« Contes des fées (Aulnoy, version expurgée, 1868)/Le Prince lutin » : différence entre les versions

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il l'aime autant que je le fais, et s'il est juste que je n'avale que de la fumée quand il croque de bons morceaux. " Il ôta tout doucement le chat bleu, il s’assit dans le fauteuil et le mit sur lui. Personne ne voyait Lutin : comment l'aurait-on vu ? il avait le petit chapeau rouge. La princesse mettait perdreaux, cailleteaux, faisandeaux, sur l'assiette d'or de Bluet ; perdreaux, cailleteaux, faisandeaux, disparaissaient en un moment ; toute la cour disait: " jamais chat bleu n'a mangé d'un plus grand appétit. " Il y avait des ragoûts excellents ; Lutin prenait une fourchette, et, tenant la patte du chat, il tâtait aux ragoûts : il la tirait quelquefois un peu trop fort ; Bluet n'entendait point raillerie, il miaulait et voulait égratigner comme un chat désespéré ; la princesse disait : " Que l'on approche cette tourte ou cette fricassée au pauvre Bluet voyez comme il crie pour en avoir ; " Léandre riait tout bas d'une si plaisante aventure, mais il avait grande soif, n'étant point accoutumé à faire de si longs repas sans boire ; il attrapa un gros melon avec la patte du chat, qui le désaltéra un peu ; et le souper étant presque fini, il courut au buffet et prit deux bouteilles d'un nectar délicieux.
 
La princesse entra dans son cabinet ; elle dit à Abricotine de la suivre et de fermer la porte. Lutin marchait sur ses pas, et se trouva en tiers sans être aperçu. La princesse dit à sa confidente : " Avoue-moi que tu as exagéré en me faisant le portrait de cet inconnu ; il n'est pas, ce me semble, possible qu'il soit si aimable. - Je vous proteste, madame, répliqua-t-elle, que, si j'ai manqué en quelque chose, c'est à n'en avoir pas dit assez. " La princesse soupira et se tut pour un moment ; puis, reprenant la parole: " Je te sais bon gré, dit-elle, de lui avoir refusé de l'amener avec toi. - Mais, madame, répondit Abricotine (qui était une franche finette, et qui pénétrait déjà les pensées de sa maîtresse), quand il serait venu admirer les merveilles de ces beaux lieux, quel mal vous en pouvait-il arriver ? Voulez-vous être éternellement inconnue dans un coin du monde, cachée au reste des mortels ? De quoi vous sert tant de grandeur, de pompe, de magnificence, si elle n'est vue de personne ? -Tais-toi, tais-toi, petite causeuse, dit la princesse, ne trouble point l'heureux repos dont je jouis depuis six cents ans. Penses-tu que, si je menais une vie inquiète et turbulente, j'eusse vécu un si grand nombre d'années ? Il n'y a que les plaisirs innocents et tranquilles qui puissent produire de tels effets. N'avons-nous pas lu dans les plus belles histoires les révolutions des plus grands états, les coups imprévus d'une fortune inconstante, les désordres inouïs de l'amour, les peines de l'absence ou de la jalousie ? Qu'est-ce qui produit toutes ces alarmes et toutes ces afflictions ? le seul commerce que les humains ont les uns avec les autres. Je suis, grâce aux soins de ma mère, exempte de toutes ces traverses ; je ne connais ni les amertumes du cœur, ni les désirs inutiles, ni l'envie, ni l'amour, ni la haine. Ah! vivons, vivons toujours avec la même indifférence ! "
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puissent produire de tels effets. N'avons-nous pas lu dans les plus belles histoires les révolutions des plus grands états, les coups imprévus d'une fortune inconstante, les désordres inouïs de l'amour, les peines de l'absence ou de la jalousie ? Qu'est-ce qui produit toutes ces alarmes et toutes ces afflictions ? le seul commerce que les humains ont les uns avec les autres. Je suis, grâce aux soins de ma mère, exempte de toutes ces traverses ; je ne connais ni les amertumes du cœur, ni les désirs inutiles, ni l'envie, ni l'amour, ni la haine. Ah! vivons, vivons toujours avec la même indifférence ! "
 
