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Solon et Pisistrate.
 
La tyrannie est souvent plus funeste aux souverains
qu' aux peuples.
 
Solon.
 
Hé bien ! Tu croyois devenir le plus heureux
des mortels en rendant tes concitoyens tes
esclaves : te voilà bien avancé ! Tu as méprisé
toutes mes remontrances, tu as foulé aux pieds
toutes mes lois : que te reste-t-il de ta
tyrannie, que l' exécration des athéniens, et les
justes peines que tu vas endurer dans le
noir Tartare ?
Pisistrate.
 
Mais je gouvernois assez doucement. Il est
vrai que je voulois gouverner, et sacrifier tout
ce qui étoit suspect à mon autorité.
 
Solon.
 
C' est ce qu' on appelle un tyran. Il ne fait
pas le mal pour le seul plaisir de le faire ; mais
le mal ne lui coûte rien toutes les fois qu' il le
croit utile à l' accroissement de sa grandeur.
 
Pisistrate.
 
Je voulois acquérir de la gloire.
 
Solon.
 
Quelle gloire, à mettre sa patrie dans les
fers, et à passer dans toute la postérité pour un
impie qui n' a connu ni justice, ni bonne foi,
ni humanité ! Tu devois acquérir de la gloire,
comme tant d' autres grecs, en servant ta patrie, et
non en l' opprimant comme tu as fait.
 
Pisistrate.
 
Mais quand on a assez d' élévation, de génie
et d' éloquence pour gouverner, il est bien
rude de passer sa vie dans la dépendance d' un
peuple capricieux.
 
Solon.
 
J' en conviens ; mais il faut tâcher de mener
justement les peuples par l' autorité des lois.
 
Moi qui te parle, j' étois, tu le sais bien, de la
race royale : ai-je montré quelque ambition
pour gouverner Athènes ? Au contraire, j' ai
tout sacrifié pour mettre en autorité des lois
salutaires ; j' ai vécu pauvre ; je me suis éloigné ;
je n' ai jamais voulu employer que la
persuasion et le bon exemple, qui sont les armes de
la vertu. Est-ce ainsi que tu as fait ? Parle.
 
Pisistrate.
 
Non ; mais c' est que je songeois à laisser à
mes enfants la royauté.
 
Solon.
 
Tu as fort bien réussi ; car tu leur as laissé
pour tout héritage la haine et l' horreur
publique. Les plus généreux citoyens ont mérité
une gloire immortelle et des statues pour
avoir poignardé l' un ; l' autre, fugitif, est allé
servilement chez un roi barbare implorer son
secours contre sa propre patrie. Voilà les biens
que tu as laissés à tes enfants. Si tu leur avois
laissé l' amour de la patrie et le mépris du
faste, ils vivroient encore heureux parmi les
athéniens.
 
Pisistrate.
 
Mais quoi ! Vivre sans gloire dans l' obscurité ?
Solon.
 
La gloire ne s' acquiert-elle que par des crimes ?
Il la faut chercher dans la guerre contre les
ennemis, dans toutes les vertus modérées
d' un bon citoyen, dans le mépris de tout ce
qui enivre et qui amollit les hommes.
 
ô Pisistrate, la gloire est belle : heureux ceux
qui la savent trouver ! Mais qu' il est pernicieux
de la vouloir trouver où elle n' est pas !
Pisistrate.
 
Mais le peuple avoit trop de liberté ; et le
peuple trop libre est le plus insupportable de
tous les tyrans.
 
Solon.
 
Il falloit m' aider à modérer la liberté du
peuple en établissant mes lois, et non pas
renverser les lois pour tyranniser le peuple. Tu
as fait comme un père qui, pour rendre son
fils modéré et docile, le vendroit pour lui
faire passer sa vie dans l' esclavage.
 
Pisistrate.
 
Mais les athéniens sont trop jaloux de leur
liberté.
 
Solon.
 
Il est vrai que les athéniens sont jusqu' à
l' excès jaloux d' une liberté qui leur
appartient : mais toi, n' étois-tu pas encore plus
jaloux d' une tyrannie qui ne pouvoit
t' appartenir ?
Pisistrate.
 
Je souffrois impatiemment de voir le peuple à la
merci des sophistes et des rhéteurs qui
prévaloient sur les gens sages.
 
Solon.
 
Il valoit mieux encore que les sophistes et
les rhéteurs abusassent quelquefois le peuple
par leurs raisonnements et par leur éloquence,
que de te voir fermer la bouche des bons et
des mauvais conseillers, pour accabler le peuple,
et pour n' écouter plus que tes propres passions.
 
Mais quelle douceur goûtois-tu dans
cette puissance ? Quel est donc le charme de
la tyrannie ?
Pisistrate.
 
C' est d' être craint de tout le monde, de ne
craindre personne, et de pouvoir tout.
 
Solon.
 
Insensé ! Tu avois tout à craindre ; et tu l' as
bien éprouvé quand tu es tombé du haut de
ta fortune, et que tu as eu tant de peine à te
relever. Tu le sens encore dans tes enfants.
 
Qui est-ce qui avoit plus à craindre, ou de toi,
ou des athéniens ; des athéniens, qui, en
portant le joug de la servitude, te détestoient ;
ou de toi, qui devois toujours craindre d' être
trahi, dépossédé, et puni de ton usurpation ?
Tu avois donc plus à craindre que ce peuple
même captif à qui tu te rendois redoutable.
 
Pisistrate.
 
Je l' avoue franchement, la tyrannie ne me
donnoit aucun vrai plaisir : mais je n' aurois
pas eu le courage de la quitter. En perdant
l' autorité, je serois tombé dans une langueur
mortelle.
 
Solon.
 
Reconnois donc combien la tyrannie est
pernicieuse pour le tyran aussi bien que pour
le peuple : il n' est point heureux de l' avoir, il
est malheureux de la perdre.
 
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