« Le Théâtre des marionnettes de Nohant (Le Temps) » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
mAucun résumé des modifications
mAucun résumé des modifications
Ligne 274 :
et emmaillottées de chiffons, élevèrent
leur buste sur la barre du dossier, et un dialogue
très animé s'engagea. Je ne m'en rap-rappelle
pas un mot, mais il dut être fort plaisant,
car il nous fit beaucoup rire, et nous
demandâmes tout de suite des figurines peintes
et une scène pour les faire mouvoir.
Ce théâtre se composa d'un léger châssis
garni d'indienne à ramages et de sept acteurs
taillés dans une souche de tilleul, M. Guignol,
Pierrot, Purpurin, Combrillo, Isabelle,
della Spada capitan, Arbaït gendarme et un
monstre vert. Je réclame la confection du
monstre dont la vaste gueule, destinée à engloutir
Pierrot, fut formée d'une paire de
pantoufles doublées de rouge, et le corps
d'une manche de satin bleuâtre. Si bien que
ce monstre, qui existe encore et qui n'a cessé
de porter le nom de monstre vert, a toujours
été bleu. Le public nombreux qui depuis l'a a
vu fonctionner, ne s'en est jamais aperçu.
On joua des féeries, les deux jeunes artistes,
habitués déjà à l'improvisation, furent
si comiques que les deux spectateurs, à l'unanimité,
les engagèrent à augmenter la
troupe et à soigner le décor. Ils répondirent
que le théâtre était trop petit et ne comportait
qu'une paire de coulisses et une toile de
fond. On verrait l'année suivante.
 
Il ne fut pas possible d'attendre jusque-là.
Victor Borie voulant représenter un incendie,
incendia pour tout de bon le théâtre, et il
fallut en construire un autre dont les dimensions
furent doublées. Dans le courant de l'hiver
on joua sept pièces. ''Pierrot libérateur'',
''Serpentin vert, Olivia, Woodstock'',le ''Moine'',
le ''Chevalier de Saint-Fargeau'', le ''Réveil du''
''lion''.
 
En 1848 on en joua une douzaine. On apportait
toujours le châssis au salon, après
le dîner; on dressait le décor et on constatait
chaque soir un nouveau progrès.
Cromwell, Léon Lacroix, Valsenestre, Cléanthe,
Louis, Rose, Céleste, Ida et Daumont
avalent vu le jour, et, à peine sortis de la
bûche, avaient paru sur la scène avec l'aplomb
de vieux comédiens. On avait amélioré
l'éclairage, la chose la plus difficile à obtenir
sans risque d'incendie dans un théâtre portatif.
Mais le système était encore trop imparfait
pour qu'on s'appliquât beaucoup aux décors.
Et puis on jouait encore la comédie improvisée
plus souvent et plus volontiers que
les marionnettes. Ce qui n'empêchait pas certaines
soirées d'être consacrées à la lecture.
Chacun lisait à son tour pendant que les autres
travaillaient aux costumes ou à la sculpture des
figurines. Nous achevions les ''Girondins de''
''Lamartine'', quand, par une préoccupation très
naturelle; Maurice et Lambert eurent l'idée
de représenter toute la révolution française
en une série de pièces, conçue comme un roman
historique à la Walter Scott. Il y en eut
seulement deux de jouées. La révolution de
Février nous surprit au beau milieu de notre
vie de campagne et nous dispersa de nouveau.
 
En 49, on se remit à l'oeuvre : la troupe
composée de 17 personnages s'installa dans
une petite pièce voûtée qui servait de garde-meuble
et que dans mon enfance on appelait
je ne sais pourquoi, la salle des archives. En
49, elle fut nettoyée, restaurée et classiquement
consacrée « aux muses ». Un ou deux
ans plus tard on perça un gros mur, où l'on
pratiqua une arcade, la salle des marionnettes
devint la loge d'un public de soixante personnes
bien placées sur une estrade qui se
démontait et se remettait en peu d'instants ;
au-delà de l'arcade se trouvait une grande
pièce assez élevée pour qu'on pût y planter le
théâtre des acteurs vivants, et dont on enleva
le billard pour établir un second plancher.
Cette combinaison fut très heureuse. On plaça
le luminaire sur la face du mur qui regardait
le théâtre, et le spectateur assis dans
l'ombre fut absolument trompé sur la dimension
et la profondeur des objets exhibés devant
lui. On avait obtenu un effet de diorama,
qui permit des lointains et des reliefs remarquables
dans un espace chétif en réalité.
 
