« Mémoires de Cora Pearl/25 » : différence entre les versions

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XXV

COMMENT SE DÉCIDE UNE EXCURSION… EN SUÈDE. — CALVAT RENÉ ET GUSTAVE WASA. — UNE POINTE EN NORWÈGE. — UN MINISTRE ANGLICAN VIENT DEMANDER MA MAIN.


Je n’ai pas beaucoup voyagé, en somme. Le plus loin que je suis allée est en Suède avec René Calvat. La chose fut décidée à l’improviste.

C’était au commencement du printemps : nous avions pris rendez-vous à la Maison Dorée. René se trouvait être en retard. Tout en l’attendant, je me mis à parcourir les journaux illustrés. Mes yeux se fixèrent sur un paysage représentant une petite maison basse, située près d’un marais. Je ne sais pourquoi j’aurais aimé demeurer un jour dans cette bicoque : je dis un jour, pas davantage. On était en mai, et, par une rare exception, il faisait une chaleur épouvantable. J’enviais le sort de trois bonshommes représentés sur la gravure, et qui faisaient paître des moutons, tout en soufflant dans leurs mains.

— Savez-vous ce que nous devrions faire ? dis-je à Calvat, quand il entra dans le cabinet.

— Déjeuner, sans doute ? me répondit-il.

— Bah ! cela se fait tous les jours. Autre chose.

— Alors un extra…

— Extravagance, si vous voulez.

— Je ferai tout ce qu’il vous plaira.

— Eh bien, un petit voyage !

— Va pour un petit voyage ! mais où ?

— Ah ! voilà ! c’est un caprice. Vous trouverez peut-être que c’est un peu loin.

— Dites toujours.

— Non, devinez.

— Vous voulez aller à Nice ?

— Oh ! pour ça non ! Dans cette saison il y a des fleurs partout.

— À Bade ?

— J’en suis saturée.

— À Vichy ?

— J’en arrive. Tenez ! Regardez ce journal.

— « Bureau de rédaction rue Lafayette », l’omnibus peut, au besoin, nous y conduire.

— Comment trouvez-vous ce paysage ?

— En Suède ! ah ! J’y suis !… — Mais c’est que nous n’y sommes pas. — Enfin si ça peut vous faire plaisir ?…

— Beaucoup.

— Eh bien, partons !

— Partons !

— Mais d’abord déjeunons.

Nous partîmes quatre jours après.

Le voyage agréait d’autant plus à René, qu’il y avait, disait-il, dans le pays de Bernadotte, des documents très utiles à consulter sur le régime parlementaire en Suède. La politique a toujours été le faible de cet excellent homme.

« Restait pourtant à savoir si les bibliothèques ?… »

— J’espère, lui dis-je, que pour les quinze jours que nous resterons là-bas vous respecterez la noble poussière des bouquins…

Il me promit de ne consulter d’autre livre que mon désir et le guide du voyageur.

— Ah ! quel homme ! s’écriait-il à peine arrivé, quel homme que ce Gustave ! Ah ! si j’avais été à la place de Gustave !

Il s’agissait de Gustave Wasa.

Je priai René de réserver son enthousiasme pour les heures plus solitaires du retour.

— J’allais vous le demander ! me répondit-il avec son bon sourire.

En Norwège, où nous passâmes ensuite, Calvat fit la rencontre de toute une volée d’amis. En a-t-il dit de ces : « Comment ça vous va ? » qui lui étaient familiers !

Un jour, j’étais seule à l’hôtel. René s’était rendu au consulat pour savoir si une lettre qu’il attendait était arrivée. Le garçon frappe à la porte de ma chambre. Un voyageur désirait me parler.

C’était un grand blond, tirant un peu sur le gris avec des cheveux filasse qui tombaient jusqu’à la nuque. Il me dit avec le plus grand calme que son désir était de se marier, que l’occasion ne lui avait pas manqué, mais qu’il n’avait pas encore donné suite à ses projets, par scrupule religieux. Il avait le bonheur d’être anglican et ne pouvait se faire à la pensée de s’allier avec une luthérienne.

Je lui témoignai mon regret d’être si peu versée dans la matière théologique, et lui dis de s’adresser de préférence à M. René Calvat qui lui donnerait peut-être des explications plus satisfaisantes.

— Oh ! mademoiselle ! me dit-il, j’aime mieux, à tous égards, tenir de vous mes renseignements ! Ce n’est pas que je professe la plus sincère estime pour M. votre père, aux sermons duquel je dois en grande partie ma vocation ecclésiastique, mais, sur cette question de pure conscience, je tiens essentiellement à connaître votre manière de voir.

Malgré moi je me mis à rire.

— Eh bien, poursuivit l’homme blond toujours très respectueux, si j’obtenais de vous, ne fût-ce qu’un encouragement, peut-être renoncerais-je à ce que d’aucuns appellent, bien à tort sans doute, une antipathie de clocher. Plaidez ma cause auprès du vénéré pasteur. Je connais son libéralisme, et vous confie le soin de mon repos et de mon bonheur.

Cela dit, il me fit un grand salut, et se retira. Je demandai au maître d’hôtel quel était ce fou ? C’était, paraît-il, un ministre en voyage, un missionnaire des environs, pour le moment en villégiature à Stockholm. C’était la première fois qu’on prenait René Calvat pour un ministre.

Nous avons beaucoup ri du quiproquo. Nous passâmes quinze jours fort agréables. René fut prodigue pour moi d’amabilité, de largesses : partout il faisait tuer le veau gras.