Abricotine n'osa répondre ; la princesse attendit quelque temps, puis elle lui demanda si elle n'avait rien à dire. Elle répliqua qu'elle pensait qu'il était donc bien inutile d'avoir envoyé son portrait dans plusieurs cours, où il ne servirait qu'à faire des misérables ; que chacun aurait envie de l'avoir, et que, n'y pouvant réussir, ils se désespéreraient. " Je t'avoue, malgré cela, dit la princesse, que je voudrais que mon portrait tombât entre les mains de cet étranger dont tu ne sais pas le nom. - Hé ! madame, répondit-elle, n'a-t-il pas déjà un désir assez violent de vous voir ? Voudriez-vous l'augmenter ? - Oui, s'écria la princesse, un certain mouvement de vanité qui m'avait été inconnu jusqu'à présent m'en fait naître l'envie. " Lutin écoutait tout sans perdre un mot ; il y en avait plusieurs qui lui donnaient de flatteuses espérances, et quelques autres les détruisaient absolument.
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Il était tard, la princesse entra dans sa chambre pour se coucher. Lutin aurait bien voulu la suivre à sa toilette ; mais, encore qu'il le pût, le respect qu'il avait pour elle l'en empêcha ; il lui semblait qu'il ne devait prendre que les libertés qu'elle aurait bien voulu lui accorder ; et sa passion était si délicate et si ingénieuse qu'il se tourmentait sur les plus petites choses.
 
Il entra dans un cabinet proche de la chambre de la princesse, pour avoir au moins le plaisir de l'entendre parler. Elle demandait dans ce moment à Abricotine si elle n'avait rien vu d'extraordinaire dans son petit voyage. "Madame, lui dit-elle, j'ai passé par une forêt où j'ai vu des animaux qui ressemblaient à des enfants ; ils sautent et dansent sur les arbres

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comme des écureuils ; ils sont fort laids, mais leur adresse est sans pareille. - Ah ! que j'en voudrais avoir ! dit la princesse ; s'ils étaient moins légers, on en pourrait attraper. "
 
Lutin, qui avait passé par cette forêt, se douta bien que c'étaient des singes. Aussitôt il s'y souhaita ; il en prit une douzaine, de gros, de petits, et de plusieurs couleurs différentes ; il les mit avec bien de la peine dans un grand sac, puis se souhaita à Paris, où il avait entendu dire que l'on trouvait tout ce qu'on voulait pour de l'argent. Il fut acheter chez Dautel, qui est un curieux, un petit carrosse tout d'or, où il fit atteler six singes verts, avec de petits harnais de maroquin couleur de feu garnis d'or ; il alla ensuite chez Brioché, fameux joueur de marionnettes, il y trouva deux singes de mérite : le plus spirituel s'appelait Briscambille, et l'autre Perceforêt, qui étaient très galants et bien élevés : il habilla Briscambille en roi, et le mit dans le carrosse ; Perceforêt servait de cocher, les autres singes étaient vêtus en pages ; jamais rien n'a été plus gracieux. Il mit le carrosse et les singes bottés dans le même sac ; et, comme la princesse n'était pas encore couchée, elle entendit dans sa galerie le bruit du petit carrosse, et ses nymphes vinrent lui conter l'arrivée du roi des Nains. En même temps le carrosse entra dans sa chambre avec le cortège singenois ; et les singes de campagne ne laissaient pas de faire des tours de passe-passe, qui valaient bien ceux de Briscambille et de Perceforêt. Pour dire la vérité, Lutin conduisait toute la machine : il tira le magot du petit carrosse d'or, lequel tenait une boîte couverte de diamants, qu'il présenta de fort bonne grâce à la princesse. Elle l'ouvrit promptement, et trouva dedans un billet, où elle lut ces vers :