Quant aux marionnettes, leur théâtre établi
dans la partie de la ''salle des archives'',
qui ne faisait point face à l'arcade, resta tranquille
et intact derrière une cloison mobile
qui en masquait entièrement la façade. Quand
on le rouvrit, on lui appliqua le même système
d'éclairage qu'à l'autre théâtre. La charpente
à demeure étant solide, on établit une
rampe et des montants cachés à l'œil du spectateur
et munis de puissants réflecteurs. Plus
tard on mit une herse dans les frises, et plus
tard encore, on en ajouta deux autres au milieu
et au fond, si bien que la scène fut
éclairée comme celle d'un vrai théâtre et on put
se permettre un grand luxe de décors dont
il fut permis de régler l'éclairage selon les
besoins de l'effet. Rien n'était plus simple que
de rendre la lumière rouge ou bleue par là
moyen des verres de couleur et des transparents,
mais on ne s'arrêta pas au nécessaire.
On voulut avoir le soleil, la lune, les étoiles,
et le reflet des astres dans les eaux. Maurice
devenu promptement menuisier, serrurier et
mécanicien, fut bientôt un habile machiniste.
On voulut plus tard voir le soleil et la lune se
lever et se coucher. On était exigeant, on
trouvait insupportables ces astres immobiles.
On peignit des ciels sur calicot et on fit monter
et descendre derrière, frisant la toile, une
boîte de lanterne magique dont la lentille
fut réglée selon l'éclat voulu. Au
moyen d'un simple tourne-broche dont on régla
également le mouvement et dont on éteignit
le bruit, on eut le lever ou le coucher du
soleil et de la lune relativement aussi muets
et aussi lents que dans la réalité. Il ne s'agissait
que de monter la machine avant le lever
du rideau et de la faire marcher au moment
nécessaire. Le changement de lumière sur la
scène fut obtenu par des ficelles dont l'opérateur
se sert avec la plus grande facilité sans
interrompre son dialogue. Tout cela exigea
d'assez longs tâtonnements. Aujourd'hui tout
fonctionne au gré de l'opérant et une
lanterne à lumière électrique lui permet
les apothéoses. Disons, pour finir
ce qui a trait à l'éclairage, ce point essentiel
des effets de théâtre, qu'on ne souffrit
point de lustre dans la salle. Quelques bougies
placées contre la muraille du fond, derrière
le spectateur, suffisent pour lui faire
trouver sa place, et tout l'éclat du véritable
luminaire dont il n'aperçoit point les foyers,
se concentre sur le théâtre. C'est toujours
l'effet de diorama qu'on n'a jamais essayé
d'appliquer ailleurs et qui donnerait à la
scène la magie et la profondeur qu'elle n'a
point. Les Italiens savent bien que les salles
doivent être sombres pour que la scène soit
lumineuse, et que l'œil perd la faculté de bien
voir quand la clarté l'assiége et le pénètre de
près et de tous côtés. Mais les Français, les
Françaises surtout, vont au théâtre pour se
faire voir et le spectacle passe souvent par-dessus
le marché.
 
