nos amis. » Ainsi, on la mena en Anjou, à Serran, où on ne la traita pas le mieux du monde. Une fois qu’elle disoit : « Mais que craint-on ? je ne vois pas un homme. — Il y a des valets, dit Serran. — Cela est bon pour votre mère, » lui répondit-elle. Avant cela, elle lui avoit dit des choses fort offensantes. « J’ai, lui dit-elle, autant d’aversion pour votre personne que pour votre soutane. » Un jour que le Père Des Mares prêchoit à Saint-Eustache sur les devoirs qu’un mari et une femme se doivent l’un à l’autre, il dit qu’une femme devoit aimer son mari de quelque façon qu’il pût être. Elle prit cela pour elle, et dit assez haut : « Vraiment, il est aisé à voir que M. Bautru a du crédit dans la paroisse ; il y fait prêcher en faveur de monsieur son fils. » Cependant Serran étoit mieux fait qu’elle.

En Anjou, madame de Bautru, qui depuis ce mariage avoit eu permission d’aller à Serran, étoit son garde-corps. On fut contraint d’empêcher qu’elle ne reçût des lettres, car sa mère et sa belle-sœur lui écrivoient le diable de Bautru et de son fils. En ce temps-là un honnête homme étant venu de ce pays-là, à la prière de madame de Serran, alla voir madame de La Bazinière. Dès qu’elle le vit, elle lui cria : « Ah ! monsieur, ma fille est-elle encore en vie ? »

Madame Bautru, car je ne crois pas que Serran ait eu assez d’esprit pour cela, afin de se venger de ce que cette petite femme avoit dit que l’emploi d’intendant de justice en Anjou, qu’avoit Serran, étoit un emploi à faire pendre les gens, et aussi de ce qu’elle avoit traité avec mépris les parents de son mari, s’avisa un jour de convier à dîner tous les parents de feu M. de La Bazinière, dont les plus hupés étoient des notaires de village ou des fermiers, et, la prenant par la main, elle les lui fit tous saluer en lui disant de quel degré chacun d’eux étoit parent de feu son père ; puis, la fit dîner avec eux. Comme elle étoit encore en Anjou, sa cadette fut enlevée. La mère, pour se consoler, voulut voir sa fille qui étoit grosse ; elle craignoit aussi qu’elle ne fût pas bien accouchée à la province. Bautru n’y vouloit point entendre. Enfin, on fit dire à la bonne femme par un tiers qu’il falloit bourse délier. Elle donna cent mille livres, et on la fit venir en chaise. Arrivée à Paris, le beau-père fit ce qu’il put pour la gagner, mais en vain. Elle haïssoit son mari mortellement ; c’étoit une étourdie et lui un benêt qui vouloit railler et faire l’esprit fort comme son père ; mais cela lui réussit si mal que cela fait pitié. Il fait toutes choses à contre-temps ; il prend tout de travers[9] ; on lui fait les cornes en jouant avec lui. Sa femme disoit : « Quand je serai veuve, je ferai ceci et cela ; car je suis assurée que M. de Serran mourra jeune. » Elle s’est trompée elle, car elle est morte à vingt-deux ans, et a laissé deux enfants, je crois, à ce mari qu’elle devoit enterrer.


MADAME DE BARBEZIÈRE.