Les progrès obtenus par Maurice dans l'art
d'adapter par des moyens faciles et peu couteux,
c'est-à-dire à la portée de-beaucoup de
personnes, les merveilles du théâtre à une
bonbonnière, furent souvent interrompus par
l'étude de choses plus sérieuses. Quand nous
avions des loisirs, ce qui n'arrivait pas tous les
ans, le ''Grand-Théâtre'', comme nous l'appelions
par antithèse forcée, bien qu'il fût une bonbonnière
aussi, nous occupait davantage ;
mais dans le soin que nous apportions à nos
costumes, à notre mise en scène et à l'habitude
que nous prenions d'improviser
le dialogue, le don de faire agir et parler
des marionnettes ne se perdait pas chez
nos jeunes artistes. En 1848 et 49, ils nous
avaient joué dix-huit pièces nouvelles. En
1854, Thiron, aujourd'hui de la Comédie-Française,
débuta chez nous, non-seulement
dans la comédie improvisée, mais encore au
théâtre des marionnettes et fut éblouissant
d'esprit et de verve sur ces, deux scènes.
Lambert, très brillant aussi et très
finement original, reprit ensuite son emploi.
Puis Alexandre Manceau l'année suivante
et Thiron encore. Plus tard Victor
Borie, Sully Lévy, Edouard Cadol,
Charles Marchal, Porel, enfin, plus tard encore,
notre ami Planet et deux de mes neveux
furent les associés de mon fils dans la
mise en scène, la convention des canevas et
la récitation des marionnettes. Avec gens qui
ont de l'esprit à revendre, il était difficile que
ces représentations ne fussent pas d'exquis
divertissements. De 1854 à 1872, il y en eut
environ cent vingt. Et puis Maurice travailla
et opéra tout seul et c'est alors que ce théâtre
entra dans une voie nouvelle qui n'est
sans doute pas son dernier mot, mais qui est
la voie d'un art complet en ce sens qu'il peut
aborder des genres jusqu'ici interdits à ses
moyens d'exécution.
 
En effet, la marionnette classique, tenue
dans la main, est, par la nature de son agencement,
un être exclusivement burlesque.
Ses mouvements souples ont de la gentillesse,
mais ses gestes sont désordonnés
et le plus souvent impossibles. C'est
donc un personnage impropre aux rôles
sérieux, et il avait fallu tout le talent
de nos operanti, pour nous attendrir et
nous effrayer dans certaines situations.
Presque toujours ils nous donnaient des parodies
de mélodrame ou des pièces bouffonnes.
Les titres de quelques-unes en font foi,
comme ''Oswald l'Écossais'', l'''Auberge du haricot''
''vert'', ''Sang'', ''Sérénades et bandits'', ''Robert''
''le maudit, Les sangliers noirs, Une femme''
''et un sac de nuit, Les filles brunes de''
''Ferrare'', le ''Spectre chauve, Pourpre et sang'',
''Les Lames de Tolède, Roberto le bon voleur'',
l'''Ermite de la marée montante'', ''Une tempête''
''dans un cœur de bronze'', le ''Cadavre récalcitrant'',
etc. Les sujets bouffons étaient souvent
inspirés par les impressions du moment, une
aventure ridicule dans le monde politique ou
artiste, une chronique locale, un récit amusant
ou singulier, la visite de quelque personnage
absurde, un intrus dont on faisait la
charge sans qu'il se reconnût, tout servait de
thème à la pièce établie en canevas en quelques
heures et jouée quelquefois le soir même.
Nous avons du à ce charmant petit théâtre
des distractions bienfaisantes, des soirées
d'expansion et d'oubli d'un prix inestimable.
 
La dispersion de la famille et la difficulté
de se réunir, la mort de quelques amis bien
chers qui avaient brillé sur notre grand
théâtre (Bocage y avait joué, et d'autres non
moins célèbres) enfin le manque de temps
pour les loisirs avaient amené la suspension indéfinie
de la ''comedia dell'arte''. Les marionnettes
seules nous restaient, et mon fils, à mesure
que ma vie se fixait davantage à la campagne,
tenait à m'y donner les plaisirs de la fiction,
si nécessaires à ceux qui la cultivent
pour leur compte et qui s'en lasseraient, si
l'invention des autres ne les distrayait point
de leur propre contention d'esprit. Mais il
était seul la plupart du temps. L'heure du
travail ou du mariage était venue pour ses
jeunes associés. Nous avions de jeunes enfants
qu'il tenait à divertir aussi et pour qui
la charge exclusive eût été, ou incompréhenble,
ou d'une mauvaise influence sur le goût
naissant. Il fallait un théâtre plus châtié et
dès lors une plus fidèle observation des
lois de la scène. Ceci paraissait impossible,
car on n'a que deux mains, et les pièces
ainsi rendues par un seul opérant ne peuvent
être qu'une suite de monologues ou de
scènes à deux personnages. Avec un compère,
on ne pouvait dépasser le nombre de quatre,
</div>