La cadette Bazinière étoit jolie ; elle n’avoit guère qu’onze ans quand elle fut enlevée par un frère de madame de La Bazinière la jeune, qu’on appeloit Barbezière ; c’est le nom de la maison, qui est une bonne maison de Poitou. Ce garçon, qui étoit bien fait, avoit toute liberté chez madame de La Bazinière la mère, jusque-là qu’étant malade, elle le reçut dans son logis. On ne sait pas bien si sa sœur étoit du complot, car il ne l’a pas dit. Lopez[10] pourtant avertit la mère qu’on vouloit enlever sa fille, et qu’elle seroit mieux dans un couvent. Elle répondit que Barbezière l’empêcheroit. Madame d’Hautefort, alors en faveur, l’avoit fait demander par la Reine pour Montignère son frère ; mais la bonne femme avoit toujours tenu bon. Elle étoit amoureuse, à ce qu’a dit Barbezière, du chevalier de Chémerault et non de lui, comme on l’a cru ; sans cela il n’eût jamais songé à la fille, et se fût contenté de la mère. Quoi qu’il en soit, un jour que la mère et la fille, à sa prière, allèrent avec lui pour prendre l’air à Clichy, à une lieue de Paris, au retour, des gens à cheval jetèrent le cocher en bas, en mirent un autre en sa place, et laissèrent madame de La Bazinière dans un blé. M. de Mauroy, intendant des finances, en revenant de Saint-Ouen, la trouva et la ramena à Paris. Il n’y avoit personne qui fût en état de les suivre. Madame de La Bazinière avoit bien mené son sommelier à cheval ; mais Barbezière, le voyant assez bien monté, l’avoit renvoyé d’assez bonne heure à Paris, sous prétexte qu’il avoit oublié de commander un remède qu’on lui avoit ordonné pour ce soir-là. Le sommelier rencontra les enleveurs, et pensa retourner pour en avertir, car il les prenoit pour des voleurs ; cependant il suivit son chemin. On avoit dit à madame La Bazinière qu’il y avoit des voleurs, qu’on les avoit vus. Elle ne vouloit pas retourner ; mais Barbezière lui dit : « Hé ! madame, que craignez-vous ? Je connois tous ces messieurs-là ; ce sont tous officiers de l’armée. » La belle-mère, au désespoir de sa belle-fille, dit qu’elle n’avoit rompu le mariage de Toulangeon que pour cela ; et que son fils n’étoit allé en Poitou, pour voir, disoit-il, les parents de sa femme, qu’afin de n’être pas ici quand on feroit le coup. Bazinière, de retour, inventa de nouveaux serments pour jurer qu’il n’en savoit rien. On disoit que d’Émery ayant voulu apaiser la bonne femme, elle lui dit en colère : « Vous ne venez céans que pour débaucher ma belle-fille. » Le chevalier de Marans, qui avoit loué des chevaux et placé des relais pour Barbezière, fut arrêté ; mais M. le Prince le tira de prison d’autorité. Barbezière avoit un vaisseau prêt ; il passe en Hollande, et se met à Culembourg en la protection du seigneur du lieu, qui est le comte de Waldeck ; c’est une souveraineté. La mère a fait ce qu’elle a pu pour gagner le comte, mais en vain. On sut que la pauvre enfant avoit fort pleuré, et qu’elle pleuroit encore long-temps après quand son mari n’y étoit pas. Il se jeta dans le parti de M. le Prince, et elle mourut de la petite-vérole à Stenay. Madame de Longueville écrivit à madame de La Bazinière, la mère, en faveur d’un fils qu’elle a laissé. Elle étoit aussi fière qu’une autre, toute misérable qu’elle étoit, et elle disoit : « Il est vrai qu’il faut que j’aime bien M. de Barbezière, de l’avoir ainsi préféré à tant de bons partis. » Barbezière cajola ensuite une fille[11] de madame de Longueville, nommée La Châtre, et dont il eut un enfant ; elle est à Loudun en religion ; elle disoit qu’elle avoit une promesse de mariage. Depuis, se fiant à l’amnistie, il vint à Paris (1650). Madame de La Bazinière, qui l’avoit fait rouer en effigie, le fit mettre au Fort-l’Évêque ; mais le prince de Conti, alors en crédit par son mariage, l’en tira. Nous verrons dans les Mémoires de la Régence comme il eut le cou coupé en 1657 pour un enlèvement d’une autre nature.

  1. Pierre Gayan, président des enquêtes, le 21 juin 1614. (T.)
  2. Il a l’air hagard. (T.)
  3. L’Harmonie, à son récit au Ballet du mariage du duc d’Enghien, disoit :

      Je règne, etc. (T.)

  4. Ils valent beaucoup de revenu. (T.) — Le Mirebalais est une petite contrée de France située en Poitou, et dont Mirebeau est la capitale.
  5. Ce mot paroît être pris ici dans le sens de troqué. En Bretagne, bigner se dit pour échanger, troquer, en style populaire.
  6. Aujourd’hui capitaine aux gardes. Il a été capitaine des gardes du Mazarin. (T.)
  7. Ce benêt met des plumes quand il va à sa terre ; il n’a pu être reçu conseiller. (T.)
  8. Plessis-Chivray fut depuis tué en duel par le marquis de Cœuvre ; c’est un des plus beaux combats de la régence. Il n’y eut point de raillerie. Ils étoient seuls et avec de petites épées. On fut étonné qu’ayant le coup qu’il avoit il eût pu avoir encore deux heures pour songer à sa conscience : on attribua cela au scapulaire de la Vierge qu’il portoit, et depuis bien des jeunes gens en portent. Cœuvre fut aussi fort blessé ; mais il eut l’avantage. (T.)
  9. Serran a passé pour un ennuyeux homme, à cause qu’il vouloit faire comme son père, et cela ne lui réussissoit pas. Depuis il s’est corrigé ; il ne cherche plus à dire de bons mots, et c’est un homme peu naturel à la vérité, mais qui passera partout. Un jour que sa femme et lui se battoient, Bautru, qu’on vint quérir pour mettre le holà, les regarda faire, et dit : Quod Deus junxit, homo non separet ; puis s’en alla. Il trouvoit peut-être à propos que la petite femme fût mortifiée. (T.)
  10. On a vu plus haut un article sur Lopez.
  11. Cette fille accoucha assez scandaleusement ; et comme elle disoit : « Que je suis malheureuse ! » Tourney, sa compagne, pour la consoler, lui disoit : « Ma chère, pourquoi s’affliger tant ? il n’y en a pas une de nous à qui il n’en pende autant. (T.)